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BERTRAND,François-Gabriel(1792-1836) :  Noticesur le Conservatoire de musique du Calvados (1836).

Saisie du texte : S. Pestel pour la collectionélectroniquede la Médiathèque André Malraux deLisieux (07.II.2006)
Texte relu par : A. Guézou
Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex
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Orthographe et graphie conservées.
Texte établi sur l'exemplairede la médiathèque (BmLx : norm 850) de l' Annuairedes Cinq départements del’Ancienne Normandie (3e année - 1837)publié à Caen parl’Association normande, chez A. Le Roy en 1836. 

Notice sur le Conservatoire demusique du Calvados
par
M. Bertrand
Professeur à la Faculté des Lettres

~*~
                            
Ce n’estpas sans doute chose nouvelle pour ledépartement du Calvados et la ville de Caen en particulier,que des efforts tentés pour répandre dans laNormandie le goût et la culture de la musique. Sans remonterà des temps déjàéloignés, les amateurs de cet art ne sauraientoublier tout ce qu’a fait dans ce but laSociété philharmonique, et l’on peutdire encore avec justice que ses efforts n’ont pasété infructueux. Par ses soins, desécoles d’enseignement musical ontété créées, des artistesappartenant à la localité ontété encouragés ; d’autres,engagés par la considération et les avantages quileur étaient offerts, sont venus se fixer parmi nous ; etdans plusieurs villes de notre province d’autresSociétés philharmoniques se sontélevées, sous l’inspiration ou au moinsà l’imitation de ce que la ville de Caen voyaitdans son sein.

Mais, tout en rendant un sincère hommage à laSociété philharmonique du Calvados, on peutajouter que l’objet principalement en vue pour elle,c’était l’amusement que procurent sesréunions musicales à ces classesaisées, à ce monde élégantque nous voyons à ses concerts. C’est pour cemonde, en effet, que se sont ouvertes les écoles de laSociété ; c’est pour les plaisirs de cemonde que des artistes de talent ont été soutenuset appelés parmi nous ; c’est à cemonde que se sont adressées les compositions de chant etd’instrumentation qui ont étéexécutées dans les soirées de laSociété, si même le choix de cesmorceaux ne supposait pas quelque chose de plus amateur, deplusmusicien, de plus savant encore dans la personne des auditeurs.

C’est une idée différente qui aprésidé à la création duConservatoire de musique.

Déjà les premiers travaux de M. de Saint-Germainavaient fait concevoir de grandes espérances àceux qui, peu contents de voir admettre en théorie que lamusique est un moyen puissant de moralisation et de civilisation dansle peuple, désiraient des écoles de musique pourle peuple et une musique populaire. Quinze moiss’étaient à peineécoulés depuis l’arrivée deM. de Saint-Germain à Caen, et plus de mille enfants desécoles gratuites, sans compter lesélèves d’autresétablissements, recevaient des leçons quiauparavant semblaient exclusivement réservées auxriches. Bientôt les résultats du nouvelenseignement furent assez frappants pour appeler de cecôté l’attention des esprits ; despréjugés disparaissaient, et chez ceux quin’avaient pas attaché à la musiqueassez d’importance pour la juger digne d’occuperles économistes et l’administration publique, etchez ceux qui s’étaient habituésà considérer la culture et les plaisirs de cetart comme quelque chose de propre aux classes aristocratiques, de tropdélicat pour qu’on le fît descendre dansles masses, auxquelles c’était bien assez destravaux nécessaires à la vie.D’ailleurs, la nouvelle loi sur l’instructionprimaire ne recommandait pas seulement que la musique vocalefût enseignée dans les écoles ; elle enfaisait une obligation sous un délai dont la limite devaitêtre bientôt atteinte. Ainsi donc, graces aux vueslarges et élevées de M. de Saint-Germain,à son zèle infatigable pour les faire comprendreet pour les justifier par des résultats incontestablesdéjà réalisés ; gracesencore aux dispositions du législateur relativement aunouvel enseignement à introduire dans les écolesprimaires, les voies étaient préparéespour la mise en oeuvre d’un projetprofondément médité ; et lesconséquences de ce projet devaient intéressernon-seulement la ville de Caen, quoiqu’elle fût lapremière à en recueillir les fruits, mais encorele département et la Normandie tout entière. Etc’est ainsi que l’ont compris le Conseil municipalde la ville de Caen et le Conseil général duCalvados, quand M. de Saint-Germain a trouvé dans cesautorités diverses, pourl’établissement du Conservatoire de musique, un sibienveillant et un si prompt concours.

