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Nouvelle Pasquille sur lesamours de Lucas et Claudine.- A Lélis, P.-G. Goderfe, ruede Néméya [Caen, P. Chalopin], 1812.- 12 p. ; 14 cm.
Saisie du texte : S. Pestel pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (23.III.2007)
Texte relu par : A. Guézou
Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros]obogros@ville-lisieux.fr
http://www.bmlisieux.com/

Diffusionlibre et gratuite (freeware)
Orthographe etgraphieconservées.
Texteétabli sur l'exemplaire de lamédiathèque (Bm Lx : norm br 1107).

PASQUILLENOUVELLE

SUR LESAMOURS

DeLucas et Claudine.

Image agrandie (161 ko)image agrandie (181 ko)


LUCAS.

AH! que je suis malheureux
Depuis que je suisamoureux !
Jepasse les nuits sans dormir,
A soupirer et à gémir ;
L’amour,depuis la mi-carême,
M’a rendu tout jaune et tout blême ;
J’étoisgras comme un harang saur,
Mais l’amour me tourmente si fort,
Quej’en ai perdu toute ma graisse ;
Mon visage et mes pauvresfesses,
Mes cuisses, mes bras et mes hanches,
Sontaussi gras que des planches ;
J’ai le dos sec comme uneétrille,
L’amour me donne si fort la gratte
Qu’ilm’en fait enfler la rate.
Il y a long-temps que je soupire,
Ona beau faire, on a beau dire,
Je veux, pour éteindre ma flamme,
Prendretout-à-l’heure une femme ;
Quand elle n’auroit pas un denier,
C’enest fait, je veux me marier.
Les garçons de notre village,
Tousles jours se mettent en ménage ;
Farsangué j’en aurai ma part,
Quandje devrois être cornard ;
S’ils sont tretous bien amoureux,
Jele suis donc tout autant qu’eux ;
Mais peste, quels étourdis !
Tousces amoureux transis
Choisissent les filles les plus belles,
Etmoi, comme Jean-de-Nivelle,
Je n’aurai plus que le fretin ;
Voilàdéjà la grande Catin
Qui va se marier Lundi
Pauline,Marion, Grimbelles,
Qui sont du village les plus belles,
Sesont, la semaine passée,
Avec leurs amoureux, fiancées,
Etla fille de Martial Pautau,
Avec Nicolas Tuyau ;
EtThybault, Porte-Malheur
Se va marier avec la soeur
Dedéfunt George Guignon ;
La nièce à Martin Pignon
Prétend,le jour du mardi gras,
Epouser le grand Thomas ;
Parsanguéj’en voulons rire,
J’avons comme eux, aussi bien dire,
Quoiquej’aye la tête pelée,
J’en veux tirer ma raclée.
J’aifait l’amour autrefois
A la belle Claudine Dubois ;
Peut-êtrebien qu’elle m’aime encore,
Je sais fort bien sa demeure,
Jem’en vais la voir tout-à-l’heure ;
Mordienne hasardons lepaquet :
Voyons, mettons notre toquet,
Mes bas ethauts-de-chausses de flanelle,
Et mon collet à dentelle ;
Quandj’aurai mon beau chapiau,
Et débarbouillé mon musiau,
Jelui donnerai dans la vue,
A la première entrevue ;
Sesbeaux yeux me troublent la cervelle,
Sans badiner je vais chezelle,
Tatigué ! les beaux complimens
Que je vas luifaire en entrant !
J’ai bien étudié ma leçon.
Bon, mevoilà proche sa maison ;
Il faut d’une agréable sorte,
Frappercomme il faut à la porte ;
Pan, pan…. Holà, Claudine, holà ;
Vîte,morbleu, c’est Lucas qui est là.
Je n’en puis plus, tôt, tôt,
Claudine,ouvres-moi au plutôt,
Ou je vais crever à ta porte ;
C’estl’amour qui me transporte,
Pour tes beaux yeux double carogne,
Jamaisla gale ni la rogne
Ne m’ont tant donné d’ennui,
Quej’en ai pour toi aujourd’hui.
   Claudine.Qui est donc ce sot animal,
Qui vientici comme un brutal,
Chanter ces litanies sauvages ?
V’laencore un plaisant visage.
   Lucas.C’est pourtant moi, ma Claudine,
Tout biau,ne me fais point la mine,
Car, vois-tu, je suis amoureux,
Regardes-moientre deux yeux,
Tu verras à mon visage
Que l’amourm’a mis tout en nage.
   Claudine.Ah ! c’est toi, mon pauvre Lucas,
Je nete reconnoissois pas ;
Ah ! que tu sais bien dire,
Jene puis m’empêcher de rire,
Ton compliment si fort me touche,
Quel’eau m’en vient à la bouche.
J’en ai le visage tout blême.
Toutde bon, Lucas, est-ce que tu m’aimes ?
   Lucas.Parsangué tu me la baille belle,
Je t’aimemieux qu’une demoiselle ;
Tu as un certain je ne sais quoi,
Quiest fait tout exprès pour moi,
Quand j’suis auprès de tafigure,
Il m’semble que j’mange des confitures.
Mordienne,que je suis aise,
Claudine, il faut que je te baise.
   Claudine.Tout biau, tout biau, Lucas,
Doucementne t’échauffe pas,
Car j’appréhende la baisure
Autantque la brûlure,
Je n’veux pas que ton nez camard
Frottesa couenne contre mon lard.
   Lucas.Claudine, tu me désole,
Quand tu ne veuxpas que je t’accole,
L’amour me rebutte si fort l’esprit,
Quej’en vais crever de dépit.
