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DUBOSC, Georges (1854-1927) : Les Bains de Rouen(1902). Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électroniquede la Médiathèque André Malraux de Lisieux (16.VII.2016) Texte relu par : A. Guézou Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@lintercom.fr, [Olivier Bogros]obogros@lintercom.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusionlibre et gratuite (freeware) Orthographe etgraphie conservées. Première parution dans le Journal de Rouen du 25 mai 1902.Texte établi sur l'exemplaire de la médiathèque (Bm Lx : norm 1496) de Par-ci, par-là : études d'histoire et demoeurs normandes, 3ème série, publié à Rouen chez Defontaine en 1923. LES BAINS DE ROUEN par Georges DUBOSC _____ Pendant les mois d’ardeurs étouffantes, il y a foule sur les pontonsdes écoles de natation rouennaises, vers la fin des journées lourdes etassommantes. Il est bien certain qu’on n’a pas attendu, cependant, lacréation d’établissements de bains froids pour aller, au temps deschaleurs, « piquer une tête » ou « allonger la brasse », dans les eauxrafraîchissantes de la Seine. Grisel, l’historien des mœurs anciennes,nous apprend, en effet, que les jeunes Rouennais, en ces temps debaignades primitives, ne se faisaient faute d’aller « faire la planche». « Les hommes, dit-il, cherchent des endroits profonds, isolés ; lesfemmes, des endroits solitaires. Du haut de la barque, ils se jettentdans les eaux transparentes. Quelques-uns se plaisent à se laisserchoir du haut de la proue des navires ; leur chute fait tourbillonneren rond l’onde blanchissante ». D’autres se jetaient les pieds joints et le corps droit », du haut duvieux Pont-Mathilde, prouesse fatale que devait, sur un autre pont,renouveler Louis Brune. De très habiles nageurs existaient, du reste,depuis longtemps à Rouen. Sans leur habileté, comment aurait-on puorganiser, lors de l’entrée d’Henri II en 1550, cette merveilleuse fêtenautique du Triomphe de la Rivière, avec ses dauphins azurés portantArion, au beau milieu de la Seine, avec ses bandes de tritons, sessirènes ? N’étaient-ce point d’émérites nageuses que ces jeunesRouennaises qui représentèrent Thétis, venant saluer Catherine deMédicis et se précipitant du haut de leur char dans le fleuve ? Pour réaliser une semblable mise en scène aquatique qui dépassait debeaucoup les pantomimes sur l’eau du nouveau Cirque et qui exigeait unevéritable troupe de nageurs et de plongeurs, il fallait qu’il y eut àRouen nombre de gens habiles dans la natation. La vieille gravure, LeTriomphe de la Rivière, est bien l’apothéose des nageurs rouennais. * * * Ce sont là jeux de prince. Pour toutes les baignades en Seine, il n’yavait guère d’endroit déterminé. Cependant certains bateaux à laver,d’une installation fort primitive, devaient servir de lieu de réunionpour les nageurs. C’est ainsi qu’une veuve Boulanger, lessiveuse dansl’île Lacroix, proteste auprès de l’Intendance pour qu’on ne l’empêchepas d’offrir un asile aux baigneurs rouennais. Mais, en 1767, apparaîtle premier établissement de bains froids sur la Seine. A cette date,Plantigny, que représente à Rouen Nicolas Lambert, adresse une requêteaux Echevins. « Elle tend à ce que, vu le privilège exclusif à lui accordé par SaMajesté d’établir des bains publics en cette ville, suivant lettrespatentes enregistrées au Parlement, le 19 août, il lui soit accordé, àtitre de fieffe, pour soixante-dix années, un terrain sur la longueurd’environ 200 pieds sur la banque du Chemin-Neuf, vers la Seine, àprendre, au-dessous du chemin qui descend au quai aux Plâtres, entre cechemin et le quai des bateaux du Port-Saint-Ouen, concession limitée àquarante-neuf ans ». La concession demandée fut accordée, et ainsi furent créées Les BainsPlantigny, très longtemps connus à Rouen au commencement du siècle, etqui se trouvaient à hauteur du Pré-au-Loup, où ont lieu encore lesbaignades militaires, sur l’ancien cours Dauphin, notre actuelle avenuede Saint-Paul. En 1773, Plantigny avait bien demandé de joindre à cesbains froids l’installation de bains chauds, mais c’était porteratteinte au privilège des barbiers-étuvistes, qui, depuis le moyen âge,avaient le privilège de ce