Corps
BRIÈRE, Emile (1861-1924) : Locutions normandes et mancelles.-Alençon : Imprimerie Veuve A. Laverdure, 1923.- 195 p. ; in-12. Numérisation et OCR : Michel Le Bas (24.02.2019) Mise en page : O. Bogros (28.03.2019). [Ce texte n'ayant pas fait l'objet d'uneseconde lecture contient immanquablement des fautes non corrigées]. Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00. Courriel : mediatheque-lisieux@agglo-lisieux.fr, [Olivier Bogros]obogros@agglo-lisieux.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusionlibre et gratuite (freeware) Orthographe etgraphie conservées. Texte établi surl'exemplaire d'une collection particulière. LOCUTIONS NORMANDES ET MANCELLES Par Emile BRIÈRE _____ A MA FEMME NÉE JULIETTE BARBIN A MON CHER FILS MICHEL « Un oiseau chante encore dans masolitude. » Lord BYRON. AVANT-PROPOS Il n'est pas donné à tout le monde de réunir chez soi des meublesprécieux, des bijoux anciens, des livres rares, des objets d'art dessiècles passés. Pourtant, lequel d'entre nous n'est pas, aujourd'hui,atteint, peu ou prou, par cette douce manie : la collection ? Alexandre Dumas citait le cas d'un de ses amis, collectionnant lescorbeaux qu'il clouait sur ses murs, en panoplie. Un millionnaireparisien, bien connu, collectionne les puces, et paya un prix fabuleuxune puce de renard bleu ! Plus modeste dans mes goûts — par force majeure — j'ai passé ma vie àrechercher les termes de patois et les locutions de notre pays normandet manceau. Cette collection n'enrichira pas son maître. Pourtant, que de trésorselle contient : trésors d'esprit, de finesse, d'ironie, de poésie, desagesse, de morale. Et quelle joie j'éprouvais lorsque, pareil auchercheur d'or trouvant à ses pieds un lingot du précieux métal, jerecueillais une de ces pensées anonymes écloses on ne sait comment etqui venait, comme un papillon brillant, se poser d'elle-même dans monmusée ! Parlant des termes de patois, Victor Hugo a écrit : « Faire surnagerau-dessus du gouffre de l'oubli, ne fût-ce qu'un fragment d'une langueque l'homme a parlée, c'est étendre le domaine de l'observationsociale, c'est servir la civilisation elle-même. » Combien d'autres écrivains, parmi les plus grands, je pourrais citer,qui ont fait leurs délices de nos vieilles expressions populaires !... Cela m'entraînerait trop loin. Et puis, j'ai hâte de vous présenter ma gerbe sauvage. E. B. LOCUTIONS NORMANDES ET MANCELLES LA GOULE LA goule ! la coquine de goule ! Cause du malheur de tant de gens, etdes meilleurs — les goulus sont légion — nous a fourni un bon nombrede locutions. Ainsi, on dit d'une personne ayant la bouche rentrée : C'est une goule de bonne femme. Au contraire, une bouche saillanteest une goule bécue (en forme de bec). Une goule piate est unefigure sans relief. Il y a la goule bianche, la goule boutonnue,rencontrée souvent chez de timides adolescents. Il y a la goule decasseau, dont lèvre inférieure possède une « avance » prononcée sur sasupérieure, ce qui la fait ressembler à un « casseau » de laveuse. Il ya la goule en lames de persiennes, si triste, si désappointée. Lagoule pincée, qui « n'en dit pas ce qu'elle en pense ». La gouled'enterrement, qui indique une déception. La goule brauteuse,embellie d’une mousse argentée... la goule postillonneuse, siéloquemment rafraîchissante. C'est gentil, tout ça, mais le diable, c'est que la goule coûte cher :dans les petits ménages, on ne fait que pour la goule. Encore, quandl'homme est travailleur, passe, mais combien y en a-t-il qui en abattent plus avec la goule qu'avec les bras. Combien feraient traslieues la goule ouverte pour se faire laver la goule ; pour engouler un café bien chaud, bien sucré, bien sellé et bridé, bien gouleyant enfin. (Que le terme français « appétissant » est plat etfade à côté du savoureux gouléyant.) Il y a la poire de sept-en-goule, qui n'est pas gosse, et fait guère de profit, surtoutsi l'on a la goule en pente, l'on tient à n'en pas perdre unegoulée. On arrive parfois, la goule ben enfarinée, au-devant d'une déconvenue; une autre fois mieux, on ne tourne pas la goule à l’envers pour sipeu. Paris a des « fins-becs ». Nous, nous avons nos goules-fines, qui neleur cèdent en rien, sans se soucier si c'est cher la goulée. Les trois quarts des bassesses, des lâchetés humaines sont commisespour avoir la goulée. Il y a la goule de battouet, qui juge petits et grands, riches etpauvres ; c'est un des plus purs organes de l'opinion publique (unegoule maline !) Et la goule de coin ! Méfiez-vous de cette dernière: c’est la cousine germaine du Coltorto italien qui désigne lefourbe, l'hypocrite. Connaissez-vous le sourgoulier ? C'est celui qui entre chez vous,accompagnant son ami ou son supérieur venant traiter une affaire avecVous. Il écoute tout ne dit rien, mais plus tard, il pourra témoignerde vos paroles, en faveur de son compagnon. Délicieux sourgoulier, tuen es pour tes frais avec des gens comme nous : nous ne sommes pointdes bat-de-la-goule, parlant sans réfléchir ! Il y a un spirituel dicton qui a pris naissance à Damigny, à propos dela bourrique d'un nommé Camus : elle mordait et donnait des ruades ;elle était dangereuse par devant et par derrière ; ces deux défauts larendaient plutôt indésirable. Depuis, on dit : Elle est comme labourrique à Camus, de la goule etç [?] Si vous êtes en société ou aux noces, et qu'il vous manque un violoneuxpour faire un quadrille, vous avez la ressource de danser à la goule,c'est-à-dire de faire imiter la musique par la goule d'un ami debonne volonté ; il s'en trouve toujours. Un homme vif jette sa goulée, dit ce qu'il a sur le cœur, et puis n'ypense plus ; c'est le bourru, le nerveux, souvent l’honnête homme :celui-là ne fera jamais la goule à personne. Se torcher la goule o ren, équivaut à se pendre les dents au crochet,ce qui est toujours pénible, d'autant plus que personne n'est fainiantde la goule. On a toujours le temps d'avoir faim comme une goule debois. On dit quelquefois en parlant d'une personne affligée d'une mouenerveuse : Elle moussine de la goule comme une poule qui rachève depondre... La comparaison est pittoresque, sinon absolument flatteuse. Un type bien amusant est le tord-goule, qu'on appelle aussi tord-nez, et même tord-g[…]. C’est le dédaigneux, le méprisant, levaniteux sans talents ni qualités spéciales. Le tord-goule esttoujours « fier avec les petits, humble avec les grands », selon lamalicieuse expression du bon Sancho. Lorsqu'on laisse tout à goule-ouverte, portes et fenêtres, on dit quec'est afin que le profit entre ; mais tout de même, on s'empresse defermer... Si la pièce qui répare un vêtement est plus solide que le vieux drap, elle emporte la goulée. Ce qui prouve qu'il faut en tout être avisé. Tout le monde connaît la gouline, petit bonnet simple, entourant la goule. Une goulette, c'est une petite goule. (Elle a une bellepetite goulette.) Une goule bisouse, c’est celle d'une jeune fille à la mine fraîche etengageante, comme l'ont toutes les demoiselles du pays d’Alençon. Trop dire amène l'ennui, a dit Voltaire. Tout dire soûle, écrit plusénergiquement Montaigne. C'est pourquoi je m'arrête ici, et non faute munitions : mon sac n'estpas vide. Mais je ne voulais pas — situation humiliante — être appelé : goule de rabette !... HEUR ET MALHEUR ! Il m'a semblé curieux de réunir ici quelques-unes des locutions «plaignardes » si en faveur chez nous, autrefois — dans certains cas —mais derrière lesquelles se cache une race d'une rare activité ; labonne race produite par notre vieux sol gaulois, qui a absorbe et faitsien le sang normand, comme nos mères silencieuses, nos mèresimmuablement attachées à notre « terre » ont absorbé et faite leur lasève de tous les errants, de tous les conquérants, de tous lesvainqueurs, quelles ont fixés, qu'elles ont soumis, qu'elles ontvaincus, sans bruit, sans combats. — « Quand le malheur est sus les poules, le diable ne les ferait point ponre (pondre). Variante ou proverbe : les malheurs vont par bandes. — Nia point du riz pour tout le monde. Sentence doublée d'un calembour. — Ma bouillie sent le gratin. Je suis sur le point d'éprouver un malheur. — T'es comme le chat â la bonne femme : tu n'es point cor au pus creux !S'emploie lorsque quelqu'un se plaint, au début d'une besogne qui serarude et longue. Voici d'où vient cette expression peu consolante : Une bonne femme allait neyerson chat, soigneusement ficelé dans un panier. Comme l'animal criait,plaintivement, la vieille lui dit : « Crie, mon ami, tu n'es point