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DUBOSC, Georges (1854-1927) :  Le "Haro normand" (1927).
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électroniquede la Médiathèque André Malraux de Lisieux (06 juin 2013)
Texte relu par : A. Guézou
Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex
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Diffusionlibre et gratuite (freeware)

Orthographe etgraphie conservées.
Texte établi sur l'exemplaire de la Médiathèque (Bm Lx: Norm GF) de La Normandie Illustrée: revue de tourisme et d'art, n°11-1927.


LE "HARO NORMAND"
par
Georges Dubosc
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Il y a quelques années – c’était croyons-nous en 1923 – un habitant deJersey se mit à crier tout d’un coup, à genoux, sur la place du Marché,à Saint-Hélier : «  Haro ! Mon duc ! Il m’est fait tort ». C’était unsir Cyril-Henry cross, locataire expulsé, auquel on avait... coupé legaz ! Tout simplement, il évoquait son droit par clameur de « haro »et faisait appel à une disposition très curieuse de l’ancienne «coutume de Normandie », toujours vivante dans les îles anglo-normandes.

Or donc, le droit normand permettait de crier haro, à toute personneestimant être la victime d’un acte de violence. Ce cri de haro avaitpour effet de troubler, c’est-à-dire d’arrêter l’acte arbitraire, parsuite de l’intervention immédiate, soudaine des voisins. Ils avaient ledevoir d’accourir au cri pour prêter assistance. Et en cas contraire,il y avait d’énormes amendes ! L’accusé, arrêté ainsi à la suite d’une« clameur de haro », était traduit, presque sans délai, devant untribunal ou un bailliage.

Le caractère le plus typique, le plus spécial de la « clameur de haro» est la qualité qu’il conférait à celui qui l’avait poussé. Il étaitdès lors considéré comme investi d’une sorte de fonction publique.Lui-même, pouvait arrêter le coupable, ou l’ajourner à son gré, devantune Cour de justice, et cela sans intervention d’un sergent ou d’unhuissier.

Est-il besoin de dire que ces droits considérables, immédiats du haronormand, auraient entraîné des abus fréquents, intolérables, si onn’avait institué des peines extrêmement fortes d’amende et de prisoncontre ceux se servant du haro hors de propos ? C’était ce que lacoutume appelait : le fol cri de haro, et la justice normande nebadinait pas à leur endroit, s’ils avaient mis à tort l’action publiqueen action. Quelques années après la guerre, lors d’une visite du roid’Angleterre George V, comme duc de Normandie, dans les îlesanglo-normandes, un bon touriste anglais s’avisa de crier « haro auduc ! » sur la place de Jersey, étendu, les bras en croix sur lesol... pour rien, pour le plaisir, pour voir si la vieille coutumeexistait toujours et si les Anglais traditionnalistes l’avaientconservée. On le saisit et, par autorité de justice, il fut conduit belet bien devant le grand bailli de l’île. Il fut condamné à une trèsforte amende, en vertu du fol haro, comme s’étant moqué de lajustice, qui ne rit pas souvent...

Le haro s’appliqua tout d’abord aux violences sur la personne.C’était ce qu’on appelait : le haro de plaie et de sang, mais ils’étendit bientôt aux affaires civiles, pour les délits flagrants etles troubles de possession, les saisies d’héritage, les saisiesimmobilières faites sans droit. Dans ce cas, la saisie pouvait être troublée à cri de haro. La procédure se faisait à Rouen même. Lesparties comparaissaient devant la juridiction des Plès d’héritages,si bien étudiée par M. Lucien Valin, ancien maire de Rouen, et queprésidait autrefois le premier magistrat municipal de Rouen, quistatuait sur la « clameur », c’est-à-dire sur l’action de haro. Le registre de Nicolle Le Couette, qui fut maire de Rouen de 1364 à1365, est ainsi rempli de jugements et de sentences sur des actions de haro.

Quelle était l’origine étymologique de ce cri de haro ? C’est unequestion qui a vivement divisé les érudits et particulièrement lesjuristes de l’Ecole de Caen : Sorin ; Houard, le commentateur de la «Coutume normande » ; Guillouard, qui a écrit tout un volume surl’Origine de la clameur de haro ; de Gruchy, Glasson, Mairet.

L’opinion la plus répandue, sinon la plus juste, est que le haron’était qu’une invocation, un appel du Normand blessé dans sa personneou dans ses biens, à Rou ou Rollon, son premier duc. Grandjusticier, grand gentilhomme ou vilain, on l’ « outrageait de violences». D’autres disent que Rollon n’avait rien inventé et que le haron’était même pas exclusivement normand ou scandinave, mais plutôtd’origine barbare et germanique, et qu’on le rencontrait dans les loisripuaires.

Toujours est-il qu’après avoir été introduit pendant quelque temps enFrance, en 1274, le haro a persisté comme une coutume purementnormande, et non anglaise, ainsi qu’on l’a rapporté par erreur.Dernièrement, lors de l’établissement d’une petite voie ferrée àJersey, maints propriétaires de terrains eurent encore recours à la clameur de haro et s’en trouvèrent bien ! Ils pouvaient, du reste,invoquer un illustre exemple à leur profit.

C’est un incident des obsèques si tragiques de Guillaume-le-Conquérant,quand il fut rapporté de Rouen, où il était mort, en l’église abbatialede Saint-Etienne, à Caen. Il faut lire dans Orderic Vital, le récit desscènes étranges qui se déroulèrent alors : l’abandon honteux de soncorps par ses plus intimes familiers ; le soin des funérailles laissé àun étranger ; la dispersion du cortège à Caen, par un incendie quiravageait la ville ; la déchirure du cercueil, laissant répandre lesviscères du duc-roi, tandis que les prêtres, pour éviter cette horriblepestilence, brûlaient des nuages d’encens et d’aromates.

Mais voici l’incident provocateur de la « clameur de haro » : Tout d’uncoup, au milieu de la cérémonie, un serf nommé Ascelin se dressa etfaisant appel au haro normand, proclama qu’il s’opposait aux obsèquesde Guillaume-le-Conquérant, avant qu’on ne lui ait payé la valeur dusol, dont il avait été injustement dépossédé, lorsqu’on avait construitl’abbaye de Saint-Etienne. Et trois fois il répéta son cri !

On a révoqué en doute cet incident relatif à l’intercession d’Ascelindans la cérémonie. Le fait est, cependant, hors de contestation. Il estaffirmé de la façon la plus positive par Orderic Vital qui nous apprendmême ce détail que les moines, pour faire cesser ce scandale,entourèrent Ascelin et lui versèrent sur le champ 60 sols, pour le seulemplacement de la tombe.

D’après Guillaume de Malmesbury, ce serait Henri II lui-même présentaux obsèques, qui fit compter au réclamant cent livres d’argent. Danstous les cas, on trouve dans la grande Charte de Henri, un passage quiparaît lever tous les doutes. On y lit que Rudolphe, fils d’Ascelin, avendu à l’abbaye de Saint-Etienne toute la terre qui pouvait luiappartenir à l’intérieur et l’extérieur de l’église, intra et circaecclesiam, sans que les héritiers puissent jamais élever une clameurau sujet de cette vente et de celles qui avaient été faitesprécédemment à l’abbaye. N’est-ce pas autre chose que la confirmationpure et simple de l’arrangement conclu avec Ascelin au moment desfunérailles ? N’est-ce pas la preuve juridique de cette clameur de haro, proclamée en des circonstances tragiques et qui a retenti àtravers les siècles !

Georges DUBOSC.