BEAUCLAIR,Henri (1860-1919) et VICAIRE, Gabriel (1848-1900): LesDéliquescences, poèmes décadents d'Adoré Floupette, avec sa vie parMarius Tapora (1885). Saisie du texte : S. Pestel pour la collectionélectroniquede la Médiathèque intercommunale André Malraux (07.11.1997, mise à jour : 25.06.2015) Texte relu par : A. Guézou Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux - Place de la République - BP 27216 - 14107 Lisieux Cedex -Tél. : 02.31.48.41.00. Courriel : mediatheque@lintercom.fr, [Olivier Bogros] obogros@lintercom.fr Web : www.bmlisieux.com Texte établi sur la 4e édition : Paris, 1923 (voir la bibliographie). Diffusion libre et gratuite (freeware) ~~~~
Mon vieil ami et camarade de classe, Adoré Floupette, poète décadent,est venu l'autre jour me faire une proposition singulière. Ils'agissait d'écrire une préface à son étonnant recueil de vers, lesDéliquescences. Tout d'abord je me suis récrié comme un beaudiable : «Mais, Adoré, tu n'y penses pas. Moi, simple pharmacien dedeuxième classe, rue des Canettes, un potard, commeon dit dans le monde, servir d'introducteur à un homme comme toi ! Onen rira longtemps au «Panier fleuri». Malheureusement, Adoré a tenubon. Comme de juste, il méprise profondément le public. Un ramassis decrétins ! se plaît-il à dire dans l'intimité. Pourtant son dédain ne vapas sans un peu de pitié. Au fond, il est bon garçon ; il sent bienqu'il faut faire quelque chose pour ceux qui n'ont pas eu, comme nous,la chance d'être initiés au grand Arcane. Des niais, soit, mais cen'est pas leur faute. Ils ne savent pas ; voilàtout. Quant à répandre lui-même la bonne parole, Floupette n'y sauraitcondescendre ; on ne peut raisonnablement l'exiger de lui. Il plane,c'est sa fonction, ne lui en demandez pas davantage. C'est ainsi que moi, droguiste indigne, je me trouve, àmagrande surprise, devenu le Louis Figuier de la poésie de l'avenir.Réussirai-je dans cette tâche ardue ? Je n'ose l'espérer, mais, commedit le fabuliste (encore un qui n'est pas dans le train):
Avant tout, quelques détails biographiques sur l'auteur des Déliquescencesme semblent indispensables : Floupette (Joseph-Chrysostôme-Adoré) n'est pasAuvergnat,comme d'aucuns l'ont avancé, sans doute, avec une pointe demalveillance. Il naquit, en effet, le 24 janvier 1860, prèsLons-le-Saulnier, où nous grandîmes côte à côte, étant compatriotes etpresque voisins. Autant qu'il m'en souvienne, M. Floupette père avaitété quelque chose dans les Vins et Liqueurs. Retiré des affaires, ilvivait de ses rentes, en fort bonne intelligence avec madame sonépouse, laquelle, m'a-t-on dit, excellait dans la fabrication de laconfiture de groseille et du raisiné. C'était un homme grave, toujoursboutonné jusqu'au menton et qui passait pour avoir de très grandsmoyens. Je ne l'ai jamais vu ouvrir la bouche. Dans cet austère milieu, le jeune Adoré croissait chaquejouren force et en sagesse. Mais il vaut mieux glisser sur ces annéesingénues, émaillées de mille délicieuses petites folâtreriesenfantines. Toutes les mères me comprendront. C'est en 1873 que je retrouvai notre ami au Lycée deLons-le-Saulnier. Ah ! le cher Adoré ! Je le vois encore. Joufflu commeun chérubin et rose comme une pomme d'api, avec un nez en pied demarmite, de gros yeux ronds à fleur de tête et un ventre rondelet quidéjà s'annonçait comme devant bedonner un jour, il avait l'air d'unelune en son plein, joviale et tout à fait bonne fille. On ne peut pasdire qu'il eût de grands succès dans ses classes. S'il avait voulu, ilest évident que personne ne l'aurait surpassé, mais il ne voulait pas.Il était trapu, en dedans. Cela lui suffisait.Déjà, au surplus, la passion de l'histoire naturelle l'avait envahi. Sasollicitude s'étendait à tous les insectes connus, et son pupitre étaitcomme un hôpital à l'usage des scarabées malades et des coléoptèreséclopés. Et puis la muse commençait très fort à le taquiner. Tous les huit jours, Mme Floupette venait au parloir, etelleremettait religieusement à son fils la somme de 1 fr. 50, en lui disant: «Adoré, voilà ta semaine. Ne la dépense pas toute à la fois !»C'était peu sans doute. Mais la jeunesse est ingénieuse, et nous avionstrouvé au bout de la rue du Commerce un petit café où l'on avaitd'exécrables consommations aux prix les plus doux. Que de bonnesjournées de sortie nous avons passées, en cet endroit, au milieu de lafumée des pipes et du bruit que faisaient les joueurs de domino ! Nousavions notre table à nous, tout au fond de l'estaminet. Quand les bocksfrelatés commençaient à nous monter au cerveau, nous entonnionsjoyeusement, en scandant le rythme à coups de talons, l'ode d'Horace :