corau pus creux ! » Elle avait de l'esprit, la mère, mais le diable soitde celles qui ont de l'esprit comme ça ! — Faut ben durer... Durand durit ben durant qu'on l'pendit.Façon résignée de conter ses malheurs. Quelquefois aussi, cette maximes'adresse à une tierce personne, en guise de consolation goguenarde. Ilvaut encore mieux dire cela que dire comme défunt le père MartinThibault, du Bou-le-Roy. Sa femme jupait, et s’écriait « Oh ! là ! Là !mon Dieu. Je n'peux pus durer ! » — « Eh ben, n'dure pas ! » luirépondit l'méchant bonhomme. — Faut passer par là, ou par le trou au chat.S'emploie toujours en parlant d'un malheur commun et inévitable : letrou au chat est une ouverture circulaire, pratiquée au bas des portes; il est donc bien évident qu'il faut passer par la porte... comme toutle monde. — Le roi des désirs est mort à la porte de l'hôpital. Voilà pour les ambitieux. — Ça va tout à la douce : comme les marchands de cerises.Pour ne pas dire que cela va bien ; les marchands de cerises criaient,autrefois, dans les rues d'Alençon : « A la douce ! à la douce ! » — On a vu de biaux carrosses verser. Et de beaux biens se dissiper, se fondre. — Il est comme les ouermaillères de bois. I n'va ni n'vient. Pour ne pas avouer qu'un malade va mieux ; en annonçant que son état est stationnaire on est plaint plus longtemps. — Il a toujours l'air d'avoir perdu sa pâte au four. Il a toujours l'air d'avoir éprouvé une calamité. — Il n'a jamais mangé de soupe chaude. D'un plaignard encore plus plaignard que les autres. — On voit de belles nappes sus qué qu'on ne mangera point. Quandles pommiers sont fleuris, qu'une admirable nappe semble étendue sur laterre normande, invitant les convives à apprêter leurs mocques pour defraternelles beuveries, la maudite note pessimiste vient encore vouscingler comme une douche. Heureusement, on travaille patiemment enattendant ! Sans quoi cela serait la fin de l'espérance. — I en a pour tout le monde.Du malheur, bien entendu ! Cela se dit en manière de consolationphilosophique et indifférente, et pourrait se rapprocher de la célèbremaxime de La Rochefoucauld « Dans le malheur de nos amis... etc.» — J'avons d'la chance, chins nous, comme quand tout fond. Tout nous fait défaut, tout nous trahit. — Faut ben durer... c' qu'on n'peut empêcher. Résignation forcée. — C'est comme ça, chez nous : quand on cret moucher, la quouée chet. Quand on croit toucher au but on retombe dans le malheur. Allusion aux bœufs qui se défendent des mouches à coups de queue. — Je n'sommes point dans les Avents. J'n'avons point d'ergent d'avance... ou si peu. — J'payons l'aller pour le vni.Nous payons la marchandise consommée, le jour où nous en achetons unenouvelle provision. C'est un très bon procédé ; on fait voir qu'onn'est point riche, mais qu'on paie tout d'même. Si l'on payaitcomptant, on passerait pour des gens trop heureux ; réputation utile peut-être, à un Gascon, mais pas du tout à un Normand. Ah ben, non ! — Sait curé qui voudra : j's'rai toujours paroissien.Je ne serai jamais rien, aussi je suis très indifférent à tout ce quine touche pas mes intérêts. — Quand la jument est quervée, le poulain est sévré.Vérité de M. de La Palisse. Cependant, cette sentence s'appliquelorsqu'un grand malheur met fin à tous les espoirs, à toutes lesplaintes inutiles. — Je serais mieux en terre qu'en pré.Regardez le père Jean Louatrou ; il s'en va, répétant cette phraseplaintive. Il a, en effet, « une mine à deux jours » ; il n'a pus quele pet et la toux ; i n'lui faut pus que la pelle et le pi (pic).Achetez-lui son bien à rentes viages, et dans trente ans il vous dira: « Fallut qu'j’eus la piau pus dure qu'un vieux crapiaud pour avouérésisteu jusque-là ! Falleut, en vérité, qu'j'eus l'coffras pus solideque j'n'éras cru ! » — Me vlà cor par à coûté. J'ai encore perdu une bonne occasion. — Je sais né le lendemain de la chance. Je joue de malheur. De toutes ces expressions pessimistes, il ressortirait que le Normandest un être mou, sans initiative, sans ressort. S'il fallait lesprendre au pied de la lettre, elles seraient indignes de notre race.Attendez ! C'est chez nous, surtout, qu'il faut rompre l'os pour en sugcer la moelle.L'énergie, voyez-vous, c'est comme l'argent : on n'en fait pointparade. Trouvez un peuple ayant à un plus haut degré cette énergiepatiente, concentrée, qui constitue le genie, en affaires ! Tel quicrie misère aura, dans six mois, quelques journiaux de bien de plus au solé, et Dieu merci. Croyez-vous donc que sans cela, nous aurions conquis l'Angleterre ? D'ailleurs, puisque j'ai entrepris une fouille dans les profondeurs denotre viens langage populaire, je me dois à moi-même de ne laisseraucun coin en friche ; je dois aller jusqu'au bout : « Il faut ouvrirle ventre si l’on veut voir ce qu'il y a dedans. » — Faut mieux aller p'tit à p’tit et aller pus longtemps. Ah ! Ah ! J'aime déjà mieux cela ; nous vivrons, c'est entendu. — Il n'en mourra que les pus malades. Mais bien sûr — Le bon Dieu n’est pas mort. Eh ! que non, puisque tu vis, avec la foi dans ton étoile, dis, mon gars ? — Faut s' garder à carreau, crainte d'ête capot. Tu ne seras pas capot, toi, j'en réponds. — Faut point lâcher la poâle après la première crêpe. Ni se décourager pour une entreprise manquée. — Faut jamais vendre sa bonne aventure. Certainement ! ni douter de soi, ni désespérer de son avenir. — Faut risquer la pouche et le cochon. Parbleu ! je te connais, va, je vois maintenant le bout de ton oreille ! — Tant que la tête tient. Belle devise. — Pour eune fouaillée, le derrière ne chet point. A la bonne heure ! Viens que je t'embrasse, Normand mon frère ; tu es toujours l'aventureux, l'audacieux ; celui qui n'a point peue pour sa piau. — Faut jamais s'éme[e]oyer... tant qu’on n'a point vu ses boyaux dans eune assiette ! La voilà enfin, la bonne note, la vraie, celle que je cherchais ; la locution optimiste, celle qui pousse à, l'audace. C'est par l'idée qui l'inspire, par l'espérance invincible, par lavolonté, que notre race s'est affermie, qu'elle a duré et qu'elle semaintient au premier rang. Et maintenant, un dernier mot. Si le hasardvoulait que vous vissiez vos boyaux dans une assiette, faudrait-il vousdésespérer ? Eh bien non : ça, se replace : luttez jusqu'au bout. Les vieuxNormands, nos pères, s'écriaient : Courage ! Dieu aide ! » Cela sepasse encore ainsi de nos jours : Dieu aide toujours les plus forts.Soyons forts ! MESDAMES, MESDEMOISELLES Les locutions ayant trait à la femme, à la jeune fille, au mariage,sont, chez nous, très nombreuses. C'est que nulle part ailleurs lafemme n'occupe une place plus grande qu'au foyer normand. Enfant, jeunefille, amie, femme, mère, aïeule, c'est à vous que tour à tour nousobéissons. Nous aimons être « menés par le bout du nez » nous n'ymettons qu'une condition : c'est que la laisse soit fleurie. Oh !alors, pour vous, on construit, on laboure, on récolte. La premièregerbe, la plus belle, vous est offerte, et, quand en mai, le cidre,doux encore, mais « paré » et « picotant s, fait sautiller dans lesverres des perlettes blanches et nacrées, un dicton veut que ce soit àla santé, à la gloire et au profit des femmes de chez nous que soientvidées les « douelles ». Si, parmi les locutions qui vont suivre, il s'en trouvait quelques-unesallant à l'encontre de la galanterie, mes lectrices sont de trop finesNormandes pour ne pas en sourire, pour ne pas plaindre un peu le pauvregars qui en fut l'auteur inconnu et impuissant : elles savent, delongue date, que si « nout chat n'veut point d'beurre..., c'estpasqu'on n'ien donne point ». Tout ceci, d'ailleurs, est entre nous ; les messieurs sont sortis ; j'ai, discrètement, frappé à la porte, et l'on m'a répondu : — Entrez, Jean... nia qu'Ia femme ! Plaisanterie innocente et honnête. — Dans tout ménage, ia un chien et un chat.C'est-à-dire, un bon et un mauvais conjoint. Il y aurait donc, d'aprèsce pro verbe, 50 % de bonnes gens en Normandie. Ce serait là unemoyenne flatteuse. — Qui choisit se vole. — A ben choisir, on s'trompe. Quelquefois, mais comment faire ? — Vaut mieux faire les lots que d'choisir. Oh ! — Se casser le cou.Euphémisme peu galant pour indiquer l'action de se marier. On dit : «Ma redingote de casse-cou ; mes bottines de casse-cou, etc. » — Ça n'en fait cor un d'pus à t'ni les cordons de la bannière de saintJosé. Un de plus à goûter le bonheur d'être en ménage, se dit le jourdu mariage d'un ami. — I en a pus d'mariés que d'contents !Consolez-vous, célibataires