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[CHARTON,Édouard (1807-1890)] : LeFusil à vent de MarinBourgeois, et l'aérotone de Ctésibius, (1848) 
Numérisation et relecture : O. Bogros pour lacollectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (05.III.2008)
Relecture : R. Raveaux (12.VIII.2008)
Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
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Diffusionlibre et gratuite (freeware)
Orthographe etgraphieconservées.
Texteétabli sur un exemplaire  (BmLx : 40.014)  du Magasinpittoresque de septembre 1848 (pp. 294-296).
 

Le Fusil à vent de Marin Bourgeois, et l'aérotone de Ctésibius

~ * ~

On trouve dansles Élémentsde l'artillerie de Flurance Rivault, deuxième édition,publiée en 1608, un passage fort curieux sur l'invention du fusil àvent représenté dans notre figure l, et sur l'inventeur lui-même,Rivault raconte que dès 1602 il avait entendu parler « d'une arquebuse denouvelle fabrique se chargeant simplement d'air, et faisant néanmoinsun notable effort. — Le bruit qui en était lors parmi quelquespersonnages de qualité, qui en avaient vu faire présent au roi, enétait venu jusques à moi, mais si sourdement, que je ne sus alors ni lafigure de la pièce, ni le nom de l'auteur ; et m'en étant allé, surcette première nouvelle, hors de ce royaume, apprendre par expériencequelles étaient les armes de Hongrie, je n'avais eu moyen de m'informerparticulièrement de cette invention. Mais retourné de là, et lesouvenir d'en avoir ouï parler m'ayant rendu curieux d'en prendrelangue, je découvris qu'elle venait du sieur Marin Bourgeois, demeurantà Lisieux en Normandie, homme du plus rare jugement en toutes sortesd'inventions, de la plus artificieuse imagination et de la plus subtilemain à manier un outil de quelque art que ce soit, qui se trouveaujourd'hui en Europe ; et quant et (outre) le bel esprit qu'il a,suivi de tel bonheur en ses desseins, qu'il n'a jamais essayé artificequelconque lequel il jugeât possible, que du premier coup il n'y aitdivinement bien rencontré. Et, ce qui est de merveilleux en sonindustrie, sans avoir appui d'aucun maître, il est excellent peintre,rare statuaire, musicien et astronome, manie plus délicatement le feret le cuivre qu'artisan qui se sache. Le roi a de sa main une tabled'acier poli où Sa Majesté est représentée au naturel sans gravure,moulure ni peinture, seulement par le feu, que ce subtil ingénieur y adonné par endroits plus ou moins, selon que la figure y a désiré duclair, du brun ou de l'obscur. Il en a un globe dans lequel sontrapportés le mouvement du soleil, de la lune et des étoiles fixes àmêmes pas, mesures et périodes qu'ils se voient aller au ciel. Il en aplusieurs autres belles pièces. Il s'est inventé à lui-même une musiquepar laquelle il met en tablature à lui seul connue tous airs etchansons, et les joue après sur la viole, accordant avec ceux quisonnent les autres parties, sans qu'ils sachent rien de son artifice,ni lui qu'il entende aucune note de leur science. Je n'achèveraisjamais de particulariser tout ce qu'a merveilleusement achevé ce braveouvrier, ni moins ce qu'il oserait entreprendre et saurait bienparfaire. Entre autres raretés donc qui sont parties de lui, est cettearquebuse comme j'appris de lui-même l'an passé, que j'eus l'honneur dele connaître et visiter chez lui, étant allé à Lisieux...

Cette volonté d'apprendre qui nous possède tous, et qui m'a toujoursrendu honnêtement effronté à m'enquérir, me fit presser ledit sieurBourgeois de me dire quelle était cette machine, quelle étaitl'invention d'icelle et les causes de sa force. Mais il me paya lorsd'une défense que le roi lui avait (disait-il) faite de la communiquer.Depuis je l'ai entretenu par lettres, et encore vu à Paris oùdernièrement il se rendit si favorable à ma louable curiosité qu'il medonna le modèle de son arquebuse et le portrait tel qu'il est icireprésenté.