service. On refusa donc à Plantigny ce qu’ildemandait. On se contenta de renouveler son privilège en 1783, tout enlaissant au sieur Savin et à la veuve Boulanger, la permission de tenirleurs bains populaires. C’était justice, car les Bains Plantigny, fortbien organisés, dans une maison que le propriétaire avait faitconstruire, coûtaient assez cher : 3 livres et 3 livres et demie. LesBains Plantigny, qui existèrent jusqu’en 1820 environ, grâce à leurmonopole, étaient fort joliment situés, en un endroit où la Seine n’estpoint encore souillée par les excreta et les matières « alvines »,ainsi que s’exprime si poétiquement le jargon hygiénique. A proprement parler, la véritable école de natation fut créée par unarrêté de la Commune de Rouen, le 26 floréal an II, suivant lequel « onétablit des bains publics et gratuits et une école de natation où tousles jeunes citoyens seront admis. » Déjà à Evreux, en 1789, il existaitdes bains froids, privilège du duc de Bouillon, – un vrai nom demaître-nageur, – concédé au sieur Fournier, le patron du Grand-Cerf, qui exploitait cet établissement, placé sur l’Eure, à unquart de lieue de la ville, près de Navarre. Fournier était un habilehomme, qui faisait dans le Journal de Rouen d’alors des réclamesvraiment originales : « L’air est pur et salubre, disait-il, parlant deses bains champêtres, pour y perfectionner sa santé ! » A Rouen, vers 1815, les établissements de bains étaient devenus plusnombreux : c’était, pour la plupart, des établissements mixtes. Il y enavait un, à l’extrémité des ruines de l’ancien pont de pierre, en facela rue Grand-Pont ; un autre, – qui servait, croyons-nous, surtout pourles bains chauds, – était établi à Saint-Sever, sur la rive gauche, oùil était entouré d’un grand jardin, garni de berceaux de verdure. On yaccédait par un bateau particulier et stationnant en face la porteSaint-Eloi. Ces bains, situés presque au coin de la rue de laPetite-Chaussée, remontant vers les prairies, sur l’emplacement actueldes Docks, s’appelaient les « Bains Mandarin ». Dès cette époque, des bains avaient été également créés dans l’île LaMouque ou l’île Lacroix, tout encombrée alors par les pierres dunouveau pont ; mais le vrai pays des baignades rouennaises, c’étaitcette île si pittoresque, aujourd’hui disparue, l’île du Petit-Guay,près de laquelle Armand Carrel, venu à Rouen pour un procès du National, faillit périr en une partie de canotage à voile. L’île du Petit-Guay, – et non du Petit-gué comme on l’écrit souvent, –placée à l’entrée du port, devint pour ainsi dire le Conservatoire dubel art de la natation. Elle était charmante, du reste, cette petite île, rapprochée des quais dont elle n’était séparée que par un brasétroit, où venait s’amarrer en un pittoresque désordre, une flottillede petits caboteurs. Partout, sur ses rives déchaussées par le flot,étaient poussées des oseraies, qui lui faisaient comme une ceinturegrise de feuillages légers, dominés à l’extrémité vers Rouen par ungroupe de peupliers frissonnants que le peintre Lapostolet, – le vraipeintre des îles rouennaises, – a plus de cent fois reproduit dans sestableaux. * * * Par là, à l’extrémité vers Rouen, étaient les bains Fessard, les fameuxBains Fessard, avec leurs rangées de cabines, élevées d’un mètreau-dessus de la rive, à cause des grosses eaux, avec le grand ponton àtrois escaliers et la tente ronde, au toit pointu. Quelle animation,quel tohu-bohu grouillant, aux jours de juin et de juillet dans l’île,qu’on accostait du côté du Mont-Riboudet, par un double escalier menantà la maison du père Fessard, au milieu d’un pavoisement de caleçonsmulticolores, séchant sous les saules ! Qui ne se souvient encore de la longue alignée des petites cabinesétroites, rebadigeonnées en blanc à chaque saison, à moitié bâties surla berge et soutenues par des pilotis ? Cela formait comme une galeriede bois, vivante et animée, qui, par un pont léger, communiquait avecle vieux bateau démâté servant de ponton pour les baigneurs. La maisonétait placée en biais, ne faisant point face à la Seine ; un sentiertraversant l’île y conduisait à travers l’herbe verte et on apercevait,sur les cordes tendues entre les pommiers, les peignoirs flottants,séchant au soleil, et