Former des professeurs de musique, d’abord pour les villesvoisines, et successivement pour d’autreslocalités plus éloignées ou moinsimportantes ; travailler àl’amélioration des chants des églises ;fournir des instrumentistes exercés aux gardes nationales etaux orchestres des théâtres ; entrer encorrespondance avec les différentesSociétés philharmoniques dudépartement et de la province, et coopérer autantque possible à leurs réunions ; enfin donnerà la musique une direction utile, en propageant des chantset des poésies populaires qui fussent l’expressionde sentiments religieux, moraux et véritablementpatriotiques : telle a été la destinationassignée au Conservatoire dans l’intention de sonfondateur.

Il n’eût pas été sans dangerde vouloir trop brusquer les résultats : quand on travaillepour l’avenir, il faut savoir attendre, ets’asseoir sur une base solide. Comme le Conservatoire nesuccédait à aucune école dumême genre, dont les éléments pussententrer dès l’abord dansl’établissement nouveau, M. de Saint-Germain adû choisir ses élèves,destinés à devenir plus tard ses collaborateurs,non pas dans l’âge au-dessus del’enfance, puisque, sans espérer de trouverlà beaucoup plus de connaissances acquises dansl’art musical parmi ceux qui l’entouraient, il yavait déjà moins de flexibilité,aussi-bien dans le caractère intellectuel et moral que dansles organes, mais plutôt parmi ces enfants desécoles primaires, chez lesquels il avait remarquéles dispositions les plus heureuses de l’esprit et ducoeur, et dont les progrès dans la musiquesemblaient révéler des talents.

On conçoit que, s’il y avait plus long-tempsà attendre, les espérances d’une richemoisson et de fruits savoureux devenaient bien plus fondées.Et, en effet, que ne pourrait-on pas espérer de ces enfants,choisis dans un grand nombre à cause des qualitésqui les distinguent déjà de la foule, puisréunis dans une institution qui devient presque pour eux letoit paternel, pour y être l’objet d’uneconstante sollicitude, et formés, dirigés sanscesse, même dans les exercices qui semblent au premier abordindifférents, d’après uneidée unique, celle qui a fondé le Conservatoireet assigné d’avance auxélèves la mission qu’ils doiventremplir un jour !

Mais il était nécessaire d’organiserpour ces enfants un système d’étudesqui embrassât, avec l’enseignement musical, tout cequi constitue une instruction primaire étendue et solide :car ce qui est un besoin maintenant généralementsenti, même pour ceux qui ne doivent exercer que les artsmanuels, devient bien plus indispensable encore pour ceux qui sontdestinés à figurer comme artistes.D’ailleurs une pensée s’offrait toutnaturellement : puisque l’enseignement de la musique doitbientôt trouver place dans les écoles publiques,et que ceux qui voudront obtenir le diplome exigé pour lesinstituteurs primaires d’un certain degré, serontobligés de subir des épreuves sur cet art, nedoit-il pas advenir que des élèves duConservatoire plus habiles incontestablement sous ce dernier rapport,et instruits avec assez de soin sur le reste pour soutenirhonorablement la concurrence, rendront à lasociété plus d’un genre de services ;qu’un certain nombre se présenteront pour remplirles fonctions d’instituteurs primaires ? Et ce ne serait passans doute s’éloigner du but de leur institutionspéciale, puisque nulle part ils ne seraient mieuxà même de travailler à rendre lamusique populaire que dans les écoles publiquesoù se pressent les enfants du peuple.