Mais vous, mesdemoiselles, pourquoi répétercet axiome décourageant, alors que vous n'avez qu'un désir : vousmarier ? Si tant de mariés ne sont pas contents, ce n'est pas,pourtant, la faute de l'institution : M. le maire ne peut que lier deuxexistences, il ne lui est pas donné d'unir deux cœurs. Et c'est dommageI — Etre à son guerva bouilli. Etre à son gruau bouilli, c'est être marié. « Ah ! ma pauv' Ugénie, déqué qu'tu fras, quand tu s’ras à ton guerva bouilli ? » — Un d' pus à cocher sus le manche à balai.Lorsqu'une fille a eu beaucoup de prétendants, dont aucun n'a pousséjusqu'au mariage, la malignité des « amies » les compte au moyen de «coches » ou entailles faites sur le manche à balai. — On l'enverra à la guerre toute seule. Elle est « maline ». C'est surtout les femmes que l'on recherche « douces et faciles ». — I l’i f’ra danser la malaisée.La « malaisée » se danse dans la chambre à coucher : la femme tournetout autour, en courant, cependant que le mari la « boistelle », àcoups de trique. — C'est un lit à deux plans : il en peut autant d'sour (dessous) que dedans.Gentillesse adressée par un mari à sa petite femme. Et dire que huitjours avant son mariage il lui disait : « Oh ! quand j'vois ta bellep'tite piau bianche » et qu'il la « bisait comme deux liâs d'couenne ».Malheur ! — Elle est facile tni... comme eune anguille ! Certaines femmes, a dit Brantôme, sont « mal tenables ». — Faut prendre une maison faite et une femme à faire.Bien, mais où est l'architecte qui indiquera le moyen de faire unefemme à votre gré ? Et puis, mieux vaut encore une mauvaise maisonqu'une mauvaise femme : ça coûte moins cher pour s'en débarrasser ! — Il est las d’être ben. Il va se marier... avec une mégère. — Il est ben heureux en l'attendant. — Pauvre diable ! — Un bois d'oribus ! C'estle cri de l'heureux père, à la naissance d'une fille. (L'oribus étaitune chandelle de résine, elle se brûlait dans la cheminée, introduitedans un bois en forme de fourche, appelé bois d'oribus ».) — Un harraut. Une fille hardie, à manières garçonnières. On dit aussi, un boubique. — C'est un mariage de pigeons : la fumelle vaut mieux que le mâle. C'est-à-dire, est plus courageuse. — Le mariage est une loterie.C'est sans doute pour cela que Jean Richepin a dit : « Et c'est çaqu'on appelle un saint mystère : ça qu'un prêtre a béni ! » Tout demême, y a de bons lots. — Si n'iavait pus qu'li et mé sus la terre, la fin du monde serait bentôt arrivée. Dit par une femme, cela indique sa répulsion pour le malheureux en cause. Pourtant, je ne m'y fierais pas toujours. — C’n'est point pour té que l' four chauffe. Amical conseil à un ami visant trop haut. — Ce qui ne cuit point pour té, faut le laisser brûler. Logique, mais peu charitable. — Dans les affaires de mariage on n'y met point le nez. Avis aux mauvaises langues. — Ben chaussé, ben coiffé, on est à moitié marié. Le reste est peu de chose. — I sont contents d'être au monde et d'y vâs quiai (voir clair).N'y aurait-il pas un peu d'amertume dans cette expression servant àdésigner des gens heureux ? Le poète avait raison, qui a dit : « Neparle pas de ton bonheur, n'en parle pas, même à voix basse. » — Etre mal accoté. C'est,pour un homme, posséder une femme incapable de l'encourager, de lesoutenir, de lui prêter cet appui moral dont le sexe fort a tantbesoin. Etre maI accoté, est, pour un homme de cœur, la plus grande desinfortunes. — Des femmes et des ch'vaux, ien a point sans défauts.Les Normands d'Alençon, qui sont des connaisseurs, l'ont dit, mais pastoujours pour s'en plaindre : Il est d'aimables défauts, et défautn'est pas vice. — Son homme s'appellera saint Michel. C'est une fille maline : saint Michel n'at-il pas terrassé le diable ! — Un biais p'tit camarade de lit. — J'en feras ben mon oriller. Locutions flatteuses et simples. — Je la biseras ben pour c'que m’dait (doit). Et elle ne doit rien. — E frait un bon fût de d' saur (de dessous). C'est une fille solide et râblée. — Pour faire un bon mariage, faut un homme fait et une femme à faire.Il est certainement plus facile de faire un caractère que de lerefaire. La difficulté, c'est de trouver un homme fait et une femmevoulant se laisser faire. — Elle est sale comme la nâs du four.C'est une fille mal « quertée », mal détirée, souille comme un peigne.La nâs du four est un torchon, d'une saleté légendaire servant ànettoyer le four. Pourtant, petite nâs, ne te désole pas et savoure leconsolant dicton suivant : - N'ia point de pelle qui ne trouve son fourgon. Certainement, il n'est si laide, sale et malplaisante fille qui ne trouve un mari approprié à ses « charmes ». — Elle est bonne à mettre dans la cour de l'hôpita, pour servir de vométif aux malades. Un vrai remède ! — Elle a l'air d'une jument échappée. Elle marche sans grâce. —E tape du talon comme une bique qui voit le loup. D'une fille à l'allure gaillarde. — Elle a la tête pleine.C'est une « forte tête » inaccessible aux bons conseils, à l'éducation; c'est une tête de granit. C'est aussi, très souvent..., une tête vide. — Une ferzâs. C'est le nom que l'on donne aux demoiselles qui sortent, la nuit, sans leur mère. (Ferzâs est le nom patois de la chouette.) — Elle est f...ichue comme la fille Dieu-merci. Elle est habillée sans goût, comme la fille du vieux mendiant du bourg. — Marie-Ben-Thôrée, comben l'soeufs ? Quand une fillette s’habille à la hâte, sans goût encore, sa mère lataquine, avec cette interpellation désuète. Aujourd'hui, les marchandesd'œufs ne sont point mal « tôrées ». — V'là c'que c'est que les filles de Sées, quand elles boivent, elles ont le bec frais.Vous connaissez ça, n'est-ce pas ? Mais il faut se méfier des locutionsà consonance : les choses se passent bien de même à Carrouges. — T'es attelée comme eune fille d' Alençon : ta ch'mise dépasse ton jupon.En campagne, les filles des villes sont regardées comme plus coquettesque nettes. Mais c'est encore là une locution basée sur la consonance.Mal attelées, les filles d'Alençon ! — E rhabille ses chausses o d'sépingues (épingles).On dit cela d'une fille sale ou négligée. Cela se disait surtout desanciennes « vélineuses » qui ne savaient faire que le point d'Alençon. — L'amou est comme la mo : si i n'entre point par le haquet entre par le hec.Hacquet, petite porte, Hee, petite fenêtre. Voilà une pensée simple, etpourtant profonde, digne de celle souvent citée, de M. Anatole France :« La Nature tient le but. » — Faut point montrer le pot d'confitures aux éfants. Ils en abuseraient. — Elle a tras hommes en chemise. Le divorce a ses tristesses ; il a aussi ses gaîtés. Enfin, iIs valent mieux en chemise qu'en terre. — La mère aux filles n'est pas morte. Si votre promise vous abandonne, ne vous pendez pas pour cela. — La chière est belle sus l'sous (os). Ici, on n'adore pas exclusivement la ligne. — I « parle » à une fille. Il a une fiancée. — Elle a l’croc sûr. Elle est méchante. — Quand i voudront marier l'ainée, faudra qu'ils mettent la jeune sous un poinçon. La jeune est mieux que l'aînée. — Quand j'érai du temps de reste ! C'est-à-dire : je vous aimerai quand je n'aurai plus rien à faire. Triste ! — Elle est fraiche comme une fille du Ménil-Broût. — Elle a bonne mine comme une fille de La Ferrière.Les filles du Ménil-Broût ont le teint frais : elles ont le soleil dansle dos en venant au marché d'Alençon et en s'en retournant. Aucontraire, celles de La Ferrière ont bonne mine, parce qu'elles ont lesoleil en pleine figure en allant et en revenant. — Fille promise n'est point prise. Les mauvaises langues prétendent qu'en Normandie on a le droit au dit et au dédit. Nous avons bon caractère : il y a aussi des notaires en Avignon. — Point d'fille qui n'désire être femme ; point d'femme qui n'désire être mère. Et surtout, point de mère qui ne désire être belle-mère ! — Elle est comme les guêpes. Ce n'est pas parce qu'elle a la taille fine. — Quatre assiettes et cinq plats. Inoffensif calembour désignant une personne dont le corsage manque d'ampleur. — Une grousse tournebouse. Un monciau.Une grosse commère paresseuse, qui ne « tournerait point un bois boutpour bout ». Ces commères-là ne conviennent guère chez nous. — Bête comme une oie de La Poôté. Locution courante, pour désigner une fille trop naïve. Est-elle justifiée ? (La question est à l'étude.) — Elle a été engendrée d'un coq et d'une oie : elle est bête et maline. De celle-là, il faut se sauver comme du feu... quand on peut. — Elle a un cœur d'artichaut elle en donne une feuille à tout le