les caleçons de bain, aux couleurs bariolées,tenus par des épingles de bois. Sur le ponton, en chemise blanche, ceinture rouge de marin retenant lepantalon de coutil blanc, le père Fessard, ancien marin et voilier,entre temps passeur à la cale Saint-Eloi, dans les anciennes gondoles, veillait au grain, surveillant comme un capitaine sesmaîtres-nageurs, le père Georget et son chapeau de paille, Limare, unvieux marin, gréeur au chantier Lemire et qui fut longtempsporte-drapeau de la Société des Sauveteurs ; Thouret, un brigadierdes douanes, également sauveteur ; Dantan, un conducteur de trains debois, qui avait sauvé sous la glace toute une famille disparue dans lagrande mare de Quevilly. Les grands jours de Fessard étaient les baignades des élèves du Collègede Rouen – on ne disait point alors le Lycée Corneille ; – il fallaitalors redoubler de surveillance et d’activité pour ne laisser commettreaucune imprudence par toute cette folle jeunesse. Quand les caleçons debain avaient été distribués, en échange d’un cachet, dans une petiteguérite goudronnée où se tenait l’un des préposés, tout ce petit mondese mettait « à la trempette ! » Les moins experts, les débutants, étaient placés au « piquet »,c’est-à-dire attachés le long d’une traverse fixée au ponton. C’est làqu’on leur inculquait les beaux principes de la natation. Le généralBoum, jadis, résumait toute la tactique et toute la stratégie dans cesdeux mots : « Coupez ! Enveloppez ! » Fessard, tout aussi laconique,résumait la natation en ces deux principes : Rapprochez ! Tendez ! Etl’on « rapprochait » et l’on « tendait » ! Les plus instruits nageaient« à la corde », faisant une ou deux fois le tour du ponton, tenus,jusqu’au moment où ils remontaient, ruisselants, les escaliers, par lesmaîtres-nageurs de l’établissement. Tout ce petit monde maritime ne comptait, du reste, que de braves gens,toujours prêts à se dévouer, de père en fils. En veut-on une preuve ?Tout enfant, en 1788, un des Fessard, Michel, âgé de treize ans, veutsauver un de ses petits camarades, Marchand, qui se noyait en face laporte Saint-Eloi ; entraîné lui-même, il va périr, quand son frère,François Fessard, âgé de quinze ans, se jette à l’eau et sauve les deuxenfants. Le Journal de Normandie qui raconte le fait, dans son numérodu 19 juillet 1788, dit que Fessard demeure chez son père, batelier àSaint-Sever, en face la porte Saint-Eloi. Tous les forts nageursrouennais se donnaient rendez-vous alors chez Fessard ; bien souvent,on y vit Louis Brune ; puis Etel, un type un peu oublié, un plongeurintrépide, qui vint, en 1848, repêcher les bois et les fers duPont-aux-Anglais incendié par les émeutiers, Etel dont nous aurons àreparler. Deux célébrités de la natation, deux habitués des Bains Fessard, furentles deux Flaubert. Achille, le docteur Flaubert, avec sa longue barbe,quand il tirait sa coupe et se retournait, ruisselant, avait l’air d’unvrai dieu marin, tels les Tritons de Girardon ou des Coysevox. Grand,maigre, souple, il piquait les têtes magistralement, mais il neplongeait que pendant quelques minutes, préférant aller faire une «pleine eau » avec son ami, le Dr Pottier, dans un bateau découvert dela cale Saint-Eloi. Gustave, lui, était un grand baigneur devantl’Eternel ; à Croisset, comme il l’écrit à Ernest Feydeau, « sa grandedistraction était de se laver dans la rivière », de nager « comme unTriton ». La mort de Fessard, en 1856, fut pour Gustave Flaubert unevraie perte. Lisez plutôt ce bout de lettre à Louis Bouilhet : « Nous avons perdu un ami en la personne de Fessard, qui, avant-hier, afait son plongeon dans l’Eternité. Nous ne prendrons plus de petitsverres ensemble. J’ai des souvenirs charmants d’après-midi passées àson école, sous la petite avenue de peupliers, nu, en caleçon, avecl’odeur des filets et du goudron… la vue des voiles… je ne sais quoi,qui m’attendrit. J’ai encore dans l’oreille la voix de Fessard… » Les Bains Fessard étaient le grand rendez-vous de la jeunesse ducollège et des pensions. C’était là qu’on venait apprendre à nager, encommençant par la mise au piquet, c’est-à-dire une suspension dansl’eau avec une double corde. Venaient ensuite différentes épreuves quise terminaient par la