Pulsanda tellus, etc... Et, tout à coup, Floupette, se levant d'un air inspiré, les cheveux encoup de vent, déclamait sa description de la tempête :
A la nature entière, effroyable présage, Darde ces traits bruyants, qui portés aux échos Font redouter au loin le retour du chaos. Les animaux tremblants regagnent leurs tanières, etc. Nous avions le culte de la périphrase, comme il convient à desclassiques renforcés et nous pensions sérieusement que Racine était trèsfort. J'en rougis un peu. Il y avait là Dorémus, qui estmaintenant receveur de l'enregistrement, Guillonet, qui ne se doutaitpas qu'il serait un jour la fleur des agents voyers, et Chapoulet,qu'on appelait le fifi, parce qu'il était le favoridu pion, et le petit Caillot et le gros Cocogne, enfin toute une bandede joyeux potaches, aujourd'hui dispersés, Dieu sait où. C'était le bontemps. Un jour cependant (nous étions à l'époque des vacances),Floupette vint me trouver et, l'allure mystérieuse, le doigt sur labouche, dans l'attitude d'un sphinx, un peu plus grassouillet qu'iln'est d'usage, il me dit ces étranges paroles : «Connais-tu Lamartine?» Je fus, je l'avoue, interloqué. Car j'ignorais jusqu'au nom duchantre de Graziella ! Mais Floupette, avec sévérité : «Et Victor Hugo,et Musset, et de Vigny, et Brizeux ! Ah çà, mon cher, mais tu n'as rienlu ?» Parmi les maîtres, ce fut d'abord Lamartine qui eut nospréférences. Il dura bien tout un hiver pendant lequel nous eûmesbeaucoup, oh ! beaucoup de vague à l'âme. Je retrouve dans mes vieux papiers une poésie d'Adoréqui datede cette époque. C'est une ode dont voici le début :
Aimons dans notre jeune temps ! Bien trop tôt nous sera ravie Cette fleur de notre printemps ! Dans les prés et sur la montagne, Sur les lacs et dans la campagne, Qu'à notre bras une compagne, Se penche en levant ses beaux yeux Puis, ô divine rêverie ! Que sa douce haleine fleurie A notre lèvre endolorie Apporte le parfum des cieux ! Le reste à l'avenant, c'étaient des élévations àn'en plus finir, des extases, des prières adressées à l'infini, desrossignols dans l'épais bocage, des nacelles, des barcarolles, desscintillements d'étoiles, des chars de la nuit, des clairs de lune surla mer, où l'on voyait neiger des fleurs de pêcher, enfin un tas debelles choses dont je ne me souviens plus très bien, car, pour le direen passant, je suis un peu dévelouté. Le mot est deFloupette qui en a trouvé ou retrouvé bien d'autres. C'est égal ; étions-nous assez jeunes ! Je me souviensquenous soupçonnions notre aumônier, l'abbé Faublas, un vieux petitmoricaud, qui avait toujours la goutte au nez, d'avoir dans son passéquelque drame intime, une terrifiante histoire d'amour pour le moins,et nous avions baptisé du nom d'Elvire la petite Virginie Colas, lafille du concierge du Lycée, une boulotte assez piquante qui estaujourd'hui mariée au boucher de la grande place. Même nous avionsgrande envie de lui demander des nouvelles de Sorrente, mais nousn'osions pas. Avec Victor Hugo ce fut une note différente, la noteTitanesque et Babylonienne. Nous tendions nos muscles, nous étionscyclopéens ; pour un rien nous aurions rebâti la tour de Babel ; nousnagions en plein sublime. Enfin Musset eut son tour. Il nous arriva, précédé d'uncortège des plus galants, abbés de cour, folles maîtresses, donneurs desérénades, amants transis, et c'est alors que je crus m'apercevoir queFloupette se dérangeait. Lui, autrefois si chaste, si réservé dans sespropos, il devenait à vue d'oeil égrillard et talon rouge. C'était lachute d'un ange. Chantonnait-il avec une désinvolture de vaurien que je ne luiconnaissais pas encore, et, à ma grande stupéfaction, il m'arriva del'entendre et faire à une certaine Déjanire les propositions les plusincendiaires. Il est vrai que c'était en rêve, un soir qu'il s'étaitmollement endormi sur son gradus ad Parnassum,pendant la dernière étude. C'est à partir de ce moment qu'il prit l'habitude defairetous les mois une petite visite discrète dans la rue des Ormeaux,derrière la gendarmerie. Sur ces entrefaites, il fut reçu bachelier, non sansquelquetirage, et partit pour Paris où son père l'envoyait étudier le droit,avec mille recommandations pour son ami et correspondant, M. FélixPotin