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DUBOSC,Georges (1854-1927) : Les ateliers communaux jadis(1906). Saisie du texte : S. Pestel pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (19.IX.2008) Texte relu par : A. Guézou Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros]obogros@ville-lisieux.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusionlibre et gratuite (freeware) Orthographe etgraphieconservées. Première parution dans le Journal de Rouen du7 janvier 1906. Texteétabli sur l'exemplaire de lamédiathèque (Bm Lx : norm 1496) de Par-ci, par-là: études d'histoire et de moeurs normandes, 6èmesérie, publié à Rouen chez Defontaine en 1929. Lesateliers communaux jadis par Georges Dubosc ~*~Pour préserver annuellement du chômage les ouvriers rouennais, leConseil municipal a décidé, certaines années, l’ouverture devéritables « ateliers communaux » qui servirent à assurer,par un travail effectif, une rémunération juste. A propos de cetteassistance par le travail, on a pu rappeler les anciens atelierscommunaux fondés à Rouen pendant la Révolution de 1789 et sous laseconde République de 1848. L’idée est beaucoup plus ancienne et remonte bien plus haut dans lesannales rouennaises. A notre époque, on ne semble pas se douter que lesgrandes commotions politiques, les catastrophes imprévues, les crisesfinancières ou industrielles, les guerres désastreuses ont imposé commedes nécessités les mêmes mesuz pascroire que je désapprouve ici, que je censure les goûts de nosopulentes citadines. Qu’elles achètent toujours, et beaucoup, de cescharmants riens que tant de mains industrieuses s’occupent à fabriquer.Elles pourraient faire de leur or un emploi bien moins utile. Mais je ne saurais pardonner à ces jeunes gens oisifs, qui braquent surelles avec impudence leurs lorgnons, qui les suivent quelquefois et lesaccostent avec effronterie. A les voir, on ne devinerait pas que ce nesont là que des copies de nos fats d’autrefois. Ils portent tousd’épais favoris et des moustaches qui dérobent aux yeux une partie deleurs joues. Ce n’est point là l’indice d’un corps débile et d’une âmeefféminée. Nous rasions autrefois, et de fort près, nos mentons et nos joues : oneût dit qu’elle était toujours en vigueur la loi d’Auguste qui, dèsqu’il eut ceint son front du laurier des empereurs, ordonna aux Romainsde se raser tous les jours. Était-ce pour ressembler davantage au sexeà qui nous cherchions tant à plaire que, même dans notre premièrejeunesse, nous faisions disparaître jusqu’au moindre vestige du durcrin dont la nature a voulu que nos bouches fussent entourées ? Jecrois, en vérité, que nos fils sont mieux avisés que nous en laissantcroître, en montrant avec orgueil ce qui caractérise le sexe fort.C’est des contrastes que naît l’harmonie. Hommes et femmes, répondez :N’est-ce pas parce qu’il existe entre vous de très-sensiblesdifférences que vous vous recherchez mutuellement ? Au reste, jecompte, un jour, demander à la naïve Sydonie si la moustache et labarbette de chèvre de son jeune cousin, bien qu’elles soient rousses etque les poils en soient rigides, lui ont jamais semblé disgracieuses etlaides. Mais tous nos jeunes gens, grâces au ciel, barbus ou non barbus, nepassent pas leur vie sur les boulevarts, à la suite des élégantespromeneuses. J’en ai vu, en très-grand nombre, dans les cabinets delecture, si multipliés depuis deux ans ; dans ces cabinets que l’ontrouve le long des boulevarts à cinq à six toises au plus l’un del’autre. Cette autre classe de jeunes gens en sont les habitués assidus: ils y lisent avec une attention, vraiment édifiante, les journauxtant littéraires que politiques, les nouveaux pamphlets, des ouvrageshistoriques, et aussi les drames et les romans qui ont paru dans lasemaine. Rangés sur les bancs du cabinet, ou en dehors, sous la tenteordinairement dressée à la porte du sanctuaire, tous paraissentabsorbés dans leur lecture : rien ne les distrait, ni le brouhaha duboulevart, ni les regards furtifs de la courtisane qui passe devanteux. Et de quoi sont-ils donc si profondément occupés ? ce n’est,croyez-moi, ni d’une comédie de M. Scribe, ni d’un drame bizarre de M.Victor Hugo, mais des derniers discours, par exemple, que vienne,où leurs escouades se montaient à 4 ou 500 hommes, payés à 18 denierspar jour. On verra même, en 1543, se créer un atelier de femmes, et lespauvresses, armées de piquois et de pioches, s’occuper aux travaux deterrassement. Aussi bien, à cette époque, une énorme entreprise va fournir du travailà toute la population malheureuse de la cité, c’est la démolition dufort Sainte-Catherine, ordonnée par lettre de Charles IX du 7 octobre1563. Voici du reste, d’après « L’ordre qu’il convient tenir pour fairebesongner les pauvres vallides aux ouvrages publics de ceste ville, »quels étaient les salaires des assistés pour ce travail de démolition.