traversée de la Seine accompagnée d’une barque ;coût : 5 francs. Dès lors, on pouvait se livrer à toutes lesexcentricités natatoires : se jeter tout habillé, faire des pleineeau, jouer à la sauterelle. Il y avait de fort bons nageurs dans toute cette jeunesse scolaire : unentre autre, élève au Collège Royal, qui fut le condisciple de l’éruditM. F. Bouquet, le malheureux Charles Vacquerie, le futur gendre deVictor Hugo, qui devait périr si tristement dans la catastrophe deVillequier. Elevé sur les bords de la Seine, à Villequier, c’était unmerveilleux nageur. Martin, le fils de Martin, député de Rouen, futaussi un des meilleurs nageurs et plongeurs du Collège de Rouen.Parfois Louis Brune venait aux Bains Fessard et après avoir plongé,s’amusait à lancer des petits cailloux ramassés au fond de la Seine. Pendant l’été, toute cette jeunesse, qui se régalait de mirlitons ou debrioches à la petite buvette tenue par la première Mme Fessard,remplissait de gaieté les abords de l’île. * * * C’était, du reste, l’île des bains que cette île du Petit-Guay ;anciennement, en 1779, il y existait une teinturerie en rouged’Andrinople, avec bateaux à laver, mais l’établissement avait disparuet, à part une blanchisserie, qui avait pris l’emplacement del’ancienne teinturerie, au milieu des oseraies, il n’y avait que despontons et des cabines. Ils étaient trois, du reste, à se partager la souveraineté de l’île.Fessard régnait à l’Est. Mais les pères Carbonnier et Morelgouvernaient le royaume des femmes. Tout à l’extrémité aval de l’île,si pittoresque avec ses grands arbres ébranchés, se terminant en unpanache de feuillage, étaient amarrés les deux pontons de bains pourdames. Combien ce coin d’ombre et de soleil, avec les petites anses deverdure creusées sur les berges, envahies par les plantes d’eau, auxgrandes torches violettes, était charmant et frais ! Que de fois, levieux peintre Lapostolet, qui affectionnait cet aspect de Seine, estvenu planter là son chevalet, noyant dans la brume argentée les toitslointains, les aiguilles et les flèches du vieux Rouen ! Plus loin, àl’extrémité de l’île, presque en face l’île Letellier, c’était leponton du père Carbonnier, très fréquenté alors par les jeunes fillesrouennaises, car la mode des bains de mer ne s’était pas encoredémocratisée. Très brave homme, type de gaieté et de bonne humeur, un tantinetfacétieux, le père Carbonnier promenait au bout de sa corde ses timidesélèves le long du ponton, en ayant soin de ne pas leur faire « boire lagoutte » ! Si, apeurées par la fraîcheur de l’eau, quelques néophytespoussaient de petits cris, une des bonnes plaisanteries du pèreCarbonnier consistait à s’écrier : « N’ayez pas peur, je vais dire àThérèse (c’était sa femme) d’ouvrir le robinet d’eau chaude ! » Et tousles ans, il répétait cette bonne blague, devenue classique... Passeurpendant l’hiver à la cale de la Morgue, l’été l’ancien brigadier desDouanes dont nous avons parlé, devenait maître-baigneur, souvent aidépar Thouret, qui, sur sa vareuse, portait la Croix de la Légiond’honneur. A côté du père Carbonnier, un peu en amont, séparé des Bains Fessardpar un pré planté de pommiers roses en mai, se trouvait jadis la remisedes bois flottés, le garage de ces longs trains de bois, quidescendaient de la Bourgogne, menés par des conducteurs, tous francslurons, dont l’un des plus connus était le père Morel, contremaître deschantiers Lemire. On transbordait le long de l’île du Petit-Guay, dansde petits lougres ou des chasse-marées, ces bois destinés auxconstructions navales de Cherbourg, de Brest et de Lorient. Dans le voisinage de cette remise des trains de bois flottait égalementun autre ponton, l’établissement de bains pour dames, très connu ettrès fréquenté, fondé par Leprestre, dit Morel, et auquel avait succédéMorel-Leblanc. Les Morel avaient des parents dans ces parages, à l’îleLetellier, où se trouvait le chantier de construction Saint-Saulieu, etc’est là que jadis Saint-Saulieu, chapelier, sauva, à l’âge de douzeans, des enfants qui se baignaient sur le quai des Curandiers, près del’appontement des Forges de Laubanière. A-t-on assez ri, jadis, de lafacétieuse enseigne parisienne des « Bains pour dames à fonds de boiset à quatre