du boulevard Sébastopol. Ah ! Paris, c'était le pays de nosrêves, le cerveau du monde, la capitale de l'intelligence, la Villeavec un grand V ! C'est de là que la gloire d'Adoré Floupette devaitprendre son essor et rayonner sur la Bourgogne et la Franche-Comté ! Amon regret, je ne pus l'accompagner. Les herbes me retenaient àLons-le-Saulnier, car déjà le démon de la pharmacie s'était emparé demoi et j'étais entré en apprentissage chez M. Dumolard, le droguistebien connu de la place de la Chevalerie. Mais, comme on pense, lacorrespondance ne chôma pas. C'est ainsi que j'appris, par Adoré, degrandes nouvelles. Lamartine et Musset, que nous avions si sottementadmirés jadis, avaient été remisés et mis au rancart. Le premier étaitun raseur, un pleurard insupportable. Le second ne savait pas rimer.Hugo était toujours le Maître, mais il planait aufond de l'empyrée, dans un nuage de pourpre et d'or, tenant le monde ensa main, ainsi qu'il convient à un empereur de la poésie. On le saluaiten passant d'une génuflexion, on brûlait un peu d'encens, et tout étaitdit. Volontiers le bon Dieu était délaissé pour ses saints, lesquels, àce qu'il paraît, étaient de la famille du grand Saint-Éloi, l'excellentorfèvre du roi Dagobert. Ils taillaient, ciselaient, fignolaient àmerveille. Tel de leurs sonnets était comme un aiguière délicieusementouvragée ; tel autre, comme une coupe de marbre ou d'onyx ou bienencore, une bague enrichie de pierres précieuses. Il y avait desballades qui ressemblaient aux plus fines potiches de Chine, descartels d'alexandrins, des rondeaux en pâte tendre de Sèvres, desquatrains en camaïeu, enfin tout un lot de mignons bibelots d'étagère,comme on en rencontre à l'hôtel Drouot, les jours de grandes ventes.J'admirais déjà de tout mon coeur, lorsqu'une nouvelle lettre deFloupette vint changer le cours de mes idées. D'abord, il s'était dit Impassible,prétendant haïr la douleur, parce qu'elle dérange l'harmonie des lignes:
Et voilà que subitement les Humbles de FrançoisCoppée l'avaient empoigné. Il ne rêvait que misères à consoler, larmesà tarir. J'ai conservé de cette période un dizain qui donnera assezbien l'idée de sa manière d'alors :
Et le pauvre être, avec une grâce adorable, S'efforçant de remplir tout l'espace béant, Avait peine à rester assis sur son séant. Ah ! depuis j'ai bu plus d'un flacon de Bourgogne, J'ai lu plus d'un roman de Madame Quivogne (Marcde Montifaut.), Et plus d'une charmeuse en secret m'a souri. Mais rien n'a remué mon coeur endolori, Comme en cette nuit tiède et calme de décembre, Ce petit cul noyé dans ce grand pot de chambre. C'était bien touchant - et j'en pleure encore. - Quelques jours après,nouvelle lettre : Floupette, fatigué de la ville et des faubourgs,avait embouché les pipeaux rustiques et chaussé les gros sabots gonflésde paille du paysan Franc-Comtois. Il était devenu poète rural ; lacampagne, les bois, les champs, les foins et les seconds foins, letirage des cuves, les beaux fumiers dorés d'un rayon de soleil,n'était-ce pas l'avenir et le salut ? Consciencieusement il pillait leschansons populaires. Il chantait tour à tour les prairies de laFranche-Comté, les gars et les fillettes de la Franche-Comté, lescabarets de la Franche-Comté, et, quand il avait fini, il recommençait.Ce qu'on buvait de vin de cru dans ses vers naïfs, était incalculable.Il y avait aussi beaucoup de petits cochons, blancs et roses, quantitéde ruisseaux d'argent, et assez de bouquets d'églantines pour enfleurir toutes les nouvelles mariées du pays. Un peu trop d'ivrognesseulement. Ces gens-là vous assourdissent. Autre lettre encore : cette fois Adoré avait déserté laferme.Il s'était délibérément enrôlé sous la bannière de M. Zola et rêvaitd'un grand poème moderne où serait résumée, en quelques centaines devers, l'évolution naturaliste du siècle. Un bateau de blanchisseuses,une gare de chemin de fer, un intérieur d'hôpital, un abattoir, uneboucherie hippophagique, toute la poésie possible aujourd'hui était làet rien que là. Déjà le bon Floupette s'échauffait à cette idée. Onentendait dans sa phrase les trains siffler et le linge claquer sousles battoirs, on voyait le sang couler. Toutes les maisons avaient degros numéros. Et c'était encore plein de buées chaudes, d'odeurs defromage, de bosses chancreuses, de sanie, de bile et de glaires. Unaccouchement surtout me fit penser aux symphonies de Beethoven. C'étaitbeau, bien beau, et