« Salaire de chaque homme : 18 deniers ; de chaque femme : 10 deniers ;de chaque enfant : 6 deniers, par jour. A chaque homme besoignant auxoeuvres publiques, sera baillé un pain pesant 20 onces, cuit et rassispour leur dîner, et, au soir, 20 deniers ; aux femmes, un pain de 10onces à dîner et 10 deniers à souper ; aux petits enfants, un pain de10 onces pour dîner, avec 3 deniers pour leur souper. » Aux débuts de la Ligue, si violente à Rouen, à la suite d’une affreusedisette, on aura encore recours aux ateliers communaux pour les travauxde fortification, et Carrouges qui gouverne Rouen, fera entreprendre,le 15 juin 1573, des ouvrages à Cauchoise, à la Tour Tallebot, à laTour des Jacobins, à la Tour Caillot, à la Corderie ; auprès deMartainville, à la Tour aux Rats ; près Saint-Hilaire, à la fausseporte Saint-Romain. Ce sont de véritables bandes de travailleurspublics qui pendant plusieurs mois se rendent en ces lieux : 1.200hommes, 600 femmes, 600 enfants depuis huit ans jusqu’à quatorze ans.Chaque jour, on leur distribue : pour les hommes, un pain cuit etrassis du poids de 16 onces, pour leur dîner, et 18 deniers le soir ;aux femmes, un pain de 8 onces à dîner et 10 deniers au soir. Lesenfants touchent aussi un pain du même poids, mais seulement 1 liard.Et Carrouges fait observer que pour fournir ce nombre de pains, ilfaudra 4 muids de blé par semaine, blé qu’on fait venir très chèrementd’Honfleur et du Havre. Plus tard, en 1581, par exemple, on fournira à ces pauvres diables laboisson : 20 deniers de pain et 10 deniers de bière. Quelle que soit la cause de ces misères et de ces détresses qui serenouvellent trop souvent, c’est toujours aux ateliers de charité quela Ville a recours dans ces périodes difficiles et elle les emploie auxmêmes tâches ; travaux aux fortifications, travaux de nettoyage ou devicinalité. En 1590, 800 hommes par jour, levés proportionnellementdans chaque paroisse, sont employés aux fortifications, de six heuresdu matin à six heures du soir. Les uns sont garnis de grandes bottes ettravaillent « au méreau » ; les autres sont des travailleurs au piquois et les autres à la pelle. Une autre escouade prise « parsizaine » est employée dans les fossés. Tous touchent 5 sous par jour. Cinq ans après, tout ce qu’il y a à Rouen de gueux, de mendiantsvalides, armés de brouettes est employé à enlever les ordures et lesimmondices répandues dans la ville - et il n’en manquait pas ! Quatre àcinq mille bannelées de boues et d’ordures étaient amassées dans lesrues et les places, principalement vers le Vieux-Palais, la rueHerbière et le Pont-Aritaine. Qu’on s’étonne ensuite que la peste vintsi souvent visiter la vieille ville ! Entre temps, en 1597, notamment, les ateliers de charité sontemployés sur les quais et talus et surtout à la démolition définitivedu fort de Sainte-Catherine, qu’Henri IV a ordonné de déraser. Mais ony emploie surtout des « personnes fortes de dix-huit à trente ans, avechottes, pesles et picquois et n’y seront reçuz aucunes femmes et filles». Cette démolition du fort Sainte-Catherine, imposée aux échevinsrouennais par l’autorité royale, étant, par suite du mode de travailemployé, très onéreuse pour la Ville, celle-ci finira par demander queles travaux soient faits par les paroisses de la banlieue limitrophe.Au cours de ces dernières années du XVIe siècle, les ateliers decharité assistèrent un très grand nombre de pauvres. Voici, parexemple, pour une année, la distribution de ces ateliers à Rouen : 1er Atelier : 277 hommes, 530 femmes et 411 enfants ; - 2e atelier: 215 hommes, 531 femmes, 815 enfants ; 3e atelier : 104 hommes, 459femmes et 519 enfants ; - 4e atelier : 260 hommes, 414 femmes et 237enfants. On leur donnait, à neuf heures du matin : à chaque homme, un pain d’unelivre ; à chaque femme, un pain de 