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LesCafés de Lisieux (1834). Saisie du texte : O. Bogros pour la collection électroniquede la Médiathèque André Malraux de Lisieux (6.IX.2016) [Ce texte n'ayant pas fait l'objet d'uneseconde lecture contient immanquablement des fautes non corrigées]. Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@lintercom.fr, [Olivier Bogros]obogros@lintercom.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusionlibre et gratuite (freeware) Orthographe etgraphie modernisées. Texte établi sur l'exemplaire de la médiathèque dun°46 du journal Le Normand du14 novembre 1834 LES CAFÉS DE LISIEUX. Le Normand, N°46 – 14novembre 1834 _____ C'est un mot prodigieusement répandu que ce mot café ; aucun nom denotre vocabulaire, ne vient plus souvent que celui-ci, se glisser dansnos conversations ; en effet, deux individus se sont à peine abordés,qu'une de ces phrases se mêle à leur entretien : c'était hier au café ;je vous parie le café ; je vous verrai ce soir au café ; le café de untel était délicieux ; avez-vous pris du café ? — N'est-ce pas là ce quevous entendez voler par les rues et les salons ? — Du reste, il fautassez en conclure, que dans notre siècle, la vie se dépense en grandepartie au café, ainsi que les romains dépensaient la leur sous lesportiques. Ce peuple ne parlait d'affaires qu'à l'ombre des frises etdes chapiteaux. Aussi, toutes ses places publiques ne manquaient pasd'être entourées de belles galeries à colonnes, où la foule despromeneurs, agitait matin et soir les intérêts de la nation quigouvernait le monde. Chaque pays a ses lieux de rendez-vous adoptésavec plus ou moins de prédilection pour y alimenter les relationscommunes de l'existence sociale. En Italie, tout se projette, sediscute et s'arrête dans les loges (glipalchi) du théâtre ; en Espagne, c'est à l'église ; enAngleterre, à la taverne ou dans les clubs ; en Allemagne, àl'estaminet on chez le restaurateur ; en France, c'est au café quechacun accourt s'occuper de politique, de commerce, ou simplement sedélasser des travaux du jour dans des causeries familières, et endégustant cette liqueur voltairienne, dont un poète a dit que danschaque goutte il croyait boire un rayon de soleil. Les cafés sont venus de la capitale en province. Nos auteurs du sièclede Louis XV allaient faire cercle au café Procope. Lesage qui venait demettre au jour son Turcaret, tenait le dé lorsqu'il s'agissaitd'anecdotes piquantes et comiques. Lesage montait sur un tabouret pourêtre mieux entendu des groupes, et pour jouir plus à son aise desbattements de mains, qui toujours couronnaient la fin de son discours,aussi gai, aussi facile et aussi spirituel que le style de son GilBlas. Comme notre conteur était sensible à la louange, au-delà de toutce qu'on peut s'imaginer, et qu'en même temps il avait l'ouïe fortdure, jamais il n'oubliait de se munir d'un cornet-acoustique qu'il seplaçait dans le pavillon de l'oreille, aussitôt que ses yeux devinaientsur les physionomies que les bravos allaient éclater. DepuisMartainville, qui, avant de rédiger le drapeau blanc, racontait dansles cafés des historiettes divertissantes, que les auditeurs luipayaient un verre d'anisette ou de kirsch, les gens d’esprit nesont guère communicatifs, ni parleurs dans les cafés. Cesétablissements sont aujourd'hui des maisons publiques où la compagnien'est plus assez bien choisie, pour que l'homme du bon ton y soitliant, au point d'établir des rapports de sociabilité avec la premièrepersonne qui s'y rencontre. A Paris même où les convenances font la loipartout, le café de Foi, celui de la Régence, la Rotonde, Tortoni, lecafé de la Bourse, tous ces asiles ne sont plus exclusivement lerendez-vous d'un monde dont les mœurs et les coutumes ne sont quepolies et distinguées. Mais c'est principalement loin de la capitale,et surtout dans les petites localités, qu'il y a absence de cetteurbanité ou de cette décence, sans laquelle les gens bien élevés ne seplaisent nulle part. Il est vrai que les cafés des petites villes, ne sont établis que pourles buveurs et les habitants des campagnes, qui viennent au café, semettre d'accord sur la vente d'un mouton ou d'un bœuf ; ce qu'ils nefont jamais sans disputer à tue-tête sur le prix, pendant qu'ilsboivent un petit pot d'eau-de-vie, et se frappent au moins pendant une heure, force claquesdans les mains ; tout cela en vantant la franchise et la probitéd’assertions, auxquelles aucun de ceux même qui les donnent, n'ajoutela moindre confiance. Cette affluence de marchands de toute espèce dans les cafés, prouveassez ce que nous avons dit d'abord ; savoir, que la plupart desaffaires se discutent et s'arrangent dans ces établissements. Autrefoisfort rares dans notre ville, ils y sont présentement multipliés hors detoute proportion avec la population. Si l’on en croit diverses témoignages, il y a environ soixante-dix àdouze ans, qu'un café s'ouvrit pour la première fois à Lisieux, dansune maison de la Grand'rue, occupée aujourd'hui par un faïencier, etportant le n° 109. Cet établissement