cependant, de trois jours au moins, je n'en pusdéjeuner tranquille. A ce moment notre correspondance subit une légèreinterruption. Ayant passé mes derniers examens, j'étais à la recherched'une pharmacie qui me permît d'exercer en toute liberté les talentsque le ciel m'a départis pour le collage des étiquettes et lafabrication artistique des petits paquets. Je savais d'ailleurs que monami, pareil à un Guzman de la poésie, ne connaissait plus d'obstacleset qu'il s'attaquait maintenant aux rimes triplées, quadruplées,sextuplées. Il m'était même revenu qu'il se proposait de mettre entriolets la philosophie de Schopenhauer, mais, tout au souci de maprofession, je n'avais pas le temps de lui écrire. Justement on meproposait quelque chose à Besançon, j'y courus en toute hâte ; cen'était pas ce qui me convenait. De nouvelles tentatives à Lure, àBourg-en-Bresse n'eurent pas plus de succès, et je commençais à medésespérer, lorsque mon vénéré maître, M. Poulard des Roses, chimisteet pharmacien de seconde classe, rue des Canettes, à Paris, s'offrit àme céder son établissement, aux conditions les plus avantageuses, avectoute facilité de paiement. La maison était bien achalandée, lequartier distingué. J'acceptai avec enthousiasme. Sans perdre un instant, j'avisai Floupette de cettechanceunique et le lendemain soir j'étais à Paris, ce Paris dont nous avionstant parlé jadis à Lons-le-Saulnier, lorsqu'au sortir du café Chaboutnous décrivions d'interminables cercles, autour de la statue du généralLecourbe, ce Paris qui, dans mes rêves de jeunesse, m'apparaissaitcomme le paradis des poètes et des pharmaciens. Malgré la fatigue duvoyage, je dormis peu, tant j'étais ému. Vers le matin cependant, jecommençais à m'assoupir, les songes les plus délicieux me berçaient etje me figurais avoir découvert la crème des opiats, lorsqu'un coup,vigoureusement frappé à ma porte, m'éveilla en sursaut. Les yeux encore gonflés de sommeil, je saute à bas dulit etje vais ouvrir. Qu'on juge de ma joie. C'était Adoré, mon bon, monvieil, mon fidèle Adoré Floupette. Il se tenait là devant moi avec sagrosse figure ronde, son gros nez camus, ses petits yeux malins, sesbonnes grosses joues roses qui toutefois me semblaient un peu pâlies.Sans mot dire nous nous précipitâmes dans les bras l'un de l'autre.C'est bon, je vous assure, de s'aimer comme ça. Après les premiers épanchements, nous nous assîmes côteàcôte, sur un vieux canapé fané qui ornait mon logis d'occasion, et lesquestions allèrent leur train. Quel brave coeur qu'Adoré ! Lui, unpoète, un artiste, qui aurait si bien le droit de dédaigner les petitesgens comme nous, il n'oublia personne. Il voulait savoir ce qu'étaitdevenu M. Tourniret, le notaire, et comment se portait la petiteMarguerite Clapot, la fille du sacristain d'Orgelet, et si la familleTrouillet, de Lons, continuait à prospérer, etc., etc. Enfin je luidemandai :«Et la poésie ?» - «De mieux en mieux, me répondit-il, je nesuis pas trop mécontent». - «Comment va Zola ?» - «Peuh ! fit-il avecune moue qui m'impressionna, il commence à être bien démodé». - «EtHugo ?» - «Un burgrave». - «Et Coppée ?» - «Un bourgeois». Ces paroles,je ne sais pourquoi, me consternèrent. J'étais surpris et je le laissaivoir. J'avais tort, car Adoré s'en aperçut ; mais avec sa bontéordinaire : «Mon cher, me dit-il, tu arrives de province ; tu n'es pasà la hauteur. Ne te désole pas, nous te formerons». - «Ainsi le Parnasse...»- «Oh ! la vieille histoire !» - «La poésie rustique...» - «Bonne pourles Félibres !» - «Et le naturalisme ?» - «Hum, hum ! Pas de rêve, pasd'au-delà ; la serinette à Trublot». J'étais devenu inquiet ; sansréfléchir, je m'écriai : «Mais enfin que reste-t-il donc ?» Il meregarda fixement et, d'une voix grave qui tremblait un peu, il prononça: «Il reste le Symbole». Ces mots, je les comprends maintenant ou, du moins, jecroisles comprendre, car il faut que je vous dise que je n'en suis pas toutà fait sûr, mais alors, c'était de l'Hébreu pour moi. Adoré, sansdoute, lut dans mes yeux ma stupéfaction, et riant de son bon rire deLons-le-Saulnier : «Bah, bah, me dit-il, ce n'est pas si sorcier que tute l'imagines. Tout s'éclaircira bientôt, tu verras. Et d'abord, cesoir, je t'emmène au «Panier Fleuri !» Tu entendras les Poètes».Là-dessus il me quitta ayant, paraît-il, à terminer un sonnet quidevait avoir trois sens : un pour les gens du monde, un pour lesjournalistes, et le troisième, affreusement