sous », qui se métamorphosa ensuite, non moinsdrôlatiquement, en « Bains pour dames à quatre sous et à fonds debois ? » Toujours est-il que le « premier fond de bois » fut installéchez Morel-Leblanc, vers cette pointe de l’île à laquelle on accédait,grâce à une barquette dont le service était fait ordinairement parquelques marins de la Douane, en congé. Parfois, le passager, – un beaugaillard jeune, aux poumons solides, – tout en souquant sur lesavirons, déclamait, au grand ébahissement des voyageurs, quelque sonoretirade de Ruy-Blas ou d’Hernani. Rien d’étonnant, du reste, à celyrisme aquatique, car le « passeur » n’était autre que le fils dumaître-baigneur, l’excellent artiste Franck-Morel, un de nos plusvibrants premiers rôles de drame… * * * En remontant le cours de la Seine, en un voyage le long de la rive, onpouvait saluer alors le Quai-aux-Cidres, avec sa fameuse pompe en bois,qu’au dire des mauvaises langues, les marchands du Champ-de-Foireauraient dû faire dorer, tant elle leur rendait d’utiles services ;puis, au bas du boulevard Cauchoise, près de l’abreuvoir aux chevaux,un établissement de bains chauds flottants, tenu par Leroy, qui futtransféré ensuite au n° 2 du quai du Mont-Riboudet, sous le nom de Bains du Commerce. On pouvait ensuite accoster au ponton du pèreCatel, auquel s’attacha la vogue, quand l’astre de Fessard déclina. Qui n’a point connu l’établissement du brave père Catel, avec son largeponton, ses escaliers, sa table où, telle la grenouille de Galvanigigotante, on apprenait aux débutants la nage par principes ; lescabines rangées en quadrilatère, d’où sortait une main implorant… lepeigne, l’unique peigne de l’établissement ? Qui ne se souvient dugrand plongeoir, placé à l’extrémité ; du Bassin à fond de bois, oùbarbottaient les timides, n’osant encore se risquer « à la corde » ?Longtemps la physionomie de vieux marin du père Catel, à la peauculottée et tannée, à la barbe en éventail, des yeux vifs sous dessourcils broussailleux, abritée d’un large chapeau de paille, vivradans les mémoires rouennaises. On se souviendra de ses bulletinsmétéorologiques dans l’ancienne Chronique de Rouen, que le père Catelsignait Le Tac ; de ces fameux vers, – pas de la prose rythmée, – quireparaissaient chaque année, au bas de l’affiche annonçant laréouverture de l’école, affichée dans toutes les rues de l’île Lacroix,sous le titre : Conseils d’un père à son fils. Enfant, n’approchez pas au bord de la rivière ! de ses cérémonies du passage de la Seine, pour le diplôme de nageur ;de sa conduite courageuse vis-à-vis des Allemands, alors qu’il fitéchouer son ponton dans la prairie de Bapeaume, quand l’ennemi vouluts’en emparer ! A l’île Lacroix, s’étaient également installés les BainsRabardy, le loueur de barques bien connu des canotiers rouennais, unancien charpentier de navire. * * * Le Galet au Cours-la-Reine, et son installation tant soit peuprimitive, sa berge en pente, son poste de troupiers, chargés deveiller au bon ordre et à la décence, le Galet, c’était les bainspopulaires véritables, les bains démocratiques, les bains à quatresous, chantés par Richepin. Longtemps, ils furent surveillés par lebrave père Lecœur, le père du constructeur rouennais, une physionomiefine et sympathique de sauveteur rouennais, auquel succéda son parentBridoux, un canotier intrépide qui fut champion de la Seine au temps oùil y avait encore des régates. Il fut alors le grand champion pour lescourses en skiffs et en périssoires, qui exigent d’être non seulementbon rameur, mais aussi bon nageur. Et savez-vous comment ces coursesprirent naissance à Rouen ? Tout simplement à cause de la présence, àRouen, d’un équipage de noirs sénégalais, montant un deslongs-courriers de la côté d’Afrique. Pour corser le programme desrégates organisées par Godebin, et qui se tenaient au Grand Cours, onannonça une course en pirogues, montées, disait l’affiche, par deux «princes du pays ». Il n’en fallut pas plus pour déterminer la vogue despérissoires et des skiffs. Quant aux bains froids, en dépit de laconcurrence que leur fait la vogue des bains de mer, longtemps encoreils vivront à Rouen, dans tout ce pays traversé et animé par la vied’un grand fleuve. Georges DUBOSC. |