monde. Jolie tournure pour désigner une fille au cœur trop sensible, désireuse de faire des heureux. — Quand on a peur d'être piquée, on n'va point au bois.C'est vrai, mais comment résister à votre charme émouvant et grandiose: Ménil-Broût, Perseigne, Ecouves ? Il n'est proverbe qui tienne, etrien n'empêchera nos belles Alençonnaises, filles des Gauloissylvestres, d'aimer follement nos forêts enjôleuses. — Quand on s'est assis sus un nid d' guêpes, laquelle qui vous a piqué ? Il y a, décidément, des locutions pour tous les cas. Tout de même, il en est d'embarrassants et d'épineux. — Faut qu'un coup, pour tuer l'loup. Sage conseil d'une mère à sa fille. — Mademoiselle ! Pimpernelle !Titre cérémonieux et ironique que l'on donne, en s'inclinant devantelle, à une fillette sans importance, mais qui, on le sait, en prendra. — Changement d'herbe ragoûte les viaux.Ils l'ont avoué ! Aussi, le génie, pour une fermière, consiste à donnerà son viau l'illusion du changement, en l’ « affourant toujours de lamême herbe. — La mariée sera lichouse. S'il pleut le jour de son mariage. Cela se produit aussi, quelquefois, même s'il fait sec. — Une « demoiselle » pour deux, c'est pas grand' chose.Il s'agit de la « demoiselle » d'eau-de-vie, représentant la moitié du« petit pot » (dixième de litre). Chacun sa « demoiselle » est rationjuste et raisonnable. — Elle est... légère comme chausson.Je n'ai pas l'avantage de connaître Mlle Chausson. Cela doit être uneparticulière diablement « effestouie », s'il faut en croire la légende. — L'étrenne d'une p...as grand' chose porte chance. Très flatteur. — Vaut mieux avoir affaire à une p...as grand'chose qu'a une dévote. Commercialement parlant. — Si elle n'est pas comme il faut, elle est comme il en faut.Qu'il a donc fallu que l'homme soit abandonné du bon Dieu et de sessaints, pour en être réduit à certains marchés, à, certaines locations ! — Une piau. Qu'elle soit auservice d'un portefaix, d'un millionnaire ou d'un roi, toute femme quis'enrichit ou gagne sa vie en donnant, comme l'a dit Musset, « lespectre de l’a-mour », est considérée, chez nous, comme faisant lemétier de piau. C'est dur, mais le pape lui-même ne pourrait jamaisfaire entrer dans la caboche d'un Normand qu'il existe deux morales :une pour les pauvres, une pour les riches. — Une femme point de dépèce-marché.C'est une femme ne contrariant jamais son mari lorsqu'il s'agit deboire une « potée » en chœur, ou d'organiser un bon coup de goule.C'est la bonne épouse, celle avec qui on vit, le cœur « bath et content», comme disent les gars parisiens. — Faut mieux en avoir l'amitié que la hainge (haine).Se dit à, propos d'une méchante femme, pour se donner une excuse del'avoir pour amie. Cette petite lâcheté, d'ailleurs, est commise enpure perte : la méchante femme n'a pas d'amis. Pour ma part, je ne veuxpoint de ces amitiés-là. Quant à certaines haines, elles ne m'inspirentque dédain et souvent, une douce gaîté. — I en a trop pour un faix, pas assez pour eune charretée.Chef-d’œuvre de concision : ce n'est pas encore le divorce ; le cœurn'est pas encore en morceaux, mais, « n'y touchez pas, il est brisé ». — Chârte ouignant, femme cussant, iront cent ans.Une de mes vieilles amies, morte à quatre-vingt-seize ans, me disait :« Dé qui qu'érait cru qu'j'érâs véqui si vœille ; j'ai toute ma vie iusi ou que, les tras quarts du temps j'étâs en piau ; souvent au lit ouia couteu (à côté); toujours malade ou fraîche guérie ; j'étâs comme laBédibédou : j'avâs mal partout ; et pourtant, me v’là cor. » — L'homme meurt de son chagrin ; la femme s'en nourrit.La femme est plus forte que l'homme dans les douleurs morales. — E n'aime ren : o n's'aime même point. Ce n'est pas une femme celle-là ; épousez plutôt une franche petite égoïste. — Celui qui couche sus l'bord est le maitre. N'acceptez jamais la « venelle ». Cela serait consacrer votre infériorité. — I va geler entre nous deux.Se dit en guise de bonsoir, par un temps froid ; cela exprime un regret: il est des cas où l'on rapprocherait volontiers les distances. — Le bon Dieu n'a point donné de cornes aux bêtes malines. Quelques-unes ont seulement un tout petit bout de langue. — Un gars de chien. Un « sacà diable ». Les filles aiment, souvent, les gars de chien, car, « hélas! Ies plus coupables sont toujours les plus aimables. C'est dommage, envérité ». — Le premier qui va passer va l'être.Quand, dans la conversation, deux personnes prononcent le même mot, enmême temps, on cite en riant cette locution. Balzac a donné à sonlivre, La Physiologie du mariage, en épigraphe, ces mots, parodiés de Shakespeare : l'être ou ne pas l'être, tout est là ! — Ça li va comme des ch'veux sus d'la soupe. — Ça li va comme eune brassière â eune vache. A propos d'une dame, portant, sans distinction, une toilette exagérée. — Le bossiau (boisseau) est derrière la porte. Méfiez-vous de la médisante vous disant du mal de votre ennemie : votre mesure vous attend. — E change tras loués d'idées en... buvant. C'est une personne indécise, mais sans fausseté. — Donner un pois pour avoir une fève. Générosité intéressée d'un galant. — Avé le, c'est ça. Ici, laphrase se complète par une mimique expressive : on montre l'intérieurde la main, les doigts en l'air, puis lui faisant faire un demi-tour,on en montre le dessus. Cela veut dire qu'il ne faut attacher aucuneimportance aux paroles de la personne en cause : « Anhui é dit bianc,demain é dit ner ; é change d'idées comme de ch'mises. » — E sont amies comme... moutons ; é mangeraient ben par la même bouche ; c'est le derrière et la ch'mise. Ça ne durera pas ! — Elle est bon cheval de trompette. Quand son homme la « querelle », ça ne l’émoille point, é sait gui réponde ; n'craint point l'brit. — Les guernâzelles chantent : i va châs de l'iau. Petite plaisanterie d'une galanterie rustique, à l'adresse de jeunes filles qui chantent en chœur (guernâzelles, grenouilles). — Ça iest, Babet, crie s'tu veux ! Se dit chaque fois qu'une chose est faite irrévocablement. — Je sais ben assez belle pour le gars qui me fait la cour. Réponse d'une fille bien élevée à une grosse galanterie. — C'est des bottes de foin pour amuser les ânes.Réponse d'une demoiselle sérieuse à la question indiscrète d'un gars :« Dé qué qu'c'est qu'ça qu'j'avez là, clans vout corsège ?... — Est biau qu'a tous ses membres.Si l'on dit à une jeune fille qu'elle est jolie, elle répond par cettelocution, ce qui est une façon modeste de convenir que vous avezraison, car elle a tous ses membres. C'est aussi faire l'éloge de lasanté. — Un homme est toujous assez biau, pourvu qui n' fasse point poue à sa jument.Si surtout c'est un « homme » comme Diogène en cherchait un ; un hommequi ne soit pas un lâche. Celui-là trouvera femme. Brantôme a dit : «Certaines femmes ont du goût comme les louves qui choisissent toujoursles plus laids ». C'est peut-être parce qu'ils sont le plus loups. — Tout d'bonne amitié, ren d' force.Avec vous, Mesdames, Mesdemoiselles, la faiblesse est quelquefois uneforce (vous le voyez, je vous parle comme un conférencier). — Piquer un fard. - C'est, Mademoiselle, rougir jusqu'aux oreilles, signe de demi-innocence. — Pourvu qu'un gars rapporte ses deux oreilles. Ça suffit, mais une fille ! diable ! ouvrez l’œil, mamans ! Caveant consules... (Tiens, du latin ! Pardon, je ne Ie ferai plus). — Mon coq est lâché ! Rentrez vos poules. Quelle sécurité, pour une mère, d'avoir un fils ! — La poupinière (pépinière) en est grande. Pauvre gars éconduit, ne te désole pas : ien a d'autres. — Tras pouces au-dessus du genou... ça n'n'est pus ! Avertissement plaisant et charitable adressé à une dame se « relevant un peu haut ». — On n'ébouille point eune pouchée de bié par le mitan.La mère avisée de trois filles doit d'abord mettre tout en œuvre pourmarier l'aînée ; on n'entame pas un sac de blé par le milieu. — Les quartiers n'en sont point grous. — Elle est petite, mais entière.C'est une petite femme, mais elle possède toutes les belles qualités deson sexe, l'énergie, la vaillance, le dévouement affectueux. — Je n'aime ren et ren ne m'aime. Réflexion plutôt amère, heureusement, cela peut changer. — Grand diseus, petit faiseus. Songez-y, Mesdemoiselles : celui-là est le contraire des faiseurs de chapelets, « qui en font plus qu'ils n'en disent ». — Un bon coq n'est jamais gras. En vérité, je m'épuise en bons conseils. — C'est le diable qui bat sa femme et qui marie sa fille.Lorsqu'il pleut, sous un gai soleil, il est connu que le diable bat safemme