obscène, pour les initiés,à titre de récompense. Vous savez tous que c'est le fin du fin. Entendre les Poètes ! Quelle aventure ! Toute la journéecetteidée me hanta et, lorsque vers sept heures et demi du soir, après unmodeste repas chez le restaurateur Petiot, Floupette vint me prendrepour m'introduire à son cénacle, le coeur me faisait violemment tictac. Le café où nous pénétrâmes, le Panier Fleuri,n'avait pourtant rien de bien imposant. Il semblait ne pas se douterdes gloires qu'il abritait, et je conviens qu'à part moi je me l'étaisfiguré plus majestueux. Mais je réfléchis bien vite que le vrai talentest modeste, et, semblable à la violette, ne se révèle que par sonparfum. D'ailleurs, Adoré me dit, en entrant : «Nous avons de la veine; ils y sont tous». En effet, nonchalamment étendus sur les banquettesdu fond, quelques jeunes gens de l'extérieur le plus agréablediscutaient avec animation. C'était la fleur du nouveau Parnasse, MM.d'Estoc, Bornibus, Flambergeot, Carapatidès et Caraboul ; parmi eux,deux ou trois personnes d'un autre sexe, fort séduisantes encore, bienqu'un peu défraîchies, ajoutaient au charme de la réunion. Mais commeleur rôle dans la conversation générale se bornait à répéter de temps àautre : «Tu veux bien que je prenne une chartreuse, n'est-ce pas, monpetit homme ?» ou bien encore : «Aristide, un bock ?» on m'excusera, jel'espère, si j'en dis peu de chose. Cependant, les présentations achevées, celui de cesmessieursqui me parut le plus âgé, bien que peut-être il n'eût pas trente ans,un petit homme chauve, vêtu à la dernière mode, avec un monocleincrusté dans l'oeil et une fine barbe en pointe à la Henri III, seleva, et, me saluant d'un mouvement de tête infiniment gracieux, dit :«Vous ne sauriez croire, monsieur, le plaisir que j'éprouve à fairevotre connaissance. Mon ami et frère en Jésus-Christ, Adoré Floupette,m'a parlé de vous dans les meilleurs termes». Comme je le remerciais de mon mieux, touché jusqu'aufond ducoeur, il ajouta : Êtes-vous poète ?» Je rougis et répondis que jen'étais qu'un malheureux pharmacien, fort indigne de l'honneur d'unetelle société. «Pharmacien ! s'écria-t-il avec un air de joyeusesurprise, comme si cette révélation l'eût plongé dans le ravissement,pharmacien ! Alors vous êtes poète. Depuis les stupides démolitionsd'Haussmann, les pharmacies seules, avec les omnibus, mettent encoredans les rues de Paris un charme et une poésie. Vos bocaux multicoloressont les vraies étoiles du ciel moderniste. Quant à moi, je suis unsimple amateur, un homme du monde qui fait des vers ; je réclameraitoute votre indulgence». A côté de nous, la discussion était des plus vives.Floupetterécitait à l'assistance des ternaires qu'il avaitcomposés pendant son dîner, car décidément le fameux sonnet symboliquene répondait pas à son attente. Il déclamait d'ailleurs admirablementet sa voix s'entendait d'un bout à l'autre de l'estaminet. J'ai retenuce tercet :
Et que mon coeur naviguât Sur la fleur du seringa. «Gaga ! fit une de ces dames qui jusqu'alors avait gardé le plusprofond silence, mais mon pauvre ami tu l'es déjà». Cette hauteinconvenance me choqua. Peut-être, après tout, n'était-ce qu'uneespièglerie. Chut, chut, murmura-t-on de toutes parts, et ladélinquante, sans plus s'occuper de ce qui se passait autour d'elle,retomba dans la contemplation acharnée d'un Sherry-Gobler. «Moi, je trouve Gaga très bien, dit Caraboul ;seulement, il ya dans naviguât un t qui me chiffonne. Bleucoton était une autorité indiscutable. Tout le mondes'inclina. Floupette reprit :
Aussi roide qu'un affût, Aussi rempli qu'un vieux fût. «Oh, fi donc ! Floupette, s'écria mon premier interlocuteur, fût,affût, quels horribles mots ! Toute âme délicate en doit être choquée.Il n'y a pas là ombre de nuance, pas la moindre issue pour le rêve,aucune lueur paradisiaque. Si nous sommes les Poètes, c'est que nouspossédons le grand secret, nous rendons l'impossible, nous exprimonsl'inexprimable». Et s'animant peu à peu, car il est naturellementéloquent et s'écoute volontiers parler : «Le rêve, le rêve ! mes amis,embarquons-nous pour le rêve ! L'Église, notre mère, professe que lerêve est une prière. Les saintes, abîmées dans l'extase, étaient despoétesses, le poète était un voyant. Aujourd'hui, la négation brutale atout envahi, l'homme d'action est un sauvage. Mais nous que la vie etla pensée ont affinés, si notre raison se refuse à