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DUBOSC, Georges (1854-1927) : L'Étendard de Normandie (1927). Numérisation du texte : O. Bogros pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (23.V.2013) [Ce texte n'ayantpas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement desfautes non corrigées]. Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@lintercom.fr, [Olivier Bogros]obogros@lintercom.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusionlibre et gratuite (freeware) Orthographe etgraphie conservées. Texte établi sur l'exemplaire de la Médiathèque (Bm Lx: Norm GF) de La Normandie Illustrée: revue de tourisme et d'art, n°16 - Juillet 1927. L'ÉTENDARD DE NORMANDIE par Georges Dubosc _____ Il est question d'arborer ànouveau, à propos des fêtes en l'honneur de Guillaume le Conquérant,le rouge étendard de Normandie, qui fut la parure flamboyante duMillénaire de Normandie en 1911. Il nous souvient qu'un jour, quelquetemps avant ces belles fêtes rouennaises, l'original marquis de laRochethulon, président du Souvenir normand, demandait à Jean Revelétonné où il pourrait se procurer un bel étendard normand !... « Allezaux Nouvelles Galeries, lui dit-il en désespoir de cause ! » Le marquiss'y rendit et commanda un immense étendard, la « bannière aux deuxlions », comme dit Gaston le Révérend, et l'arbora au balcon de sonhôtel. En même temps, les Nouvelles Galeries mirent en vente denombreux étendards, en forme de pennons trifides, qui partoutflottèrent sur nos maisons et nos monuments. D'où viennent ces couleurs, et d'où vient l'étendard de notreprovince. Il est bien certain que la bannière des premiers Normandsétait rouge, d'un rouge de flammes rutilantes. Cil porta gonfanon d'en drap vermeil d'Espagne dit Robert Wace, dans le Roman de Rou, en décrivant l'étendard quiflotta sur les murs de Rouen, en 946. De même, au temps de la Conquêtedes Lieux Saints ou de la Sicile, l'étendard normand était rouge.Albert d'Aix, dans son Histoire de Jérusalem, dit que l'étendard deBohémond était rouge, « rouge comme le sang ». Partout, en tous lesendroits où l'arborèrent les Normands, l'étendard comme les bouclierssuspendus aux flancs des drakkars ou au grand mât, était rouge, d'un rouge ardent, brillant, cramoisi, invariablement rouge. Et les léopards d'or ? Ils sont l'emblème très anciennement adopté desducs normands, leur signe particulier, transmis par eux aux comtesd'Anjou et aux rois d'Angleterre. Parfois, ils sont confondus avec leslions, et, sous cette forme, on retrouve à Saint-Etienne de Caen, àFalaise, dans l'église Saint-Gervais, dans la cathédrale de Bayeux,construite sous l'épiscopat d'Odon, le frère de Guillaume leConquérant. En Angleterre, après la conquête, les lions apparaissentavec les Plantagenets. L'un d'eux, Henri III d'Angleterre, changea leslions en léopards. D'après Mathieu Paris, ce changement se fit sur lesarmoiries en 1285 et il ajoute « les léopards d'or étaient bienl'insigne des ducs de Normandie ». Lion ou Léopard ? A première vue, il n'y a pas l'air d'exister une biennotable différence. Et cependant il en existe une pour les héraldistes,gens fort minutieux. Dans le blason, le lion est toujours représenté rampant,c'est-à-dire dressé sur ses pattes de derrière, la patte dextre dedevant élevée et la patte senestre de derrière, posée en arrière. Il ade plus la tête de profil, la langue saillante, la queue levée - etretenez bien ce détail capital - la queue se recourbant vers le dos. Le léopard, au contraire, est toujours figuré passant,c'est-à-dire avec la tête de face, marchant horizontalement, la queuelevée mais se recourbant au dehors. Il est vrai qu'il y a, même avec leblason, des accommodements et qu'on vit des lions léopardisés ou encore des léopards lionnés.On inventa aussi au seizième siècle de figurer, au dire de Vulson de laColombière et de Gilbert de Varennes, en azur la langue et les onglesdes léopards normands. Souvent, on s'est demandé pourquoi deux léopards seulement figuraient dans les armoiries ducales normandes, tandis qu'il y en est représenté troisdans les armoiries anglaises. Il semble que le léopard de... supplémentsoit tout simplement l'emblème héraldique de la province française deGuyenne, qui se rattacha longtemps à lacouronne d'Angleterre. Sur le tombeau de la reine Eléonored'Aquitaine, figure l'écu de son mari Henri II, à deux léopards d'or «qui est Normandie » et celui d'Eléonore à un seul léopard d'or « quiest Guyenne ». Est-il besoin d'ajouter que lorsque la Normandie revint à la couronnede France, l'emblème des anciens ducs disparut pour faire place auxfleurs de lys de France ? Cependant, nombre de villes normandes, ensouvenir du blason provincial, conservèrent le léopard d'or sur cechamp de gueules flamboyant qui fut toujours la véritable couleurnormande. Parmi les armoiries urbaines, le léopard de Normandie figure encore dans les armes de Bayeux, dans celles de Coutances, dans legrand sceau de la commune de Rouen jusqu'en 1260, dans les armoiriesde Verneuil, dans celles des abbayes de Saint-Etienne et de la Trinitéde Caen, de Bonport, de Beaubec, de Fécamp du Valasse, des prieurés deBonnes-Nouvelles, de Saint-Lô de Rouen, de Saint-Vigor, près Bayeux. Onles retrouve aussi sur une foule de sceaux de vicomtés, à Caen, àBayeux, à Falaise ; à Caen, sur le sceau