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COLET, Louise (1810-1876) : Diane, fragmentd'un roman inédit (ca 1850). Saisie du texte : S. Pestel pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndré Malraux de Lisieux (15.III.2006) Texte relu par : A. Guézou Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros]obogros@ville-lisieux.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusion libre et gratuite (freeware) Orthographe et graphie conservées. Texte établi sur l'exemplairede la Médiathèque (Bm Lx : 3026) de L'Élites, livre desSalons publié à Paris par Mme VeuveLouis Janet sous la direction du Bibliophile Jacob (Paul Lacroix). Diane Fragment d'un romaninédit par Louise Colet ~*~Elle dit au cocher de la conduire au cimetière duPère-Lachaise. La voiture roula rapidement ;l’air, le mouvement, la pensée toujoursprésente de Frédéric chassaient touteimpression funèbre de l’esprit de Diane. Elleallait prier sur la tombe de sa grand-mère, mais son amantserait près d’elle ; ce coeur quil’adorait serait là vivant près de cetautre coeur glacé qui l’avaitaimée. Malgré le souvenir tendrequ’elle gardait à son aïeule,malgré l’image si récente de sonagonie, la mort en cet instant, par un miracle de l’amour,était vaincue par la vie ; la douleur et le deuil, par laradieuse ivresse du bonheur pressenti. Que de trésors deconsolations la Providence a mis dans les coeursépris ! Lorsque Diane arriva au cimetière, la neige avaitcessé de tomber ; sa couche épaisse, durcie etbrillantée par un froid vif, couvrait la terred’un linceul uniforme. Ce vaste enclos semé desépultures était désert ; lesmonuments funéraires, couverts d’un blanc manteaude frimas, ressemblaient à des spectres qui àcette heure matinale, s’étaient levésde leurs tombeaux et erraient dans la froide enceinte sans craindre larencontre des vivants. Diane, accompagnée par un gardien, fut longtemps avant depouvoir reconnaître le lieu réservéoù avait étédéposée sa grand’mère ; letombeau n’était point terminé : untreillis en bois et des fleurs maintenant couvertes par la neigeoccupaient la place destinée au marbre du monument. Dianes’agenouilla ; Frédéricn’était pas encore arrivé. Le gardiens’éloigna et la laissa seule. Couverte de sesvêtements de deuil, immobile sur la terre glacée,la tête penchée sur sa poitrine en signe derecueillement, sa sombre silhouette se détachait tellequ’une statue de marbre noir sur le fond blanc du sol. Elleavait fermé les yeux comme pour échapperà toute distraction extérieure : elles’efforçait même, mais en vain,d’éloigner l’image deFrédéric et d’élever toutentière son âme vers l’âme desa grand’mère, qui, pensait-elle, sepréoccupait dans un autre monde des sentimentsqu’elle lui gardait. Elle se rappelait avec attendrissementles soins maternels dont elle avait entouré son enfance, sajeunesse écoulée auprèsd’elle, si sereine ; elle revoyait Valcy, ses frais paysages,son joli château ; elle replaçait dans ce salonqui s’ouvrait sur le parterre sagrand’mère élégante, aimableet bonne, et qui lui avait fait de si belles, de si insouciantesannées ; puis ses souvenirs se reportaient à cefatal mariage consenti un peu légèrement parl’aïeule mondaine, mais sur lequel elle avaitété la première àgémir et à pleurer. Dianes’était vue consolée et soutenue par satendresse durant ses années d’épreuve,et elle ne l’avait jamais accusée. Dans cetteâme un peu faible, mais si affectueusementdévouée, elle avait épanchétoutes les douleurs et toutes les joies de sa vie. Il y a huit joursencore, elle lui faisait l’aveu de son amour pourFrédéric, et maintenant cette âmen’était plus là pourl’entendre ! Diane cherchait en vain à se remettreen communication avec elle ; ses aspirations les plus ardentes nepouvaient la rappeler, ses sanglots n’éveillaientplus la voix aimée qui s’étaitéteinte dans la mort. Quel désespoir dans l’impuissance de celui quisurvit et qui voudrait en vain ranimer, ne fût-cequ’un instant, l’être aimé quin’est plus ! Nos désirs, nos larmes sont superflus; la mort est inerte et muette, et semble railler par son silenceéternel l’illusion de la douleur. Alors la douceurse rattache aux derniers échos de cette vie disparue surlaquelle on pleure. C’est ainsi que Diane, agenouillée sur la tombe deson aïeule, pensait à ses suprêmesparoles, à cette nuit d’agonie où ellel’avait entendue la bénir et lui dire :« Sois heureuse, ma fille, heureuse avec celui quit’aime ; je vais près de Dieuintercéder pour votre bonheur. » Ces paroles, lesdernières sorties d’une bouchevénérée avaientété pour Diane une sorte deconsécration de son amour ; et maintenant quel’heure approchait où elle allaits’abandonner tout entière à cet amour,son âme implorait, pieuse et attendrie, l’appui decette âme protectrice qui veillait sur elle prèsde Dieu. Perdue dans une sorte d’aspiration extatique, elle avaitoublié jusqu’au lieu où elle setrouvait ; elle semblait se dérober par degrésaux sensations physiques : le froid l’avait insensiblementengourdie ; elle était pâle, glacée etimmobile comme si la mort se fût emparéed’elle. Les images flottantes qui traversaient sapensée luttaient seules contrel’anéantissement de son être ; il luisemblait que son âme se détachait de son corps,attirée doucement vers l’âme souriantede sa grand’mère, et qu’elle