Claudine, baises-moi un petitmorciau,
Va, j’ai bien lavé mon musiau.
   Claudine.Quand tu aurois lavé ton corps,
Et pardedans, et par dehors,
Depuis le haut jusqu’en bas.
Non,tu ne me baiseras pas.
Si tu m’aimois d’une bonne sorte,
Tune viendrois point à ma porte,
M’enguilbauder d’une façon
Quin’a ni rime ni raison.
    Lucas.Il ne faut pas qu’ça t’épouvante,
C’est l’amour qui metourmente ;
Il m’a rendu langoureux
Tout comme un ânemorveux.
Tiens, Claudine, crois moi,
Toutes les foisque je pense à toi,
L’amour me prend comme la fièvre,
Etme fait courir comme un lièvre
Qui est poursuivi par deslevriers
Au travers des halliers.
   Claudine.Hélas ! qu’est-ce que tu me dis ?
J’enai tous mes sens transis.
Lucas, je ne te dirai plus rien,
Tues amoureux, je le vois bien,
Ce n’est point le diable qui tetente,
C’est l’amour qui te tourmente ;
Quand jet’écoutois bien dire,
Je croyois que tu voulois rire.
   Lucas.Pour rire ? va, va, j’en rirons bien mieux
Quandje serons mariés tous deux.
   Claudine.Te voilà tout hors d’haleine,
Quelqu’unt’a-t-il fait de la peine ?
   Lucas.Ne t’ai-je pas bien dit
Que l’amour m’atout interdit ?
Tu as bien fait d’ouvrir la porte,
Carj’allois dans ma culotte,
Ne, t’en déplaise, faire ca ca.
Oui,par ma foi, ca ca,
    Mes tripeset mes boudins
Se remuent comme des diablotins,
L’amourm’a émouvé la bile,
D’une force si terrible,
Que j’encrève dans ma peau.
L’amour est un grand embarras !
Claudine,tu ne me réponds pas.
   Claudine.Vraiment, Lucas, je t’entends bien,
Tues amoureux, je le vois bien ;
Dis-moi un peu, entre nous deux,
Dequi donc es-tu amoureux ?
   Lucas.Par la morguenne j’enrage
Quand on n’entendpoint mon langage.
    Je suisamoureux de ta piau,
De ta frisure, de ton musiau,
Tesyeux ont gribouillié mon ame,
Je prétends que tu sois ma femme,
Sanstant faire de tripotage,
Je veux t’avoir en mariage ;
Quandnous serons mariés tous deux,
Je crois que nous serons heureux.
   Claudine.Je sens une douleur extrême
Quand jepense à ta peine,
Lucas, déclares-moi ton coeur,
Afind’appaiser ma douleur,
Car je sens que la colique
Medarde et me pique ;
Mets-moi mon esprit hors de peine,
Dis-moitout de bon si tu m’aimes.
   LucasJe t’aime si bien et si biau ;
Que j’encreve dans ma piau ;
Ton visage et tes attraits,
Ontcrevé mon coeur de cent traits ;
Tes petits yeux de papillon
Ontmis ma rate au courbouillon ;
Ton nez camus et tes dentsblanches
M’ont déchiqueté toutes les hanches ;
Quandje vois tes cheveux blonds,
Quand je pense à ton visage,
Jene mange plus de potage ;
Et quand j’entends ta parole,
Monesprit ne sait où il s’envole ;
Enfin, tous les plus grandsmaux
Ont pénétré jusques dans mes os.
   Claudine.Ah ! je ne sais plus où j’en suis,
Sansy penser je m’évanouis ;
Lucas, n’en dis pas davantage,
Cartes beaux complimens m’outragent ;
Je pleure sans verser deslarmes ;
Tais-toi, Lucas, je serai ta femme ;
Va, nete mets point en peine ;
Mets ta main dedans la mienne ;
Puisquetu es mon favori.
Je veux que tu sois mon mari.
   Lucas.Tu veux donc bien que je te baise ?
   Claudine.Oui, Lucas, ne fais point le blaise ?
Baises-moi,bras dessus, bras dessous ;
Lucas, baises-moi, tout ton saoul.
   Lucas.Je crois que j’ai la pépie,
Car mon coeursaute comme une pie ;
Crainte de gâter ta chair blanche,
Jeme suis mouché sur ma manche ;
C’est mon mouchoir de tous lesjours.
Claudine, j’aurai donc tes amours ?
   Claudine.Oui, Lucas, pour finir l’affaire,
Nousirons demain chez le notaire,
Et après demain tout d’un temps,
Nousferons publier nos bans,
Pour nous marier mercredi,
Afinque tu sois Jean jeudi.
   Lucas.Qu’est-ce que tu dis donc, Claudine ?
   Claudine.Tu n’aimes rien qu’à badiner ;
Sais-tuqu’à force de baiser,
Que tu m’vas user tout le visage ;
Etpuis quand nous serons en ménage,
Qu’est-ce que tu baiseras ?mes fesses ;
Modères un peu tes caresses.
   Lucas.Bon, bon, Claudine, tu m’amuses ?
Est-cequ’en baisant, le visage s’use ?
   Claudine.Vraiment, mon pauvre Lucas,
Quoi, tu nele pensois donc pas.
    Lucas.En voilà la première nouvelle ;
Mordienne, cela me trouble lacervelle.
    Claudine. Celan’est, n’te fâche pas ;
A demain, bon soir, mon ami Lucas.
   Lucas.Bon soir, ma petite moutonne,
Bon soir, mapetite folichonne,
Bon soir, ma petite folle ;
Bonsoir, ma petite croquignole,
Bon soir, bon soir ; enfinn’importe pas,
Je m’en vais coucher de ce pas.

FIN.


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