et marie sa fille. Pleure-t-il parce qu'il bat sa femme, ou parcequ'il marie sa fille ? je n'ai pas pu le savoir encore. — Il fait un temps de demoiselle : ni poudre ni soleil. Bon temps pour les fleurs délicates. — Je n'ai pus envie de plaire.Elle est mariée depuis six mois ; elle peut se négliger ; avoir desfranges à ses cottes ; des quouées à ses robes ; ses chausses en vis depersouet ; agrémentées d' « ognons » ; elle peut sortir tout « écrignée», et point « décrassée ». Si, plus tard, vous la voyez se mettre enfrais de « coquetterie souille », ne pensez pas que ce soit pour unautre que son mari ! — C'est comme ça qu'on donne les gants au roi. Aimable et ironique leçon donnée à un galant offrant à une femme un objet, avec brusquerie. — Elle a ben avalé la mort de son homme.C'est une veuve consolable. Avaler une mort peut paraître étrange. Ilest vrai qu'il y a des actions qu'on dit ne pas pouvoirdigérer. — Si j’étas comme la femme à Jean, ia longtemps qu'mon homme m'érait mise par quartiers. C'est Mme Pierre qui le dit. Mme Jean en dit autant. Ah n'écartelons personne ! — Ia ben à faire éyou que n'ia ren d' fait.Gars qui « parlez » à une fille, que de qualités il vous faut montrerpour mériter votre bonheur ! Pensez qu'il y a loin, parfois, de lacoupe aux lèvres. — I fait comme le chien, tras tours dans sa nige (niche) et pis i s'couche. Hélas ! pauvre célibataire. — Rallonger la meule d'un aune.Se marier. Expression bien trouvée : la meule de blé c'est la réunionde tous les membres d'une grande famille : c'est l'emblème de lasociété, de la patrie. — I ne la cret point éyou qu'il la voit. La voilà bien, l'aveugle confiance de l'honnête homme qui aime. — On est comme on est : on ne se refait point.Alors, libre arbitre, volonté, éducation... vains mots ? Pourtant, onpeut se refaire, ou alors, il faudrait admettre la supériorité du chiensur l'homme ! — La table branle : c'est signe de noces. Il y a belle lurette que les tables parlent, chez nous. — Ia d'l' oie, l' chien quouette !Locution banale, mais combien spirituelle. Elle est de celles quiravissent l'observateur. Il y a de l'oie : il y a du nouveau, que l'onvoudrait bien nous cacher ; mais allez donc empêcher le chien de «quouetter » (agiter la queue). J'irons aux noces ! — Ia-t-i des malades, chins vous ? qu'on vous a recommandés au prône ? Et la jeune fille à qui cela s'adresse rougit de plaisir, le cœur épanoui : on a publié ses bans. — Cours comme t'es belle... ... tu courras longtemps. Flatterie amicale à une fillette. — Vous menez ça comme la mariée de Courteille.Quand on transporte quelque chose de fragile, de délicat, de précieux,il faut y aller doucement, ainsi que l'on conduisait, autrefois, unemariée de Courteille, fille jolie, riche et cossue, d'un fabricant detoiles. Ah ! les beaux bonnets normands, délicieusement garnis de pointd'Alençon, sur vos transparents couleur de ciel ou de roses, un pontseulement vous séparait de vos sœurs mancelles, si joliment portées parnos amies du pays du Maine. Aussi, comme on vous soignait, en raison,sans doute, du proverbe qui veut que la lisière soit plus belle que ledrap ! Il y a toujours de jolies et gracieuses filles à Courteille,mais il n'y a plus de mariées de Courteille : on les marie à Alençon,habillées, hélas ! comme de simples Parisiennes. — C'est un biau brin d'fille. Quelle comparaison pourrait être plus flatteuse ? Beau brin de fille Beau brin de blé, pur et sain, prêt cueillir. — J'donrâs (je donnerais) ben mon coutiau pour la biser, et j' rôterais ben pour ercommencer. Celui qui a trouvé cela était un renard... normand. — Un biau dessus d'oriller. Une jolie et aimable figure est la plus belle parure de l'oreiller. — Aux belles filles, tout leû va.Les gars de chez nous, qui ne sont point des bêtes, ont reconnu, depuislongtemps, que la grâce et la beauté passent avant les hardes. Etaussi, que certaines femmes ont le don charmant d'embellir tout cequ'elles portent, tout ce qu'elles touchent. — Faire courtine. C'étaitune jolie coutume, qu'avaient nos grand'mères, de se chauffer lesjambes « au long du feu », en rehaussant légèrement leurs jupes, quidevenaient ainsi « courtines ». Ah ! de grâce, Mesdames,Mesdemoiselles, conservez les vieilles traditions ; elles avaient dubon. Rappelez-vous les couplets de Giroflé-Girofla : Nos ancêtres étaient sages, Quoi qu'en disent bien des gens ; Respectons tous les usages Qu'on avait au bon vieux temps. Faites courtine, Mesdames ! EN FAMILLE Notre précédente étude sur les locutions normandes aurait pus'intituler : Autour du Mariage. Dans celle-ci, nous allons réunircelles des locutions ayant trait à la famille, au ménage. Nous allonsentrer dans la place. Nous écouterons causer la maisonnée et nousaurons, là encore, une abondante récolte : beaucoup de fruits et peu defeuilles ; des idées, mais peu de phrases. Pas de longs discours pourne rien dire ; des pensées, souvent profondes, exprimées avec sobriétéet concision : voilà toute la rhétorique populaire normande. Rien, d'ailleurs, n'est plus intéressant que l'étude de l'homme simpledans son milieu : qui sait voir et entendre, y trouve une source demorale rude, de forte philosophie, quelquefois même, de poésie ignorée. L'homme seul et libre, s'il est plus heureux parfois, offre, en tous cas, beaucoup moins d'intérêt à l'observateur. — Tant qu'on n'a que sa piau à secouer ! On se tire, bien entendu ; mais une fois en ménage, avec tras ou quategnâs, ça change ! Eh bien, pourtant, si la ménagère est aimable, c'estle bonheur : agir pour soi seul est un triste idéal. — Etre à son chantiau. Etre marié. On dit aussi : être à son chienetier. — Une maison de la Renaissance. C'est l'heureuse maison où, chaque année, une naissance se produit. — Un tous l's'ans ; deux les bonnes années... Voilà comment on doit agir dans les bons ménages. — Un r'doubieument d'mâchoires. Et allez donc ! C'est aussi, pour l'avenir, un redoublement de bras, — N'i a jamais trop d'bon monde. Certainement. Et puis, voyez donc ceux qui n'ont — Ni éfants ni suivants. Ils ont autant d'mal à arriver que les autres. — On a monté la mécanique au grenier. Pour faire plaisir à Malthus ? — Désir de roi : garçon et fille. Chanceux ménage. — Grande bande amaigrit l'troupiau. Maigreur n'exclut pas force. — Le couple en vaut mieux qu'la douzaine. Ne dites pas cela. Méditez plutôt Ia locution suivante : — Qui n'na qu'un, n'na point. Terriblement grave, cette locution. — Quand ien a pour un, ien a pour deux. Voilà une belle pensée : il est si doux, parfois, de partager. — N'en voit ren, qui n'en voit qu'la tête. Où diable la vanité des mamans vat-elle se nicher ? — Baptême grêlé... l'éfant ne vivra point. Distribuez abondamment des dragées le jour d'un baptême... et l'éfant vivra. — Il a eune mine comme un éfant d’tras jou's. D'un qui n'a pas « grousse mine ». — Ben heureux ceux qu'ont d's'éfants. Cor pus heureux ceux qui n'ont point. Locution dont on ne pense pas un mot. — Les éfants, ça vous mangerait jusque dans les oreilles. Les parentspauvres tirent du profit de leurs enfants ; mais les parents aisés... — Les éfants, ça frait pendre père et mère ! Oh mon Dieu, le malheur ne serait pas toujours bien grand. — Quand on va chez ieux (chez les entants) i n'vous r'gardent jamaisaux pieds ! Non, dame. Ils vous regardent aux mains pour voir ce quevous leur apportez I (Cela serait horrible, si cela n'était pas siamusant.) — Ben v'nu qu'apporte. Les enfants ont l'horreur... des mains vides. — Les éfants, ça ia toujours un boyau d'vide ! A toute heure du jour, vous pouvez leur offrir à dîner. — C'est la Trop aise qui te démène. Plus on en « fait » aux enfants, plus ils se plaignent. — La Trop aise a le derrière pointu. Voilà pourquoi elle ne peut pas tenir en place. — Faut mieux laisser son étant morvoux que d'i arracher l'guerrouin. Le remède est parfois plus à craindre que le mal. — I veut déjà p... amont les murs, comme les grands chiens. Se dit àun enfant voulant, avant l'âge, faire acte de maîtrise : voler de sespropres ailes. — T'es le maître de met' le chien d'haos... et pis d'courir après.Réponse à un enfant autoritaire. Il y en a : aux âmes bien nées, lavaleur n'attend pas... — Quand t'eras hersé c'que j'ai labouré ! Avant de faire desobservations à son père, un fils devrait attendre à avoir passé par lesmêmes peines et les mêmes misères. — Tu n'en p... pas pu raide. Tu crois esquiver une punition, tu te trompes, mon ami, on se rattrapera... sans courir. — Il a des mouches tantaliques