traversaitdes régions où régnaient une paix etune mansuétude inconnues ici-bas. Elle entendait des voixqu’elle croyait reconnaître pour celles qui luiparlaient autrefois en rêve durant ses bellesannées écoulées à Valcy ;son âme montait toujours, mais tournée vers laterre et ne pouvant se détacher de l’âmede son amant, qui, à son tour, déployanttout-à-coup ses ailes, la rejoignait et se perdait avec elledans ce monde surnaturel où les voix qui l’avaientappelée répétaient : «Montez, montez encore, venez au sein de Dieu abriter votre amour.» Elle eut durant quelques instants la vague perception de cerêve, puis tout s’effaça et elle nesentit plus rien qui laissât des traces dans son souvenir ;elle était complètement évanouie.Frédéric venait d’entrer dans lecimetière ; il avait cherché Diane etn’avait pas tardé à ladécouvrir dans l’attitude de la prière.Il s’était approché d’elle,mais n’osant la troubler dans son recueillement, ils’arrêta à quelques pas de sa tombe etla contempla avec émotion. Tout-à-coup,étonné de son immobilité, ill’appelle ; Diane ne répond point ; ils’élance vers elle, elle ne tourne pas latête, elle reste agenouillée,affaissée, sans mouvement. Il la saisit dans ses bras ; ilpousse un cri déchirant : dans ce lieu tout lui parlait demort, et un instant il fut foudroyé par l’horriblepensée que la mort l’avait frappée !...Mais non, son coeur bat, sa bouche respire… Il lasoulève dans ses bras, traverse en courant lecimetière et va la déposer dans la voiture quiles attendait. Réchauffée par les baisers de sonamant, Diane se ranime, rouvre les yeux, et ses joues se colorent desteintes de la vie. Oh ! fuyons, s’écriaFrédéric qui ne pouvait maîtriser saterreur ; fuyons ce lieu sinistre. Pourquoi attrister notre amour pardes images de deuil et des pressentiments de malheur ? Diane, il fautvivre l’un pour l’autre ; Diane, il faut que noussoyons heureux, heureux par notre amour, heureux parl’enthousiasme, heureux de tout le bonheur que donnent lajeunesse et la vie !... Laissons les morts ; les morts sont jaloux,ô ma bien-aimée !... Je devins pusillanime,superstitieux, fou, à la seule pensée que jepourrais te perdre. - Me perdre ? Jamais ! dit la jeune femme avec unmélancolique sourire. Nous étionsréunis là-haut comme ici-bas… Ellevoulut lui raconter son rêve. - Non, non ! dit-il en étouffant ses paroles sous sescaresses, plus de ces pensées désormais, Diane,plus de désir d’un monde meilleur. En est-il unqui vaille la terre, quand on a l’amour ? La terre est unséjour splendide et heureux. Que de sites variés,que de paysages sublimes elle va dérouler sous nos yeux !Nous allons parcourir ses plus riantes contrées, voir sescités les plus célèbres ; les hommessont bons, généreux, nous les aimerons comme desfrères ; nous leur donnerons une part de notre bonheur, nousverserons sur eux le trop plein de notre amour : Diane, je suistransformé, je ne me sens plus le même homme ! Queje suis fort et ardent, mon amie, à présent quej’ai l’assurance que tu es toute à moipour toujours !... Je ne suis plus le rêveur incomplet quiplaçait ses jouissances dans des songes ; mon amour, monadmiration sont pour toi qui vis, pour toi qui me regardes, pour toiqui seras ma femme !... Et tant de passion et de jeunessedébordèrent dans ses transports, que Diane en futpresque épouvantée. - Mon Dieu, murmurait-elle,si ce bonheur allait ne pas durer ! - Oh ! ne parle pas ainsi !répliqua-t-il avec un regard suppliant. Vois, cette voiturenous emporte chez nous ; encore quelques minutes et nous seronsréunis dans ma riante mansarde ; seuls, heureux,enivrés. Ce soir, enfermés dans une chaise deposte, nous fuyons à la frontière ; nous doublonsles guides du postillon afin que, joyeux malgré la rigueurdu froid, il nous conduise plus vite. Te peins-tu lesdélices de cette première nuit passéeen voiture ? et demain, demain, libres ! hors de France ! le monde està nous ! Plus de craintes, plus d’entraves. Oh !tu le vois bien, notre bonheur est durable ; n’a-t-il pas sasource dans notre amour !... Diane se laissait gagner par la joienaïve de son amant ; comme lui elle espérait laréalité du bonheur. Son sang refluait vers sesjoues, son coeur battait plus vite, elle sentait comme unesurabondance de vie. Le soleil avait percé les brumes du matin ; ses rayons sejouaient maintenant sur la neige comme pour illuminer ce jour quis’était levé si sombre. La voiturevenait d’entrer dans Paris. Le mouvement des passants, lebruit des voix, et le murmure vivace de la foule chassaient bien loinles funèbres images du cimetière.Arrivés près de la rue de Rivoli,Frédéric ferma les stores par prudence ; Dianebaissa son voile, et quand la voiture d’arrêtadevant la porte de l’hôtel dugénéral, elle put se glisser sans êtrevue jusque sous la porte cochère.Frédéric donna ses derniers ordres pour sondépart, puis il rejoignit, en courant, Diane, quifranchissait avec crainte les premières marches del’escalier. Ils parvinrent sans rencontre jusqu’ausixième étage, et lorsqu’enfin la portede la mansarde du poëte se fut refermée sur eux,ils s’écrièrent : Sauvés !heureux ! - Oh ! mon Dieu, je vous remercie !s’écria Frédéric dont lajoie éclata par un élan de reconnaissance vers laDivinité. Et il embrassait Diane enrépétant : Sauvés ! heureux ! LOUISE COLET. |