croire, donnons-nousau moins, en rêvant, l'illusion de la foi». Il se tut et soupira profondément. Mais pendant tout cediscours, Bornibus n'avait cessé de donner des marques d'agitationextraordinaires. Enfin il éclata : «Floupette, je suis fâché de te ledire, mais ton seringa est à moi. Relis plutôt ma «PuretéInfâme». «Eh bien, dit Floupette avec bonne humeur, accepteen compensation mes Cyclamens et mes OEgypans.Tu sais que j'en ai un stock considérable et je te soupçonne, entrenous, d'avoir fait quelques petits emprunts à ma réserve». On se mit àrire, mais Bornibus ne prit aucune part à l'hilarité générale et commeil quittait le café, nous l'entendîmes encore murmurer, d'une voixdolente : «seringa, seringa». «Vous savez qu'il est amoureux fou de sa petite cousine,dittout bas Floupette à l'oreille de son voisin». Celui-ci, gros garçonfrisé, à la mine joviale, eut une sorte de haut-le-coeur. «Amoureux !cela ne m'étonne pas de sa part, c'est une pauvre tête, un cerveauvulgaire. Amoureux ! Il ne lui manquait, je crois, que ce ridicule. MonDieu, comment peut-on être amoureux, et de sa cousine encore ? Y a-t-ilau monde, je vous le demande, quelque chose de plus plat, de plusmisérable, de plus répugnant, de plus écoeurant que l'amour ? Pour ytrouver quelque piment, il faudrait imaginer des complicationsinvraisemblables. L'inceste est coquet, mais rien de plus. Il faudraitqu'en aimant on pût se sentir irrémissiblement damné. Ce serait alorsune sensation rare et exquise. «- Luther était bienheureux, interrompit le jeuneFlambergeot,il était le mari d'une religieuse. Je voudrais être l'Antechrist. «- Et encore, qu'importe, dit, en s'étendant sur ledivan, untrès jeune homme de la physionomie la plus fine et la plusintéressante, qui jusqu'alors avait gardé le silence, qu'importe ? Aquoi bon ? Tout n'est-il pas vain ? Les contemplations, les extases ontà tout jamais remplacé pour nous la maussade réalité. Que sont lesétreintes des corps amoureux près de la divine flottaison des songes,errant à la nuit tombée dans l'azur céleste ? Ne vaut-il pas mieuximaginer que savoir ? Il n'y a de vrai que les Anges, parce qu'ils nesont pas. Et peut-être nous-mêmes ne sommes-nous pas, peut-êtren'avons-nous jamais été. En vérité, tout est vain». Et, me tendant unpetit instrument qu'en ma qualité de pharmacien je reconnus pour uneseringue de Pravaz, il ajouta gracieusement : «En usez-vous ?» Jerefusai, alléguant que mon format à moi était tout autre et leremerciai avec effusion. «Pourtant, s'écria Carapatidès, un grand gaillard tailléenhercule, avec des épaules trapues, il faut rendre à la décadenceromaine cette justice qu'elle a bien compris l'amour. A forced'inventions perverses et d'imaginations sataniques, elle est arrivée àle rendre tout à fait piquant. Oh ! la décadence, vive la décadence !L'amour est une fleur de maléfice qui croît sur les tombes, une fleurlourde, aux parfums troublants... «- Avec des striures verdâtres, glissa le jeuneFlambergeot. «- Oui, avec des striures et des marbrures où s'étaledélicieusement toute la gamme si nuancée des décompositions organiques; son calice est gonflé de sucs vénéneux et elle a cela d'adorablementexquis qu'on meurt de l'avoir respirée. Trouvez-moi donc une tellefleur à la campagne ; ce n'est pas trop pour l'enfanter que l'artificed'une civilisation profondément corrompue ; les plantes naturelles sontbêtes et niaises, elles se portent bien. Oh ! la santé ! «Quoi de plus nauséeux ! s'il en est parmi vous que lescharmes rebondis d'une gardeuse de vaches aient pu réjouir, je lesplains de tout mon coeur. Parlez-moi d'une belle tête exsangue, avec delongs cheveux, pailletés d'or, des yeux avivés par le crayon noir, deslèvres de pourpre ou de vermillon, coupées en deux par un large coup desabre ; montrez-moi le charme alangui d'un corps morbide, entouré detriples bandelettes, comme une momie de Cléopâtre et douze fois trempédans les aromates. Voilà l'éternelle charmeuse, la vraie fille dudiable. «- Le diable, qui parle du diable ? fit un nouvelarrivantdont l'allure mystérieuse et entortillée avait je ne sais quoid'ecclésiastique. Je ne crois pas en Dieu et je crois au diable ; lediable, c'est mon patron : n'en disons pas de mal ! «- Certes, on n'aurait garde, reprit Carapatidès. Onconnaîttrop ses manières charmantes. C'est un vrai gentlemanet puis il est damné de toute éternité, ce qui le rend intéressant». Là-dessus, comme les soucoupes de