au derrière. . Se dit d'un enfant ne pouvant rester en repos. On dit aussi : — Il a des mouches « verts » au derrière. C'est toujours de cantharides qu'il s'agit. — Il a toujours ben fait et ben dit. Celui-là, c'est le « Benoni »,le Benjamin de la bande. Le malheur, c'est qu'il y a toujours à côté unpetit « Poil de carotte ». — Tirer les « pitiaux » du bec. Il y a des gens assez... curieux pourtirer les vers du nez aux enfants des parents ou des amis, afin de serenseigner sur ce qui se passe dans leur famille. — J'te vâs mett' les deux fesses l'une comme l'aute. Menace d'une fessée à un enfant. — Il a cinq pieds et quat' pouces... quand il est monté dans unemarmite. Façon spirituelle de répondre à un ami qui plaisante sur lataille exiguë d'un enfant. — A la trâsième génération, on f’ra la procession sous l'lit... avecune chandelle allumée. Image amusante et bien trouvée pour plaisantersur la petitesse physique de sa descendance. — Il a tras pouces de jambes, et le derrière tout de suite. Ilgrandira. Tout vient à point : la queue d'not' chat est ben v'nue...sans tirer d'sus. — Il est ben assez grand pour manger son bien. Parbleu : la petite taille n'exclut pas la valeur. — Qui tient de père et mère n'est point bâtard. L'homme est ainsifait, qu'il éprouve de la vanité à retrouver même ses défauts dans sesenfants. — La mauvaise herbe pousse toujours ben. Amicale plaisanterie adressée à un enfant qui grandit rapidement. — La jeune herbe pousse par-dessus la vieille. Les enfants «rattrapent » toujours Ies anciens, d'une manière quelconque. Si cen'est en valeur, du moins en force physique. — Ton derrière en est fait. Il faut, dans les bons ménages, apprendreaux enfants à respecter la pauvreté : les familles les plus riches onteu des aïeux qui ont souffert et « miséré ». — Ça suit l'sang. Les maladies, les qualités, les défauts :l'atavisme, s'il n'est pas connu comme mot, l'est au moins, comme état,depuis longtemps chez nous. — T'as des ongues ? (ongles). Tu f’ra comme mé tu gratteras ! Raisond'un père à son fils. Mauvaise raison en tout cas : si l'on a souffert,n'est-ce pas un devoir d'adoucir la vie de ses enfants et de leurpréparer, selon ses moyens, un avenir moins dur ? — Faut pas ien promette ! Non, faut ien donner : se dit en parlant d'un enfant ayant bon appétit. — Faut mieux l'vâs qu'de l'nourri. Un bel enfant, frais et robuste,est toujours beau à voir, mais les pauvres gens savent qu'on n'élèvepas les « maigners » avec des « guerzillons ». — Ça vient vite... quand ça n’coûte ren ! Un étranger qui voit unenfant de temps en temps et s'extasie sur sa belle « venue » ne sedoute pas des soins journaliers qui le font si bien « profiter ». — A la mode du Perche : ceux qui les font les bercent. Rien de mieux.Comme disait l'autre jour, la mère Dolibault à sa voisine, laPilonnette « Les éfants, ça veut s'marier, et pis quand il' ont des «qu'nâilles » faudrait cor qu'on ieus élève. Mé, j'ai dit à mon gars :Pisqué te v'là à c't'heure ton guerva bouilli, tu f'ras comme j'ai faito les miens : t'élèv'ras tes gniâs : A la mode du Perche... » — Sembié t'y pas, d'ailleux, qu'la mainson va toujours cher avé lé !Il faut entendre cette phrase, prononcée tout d'une haleine, sur unegamme montante, pour avoir une idée de la belle sonorité musicale denotre patois. Elle s'adresse à une petite garcette n'aimant pas à «habiter » la maison, préférant le grand air et la route. La mèrepourrait dire : « D'ailleurs, il semble avec elle que la maison vatoujours lui tomber sur le dos. Combien cela serait moins beau » : Chéravélé ! — Elle est comme eune poule qu'a élevé des canâs (canards). Rien deplus amusant que la stupéfaction, la colère d'une poule, voyant lesgoûts de ses nourrissons pour l'ordure et le barbottage. Aussi, lacomparaison est-elle bien trouvée pour désigner l'amertume que ressentune mère en voyant à ses enfants des idées opposées aux siennes. — Quand les mouches essaiment, faut une ruche. Il faut, presquetoujours, à un nouveau ménage, une nouvelle maison. Les mœurspatriarcales ne sont plus, hélas ! de notre temps. — Faut dénouer l'sac roux ! On n'marie pas ses éfants sans qu'il en coûte. — Fommes ben. Voilà une formule sentencieuse pouvant passer pour unmodèle de concision ; Faisons bien : agissons bien les uns envers lesautres. On pourrait ajouter : et laissons dire, ou advienne que pourra; mais à quoi bon, on se comprend à demi-mot, chez nous. — L'amitié ne remonte pas. Voilà, en quatre mots, toute la théorie dela course du flambeau. Non, l'amitié ne « remonte » pas ; jamais lesenfants ne rendront à leurs pères et mères l'affection qu'ils en ontreçue. La nature l'a voulu ainsi : « Les nœuds qui attachent lesparents aux enfants se brisent ; ceux qui attachent les enfants auxparents se dénouent », a dit un jour Gustave Droz, dans une penséesuperbe de vérité. — Les grands-parents gâtiau. Heureux, les petits enfants qui ont des grands-parents « gâtiau » à rendre heureux. — L'hiver, ia ben des nuits fragiles. Tout commentaire défloreraitcette locution dont le fond est si poétique et la forme si gracieuse. — Les vlà cor en train de gazouiller. Charmant euphémisme : le ménage est en train de s'en...gouler. — I’ sont boudoufiés. Ils boudent ils font du boudin — Une petite femme ben rigolote. Gaie et aimable. — Il est mal affublé. Il est d'une honnête famille et s'est marié à une rien qui vaille. — Ils en rabattront ! Consolation, espoir des jaloux, à la vue d'amis débutant avec bonheur, dans la vie, et devenus fiers. — C'est les dix degts de la main : n'ont que le oui et le non. C'est un ménage uni. — C'est un treulier. I va à la picourée. Ça disait Brantôme : «L'homme qui a une bonne femme et aimable ne va point au pourchas, commeles autres. Ou bien il a tort. » — Un bon bâilleux en fait bailler sept. Dans certaines réunions de famille, bâiller est la grande distraction. — Etre mal suité. Voilà une locution sentant bien sa plaine d'Alençon; elle s'emploie lorsqu'on a des enfants ne donnant pas satisfaction aupoint de vue de l'honneur et du travail (vient de jument suitée : avecson poulain). — L'oriller ramène tout. On dit aussi : « I n'est telles canailles que deux gens mariés : ça s'fâche et ça s'défâche. » — Elle a du chien, si é veut mordre. Elle a la force et la santé. Si avec ça elle a la volonté de bien faire ! — Elle a du vice. L'intelligence a pour adversaire, souvent heureux, la ruse, qui est l'intelligence des imbéciles. — Une toutelaide. Celle qui a le cœur loyal et les yeux francs n'est jamais laide. — A beau guetter qui toujous guette. Entre deux guets, il est fait bien des choses. — E ia l'corps fait. Aux coups dont la gratifie son époux. De mêmeque les ouvriers travaillant aux travaux les plus pénibles « s'y font». Ainsi, les heureux de la terre se consolent de toutes les misèreshumaines. — J'te vas amarrer les puces. J'te vas régaler les côtes. Douces promesses ! --- I veut tout faire de son esto (estoc). Sans prendre conseil de personne. — Petit, c’est petit soin ; grand, c’est grand soin. Les soucis queles enfants occasionnent à leurs parents grandissent avec l'âge (ici,les soucis, c'est le soin). — Leur procès est gagné. Lorsque deux époux se trouvent dos à dos en voiture. — Elle a deux pains d'amonition sus l'estomac. Celle-là a « de d'quoi » dans son corsage. — Elle est mauvaise comme chière de chien. Il n'y a pas d'armes contre cette bonne femme-là. Sauvez-vous. — Le méchant. C'est le plus jeune, le plus chétif de la maison. Méchant pris dans son ancienne acceptation : malchanceux. — Cousiner. Faire acte de parenté et de bonne amitié entre parents,même éloignés ; nia point d'cousins qui n'cousinent ; ni d' voisins quine voisinent. — V'là cor un échalier de passé. Encore un malheur, une difficulté de passés : la vie de famille est faite de ces « cahots ». — Son homme s'appellera Troussenâs. Sa future n'est pas une perle de propreté. — I n'ont point le même tempérament. C'est l'incompatibilité d'humeurbien établie : avec la même éducation, les mêmes idées, si les «tempéraments » sont opposés, c'est la « planche », l'éternelle plancheentre deux cœurs. — Elle est flonnée. Elle est fâchée, contrariée à en être malade, par entêtement. — Tordre la hart. Arriver à la fin du neuvième mois. — On ne trouve point souvent le bonnet de coton de monsieur, oubliédans le lit de madame. Mauvaise « place » pour une « bonne » sérieuse: la patronne n'est pas aimable. Retourne aux champs, ma fille. — Elle a une « fluxion... de poitrine ». Quand