Cependant il fallait que le Conservatoire s’ouvrîtà d’autres élèves que cessujets d’élite, qui recevraient dans son enceintel’éducation, la culture morale etl’instruction primaire en même temps quel’instruction musicale. Des classes de musique devaients’y trouver complètes à tous lesdegrés pour les autres enfants et les jeunes gens qui nedemanderaient que l’enseignement musical. Ce n’estmême que par ce dernier genre d’enseignement, biendistinct de tout le reste, et offert aux élèvescomme l’objet de l’institution nouvelle, que leConservatoire pouvait être véritablement uneécole spéciale et justifier son titre.C’était aussi dans ces classes plus nombreuses etplus variées quant à l’âgedes élèves, que ceux-cis’accoutumeraient à l’ensemble, et ques’exécuteraient avec le plus d’effet leschants destinés à se répandre età devenir populaires.

Encore bien que la musique vocale dût être dans leConservatoire le but le plus ordinaire desélèves, et que ceux-là mêmequi se proposeraient pour objet ultérieurl’instrumentation, eussent besoin d’abordd’étudier les principes de l’art dansles exercices communs à tous, il fallait que leConservatoire pût offrir un enseignement instrumentalcomplet, sans quoi les résultatsespérés n’eussentété jamais qu’imparfaitement atteints.Et quant à la formation d’instrumentistes, le videantérieurement existant n’aurait pascessé de se faire sentir. Et en effet, où trouverailleurs que dans un établissement de ce genre,placé dans une ville importante et riche en artistes, uneécole d’instrumentation ? S’il suffitd’un seul homme pour instruire de nombreuxélèves dans la musique vocale, les coursd’instrumentation propres à former une musiquemilitaire ou un orchestre, par exemple, ne supposent-ils pasnécessairement une réunion de professeurs et destalents variés ? Ne verra-t-on pas, en yréfléchissant, que les leçonsdonnées par les maîtres les plus habiles sont peuaccessibles ailleurs que dans les écolesspéciales, pour la plupart des élèvesdestinés à devenir eux-mêmes artistesun jour ?

Mais le point le plus essentiel dans le Conservatoire étaitl’excellence de la méthode. S’il estincontestable que la méthode est, dans tout enseignement,d’une importance capitale, il ne l’est pas moinsque cette importance devient, s’il est possible, bien plusgrande encore, lorsqu’il s’agit de former ceux quiseront chargés d’enseigner à leur tour.Alors, du moment que la méthode est vicieuse ou savammentcombinée, ce n’est pas seulement pour quelques-unsqu’elle portera ses fruits ; c’est pour lasociété, et parfois même pour plusieursgénérations successives. D’un autrecôté, l’idée dominante dansl’établissement du Conservatoire étaitde faire descendre la culture de la musique dans les masses ; ilfallait un système d’enseignement assortià toutes les intelligences, et d’une applicationfacile, en quelque lieu qu’il fût mis en oeuvre.

Telles sont les vues qui ont présidé àla formation du Conservatoire de musique, et les conditions auxquellesétaient attachés ses succès. Il nousreste à voir ce qui déjà aété fait, ce qui existedéjà dans cet établissement, qui necompte encore qu’une année d’existence.

La classe des élèves qui reçoiventdans la maison un enseignement complet, et qui, distinguéspar un uniforme particulier, s’appellent plusspécialement les élèves duConservatoire, renferme plus de soixante enfants del’âge de sept à quinze ans. Les courssuivis par eux, outre l’enseignement musical, comprennent,avec l’instruction morale et religieuse, la lecture,l’écriture, la grammaire française,l’histoire et la géographie,l’arithmétique, lagéométrie, avec le dessin linéaire etl’arpentage, et des notionsélémentaires d’histoire naturelle, dephysique et de chimie. Quant à l’enseignementmusical, il se compose, dans l’état actuel del’établissement, du solfège (lequelcomprend, d’après le système suivi auConservatoire, la lecture et l’écriture musicale),de la vocalisation et du chant, de l’harmonie, ducontre-point, de l’accompagnement sur le piano de la bassechiffrée et de la partition. La plupart de cesélèves, choisis dans les écolesprimaires de la ville, se destinent au professorat. Aussi les diversesméthodes employées en musique sont pour eux unobjet d’études. Celles de Gallin, de Choron, deWilhem et de Massimino sont expliquées et mises en oeuvretour-à-tour ; et, dans les leçonsconsacrées à ces exercices, lesélèves les plus avancés sontalternativement chargés de diriger la classe, ce qui lesforme ainsi de bonne heure, sous les yeux du maître,à la pratique de l’enseignement.