bocks, empilées lesunes surles autres, commençaient à former une colossale tour penchée, laconversation s'échauffa de plus en plus et chacun dit son mot. Un macabresurvint qui, roulant des yeux terribles, affirma qu'un cimetière aucrépuscule ferait un cadre admirable à une idylle d'amour et que rienne valait, pour se tenir en joie, la compagnie d'une tête de mort. Unautre vanta l'Imitation de Jésus-Christ et avouaqu'il la préférait même à la Justine du marquis deSade. Un troisième se déclara hautement hystérique. C'était un beautapage et il n'aurait fait sans doute que croître et embellir, si,l'heure de la fermeture étant arrivée, nous n'avions dû prendre congéde mes nouveaux amis. Tandis que les garçons dressaient sur les tablesde marbre un échafaudage de chaises cannées, de cordiales poignées demains s'échangèrent. Chacun s'en alla, les uns avec leurs femmes, lesautres tout seuls et je reconduisis Floupette, qui s'accrochaitdésespérément à moi. Il était très monté : il n'a jamais eu la têtesolide et, moi-même, je dois reconnaître que mes idées n'étaient pasbien nettes. Les belles choses que je venais d'entendretourbillonnaient dans ma cervelle et y dansaient une ronde endiablée.J'avais peine à recouvrer le calme, si nécessaire à un herboriste.Pendant ce temps Adoré trottinait à mes côtés, zigzaguant quelque peu,et, parfois, me forçant à m'arrêter, il me criait dans l'oreille, d'unevoix tonitruante : «Hein, qu'en dis-tu ? Était-ce tapé ? Sois sanscrainte, j'achèverai ton éducation. De la perversité, mon vieux Tapora.Soyons pervers ; promets-moi que tu seras pervers». Je lui promis pourle tranquilliser, et, comme nous étions arrivés à son domicile, il mepria tout bas de ne pas faire de bruit dans l'escalier parce que lamaison était tranquille.Cette recommandation, en un pareil moment, et venant d'un tel homme, mesembla mesquine ; cependant, je m'y conformai. La chambre d'Adoré,située au cinquième étage, ne se distinguait par aucun luxeparticulier, mais tout y semblait rangé dans le plus grand ordre.Quelques crêpons étaient, çà et là, piqués au mur par des épingles, etdans la glace se reflétait un magnifique dessin du grand artistePancrace Buret : une araignée gigantesque qui portait, à l'extrémité dechacune de ses tentacules, un bouquet de fleurs d'eucalyptus et dont lecorps était constitué par un oeil énorme, désespérément songeur, dontla vue seule vous faisait frissonner ; sans doute, encore un symbole.J'avais couché Adoré qui était incapable de se déshabiller lui-même ;le voyant plus tranquille, je me retirais sur la pointe du pied, quandil me saisit vivement par le bras : «Non, non, reste encore, j'aibesoin de te parler. Ce que tu as entendu tout à l'heure n'est rien !Remercie-moi, heureux potard ; je vais soulever pour toi le voiled'Isis». Et alors, à moitié dégrisé, avec une volubilité que je nesoupçonnais pas chez lui, il se mit en devoir de me révéler ce qu'ilappelait le Grand Mystère. Ce n'était pas tout qued'avoir trouvé une source d'inspiration nouvelle, en un temps oùl'imagination semble tarie, où la foi se meurt, où tout est bas etvulgaire. Ces inspirations fugitives, ces fleurs de rêve, ces nuancesinsaisissables, plus variées que celles de l'arc-en-ciel infini, ilfallait bien les fixer. Et pour cela la langue française étaitdécidément trop pauvre. Nos ancêtres s'en étaient contentés, maisc'étaient de petits génies, à courtes vues, qui n'avaient que desimpressions simples et sans intérêt, de bonnes gens, sans le moindrevice, pas du tout blasés, qui adoraient les confitures et ne songeaientmême pas à mettre, dans leur soupe patriarcale, une pincée de poivre deCayenne. A la délicieuse corruption, au détraquement exquis de l'âmecontemporaine, une suave névrose de langue devait correspondre. Laforme de Corneille, du bon la Fontaine, de Lamartine, de Victor Hugoétait d'une innocence invraisemblable. Une attaque de nerfs sur dupapier ! voilà l'écriture moderne. Tantôt, la phrase, pareille à ungrand incendie, flamboyait, crépitait, rutilait, on entendait craquerses jointures ; tantôt, avec le charme inconscient d'une grande dametombée en enfance, déliquescente, un rien faisandée, elles'abandonnait, s'effondrait, tombait par places, et rien n'était plusadorable que ces écailles de style, à demi détachées. Ou bien, comme sidans la forêt des choses un vent d'épouvante l'eût affolée, ellebondissait, tressautait avec de subits hérissonnements.
