Préface JEAN-CHARLES CONTEL ET L'OMBRE ROMANTIQUE
ENfeuilletant les pages de cet Album, dont chacune représente un aspectinattendu de Paris en 1921, il est facile de constater que les grandescités ne se rajeunissent pas si vite que les vieilles dames envieillissant. Il faut, pour bien se rendre compte de la résistance des hommes et deschoses aux brillantes transformations mécaniques et hygiéniques, erreravec Jean-Charles Contel, Normand aventureux et classique, à travers unParis ignoré, épanouissant sa petite vie clandestine au milieu desmille bruits d'une circulation désordonnée. En regardant les dessins de Jean-Charles Contel, on pense à cesvieilles malles mystérieuses que l'on découvrait dans le grenier degrand'mère et qui, ouvertes par des jeunes mains curieuses, étalaientdes trésors surprenants : des crinolines, des uniformes de la gardenationale, de minuscules ombrelles, parfois un bonnet d'ourson, unhausse-col en cuivre et des boîtes éventrées d'où glissait tout unpeuple de photographies mangées par la lumière des anciens jours.
Mais il faut, en errant dans la ville, celle des vieux murs, un oeilaverti pour séparer l'une de l'autre deux atmosphères qui ne secomplètent point. La même lumière baignant les maisons neuves et les maisons anciennesrapproche entre elles les distances et groupe tous les petits détailsdu pittoresque dans une même république : La lampe à pétrole luttecontre les globes électriques, et le pavé pointu, succédant au pavé debois, surprend à peine les bottines à hauts talons égarées dans cesparages. Mais, isolé par l'Artiste de la gangue en ciment armé qui l'entoure, leParis de Jean-Charles Contel se révèle avec toutes ses tares charmanteset ses gibbosités qui font songer au populaire Monsieur Mayeux. Tout d'abord, avant d'apercevoir le peuple des apparences qui habitelogiquement le Paris romantique, des hommes et des femmes, qui ne sontpas des fantômes, vivent entre ces vieux murs une existence que lecadre soumet à une discipline tombée en désuétude. C'est la ménagère,encore coiffée d'un madras, vidant les eaux grasses sur le plomb ;c'est enfin toute la population des gagne-petit qui, loin des jeuxinquiétants de l'électricité, cherche de minces bénéfices avec lesfruits d'un labeur d'une disproportion attendrissante. Toutes les professions honorées par l'imagerie d'Épinal, où l'onretrouve autour du Temps Présent, Gagne-Petit, le repasseur decouteaux, le maître d'armes, le maître à danser, et d'autres compèrespleurant la mort de CRÉDIT, se retrouventencore dans l'ombre impénétrable pour qui n'a nullement besoin de leursservices. Le bruit des chevaux démarrant sur les pavés et le tintementdes clochettes de l'attelage célèbrent, à leur manière, le derniervoiturier prenant les commissions et les paquets pour les gens deLongjumeau. Mais, dans quelques jours, le camion automobile pénétreradans la sombre cour ; il y trouvera une bauge assez bien adaptée à sesformes massives et à ses grognements de bête que l'on chasse encore àcourre. Mais ne m'a-t-on pas affirmé, qu'au fond d'une cave, douze sonneurs detrompe, et autant d'apprentis, s'exercent aux divers chants despiqueurs. Ainsi l'air charmant du Dix cors jeunement se brise entre lesbouteilles le long des murs où les toiles d'araignées pendent comme desdrapeaux d'autrefois dans une chapelle mal entretenue. Ceci pour la réalité. Mais Jean-Charles Contel nous convie auxamusements plus distingués de l'imagination. Il ne faut qu'un toutpetit effort, comparable à celui d'une jeune ouvrière poursuivant, àson profit, les aventures du Roi Henri, pour animer, dans ce décorrobuste, les marionnettes fragiles qui lui imposèrent une significationlittéraire, naturellement. C'est le décor de la basse pègre groupée autour d'un tapis franc oùl'on parle un argot dont les derniers vestiges font sourire les jeuneset modernes préposés aux rôles de victimes dans les exécutionscapitales. Il suffirait d'un gentilhomme portant les pantalons collantsà sous-pieds et la cape romantique pour que tout ce peuple dechourineurs décédés et de goualeuses au tombeau, ressurgi dans undivertissement d'artiste, exagère pendant une nuit ses attitudesfamilières. Ah ! Jean-Charles Contel, vos vieilles rues et les portes vermoulues devos maisons ne sont point accueillantes au bourgeois. Le peuple desapparences rôde de ruelle en ruelle, les derniers soldats rentrés auxcasernes.
Mais ce n'est point dans ce décor démodé que les plus aventureux parminous connaîtront les angoisses annonciatrices de la mort violente.
PIERREMAC ORLAN
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