Mais ce qui doit les initier particulièrement àce ministère, c’est la méthode proprede leur professeur. Or, voici l’exposition de cetteméthode, avec les principes sur lesquels elle repose :

Tous les sons employés en musique diffèrent entreeux de deux manières principales : 1.° par leurdurée, 2.° par leur acuitéou leurgravité. Les notes qui servent à lesécrire doivent donc avoir deux caractères quiexpriment, l’un, la durée du son ;l’autre, le degré ou le rang que ce son occupedans l’échelle générale dessons. En effet, les notes diffèrent, 1.° par leurforme, 2.° par leur place sur la portée. La forme dela note, ronde, blanche, noire, avec un simple ou un double crochet,indique quelle doit être la durée du son ; laplace de la note sur la portée fait connaître ledegré ou le tondu son que cette notereprésente. Ces deux caractères sont distincts etindépendants l’un de l’autre ;dès-lors l’on peut et l’on doit en fairel’objet de deux études égalementdistinctes et indépendantes ;c’est-à-dire que le maîtreséparera, pour les réunir plus tard, lesexercices de mesure et ceux d’intonation :c’est-à-dire encore qu’il divisera lesdifficultés qui, présentées de frontet simultanément aux élèves, leurcauseraient trop de peine et d’embarras. Dans laméthode dont il s’agit, la leçon desolfège se divise en quatre parties : 1.° lecturemesurée, sans intonation ; 2.° intonation sansmesure ; 3.° exercices simultanés demesure etd’intonation ou solfège proprement dit ;4.° dictée musicale.

1.° Lecture sans intonation.

Pour le premier de ces exercices, l’on a cru devoir adopterle mode mutuel. Les élèves, rangés pardemi-cercles, lisent en mesure, sous l’inspection desmoniteurs, des études appropriées àleur degré d’avancement. Le premier cercle lirades rondes ; le second, des blanches ; le troisième, desblanches combinées avec des rondes ; et ainsi des autresjusqu’aux cercles les plus avancés, oùl’on étudie toutes les difficultés demesure qui peuvent se rencontrer dans la lecture musicale.

A l’aide de cette division des élèvespar demi-cercles de forces différentes, il y a, comme on levoit, une place pour chacun, quel que soit son degréd’avancement.

2.° Intonation sans mesure.

Pour cet exercice l’on emploie le mode simultané.L’action du maître est directe : placéen face des élèves, il figure les cinq lignes dela portée musicale avec les cinq doigts de la main gauche ;c’est sur les doigts de cette main et dans les intervallesqui les séparent, qu’il désigne, avecun doigt de l’autre main, les sons qu’il veut faireentonner par tous les élèves de la classe.

3.° Solfège.

Les deux études précédentes ne sontqu’une préparation à laleçon de solfège, qui comprendà-la-fois la lecture mesurée etl’intonation. La leçon de solfège doitêtre composée de telle sorte qu’ellesoit profitable à tous les élèves dela classe ; il faut qu’elle soit chantée par celuiqui étudie la musique depuis plusieurs années, etpar le nouveau venu, qui se présente pour lapremière fois.