a dit Bleucoton. Ici Floupette se dressa sur son chevet, et, l'oeilhagard, laparole pressée : «Sais-tu, potard, ce que c'est que les mots ? Tut'imagines une simple combinaison de lettres. Erreur ! Les mots sontvivants comme toi et plus que toi ; ils marchent, ils ont des jambescomme les petits bateaux. Les mots ne peignent pas, ils sont lapeinture elle-même ; autant de mots, autant de couleurs ; il y en a deverts, de jaunes et de rouges comme les bocaux de ton officine, il y ena d'une teinte dont rêvent les séraphins et que les pharmaciens nesoupçonnent pas. Quand tu prononces : Renoncule, n'as-tu pas dans l'âmetoute la douceur attendrie des crépuscules d'automne ? On dit : uncigare brun. Quelle absurdité ! Comme si ce n'était pas l'incarnationmême de la blondeur que cigare. Campanule est rose, d'un rose ingénu ;triomphe, d'un pourpre de sang ; adolescence, bleu pâle ; miséricorde,bleu foncé. Et, ce n'est pas tout : les mots chantent, murmurent,susurrent, clapotent, roucoulent, grincent, tintinnabulent, claironnent; ils sont, tour à tour, le frisson de l'eau sur la mousse, la chansonglauque de la mer, la basse profonde des orages, le hululement sinistredes loups dans les bois...» Ici on frappa violemment à la cloison, où, depuisquelquetemps, d'ailleurs, il m'avait semblé entendre comme un vaguetambourinement. «Monsieur, prononça une voix enrouée, vous plaira-t-ilbientôt de me laisser dormir ? Il est quatre heures du matin et je doisme lever à six. Demain, soyez-en sûr, j'avertirai le propriétaire». Je m'attendais à une protestation énergique de la partd'Adoré, mais le dernier effort qu'il venait de faire avait épuisé sonénergie. «Tu vois, me dit-il d'un ton mélancolique qui me toucha, telest le sort des apôtres ; on leur donne congé». Et me serrantaffectueusement la main : «Adieu, mon bon Tapora, la suite au prochainnuméro, mais sois sans crainte, je ne t'abandonnerai pas dans ce mondefallace ; tu sauras tout». Le lendemain, en effet, vers midi, il arriva chez monvénérémaître et prédécesseur, M. Poulard des Roses, m'apportant, avecl'ébauche des Déliquescences, l'oeuvre entier desdeux grands initiateurs de la poésie de l'avenir, MM. Étienne Arsenalet Bleucoton. Comme on allait se mettre à table, on l'invita à partagerla côtelette symbolique, ce à quoi il accéda de la meilleure grâce dumonde, et, au dessert, il voulut bien nous réciter une piècediantrement impressionnante, la Mort de la Pénultième.Elle était morte, bien morte, absolument morte, la désespéréePénultième. Il n'y avait pas à dire ; tout espoir était perdu. Il y eutun petit incident, parce que Mme Poulard, femme au coeur sensible,faillit s'évanouir. Le père Poulard, lui, roulait de gros yeux ahurisen billes de loto. C'est bien la crème des hommes, mais sa vertueuseexistence s'étant écoulée, tout entière, dans la guimauve et lacamomille, on ne saurait lui demander de s'élever jusqu'aux sublimesconceptions du nouveau Parnasse. Personne n'excelle comme lui dans lacomposition de l'onguent napolitain, mais il n'a pas d'ailes ; il estplus à plaindre qu'à blâmer. Quant à moi, je fis, à ce qu'il me parut,honneur à mes nouvelles fréquentations ; j'applaudis bruyamment Adoréet le félicitai de tout mon coeur. O gloire ! J'étais un pharmaciendécadent ! Depuis lors, je me suis mis à piocher mes classiques ;direque je comprends tout serait peut-être exagéré, mais Adoré prétend queje vais bien, pour un novice, et cela m'encourage. Arsenal m'a donné,souvent, bien du fil à retordre ; Bleucoton m'est plus accessible. Sil'ensemble m'échappe encore, j'ai des lueurs, des illuminationssubites. Parfois, au bout de deux jours, je parviens à me rendre maîtred'une phrase difficile ; d'autres fois, c'est un sens mystique qui,tout à coup, se révèle à moi dans le silence du laboratoire. Et alorsquel éblouissement ! Je suis bien récompensé de mes peines. Mes soiréessont laborieuses, mon sommeil est devenu pénible. Mais j'arrive,j'arrive et je goûte de bien douces consolations. Faites-en autant, mes amis ; vous m'en direz desnouvelles.
MARIUS TAPORA,
Ettout lereste est littérature. Et maintenant, angoissé lecteur, voici s'ouvrir lamaison demiséricorde, le refuge dernier, la basilique parfumée d'ylang-ylang etd'opoponax, le mauvais lieu saturé d'encens. Avance, frère ; fais tes dévotions.
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