12 onces ; à un enfant, un pain de 8onces. Les hommes gagnaient alors 18 deniers ; les femmes, 10 ; lesenfants, 3. Les dimanches et fêtes, on donnait du pain, mais pasd’argent. Pendant tout le courant du XVIIe et du XVIIIe siècle, les ateliers decharité fonctionnent à Rouen, et c’est à eux que sont dus, bien que lepublic ne s’en doute guère, de très grands travaux de voirie qui ontmétamorphosé l’aspect de notre ville. Tout d’abord, à cette époque, on voit que l’assistance aux pauvres etaux indigents s’exerce sous des formes moins rudes, moins attentatoiresà la dignité humaine. Ainsi, en 1609, quand l’autorité royale veutqu’on occupe à Rouen les Irlandais et les vagabonds, réfugiés dans lesmaisons en démolition, et qu’on les enchaîne, la Ville demande trèshumainement d’être déchargée « de cette chose non usitée ici ». D’autrepart, les ateliers de femmes sont organisés d’une façon plus sérieuseet plus décente. On ne voit plus les femmes occupées aux travaux deterrassements portant la hotte du pionnier ; en 1613, on fournit auxfemmes des cardes, des rouets à filer, des métiers à rubans, et lesvieillards passent leur temps, moyennant un léger salaire, à effiler devieux câbles pour en faire de l’étoupe ou à piler du ciment. Biensouvent, les ateliers de charité, sur l’ordre du Parlement, durentêtre réouverts par la Ville qui, parfois, à cause de la pénuriefinancière, refusait d’obéir à ces injonctions, notamment en 1649,après une des dernières épidémies de peste. « Les grandes charges quileur ont été imposées, disent les Echevins, ne leur permettent pas defaire les dépenses des ateliers publics et ils se contenteront dedonner 100 livres par semaine, pour la nourriture des pauvres. » Cependant, la crise que le commerce et les manufactures traversèrent,vers 1689, allait déterminer un très vaste travail entrepris par les Ateliers de charité de la ville de Rouen. Qui se doute aujourd’hui que l’énorme remblai de terre qui formel’avenue de Saint-Paul, traversant le Champ-de-Mars et les anciensmarécages du Pré-au-Loup, fut entrepris par les ateliers publics despauvres et des malheureux ? Qui se doute que les condos de l’avenuede Saint-Paul, appelés aussi Cours de Paris, Cours Dauphin ou Chemin-Neuf, furent dus à une entreprise générale d’assistance ?Autrefois, la route de Paris arrivait à l’extrémité de la côteSainte-Catherine et descendait par le Mont-Gargan pour gagner lachaussée de Martainville. Depuis le XVIe siècle, la route descendait àflanc de coteau des hauteurs de Bonsecours pour gagner Saint-Paul, d’oùelle rejoignait ensuite Martainville. Le Chemin-Neuf, proposé dès1689 par l’ingénieur Genevois, devait abréger cette arrivée dans laville en passant en droite ligne à travers les marais remblayés duPré-au-Loup… A ce chemin de 104 pieds de large, « sans comprendre la descente desterres, tiré en droite ligne du cimetière Saint-Paul aux quais », ilfut employé un très grand nombre d’ouvriers pris, dit une délibérationdes Echevins, « entre les pauvres artisans de cette ville quimanquaient de travail, sur les certificats des curés. » On leur donnaità chacun 1 livre de pain et 2 sols par jour ; on décida même de payer àces pauvres ouvriers, 1 sol par chaque tombereau et d’augmenter autantqu’on pourrait le nombre des tombereaux. On vendait également à toutces malheureux du blé au détail et au rabais, à 3 livres 12 sous leboisseau. L’année suivante, on employa même aux travaux du Chemin-Neuf le présent de 1.000 écus fait à la ville par le duc deMontmorency-Luxembourg et un trésor qui avait été trouvé dans lesdéblais d’une roche près de Saint-Paul. En 1709, s’ouvre une nouvelle crise du commerce et des manufactures quidétermine parmi la population ouvrière de véritables émeutes et lepillage de la maison de l’intendant de Courson, de celles dusous-intendant Broust et du commissaire Mauger. Le moyen d’apaiser cestroubles auxquels se mêlent les artisans de Darnétal, c’est de rouvrirles chantiers du Chemin-Neuf, et c’est ce que fait l’Hôtel-de-Ville.En même temps, on donne ordre aux gardes boulangers de distribuer de lafarine à tous les pauvres qui sont employés au chemin de Saint-Paul. Attirés par cette distribution, ceux-ci sont si nombreux « que l’on estobligé de n’admettre que les hommes au-dessus de 18 ans, à chacundesquels on donne un pain d’une livre et 2 sous 6 deniers