Le solfège est écrit à quatre parties,comme celui de M. Choron. La première partie,destinée aux commençants, ne renferme que desradicales de mesure, c’est-à-dire, des rondes pourla mesure à quatre temps, des blanches pour la mesureà deux temps, et des blanches pointées pour lamesure à trois temps. La seconde classe contient lesdivisions les plus simples des radicales,c’est-à-dire, des blanches pour la mesureà quatre temps, des noires dans la mesure à deuxtemps, et une blanche et une noire pour la mesure à troistemps. La troisième classe est composée, pour ladivision binaire, des quarts, et pour la division ternaire, des tiersde radicales. Enfin la quatrième classe, destinéeaux élèves avancés, peut renfermertoutes les divisions radicales ; elle doit présenterprogressivement toutes les difficultés de la musique vocale.Néanmoins, comme le but du professeur n’est pas defaire seulement d’habiles lecteurs, cette classe estcomposée exclusivement de mélodiesagréables et propres à former le goûtdes élèves. C’est en celaprincipalement que ce solfège diffère de celui deChoron, qui a évité avec soin lamélodie, afin qu’il fût impossible auxenfants d’apprendre par coeur la leçon desolfège. Cette crainte ne pouvait arrêterd’après le nouveau système, 1.°parce que toutes les difficultés de mesure se trouventétudiées dans un exercice spécial, etque les difficultés d’intonation sontaccumulées et doivent avoir étésurmontées par les élèves dans lestrois premières classes ; qu’ils doivent doncêtre déjà lecteurs habiles etsûrs de l’intonation, lorsqu’ils arriventà la quatrième classe ; 2.° parce que laméthode étant destinée principalementaux écoles où la leçon desolfège est la seule application journalière quel’on puisse faire de la musique, il est nécessaireque cette leçon puisse devenir en même tempsleçon de chant et de goût.

4.° Dictée musicale.

Le professeur vocalise, mesure par mesure, une leçon que lesélèves écrivent sur des ardoisespréparées pour cet exercice. La leçonest répétée plusieurs fois par lesélèves, afin que l’ons’assure qu’ils n’ont point fait defautes en écrivant. Après la classe, ils doiventrecopier la dictée, et la rapporter le lendemain commedevoir. Ce procédé a pour objet de les forcerà analyser, sous le rapport de la durée et del’intonation, tous les sons qu’ils entendent.

Si plusieurs de ces procédés ne sont pointnouveaux, on conviendra cependant que des améliorationsd’une grande importance ont étéapportées aux anciennes méthodes, et heureusementcombinées avec ce que ces dernières avaient demeilleur. C’est ce qui expliquera, sans doute, lesprogrès vraiment étonnants desélèves du Conservatoire. Ces progrèsavaient été déjàobservés, avant l’ouverture de cetétablissement, dans les écoles où M.de Saint-Germain avait introduit sa méthode. Par exemple, onpeut entendre, au bout d’une annéed’études, des élèvesauxquels on ne fait que vocaliser un air jusqu’alors inconnupour eux, le reprendre aussitôt, en chantant toutes les notespar lesquelles il aurait fallu l’écrire, et letransposant immédiatement dans tous les tonsdemandés.

Les leçons de musique données auxélèves spéciaux du Conservatoire sontégalement suivies par des jeunes gens du dehors. Ceux-cisont maintenant au nombre de soixante-dix, répartis commeles autres en trois classes, selon leur degréd’avancement.

La première division, ou classeélémentaire, étudie la lecturemusicale et les principes de la musique ; la seconde, lesolfège et la vocalisation. La troisième, quicomprend les élèves les plus avancés,s’occupe du chant, et de l’exécution,à première vue, de morceaux de diversesépoques et de divers genres. C’est àcette troisième classe qu’estréservée l’étude desméthodes.