Il joignit à cette figure que son arquebuse se chargeait d'air avec uneforte seringue ; que tant plus l'air s'y compressait, il avait plus deviolence et se convertissait en vent fort impétueux ; qu'il l'avaitpremièrement observé des soufflets qui rendaient l'air d'autant plusfort que plus ils étaient pressés ; que le principal artifice de cebâton à air était à retenir l'air compressé dans le canon de cuivreavec de puissantes soupapes, jusqu'à ce qu'ayant débandé il ait sortieet ait force d'envoyer loin la flèche ou le garot (comme il l'appelle)dont le canon de fer se charge ; que celle flèche ou garot devait êtreaccommodée de papier au bout qui reçoit le vent, afin de le mieuxprendre ; qu'il en avait vu plusieurs qui avaient été portés à plus de400 pas loin ; qu'il avait chargé quelquefois à balles de plomb quis'étaient toutes aplaties ; que le roi et M. de Beaulieu, rusésecrétaire d'Etat, en avaient vu plusieurs épreuves ; que l'oeil nepouvait être si subtil qu'il aperçût la flèche au sortir du canon ; queplusieurs expériences d'instruments à air et de spiritalles l'avaientconduit à celle invention… »

Expliquons maintenant en détail la figure 1, qui est une reproductionexacte de celle que donnent les Élémentsde l'artillerie.

Fig. 1 : Fusil à vent imaginé par Marin Bourgeois, artiste français, à la fin du seizième siècle.
Fig. 1: Fusil à vent imaginé par Marin Bourgeois, artiste français, à la findu seizième siècle.

AB est un canon de cuivre de 0m,30 à 0m,35 de longueur, et de 0m,10 dediamètre, dans lequel l'air est chassé avec force par une pompefoulante (une seringue) que l'on adapte en N, où il y a d'ailleurs unesoupape.

BС est un autre canon de cuivre plus petit que l'on joint au premier.

CD est encore un autre canon en fer de beaucoup moindre calibre, decelui d'un fusil ordinaire, et d'un mètre de longueur. Il s'emboîtedans le second, et se met et remet aisément après que la flèche a étéintroduite par le par le bout C, la pointe marquée 4 tournée versl'extrémité D.

E est une espèce de robinet percé d'un trou qui, lorsqu'il est tournédans l'axe du canon BC, donne passage à l'air renfermé dans AB ; alorsla flèche placée en С est chassée à l'extérieur. Mais si le trou esttourné de l'autre côté, l'air ne trouve aucune issue.

Or, pour qu'il en soit ainsi, il suffit que l'arc IL soit bandé aumoyen de la corde EL enroulée sur la roue E ; et cette roue elle-mêmeest retenue dans sa position par le ressort F, qui s'applique sur unarrêt adapté a la roue.

Quand on veut tirer, on pèse sur le ressort F jusqu'à ce que la petitedent dont il est muni lâche l'arrêt de la roue E. Alors celle-citourne, et l'air comprimé, trouvant une issue, chasse le projectile lelong du canon CD. La flèche M a trois parties : le corps marqué 3 estun bois cylindrique du calibre du canon CD ; le numéro 2 indique unpapier ou cornet qui reçoit le vent ; la troisième partie 4 est unepointe de fer ou d'acier. « Ce n'est pas, ajoute notre auteur, qu'on nepuisse charger à balle de plomb. Il  s'en est tiré qui, de laviolence de cette machine, se sont aplaties contre des pierres. »

Nous avons dû citer tout au long le passage où Flurance Rivault,dépositaire des idées de Marin Bourgeois, met en relief les raresfacultés de cet artiste extraordinaire et si peu connu. On aurait tortde croire néanmoins que le fusil à vent soit une invention moderne. Lepassage suivant, qui offre une traduction de la description donnée par Philon de Byzance de l’aérotonede Ctésibius, permettra d'en juger. (Veter. mathemat. opéra,p. 77.)

« Cet instrument, dit Philon, a été imaginé par Ctésibius, et il estdisposé d'une manière très-ingénieuse et très-naturelle. Ctésibiusavait compris, d'après les principes de la pneumatique que nousexposerons plus tard, que l'air est doué d'une force merveilleuse demobilité et d'élasticité, qu'on peut le condenser dans un vasesuffisamment résistant, et qu'il est alors susceptible de se raréfierpromptement en revenant à son volume primitif ; Ctésibius, qui était unhabile mécanicien, pensa avec raison que ce mouvement pouvait prêteraux catapultes une très-grande force et un choc très-rapide. Dans cebut, il prépara des vases de forme semblable à celle des boîtes desmédecins, qui n'ont pas d'opercule: il les fit en airain étiré afinqu'ils eussent plus de force et de solidité. L'intérieur de ces vasesétait tourné, leur extérieur dressé à la règle. On y introduisait unpiston qui pouvait s'y mouvoir en frottant contre la surfaceintérieure, de telle sorte qu'aucune liqueur ne pût filtrer au travers,quelle que fût la force du choc. On ne doit ni s'étonner, ni douterqu'on puisse obtenir ce résultat ; car, dans le tube à main que l'onappelle hydraule,le soufflet qui transmet l'air au fourneau est d'airain et travaille dela même manière que les vases dont nous venons de parler. Ctésibiusnous démontrait alors de quelle force et de quelle rapidité demouvement l'air était doué. Un couvercle étant soudé sur l'ouverture deces vases, il poussait le piston à grands coups de marteau avec uncoin. Le piston cédait un peu jusqu'au moment où l'air renfermé àl'intérieur était assez comprimé pour que les plus grands coups nepussent faire avancer le coin davantage. Lorsqu'on venait à chasser lecoin, le piston sautait en dehors du vase avec une grande force. Etsouvent il arrivait qu'on voyait jaillir du feu provenant de larapidité du choc de l'air contre le vase… »