en argent.Aux autres, on distribuait de l’argent dans les cimetières desparoisses. L’année suivante, la crise se prolongeant, on estimait à25.000 le nombre des ouvriers dans le dénûment, assistés par la ville,grâce à un prélèvement de 300.000 livres. Enfin, peu à peu, le Chemin-Neuf se terminait : en 1729, la ville enfaisait contreplanter la chaussée d’arbres formant avenues, et en 1729,en l’honneur du fils aîné de Louis XV, on lui donnait le nom de CoursDauphin. Aujourd’hui, quand les foules populaires viennent assister làaux réjouissances publiques sur la place du Champ-de-Mars, aux fêtes,aux feux d’artifice, qui penserait à tout ce que ces terres remuéesreprésentent de misères et de tristesses !... Une autre entreprise de voirie très importante pour l’embellissement dela ville allait faire pendant au Cours Dauphin, dû à descirconstances analogues. En 1767, la cherté du blé et le manqued’ouvrages amena l’intendant M. de Crosne, aidé par la Chambre decommerce, à faire entreprendre, par les ouvriers sans travail, tout leredressement de l’avenue du Mont-Riboudet, dont les remblais furentfournis par la route de Paris d’en bas à Eauplet, qu’on élargit en mêmetemps. Ce furent également les ateliers de charité, soutenus par labienfaisance publique, qui poursuivirent les travaux de la route duHavre à Déville, la route de Paris au Mesnil-Esnard et la côte deCanteleu. Enfin, un dernier travail, plus considérable encore que tous ceux quenous venons d’énumérer, allait être entrepris en très grande partie parles terrassiers des ateliers communaux, c’est la création, surl’enceinte des remparts disparus, de ces nouveaux boulevards bordésd’avenues plantées, qui restera l’honneur de l’administration de M. deCrosne. Les portes abattues, dès 1765, le boulevard Cauchoise étaitouvert, et les Archives départementales nous ont gardé les noms de tousles artisans, divisés en équipes, qui participèrent aux travaux. Il yavait même des ateliers d’enfants. Le boulevard de Saint-Hilaire àBeauvoisine était dressé en 1766 ; de Beauvoisine à Bouvreuil, en 1768; de Bouvreuil à cauchoise en 1780, et on trouve la preuve que partout,on employa les ateliers communaux à ces travaux si utiles. « Il a été représenté, dit une délibération municipale, que la chertédu bled et la langueur des manufactures, met dans la nécessité desecourir le peuple ; que la façon la plus convenable de le faire est delui procurer du travail, comme on a fait dans de pareillescirconstances, en ouvrant des travaux publics et de rendre ce travailutile et avantageux au public ; que pour rendre ce travail utile à lacité, il seroit à propos de s’appliquer à raccorder la partie desboulevards, de Bouvreuil à Beauvoisine ». A la veille de la Révolution, l’idée des Ateliers de charité et de cemode d’assistance est tellement en honneur que les Ateliers decharité n’existent pas seulement à Rouen, mais dans toutes lesparoisses du pays de Caux et du Vexin. Une lettre de Joly de Fleury àM. de Crosne, en 1781, indique que « rien n’est plus satisfaisant quele compte qui en est rendu au Roi, chaque année, et qu’il faut ne riennégliger pour les maintenir et les perfectionner. » Leur but principaldoit être d’ouvrir les communications vicinales. D’autre part, leministre Ory avait déjà tracé les instructions pour l’établissement etla régie de ces institutions. On trouve des ateliers à Auffay, àDuclair, à Gournay, à Ecouis, à Blangy, à Sommery, à Cailly, àElbeuf-sur-Andelle, à Envermeu, à Yville et il ne faut pas confondreleurs travaux avec ceux des corvées ordinaires. On leur doit le cheminde Pavilly à Barentin, l’entrée de Duclair, le chemin d’Ecos à Gisors,la route de la Côte de La Valette à Maromme, la construction d’un épi àSainte-Adresse pour protéger la falaise, la réparation des routes deDarnétal, le chemin de Saint-Aubin-Celloville à Saint-Adrien, trèsutile pour le transport des terres à potier. Maintes fois la Commission intermédiaire de Normandie eut à seprononcer sur des demandes de création d’ateliers de charité. Dansl’Eure, d’après l’important travail qu’il publie sur ce département, M.P. Duchemin a indiqué un très grand nombre d’ateliers de charitésubventionnés par le roi et par les grands propriétaires voisins. Detous côtés, on sollicitait la création de ces ateliers, qui rendirentsi souvent d’utiles services. GEORGESDUBOSC |