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DUBOSC,Georges (1854-1927) :  LesTremblements de terre en Normandie(1909).
Saisie du texte : S. Pestel pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (18.IX.2008)
Texte relu par : A. Guézou
Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros]obogros@ville-lisieux.fr
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Diffusionlibre et gratuite (freeware)
Orthographe etgraphieconservées.
Première parution dans le Journal de Rouen du21 décembre 1909. Texteétabli sur l'exemplaire de lamédiathèque (Bm Lx : norm 1496) de Par-ci, par-là: études d'histoire et de moeurs normandes, 3èmesérie, publié à Rouen chez  Defontaine en 1923.

LesTremblements de terre en Normandie
par
Georges Dubosc

~*~

Certes, notrerégion normande a toujours été à l’abri des grandes perturbationssismiques, si nombreuses sur certains points du globe, souvent éprouvéspar de lamentables catastrophes. Au cours des siècles, toutefois, onpeut noter différents tremblements de terre qui ont été relevés dansnos vieilles chroniques, toujours prêtes à recueillir les faits quileur paraissaient mystérieux et dont Farin, notamment, dans son Histoire de Rouen, a dressé une nomenclature que nous complèterons.

Le nombre de ces tremblements de terre - est-il besoin de le dire ? -est en somme fort peu considérable, quand on compare la statistiquegénérale des secousses de tremblements de terre dans le monde entier.Qu’est-ce que nos petites secousses normandes, à côté des mille centquatre-vingt-quatre tremblements de terre qui ont eu lieu de 1865 à1873 ; à côté des seize secousses ressenties en Suisse dans la seuleannée 1881, ou des cinq cents secousses annuelles du Japon, le paysclassique des catastrophes sismiques ?

Au moyen âge, les tremblements de terre - même légers - étaient souventune cause de terreur pour les populations superstitieuses, qui yvoyaient des présages de malheur et de calamités publiques, en serapportant surtout aux récits de l’Apocalypse. Chose curieuse, le mot «tremblement de terre » n’était pas alors employé pour désigner cessecousses sismiques. Il est relativement très moderne. On disait alorsun « terremot » ou un « terreumet » ou une « terremote ». Dansles Dialogues de Saint-Grégoire, on trouve, par exemple, que « Romene sera pas dévastée par les gens, mais par les turbeillons, lestempestes et les terreumet », et la Chronique d’Angleterre cite «un grand terremote qui fut par toute l’Angleterre ».

De même, la Chronique de Charles VII, à propos d’une catastrophesemblable à celle de la Calabre et de la Sicile, dit « qu’est allée enruines par le même teuremote ou tremble-terre, la moitié du pays dela Pouille ». En patois normand, le mot est aussi employé, puisqueRobert Wace, dans son poème célèbre sur l’Immaculée Conception,relatant la légende de la Mort de Marie, d’après Meliton, montrel’apôtre Jean enlevé au ciel au pied de la croix, pendant untremblement de terre.

               Et lorsun terremote fut.

C’est même sous cette forme normande qu’est indiqué peut-être lepremier « tremble-terre » signalé en Normandie dans la Chanson deRoland, pendant la bataille de Roncevaux :

               Etterremote co a vraiment !
               DeSaint-Michel-du-Péril jusqu’à Seine,
               DeBesançon jusqu’au Port de Wissant.

Ce tremblement de terre qui se fait sentir de l’abbaye duMont-Saint-Michel à la Seine est peut-être un peu légendaire, comme lesphénomènes physiques, la tempête, le vent, la pluie de sang quiaccompagnèrent la mort de Roland. Nos vieilles chroniques normandescitent encore deux tremblements de terre qui furent ressentis à Rouen :l’un, en 890, précédé par l’apparition d’une comète qui, pendantquatorze jours, se promena au Nord-Ouest, au-dessus de Canteleu, etprojeta une grande lumière ; l’autre, signalé par la Chroniqued’Angers et qui se produisit le mardi de Pâques, 16 avril 944, « auchant du coq ». Un troisième, qui eut lieu après un hiver long, rude etrigoureux, est fixé, d’après le Chronicon saxonicum, au 13 mai 1020.

Au XIIe siècle, on ne signale à Rouen qu’un tremblement de terre, en1136, mais il se fit ressentir dans des circonstances dramatiques. Eneffet, quelques mois auparavant, en septembre, le feu, ayant pris dansles bas quartiers de la ville, avait dévoré toute la rue Grand-Pontjusqu’à la porte Beauvoisine, gagnant même l’abbaye de Saint-Ouen etl’abbaye de Saint-Amand. Le « tremble terre » survenant ensuiterenversa les petites maisons que les flammes avaient épargnées etébranla les quelques monuments qui subsistaient. Est-ce ce tremblementde terre que Farin place en 1142 ? On ne peut le penser, car il lesignale à une date différente de celui de 1136. « La terre,ajoute-t-il, trembla deux fois pendant la nuit ». Il est à penser quec’est celui que le vieux chroniqueur Nagerel indique en 1144, commefaisant trembler les lits et qu’accompagna une pluie de sang auPetit-Quevilly, à Saint-Julien et aux Andelys !