Sans aller plus loin , et sans suivre Philon dans le détail qu'il donnede l'appareil modifié de manière à lancer des pierres à une très-grandedistance, on ne peut se refuser à reconnaître dans le passage précédentl'idée première du fusil à vent. L'apparition du feu, lors del'explosion, est un phénomène caractéristique, qui prouve bien quel'expérience a été réellement faite par Ctésibius, 1700 ans avant MarinBourgeois. Mais combien l'appareil du Français n'est-il pas supérieur,par le mécanisme, à celui que décrit Phylon de Byzance !

Le passage de l'auteur grec est précieux, du reste, à beaucoupd'égards. On y voit clairement indiqué l'usage d'un piston et d'un corps depompe métallique, comme machine soufflante ; puis l'art d'aléser uncylindre métallique : toutes inventions auxquelles on attribue une datebeaucoup plus moderne, et qu'il faut reporter à 2000 ans en arrière.

Après avoir fait ainsi la part de l'antiquité et de la renaissance, ilnous reste à parler de l'état actuel de la question.

Les figures 2 et3, que nous empruntons, ainsi que la description suivante, au Dictionnaire des arts etmanufactures de M. Laboulaye, montrent la forme que l’ondonne aux fusils à vent conservés dans les cabinets de physique. Lacrosse R est un réservoir en cuivre muni d’une soupape s s’ouvrant dudehors en dedans. On dévisse cette crosse et on y comprime de l’airsous une pression de huit à dix atmosphères, à l’aide d’une petitepompe foulante F. On remet alors la crosse en place et on charge laballe B dans le canon cdu fusil. Ensuite, on fait partir comme à l’ordinaire le chien P, etcelui-ci fait basculer le levier b,dont l’extrémité inférieure pousse la tige e et ouvre lasoupape s; l’air sort avec violence, chasse la balle, et la soupape se referme àl’instant. On peut tirer de suite d’autant plus de coups que leréservoir est plus grand ; mais l’intensité de chaque coup va endiminuant rapidement. Telle est la cause pour laquelle le fusil à ventn’a jamais été employé jusqu’à présent comme arme de guerre

Fig. 2 : Coupe longitudinale d'un fusil à vent prêt à tirer.
Fig. 2: Coupe longitudinale d'un fusil à vent prêt à tirer.

Fig. 3 : Coupe longitudinale du réservoir et de la pompe foulante destinée à charger le fusil.
Fig. 3: Coupe longitudinale du réservoir et de la pompe foulante destinée àcharger le fusil.

Mais il y a déjà dix-huit ans qu’un mécanicien aussi modestequ’ingénieux, l’inventeur de la célèbre perrotine, a tiréde l'idée première de Ctésibius et de Marin Bourgeois un appareil d'unehaute perfection, qu'il nous a été donné de voir fonctionner, et dontles effets seraient terribles ; car au lieu d'agir d'une manièreintermittente comme toutes les autres armes, le fusil à vent de M.Perrot, à l'instar du fusil à vapeur perfectionné par Perkins, «projette à volonté, dit M. Arago, un flux de balles tellement serré,tellement continu, qu'après peu de minutes d'expérience, le large mursur lequel un homme tirait en donnant une légère oscillation régulièreau canon, n'offrait pas un décimètre carré de surface qui n'eût étéfrappé… Manoeuvrée par deux hommes seulement, l'arme nouvelle serait enmesure de mettre un régiment en coupe réglée.»

La France ne cherche pas la guerre ; mais il est certain que si elleétait obligée de la faire, plusieurs perfectionnements de détailintroduits dans toutes les parties de l'art militaire, et dont elleseule possède le secret, lui permettraient de la faire avec un avantagemarqué, même à inégalité de force numérique. L'arme de jet si terribledont nous venons de parler n'est pas le moindre de cesperfectionnements.