donc en aurai-je finiavec les locutions indiscrètes ? Celle-ci signale encore un corsagebien rempli. — Avec les femmes, faut toujours grousser. C'est-à-dire, crier misère ; cacher ses sous, sans quoi ! -- Faut coucher sept ans avec sa femme avant de là s'acconnaîte. Pourtant, il en est qui se font connaître en moins de temps ! — Si i mange son pain sec, c'est point faute d'avoir de la chière. Il a épousé une femme grande et forte. — Faire des chères. Dans la famille, entre gens qui s'aiment, on sefait des « chères », on s’en « rend », c'est-à-dire on se rend del'affection mutuellement. Tous ceux qui ont du « naturel » s'en «rendent et s'ente font des chères ». — I détire la meilleure piau de sa tannerie. En famille, on ne se gênepas ; on se « détire » et l'on baille, à volonté, cela fait passer letemps. — A la ronde ! Mon père en éra ! Dans un gai repasde famille, on passe le plat de main en main, sans souci de l'étiquette: et tout le monde est content. — I s’font des grands râbies. Ils affectent de grandes démonstrations d'amitié plus ou moins sincère. — C'est des gars du temps. On est fier d'avoir des grands-parentssolides et robustes ; des vieillards de la même époque, du temps où le« monde était bâti à chaux et à sable et point méfaisabts lé s'uns auxautres ». — J' sommes comme la famille à Riquiqui, moin.s qu'on s'voit, pus qu'on est amis. Drôle de famille. — I en, a pas un pour ramener l’aute. Triste ménage. -- Quand ien a un qui lire à la herse et l'autre au bâcu ! (Arrière dela herse). Quand le mari et la femme n'ont pas lesmêmes idées, ilscomposent « ménage de chien » : c'est l'enfer dans toute sa hideur. — Un r'doubieument d' gencives. Ou r'doubieument d'amitié. C'est lamode, dans certaines familles, de se brouiller, afin d'avoir le plaisirde se remettre mieux que jamais. — Chacun embrasse sa femme sa mode. Bien certainement, et mêmeparfois, pas du tout. C'e qui revient à dire qu'il ne faut pass'occuper des affaires des autres. — Un laisse-tout-faire. Chef de famille sans méchanceté, sans autorité ; souvent « pour avoir la paix ». — Faut charreyer dret avé li. Celui-là, c'est un matamore qui nepasse sur rien dans son ménage, ni à femme, ni à enfants. Pourlui-même, est quelquefois moins sévère. — I les fait marcher chaud pârs (chaud pas). Dans les familles lesplus simples, il se trouve des petits Napoléons autour desquels toutdoit plier. — J’voudrais l'vâs dans le fond du trou de Sainte-James ! Imprécationlancée par une mère contre un gars qui a mal tourné. Le trou deSainte-James, puits sinistre dont on n'a jamais pu trouver le fond(!) se trouve à quelques kilomètres d'Alençon, sur la route de Fresnay,et fait partie d'une ancienne ardoisière. — J’ sommes chez nous comme les fous de la Jâriâs. C’est-à-direune famille où l'on ne s'entend pas, où, tout le monde commande etparle à la fois. A la Jâriâs, il y avait des bonshommes qui allaients'asseoir au frais sur un banc. Ils parlaient beaucoup pour ne riendire et inventaient des prétextes de discussions enfantines. Un jour,ils entrecroisèrent leurs jambes, entre eux, et se disputèrent poursavoir auquel appartenait chaque jambe ! — Ça, c'est la mienne. — C'estpas vrai, c’est la mienne, etc., etc. La dispute aurait duré longtemps,à leur grand plaisir ; mais, un gamin, croyant bien faire et leurrendre service, passa derrière le banc, et enfonça à chacun desbonshommes, tour à tour la pointe d'une alène dans les mollets !Chacun, aussitôt, y retrouva « le sien ». Et le gamin y gagna une« [fl]aupée » dont, par la suite, il lui fut loisible de tirerune moralité... — Le coutiau de famille. C’est un coutiau existant de père en filsdans la famille : quand la lame est usée, on en fait remettre une ;quand le manche est usé, on en fait remettre un. On y tient en raisonde son ancienneté dans la famille. — V'là l'restant d’l'écu : cinquante-neuf sous et demi ! On est réunien famille, on s'amuse déjà un peu, et voilà qu'arrive le meilleur, leplus joyeux, le plus « biagueux » de la parenté. Aussi, l'accueil qu'ilreçoit est-il des plus flatteurs, si l'on veut bien y réfléchir. — Lequel qu'est le pus gourmand de celui qui souffle sur sa soupe oude celui qui se brûle ? Dans un repas, en famille, on ne se gêne pas :l'un se brûle en avalant trop vite, l'autre, le prudent, souffle, tell'hôte dont parle La Fontaine. Mais, lequel est le plus gourmand ?C'est bien simple : le plus gourmand est celui qui souffle sur sa soupe: il voudrait déjà l'avoir dans le ventre... Celui qui se brûle, aucontraire, voudrait qu'elle fût encore dans son écuelle ! — Un cousin remué de germain. Issu de germain. Dans les bonnesfamilles, on « cousine » quelquefois sans trop savoir d'où vient laparenté. Mais comme on dit : j’sommes toujours cousins du côté dunombril, tout l'monde en porte. Très juste, n'est-ce pas : la voilàtout entière, la grande parenté humaine. — Une menée d'maison. La menée, c'est l'ordonnance, la conduite de la maison. — Une pièce rapportée. Un parent par alliance. — J'n'irai pas fouler ses cendres. Mon gars est marié, mais qu'il setranquillise, je n'irai pas le gêner, « ni li, ni sa nâa ». — Besoin passe et besoin vient. Un gars est devenu bien fier avec ses« gens » : il gagne sa vie largement. Viennent des revers : ilredeviendra l'enfant souple et docile, pour la plus grande joie desparents : il est si doux de protéger ceux qu'on aime. — Quand on n'a pus ren à donner, on n’vaut pas les quat' fers d'unchien. Quelle amertume, dans cette constatation brutale del'ingratitude — Qui ne voit goutte, au cœur ne touche. Le bonheur est souvent dans l'ignorance des choses. — Faut pas se mettre aux pieds c'qu'on a aux mains. Vous qui allezdonner votre bien à vos enfants, méditez l'aventure angoissante du pèreFouan racontée par Zola. — Misère engendre triche. Dans les meilleures familles, la gêne est cause de divisions. — Vous devenez râle comme les biaux jours. Reproche amical à un parent dont les visites sont très espacées. — On ne fait pas de grous nœuds avec une petite corde. Quand on gagne peu, faire des économies est bien pénible. — Mettre d'un panier dans l'autre. Vivre péniblement, payant chaque jour la dépense de la veille. — Que demain ne vienne si i n'apporte. Devise de l'homme insouciant. — Faire pus qu'puissance. L'enfant, le vieillard, l'homme chétif :tous ceux qui volontairement s'en vont dans la vie en soulevant desfardeaux au-dessus de leurs forces, font plus que puissance : seulsceux-là sont des hommes. — Chez nous on se r’pose le faix sus l’dos. Presque autant dire : on se reposera quand on sera mort. — Ben heureux quand on met bout à bout. C'est quelque chose encore que de ne pas s'endetter. — Ben gagner, ben dépenser : n'ia point besoin d'bourse pourramasser. Les plus économes ne sont pas toujours ceux qui gagnent leplus. — Attacher sa culotte avec des épingles. C'est porter encore la culotte... mais si peu. — Etre déculotté. Avoir passé ses « droits » à sa femme. « Ah IMonsieur, disait un jour un brave homme, quand on se déculotte, cen'est pas pour faire des propretés. » — Porter la culotte. Il arrive qu'un mari sans énergie possède unefemme d'action : celle-là, c'est une gaillarde, et il est heureux pourson homme qu'elle porte la culotte. — Coucher à l'hôtel du Tournebride. Des nuages, quelquefois, voilent les plus belles lunes... de miel. — Sa femme va être fermière ad soir. Son mari est rentré un peu... va de ci va dedans : il a pris trop d'apéritifs, ce n'est plus unhomme, c'est une bête avec laquelle il va falloir coucher : telle unefermière avec son... gorin ! — C'est le père qu'est le mâle. Et c'est à lui de commander. Mais, toujours commander est si fatigant... — C'est celui qui paie les impôts qu'est le maître. Quel honneurpensez donc, c'est à Lui que M. le percepteur adresse sesavertissements. — Je m'appelle Picard : j'ai la clef en poche. Oui, gros malin, et tuclignes de l'œil d'un air important. Mais quand le Picard a la clef enpoche, il oublie une chose : c'est que la porte est ouverte... — Tu t'appelleras Marion Garde-maison. Tu ne vois pas la belle heured'être mariée petite Marie-Louise : tu seras négociante ! mais le filqui retiendra ta jolie patte, petite, y penses-tu ? — N’aime point sa bête qui n'l’étrille ! Puissiez-vous, mignonne,avoir un mari qui vous aime sans vous étriller. Et merci de m'avoirdonné cette locution si spirituelle et dont l'énoncé faisait briller degaieté malicieuse vos yeux : ces étoiles ! — Quand on est rentré chez sé, l' pus chaud, c'est la