Au XIVe siècle, les secousses sismiques sont rares. Les chroniqueurs nesignalent, en effet, qu’un seul « tremble terre » en 1315, annéedéplorable, où des pluies continuelles, noyant les récoltes,occasionnèrent une longue disette. Plus sérieux fut celui qui ébranlatout Rouen, le 29 juin 1522, pendant l’octave de la fête duSaint-Sacrement, d’une série de secousses très violentes qu’un textequalifie d’« épouvantables ».

Farin n’a eu garde d’oublier ce tremblement de terre qui dut émouvoirla population rouennaise, car, le lendemain, eut lieu à travers laville une procession générale, comme celles qui ont lieu en Italie etoù saint François est particulièrement honoré comme protecteur contreles terremotos. A la fin du XVIe siècle, les chroniqueurs citentencore quelques secousses de tremblement de terre, en 1580, qui furentparticulièrement sensibles au Havre.

Dès les premières années du siècle suivant, un tremblement de terreassez violent fut ressenti à Rouen en 1608, qui rendit nécessaire lareconstruction de l’escalier du degré du Palais-de-Justice, accédantà l’entrée de la salle des Procureurs ou Pas-Perdus. C’estvraisemblablement à cette époque que l’escalier fut rapporté dansl’angle Sud, telle qu’en fut, de nos jours, tentée la restitution, nonsans controverses. L’année 1691 pourrait être aussi appelée l’année destremblements de terre. On ressentit, en effet, deux secousses à Rouen,mais elles n’eurent pas de suites graves. Un autre mouvement sismiquese produisit le 22 septembre de l’année suivante, mais sans causeraucune catastrophe. La population rouennaise n’avait pas besoin, dureste, de ce nouveau malheur, quand on songe que, par suite de ladisette et des épidémies qu’elle détermina, quinze mille habitants, audire de Masseville, moururent de 1692 à 1694. Un souvenir nous reste deces temps si terribles, c’est l’avenue de Saint-Paul, alors appelée leCours-de-Paris, et qui fut créée par les artisans sans travail, aumoyen de remblais extraits de la côte Sainte-Catherine.

Est-ce parce que les mouvements sismiques ont été enregistrés avec plusde soin et de régularité ? Est-ce parce qu’ils furent, en réalité, plusnombreux ? Mais on compte beaucoup plus de tremblements de terre àRouen et dans la région, au XVIIIe siècle, que dans les époquesantérieures. Le 4 octobre 1711, vers huit heures du soir, ce sont toutd’abord deux secousses consécutives du Nord au Sud, qui causent unphénomène assez curieux : le débordement de toutes les eauxsouterraines dans les rues. En 1755, le 1er novembre, il faut encoresignaler un léger tremblement de terre qu’on ressent à Rouen et aussiau Havre.

Le tremblement de terre de 1769 est plus curieux et on possède sur luide nombreux détails. On le constata à Rouen même, mais il semble avoireu son centre à Aclon. Voici en quels termes le Journal des Annoncesde Normandie le relate pour Rouen où il se produisit le 1er décembre :

« Aujourd’hui, à 6 h. 29 du soir, le ciel étant calme et les étoilesbrillantes, on a ressenti un léger tremblement de terre qui a duréenviron une minute. Il a été précédé d’un bruit sourd venant del’Ouest. Nombre de personnes l’ont ressenti très sensiblement : leschaises des maisons ont remué et les boiseries de plusieurs logis ontcraqué ».

Ce tremblement de terre se propagea de différents côtés à Flamanville,à Fauville, à Limésy, où on ressentit deux secousses, séparées par deuxminutes, dont la seconde plus forte. Deux habitants, le sieur Libert,cuisinier du marquis de Limésy, et le sieur Picot, disent qu’ils ont vualors un corps lumineux, « divisé en particules ignées », une sorte depluie de feu, que l’un d’eux compare à une fleur d’oeillet quis’épanouit. En réalité, il s’agit d’une aurore boréale, qu’on aperçutaussi dans la vallée de Saint-Aubin, près de Dieppe.

A Aclon, on ressentit tout d’abord une première secousse légère, puisune seconde à sept heures et demie, très forte, et enfin d’autrespendant la nuit. « Plusieurs briques du château d’Aclon, dit une lettreadressée au Journal de Normandie, sont tombées ; la roue dutourne-broche est tombée dans la cuisine. Une partie de la couverturedu colombier a croulé ».

« A Veules, la secousse fut assez forte, les cheminées et les pignonssont tombés ; les portes fermées au verrou et les fenêtres se sontouvertes. Chacun a cru être à son dernier moment ».

« J’ai cru que ma maison allait tomber, écrit un autre correspondant,qui demeure à trois heures de Dieppe. Tous les particuliers quim’environnent en ont senti autant. Plusieurs ont été si émus qu’ilssont tombés sans connaissance. Cinq quarts d’heure après, une secondesecousse a eu lieu, mais elle n’était pas le vingtième de la première ».

A Fauville, les habitants sentirent la terre trembler sous leurs pas etdeux personnes revenant de la foire de Bennetot, tombèrent la facecontre terre.