Une autre catégorie d’élèvesreçoivent au conservatoire des leçons qui closentles exercices de la journée. Elle se composed’ouvriers, qui, chaque jour, après leurs travaux,viennent chercher dans la musique un délassement et unplaisir. Cette classe est nombreuse. C’est làsurtout que l’on peut apprécier lesrésultats moraux déjà obtenus par M.de Saint-Germain. En voyant l’ordre et la décencequi règnent dans cette réunion,l’attention avec laquelle toutes les explications sontécoutées, et encore l’air desatisfaction de ces hommes, qui, se trouvant un objet de soins pour desprofesseurs considérés dans le monde, serelèvent à leurs propres yeux comme aux yeux desautres par le seul fait de leur bonne conduite et de goûtsplus honorables, on n’a pas de peine à comprendrequelles influences précieuses doivent s’exercersur l’ensemble de leurs habitudes ; de mêmequ’en écoutant les chants avec lesquels ilsregagnent parfois leur demeure, on se plaît àespérer qu’un jour chez nous, comme chez lesAllemands, ce sera parmi les ouvriers eux-mêmes quelque chosede banni, comme ridicule et trop grossier, que cesvociférations discordantes qui seules auparavant faisaientretentir nos rues.

Des classes d’instruction primaire sont aussi ouvertes auConservatoire, deux fois par semaine, à ces mêmesouvriers.

Nous ajouterons que l’ouverture de cetétablissement, loin d’interrompre les coursd’enseignement musical dans les autres écolespubliques, n’a fait que leur imprimer un mouvement nouveau.Ces cours sont faits par des professeurs du Conservatoire.

Quelqu’essentiels que soient pour le Conservatoire des coursd’instrumentation, on remarque avec regret que,jusqu’à présent, le piano seul aété étudié desélèves. Mais ce n’est pas, certes,d’après les intentions du fondateur : ces coursentrent dans son plan, comme un élémentnécessaire ; et des raisons plus puissantes que tout sonzèle et tous ses efforts en ont jusqu’àprésent retardé l’ouverture.

La dotation de l’établissement ne se compose quede 2,500 francs votés par le Conseil municipal de la villede Caen, puis d’une somme égaleaccordée par le Conseil général duCalvados ; et les dépenses, sans y rien comprendre pour ledirecteur, s’élèvent, tant pour lepersonnel que pour le matériel, à la somme de9,000 francs. C’est assez pour M. de Saint-Germain qued’avoir à combler chaque année un teldéficit. Tandis que, de nos jours, plus d’uneinstitution philanthropique devient une excellente branched’industrie pour ceux qui l’exploitent, on serasurpris, peut-être, de voir un jeune citoyen, uniquementoccupé du bien public et de l’amour de son art,sacrifier, avec un si complet dévouement, auperfectionnement moral de la société le fruit deses travaux : car c’est seulement par les travauxqu’il s’impose, et qu’il ajouteà ce que demande la direction et l’enseignement duConservatoire, que M. de Saint-Germain parvient à maintenirce qu’il a créé. On nous pardonnera dementionner cette circonstance : elle fait mieux connaître M.de Saint-Germain que s’il disposait d’un richepatrimoine ; et, sans doute, elle ne peut qu’ajouterà l’estime profonde et au respect pourl’homme, auprès de ceux qui neconnaîtraient que ses oeuvres.

Il faut donc attendre, pour que le Conservatoire acquièretous ses développements, le résultat desvoeux adressés par le Conseilgénéral du Calvados au Gouvernement ; mais il estpermis d’attendre avec confiance. DéjàLille et Toulouse obtiennent de l’administration centrale,pour des établissements du même genre, des secoursque notre province peut demander à aussi juste titre : et eneffet, aucun Conservatoire de musique ne se présente avec uncaractère de moralité plus frappant que lenôtre ; aucun ne saurait être plus propreà seconder les intentions du législateur,relativement à la loi sur l’instruction primaire.Espérons que notre attente ne sera pas vaine. LeGouvernement, qui souvent encourage les institutions utiles et semontre l’interprète de la reconnaissancenationale, pourrait-il rester indifférent à ceque font parmi nous de généreux citoyens, deshommes véritablement libéraux et philanthropes,qui travaillent sans relâche et aussi loin que leursphère d’action peuts’étendre, à ce qui doit êtrel’un des objets les plus importants pour le Gouvernementlui-même, à la moralisation et à lacivilisation du peuple ?