dalle.C'est-à-dire, l'évier, composé généralement d'une dalle de granit.C'est l'endroit le plus froid de la maison. Quand le mari et la femmevont travailler chacun de son côté, le soir, en rentrant, ils netrouvent rien de chaud à manger : le plus chaud, c'est la dalle ! Lamaison est bien triste quand il n'y a personne pour en « tenir la porteouverte ». Et il faut un peu de courage pour se mettre à faire latambouille en rentrant, et ne pas aller chez le bistro du coin seréchauffer la « dalle ». — E tient la maison ouverte. L'aïeule est bien vieille, bien usée,mais tant qu'elle est là, la famille est représentée : elle tient lamaison ouverte ; l'expression est belle et d'un sentiment élevé. — Un vieux pot cassé va plus longtemps qu'un neuf. Pauvres enfants,qui voudriez déjà être en possession de l'héritage paternel, n'oubliezpas que : mort désirée... vie prolongée. — Tu n'm'as toujous cor jamais r'lévé mon bâton ! Tant qu'on estcélibataire, on est le « gars un tel ». Dès qu'on est marié et à latête d'un éfant d'six jours, on est le père un tel. Quelquefois, untrop jeune « père un tel » se trouve blessé par l'appellation et répondpar la phrase ci-dessus. — I n'laisse ren au dépourvu. Raison cruelle, à l'annonce de la mort d'un parent ne laissant pas d'enfants en bas âge. — Chuiyez ! chuiyez, pour les autres. Plaisanterie amusante dont lesel repose sur une virgule. Lorsque la maîtresse de la maison sert lasoupe, on la remercie en la priant de chuiyer (épargner) afin d'enlaisser aux autres. Si la virgule est supprimée après le deuxièmechuiyez, la pensée devient celle-ci : Epargnez pour les autres (et nonpour moi). — Ah ! Sacrement d'mariage ! Sacrement d'misère Le père bat la mère,la mère bat l's'éfants, et les quéniots crient... Ah ! monsieur l'curé,queue misère ! Est-ce donc là le Paradis à la porte d'or, devantlaquelle nous avons tous rêvé ? — Tu mangeras du gratin ! On aborde un enfant sur le point d'avoir unpetit frère ou une petite sœur, puis, comme une chose agréable, on luiannonce qu'il fera de la bouillie et qu'il mangera le gratin... Pauvrepetit gars, tu ne connais pas encore la doucereuse ironie : l'aloèsenrobé dans du miel. La blanche bouillie, savoureuse et sucrée, seramaintenant pour le nouveau venu. Pour lui aussi, la bonne tendresse,les caresses, les chauds baisers. Pour toi, le gratin. Comprends-tu ?Surtout, veille à ce que petit frère ne pleure pas trop, car tesépaules, elles aussi, pourraient faire connaissance avec le gratin. Tumangeras du gratin Quel abominable discours en quatre mots ! — Quand tout tire, ren n'ahane. C'est sur cette locution superbe queje veux finir cette série : c'était la devise de mon père, cemutualiste de la première heure. Ah ! si dans la famille, dans lasociété, dans la patrie, on suivait tous les enseignements qu'ellecontient ! La question sociale serait bientôt résolue : quand chacuns'entr'aide, quand chacun s'entre-soulage, rien ne souffre, rien nefatigue. UN PEU DE MÉDECINE Sur la médecine, la maladie, les remèdes, beaucoup de locutions onttrouvé leur place dans les précédents chapitres. II y aurait toute uneétude à faire sur les croyances, les légendes, les médicaments, de lamédecine populaire. Je me contenterai de quelques citations, pour nepas trop m'éloigner de mon sujet. — Ainsi, en voici un qui vous dit : — J’ crès ben que j'vas faire quervaison. Pourtant, il a pris des pilures, mais sans résultat : il a toujours des glaives (glaires)dans l'estomal et dans la goule. Le médecin l'a mis à la guette (diète) et à l'iau. Des voisins lui ont affirmé qu'une bonne goutteet du bon vin lui réussiraient mieux. Il suit leurs conseils. — Celui-là n'est plus, comme il le dit, qu'une coupiée d'ous (coupléed'os). Il a le mal de cô (la dyssenterie). Sa femme, la Constance,est venue, de Rouessé - Fontaine, consulter à Alençon. Le médecin lui aconseillé de faire boire un litre d'eau de riz à son mari. « De l'iaud'riz s'est écrié le bonhomme, je sais ben en peine quelle vertu que çaiérait. C'est un litre d'iau-de-vie, qui t'a dit, imbicile! » Et ils'administra le traitement. — Cet autre nous dit être dans un mauvais charroi. Il est sec commeune hâtelle. Pourtant, son père est mort à quatre-vingt-huit ans ;mais il assure qu'à cet âge-là Il y aura longtemps que les ous ne lui feront pus de mal. Ce qui est un singulier raisonnement. Il a des retreintures(épreintes). Il a tout fait, ren n'y fait ren. Il a vu tous lesmédecins, même le célèbre de passage ; i ne vaut pas mieux que lesautres : — C’est cor un médecin, d'iau, douce, qui guérit les chats de la gourme. — Un autre lui a dit que c'étaient des fausses digections ; il lui afait prendre de la belle l’a donnée, avec de l’iau d'anome ; il luia fait mettre un cataplame sus la berdouille (le ventre). Rien n'yfait. — Le gars Alcide prétend que son mal lui vient de la bile qui secombat avec les nerfs, situation qui engendre de nombreuses maladies :ça peut donner des étourdissions, de la conjection célébrale, etmême un aboli au cœur. On lui a fait prendre de l'antique piryne :on lui a mis de l’iau sénative sur la tête. Quand les nerfs sont plusforts que la bile, on lui donne du gros mur de potassium. Tout ça, çaenlève ben la force, mais ça n'en redonne point. -- Quand ça jonfle et que ça grolle, dans la poitrine, on se metune empiâtre ou un vissicatouêre et on boit du sirop de gomme à labique. Même traitement pour le chaud et fred. Mais, pour combattrele mal, rien ne vaut un bon café aux tras couleurs ! — Les crachements de sang s'arrêtent en faisant boire de I'iaud'échelle, soigneusement recueillie sur le haut, en forme de cuvette,d'une échelle de peintre. — Les verrures (verrues) se guérissent en y appliquant une compresse de braue de russiau (écume produite par l'eau d'orage). — Les eaux de Guéramé sont employées depuis longtemps, extérieurement,contre les maux d'yeux. On vient en recueillir, dans des petitesbouteilles, de très loin. Elles doivent leurs propriétés, paraît-il, àce fait qu'elles recueillent les infiltrations qui passent sur lescorps de nos pauvres morts. Elles reçoivent, en effet, les eaux d'ungrand cimetière sous lequel s'alimentent leurs ramifications. Dans le peuple, on a souvent de ces idées macabres : j'ai connu, ainsique tous ceux de mon âge, un vieux et brave rentier, retiré dans laBarre, après avoir exercé la profession de bourreau toute sa vie. Ilavait la réputation de guérir tous les maux avec de la graisse deguillotiné. C'était l'homme le plus populaire d'Alençon. Pour guérir les maux de gorge, on se sert, en guise de foulard, d'une chausse (bas de lame) de bonne femme ; mais pour que le remède soitefficace, il faut que la chausse soit raide de crasse et de sueur. — A propos de la transpiration des pieds, il existe un remède radical,commode et pas cher : il consiste à avaler un noyau de guigne qui adéjà été avalé (on le lave, bien entendu). J'ai connu une fille dont lamère disait d'elle : « La Aurélie, o n'sue point des pieds, elle enpisse. » Elle lui fit avaler le noyau, et depuis, comme elle dit donc,vous pourriez lui mettre les pieds dans votre assiette, i sont aussisains qu'un camembert. — C'est comme le mal de l'an (ou de lent, ou de lambin) si commun àAlençon et qui prend sur les tout petits ; il se guérit avec une ammelette aux herbes, dans laquelle entre de l'anjoubarde, de la giroufle, de la bourroche et d'autres plantes que je ne peux pasnommer parce que c'est un remède segret. — Mon ami, le père Mailloche, cerne les brûlures et guérit le feusauvaige, une affaire gênante, qui fait qu'on se dévore la piau, àforce de gratter. Il y a douze sortes de feux : le feu de saintAntoine, le feu de saint Julien, le feu de saint Martin, etc. Le pèreMailloche n'en sait guérir que onze ; aucun guérisseur n'a le pouvoird'en guérir douze ; faut souvent aller loin pour en trouver un quitombe sur votre feu. — Les vers sont cause de nombreuses maladies, auxquelles les médecinsne connaissent rien : les fièvres multueuses, le groupe, le défautde cœur, etc. Même qu'une femme alla à une consulte, où le médecin luidéclara qu'elle avait un polyte dans le ventre. Elle n'avait que desvers Des médecins comme ça, ça serait bon pour soigner des chevaux debois. Pour tout ça, n'ia qu'un remède, et bien simple un sac remplid'ail pilé, sur la poitrine ou le ventre. — Les maux de dents sont étrivants. Ça ne fait point mouri, mais çafait ben souffri. On vous donne de la creusote, ça n'a pas le senscommun, puisque les dents malades se creusent toutes seules ! [A SUIVRE] |