Quelle était la cause de ce tremblement de terre ? Pour le savoir, le Journal des Annonces de Normandie fit appel aux « physiciens », maisle chimiste-apothicaire Guesnon, qui demeurait rue Coquerel, en faceSaint-Maclou, ne semble avoir fourni dans son long mémoire, que desexplications assez embrouillées sur la « foudre terrestre » et les «météores bitumineux ». Il semble voir plus juste, quand il écrit que «la contiguïté, l’élasticité et la flexibilité des parties du globe sontautant de causes qui concourent relativement à produire un choc et ànous transmettre au même moment, l’impulsion subite qui les a miseselles-mêmes en mouvement ». C’est un peu la théorie tectoniqueactuellement à la mode !...

En 1773, du 17 février au 22, ouragan, grands vents et aussi légèressecousses de tremblement de terre. Du coup, le clocher de l’église desAugustins, rue Malpalu, s’effondre et disparaît. Auprès de la Bourse,un pan de l’enceinte murale de la ville, qui avait toujours résisté,dégringole et une pierre pesant 300 livres est jetée sur le quai. Enjuillet, apparaîtra aussi, à neuf heures du soir, un météore quitraversera rapidement l’atmosphère.

Deux ans après, le 30 décembre 1775, nouvelle perturbation sismique,peu importe à Rouen, mais très sensible à Caen, et dans toute laBasse-Normandie. A 10 h. 32, on perçoit un bruit sourd, puis unepremière secousse qui dure deux secondes, suivie d’une autre, trèsviolente, qui s’accélère et devient très violente, du Sud-Ouest auNord-Est. De tous côtés, on signale alors les incidents habituels :tuiles enlevées, craquement des poutres, déplacement des meubles,cliquetis des vitres. Une pierre tombe de l’église Notre-Dame etfracasse le bras d’une femme ; une autre blesse un homme qui doit êtretrépané. Des ouvriers qui travaillent dans une carrière, à centcinquante pieds de profondeur, près de l’abbaye de la Trinité,ressentent plus violemment la secousse. Un navire échoué sur la vase dela rivière glisse et s’abat, tandis que les bestiaux dans les prairiesde Vaucelles s’enfuient apeurés.

Le mouvement se prolonge dans toute la région : la tour de l’églised’Hérouville est endommagée ; celle de Cormelles est renversée ; lacontretable de l’église d’Eterville est déplacée ; une maison à Cheuxs’écroule ; de même, aussi, à Hérouville. A Saint-Lô, la secousse a étéforte, ainsi qu’à Falaise ; elle est plus faible à Bayeux et à Alençon.D’après les observations des savants et ce que rapportent des pêcheurs,le centre du mouvement sismique aurait été en mer. Sur ce tremblementde terre, l’Académie de Rouen reçut une communication de Blondeau.

Il nous faut ensuite passer au XIXe siècle pour enregistrer de nouveaux« tremble-terre » aussi anodins que les précédents. Le 30 décembre 1848- ce mois de décembre semble assez favorable aux phénomènes sismiques -un tremblement de terre, à peine perceptible à Rouen, est ressenti auHavre, dans la direction Nord-Ouest au Sud-Est, à six heures et demieet à sept heures du soir. Il est comparable au roulement d’une fortevoiture et est surtout sensible entre Grainville et Ingouville.

Une autre secousse, dont le centre est dans la région du Havre, seproduit, le 1er avril 1853, à onze heures un quart du soir. La secoussedure deux secondes, agite les meubles, portes et fenêtres dans ladirection Nord-Ouest au Sud-Est, comme celle de 1848. On la perçoit àHonfleur assez légèrement, mais précédée d’un bruit sourd, à dix heurestrois quarts ; à Caen, surtout dans les étages supérieurs des maisonset à l’Hôtel-de-Ville ; à Lisieux, où une charpente d’une maison enconstruction est renversée.

Un des derniers tremblements de terre enregistré fut celui du 14septembre 1866, dont les secousses oscillatoires furent perçues un peupartout à Rouen, fort légèrement, de l’Est à l’Ouest, particulièrementdans les quartiers avoisinant la Seine. Ce mouvement était, du reste,général dans toute la France, et fut ressenti à Paris, à Orléans, àTours, à Angoulême, à Limoges, sans provoquer, du reste, aucuns dégâts.

Il en faut de même des secousses enregistrées à Rouen, le 28 janvier1878, qui furent notées à Bolbec, à Saint-Denis-d’Aclon, à LaRivière-Thibouville, vers midi ; à Dieppe, au Havre, à Trouville et àDeauville. On constata l’influence de ce tremblement de terre sur lesanimaux et particulièrement…. sur un perroquet qui tomba paralysé,comme s’il avait mangé du persil ! Un dernier « terremote », comme ondisait au moyen âge, vint encore ébranler légèrement notre ville le 30mai 1889 ; mais il résulte des constatations que nous venons d’énuméreret dont nous avons recherché les origines au cours des siècles, que levieux sol normand est solide et que nous n’avons point à redouter descatastrophes semblables à celles qui jettent souvent le deuil dans despays moins favorisés que le nôtre.

GEORGESDUBOSC