eut pour fondateur un nommé César Jardin, qui futloin d'y faire fortune. Le second café apparut dans notre ville, place Matignon, là où est lerestaurateur Belcourt. Les officiers du régiment de la Couronne, le mirent en prospéritépendant l'année 78, époque à laquelle ce régiment vint en garnison dansnotre ville. Bientôt la révolution fit que ces maisons publiquess'accrurent autant que l'exigea le changement subit que cette èrenouvelle apporta dans nos mœurs. Le peuple se mit à passer son tempsdans les rues ; il lui fallut des asiles pour que quelquefois sesassemblés fussent à couvert des intempéries, et y faire en même tempsdes libations à la fraternité. Mais si en 90, il existait dans notrecité, plus de vingt cafés, on peut y en compter plus du double en 1834.C'est aux environs de nos marchés, qu'ils se rencontrent en plus grandequantité. Huit se partagent les alentours de la place où se vendent nosbœufs ; c'est là que les jours de marché s'assemblent tous nosherbagers, qui prennent des demi – tasses, comme on prend de la bièreà Paris, pendant les journées les plus chaudes de l'Eté. C'est le caféConard, fort agréablement restauré, qu’ils fréquentent ordinairement.Le café Latour est réputé dans ce quartier pour l'excellent café qu'ony sert. Le café Corbière, situé à la porte d’Alençon, est un lieu deréunion qu'adopte une certaine classe de marchands. L'autre point, oùdans notre ville se remarquent beaucoup-de cafés, est cette partie dela Grand'rue, qui fait face à la place Royale. Trois de cesétablissements embellissent extraordinairement ce centre de Lisieux. Cesont le café Lacroix Morin, le café Gourdault et le grand café dela Place, qui tous trois se suivent sans interruption. Quand vient lesoir, les lumières qui rendent leur intérieur si brillant, répandent audehors un éclat par lequel les promeneurs sont attirés devant leurfaçade. Le café Gourdault, nouvellement créé et le café de laPlace, le plus ancien des trois, se disputent la foule. C'est dans cesdeux cafés, que se réunissent de préférence ces flâneurs qui dépensentleurs soirées à jouer au piquet ou à l'impériale. Cependant bon nombred'habitués restent fidèles au café Lacroix Morin. Il y a toujoursnombreuse société au café Gourdault et à celui de la Place. Lesamateurs de poule, sont enchantés de leurs billards, qui ne le cèdenten rien aux meilleurs et aux plus beaux de la capitale. La fraîcheur etle goût qui règnent dans les décors du café Gourdault, attirentbeaucoup de curieux. Le café de la Place, n'a pas voulu rester enarrière de son nouveau voisin ; c'est par le luxe et la richesse qu'ila prétendu séduire les regards. Il y a réussi, depuis peu, tout est ordans ce somptueux établissement. La salle vaste et noble dans sadistribution offre un coup d'œil magnifique ; c'est une galerietapissée de glaces, de colonnes, d’arabesques et de peintures d'uneffet charmant. Le comptoir meublé de beaux vases d'argent, ressembleassez à un autel orné de tout ce qui peut plaire, et où nos élégants deParis ne dédaigneraient pas de brûler un peu d'encens. On est servi aucafé Gourdault et au café de la Place, avec cette célérité et cetteélégance qui frisent celles qui distinguent les cafés des grandesvilles. Les amateurs d'une nouveauté quelle qu'elle soit, serassemblent chaque soir devant les stores qui descendent sur lesvitrages de ces cafés, et là se demandent lequel des deux templesl'emporte sur l'autre. La fioriture, la gentillesse, les agréments decaprice, reviennent de droit au café Gourdault ; la magnificence, leluxe et la richesse appartiennent au café de la Place. Telle est ladécision unanimement prononcée. Ce qu'on s'accorde à dire encore, c'estque la vogue assure du succès à tous les deux. Je vais vous définir lavogue d'après un homme d'esprit, et vous verrez que peu de chose suffitpour appeler la fortune à soi. Il n'est pas de lecteur qui puisse meblâmer de terminer cet article par une anecdote dans laquelle bien desgens peuvent puiser l'espérance d'un avenir plus heureux que le présentdont ils jouissent. « La vogue est un être bizarre qui n'a ni père ni mère ; elle naîtd'elle-même, comme le champignon, sans semence et sans culture : témointous les miracles qu’elle a opérés à Paris depuis quarante ans. C'esttoujours de l'obscurité que je l'ai vue sortir. Presque toutes lesfortunes dont la vogue a été la source n'ont pas, eu d'origine plusbrillante que celle du parfumeur Dulac, que les chansons de Collé ontrendu si célèbre. Une très jolie femme et d'excellents parfumsn'avaient pu achalander sa boutique. Il imagina de creuser de grosnavets, et d'y faire germer des oignons de jacinthe et de tubéreuse.Une femme de la cour en orna son salon. Cette niaiserie accueillied'abord par le caprice, soutenue par la mode, devint bientôt unevéritable fureur. Freneuse ne suffit plus à la consommation des navets,que Dulac transforma en pots de fleurs ; et l'auteur de cette admirabledécouverte, en profita fort habilement pour assurer à sa femme, à saboutique et à ses parfums une vogue qui l'enrichit en peu d'années. » |