de la Faculté des Sciences ; onles retrouve même ailleurs que dans la province, parmi les quatreécussons placés au côté de la Vierge, sur le sceau de la Faculté desArts de l'Université de Paris en 1513, où se trouvent les armes de lanation normande. Parfois même, dans la monarchie française, quand un prince de sangroyal était donné comme duc à la province, on voyait réapparaître lesarmoiries et le sceau ducal aux léopards substitués aux fleurs de lys.C'est le cas en 1333 quand Jean, fils aîné de Philippe le Valois, estcouronné comme duc de Normandie. C'est aussi le cas, quand le princeCharles, frère de Louis XI, est fait duc de Normandie. Dans certainesgrandes occasions, les armoiries normandes jusqu'en notre tempsressuscitent aussi souvent. Quand Henri IV fait son entrée à Rouen en1599, sur le pont-levis de la première porte du grand pont, on a figuréune statue en ronde bosse, représentant une femme gisante sur desruines avec deux léopards derrière elle. Cette femme qui tend les brasvers l'effigie du Roi, c'est la Normandie et ses deux insignes. Quandle souverain fait plus tard, en 1603, son entrée à Caen, il trouvepartout, mêlées ou séparées, la représentation de ses armes de laNormandie et de la ville de Caen. Ne les voit-on pas encore sculptées au fronton de la porte de l'ancienHôtel de la Présidence, aujourd'hui l'Hôtel des Sociétés Savantes, rueSaint-Lô. L'étendard de Normandie que nous venons de décrire n'est pas restéinvariablement le même. A partir de Guillaume, il n'a plus le privilègeexclusif sur l'étendard ducal. D'après Willement, l'étendard représenté sur la figure équestre dugrand sceau de Guillaume serait divisé en raies horizontales. Il serait fascé ou burelé en dix bandes, dépassant le nombre héraldique qui étaitde sept. D'après une description, contenue dans la généalogie de la reineElisabeth, conservée à Buckingham, les émaux seraient d'azur ou d'argent. Ces burelés que Canet n'admet point seraient le blason deFlubert de Falaise, grand-père maternel du duc Guillaume, avant laconquête. Dans la Tapisserie de Bayeux existent encore plusieurs typesd'étendards ou de drapeaux normands : Voici tout d'abord la fameusebannière envoyée à Guillaume par le pape Alexandre II. Le vexillumSancti Petri apostoli. On a cru la reconnaître dans une scène de laTapisserie entre la maison incendiée et le départ des Normands pour labataille. Orderic Vital l'a dit blanche et placée au bout d'une lance. Eleaurait été bordée d'or, avec une figure ronde au milieu et se seraitterminée par trois banderoles bleues. Guillaume de Malmesbury, d'aprèsLéchaudé d'Anisy, a dit qu'on l'avait plantée près du duc-roi demanière à être vue pendant le combat, mais le texte de Malmesburysemble plutôt se rapporter à la bannière d'Harold, qui représentait unguerrier combattant, brodé en or et relevé de pierrerie. Dans ses observations sur la Tapisserie de Bayeux, Hudron Gurneyaffirme que la bannière normande est invariablement d'argent avecbordure bleue, sur une croix d'or. On la retrouverait d'après lui dansla guerre contre Conan, aussi bien qu'à Pevensey et à Hastings. L'abbéDelarue a combattu cette opinion et dit que les moines de l'abbayeSaint-Etienne de Caen, dans leurs manuscrits, l'ont représentée degueules à la bande échiquetée d'argent et d'azur, sans banderoles. Les interprétations de l'étendard sur la Tapisserie ne sont pas souventidentiques ; la bordure est généralement bleue et la croix d'or est surchamp d'argent. C'est un peu la même opinion que Gurney. Outre leur bannière principale, les ducs en arboraient une seconde surle front de leur armée, c'était l'étendard au dragon, souvent adoptépar différents peuples. La Tapisserie de Bayeux en montre plusieursmême dans l'armée d'Harold. « On voit, dit l'abbé Delarue, le dragon duConquérant porté à sa suite par Robert Bertrand, au moment où l'arméenormande s'avance. Il ne parait déployé qu'à moitié, sa couleur estblanche, mais son corps est orné de pointes rouges et aiguës.Ordinairement, sa tête était un métal scintillant. » Quand le drapeauétait développé, le dragon paraissait remuer ; parfois, il était chargéd'un oiseau, mouette ou aigle, comme sont certains dragons desempereurs d'Allemagne. Cet étendard qui rappelle les drapeaux japonaisou chinois est fixé souvent à une lance. C'était une sorte de monstrefabuleux orné de griffes d'acier et d'une queue de serpent destiné àjeter la terreur chez les ennemis. D'après la chronique manuscrite deGervasius, Tilberriensis, rapportée par Dueange, le dragon de RichardCreur de Lion, avait une tête d'or et cette bannière fut terrible pourles païens pendant toute la croisade. Paganis in ultramontanis partibusterribile. Quand la Normandie fut remise à la France l'étendard audragon fut conservé par l'Angleterre : on le déployait dans lesattaques sévères et cela indiquait qu'on ne voulait faire aucunquartier à l'enemi. On rencontre dans l'histoire d'Angleterre ont le titre de porte-dragon. Reste encore une enseigne qui figura plusieurs fois dans l'arméenormande, bien que d'origine germanique, c'est la bannière blancheornée du corbeau noir d'Odin. C'était un second étendard comme ledragon. Ici doivent se borner ces notes rapides sur les étendards normandsremis en honneur par la commémoration glorieuse des temps de laConquête et des Conquérants. Georges DUBOSC. |