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DUBOSC, Georges (1854-1927) :  Vieux papiers normands (1925).
Saisie du texte : O. Bogros pour la collection électroniquede la Médiathèque André Malraux de Lisieux (6.IX.2016)
[Ce texte n'ayant pas fait l'objet d'uneseconde lecture contient immanquablement des fautes non corrigées].
Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex
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Diffusionlibre et gratuite (freeware)

Orthographe etgraphie conservées.
Première parution dans le Journal de Rouen du dimanche 19avril1925.Texte établi sur l'exemplaire de la médiathèque (Bm Lx : norm 959-VIII).


Par ci, par là

Vieux papiers normands



par
Georges DUBOSC
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Notre ami Raoul Aubé, dont les chroniques pétillantes de verve etd'érudition,  étaient si goûtées des lecteurs du Journal deRouen, n'eut vraiment pas de chance dans sa carrière littéraire.Doublé d'un bibliothécaire et d'un historien très averti, il avaitcomposé une Bibliographie de la Presse rouennaise, très patiemmentdocumentée, pleine de détails et d'anecdotes spirituellement contés,sur tous les journaux, grands et petits, qui se succédèrent dans notrebonne ville, depuis le XVIIIe siècle jusqu'à nos jours. Ces notices oùse reflètent tout le passé de la cité, les hommes et les choses, lapolitique locale, les théâtres, les transformations et les changementsde la ville, forment une petite histoire rouennaise. Elles lui valurentjadis un prix très mérité de l'Académie de Rouen.

Malgré ce succès, jamais un éditeur ne fut assez audacieux pour publiercet ouvrage très bien fait, qui aurait rendu les plus grands services.Aucune revue littéraire, en mal de « copie », qui manque si souvent, neprit l'initiative de mettre sous les yeux de ses lecteurs ces pages siintéressantes. Et la Bibliographie de la Presse rouennaise par RaoulAubé, est restée manuscrite à la Bibliothèque de Rouen, où elle attendle Mécène qui voudra bien la transformer en un volume utile.

A une autre époque de sa vie, Raoul Aubé, qui aimait à se dépenser dansles sociétés savantes et fut longtemps l'actif secrétaire des Amis desMonuments rouennais fut chargé de publier une notice sur les Vieuxpapiers normands (1) ! La Société rouennaise de Bibliophiles, surl'initiative d'Edouard Pelay, avait réuni un très grand nombre dedocuments amusants : têtes de lettres ou de prospectus commerciaux,reproduisant souvent d'anciennes enseignes ; affiches et images deconfréries, billets d'ordre militaires, placards d'inhumationex-libris, ex-dono, attestations de prix, mille publications diverses,ornées et enjolivées de cadres, de dessins gravés ou historiés. RaoulAubé devait les décrire et les commenter. C'était une tâche quiconvenait absolument à son goût des recherches. C'était un sujet qu'ilconnaissait à fond et tout ce domaine de la publicité commerciale,avait été fouillé par lui dans ses moindres reteins. Très heureuxd'avoir été désigné pour cette publication, il était déjà prêt àpublier ses notes, vers 1914. Mais alors éclata la guerre ! On secontenta donc de publier, par fascicule, tous ces Vieux papiers,réduits en fac-similé et encore fut-on obligé de se borner à quelqueséchantillons de chaque genre.

« Tout était prêt, a écrit Raoul Aubé, et le manuscrit attendait sontour lorsque la guerre a imposé des ajournements successifs et desrestrictions de plus en plus impérieuses ». Et il ajoutemélancoliquement : « On ne trouvera donc ici qu'un bref résumé de celong travail auquel nous avions donné tous nos soins. » Successivement,en effet, et peut être bien inutilement, on avait supprimé, coupé,remanié, retardé la publication du commentaire historique qu'avaitrédigé notre ami Raoul Aubé, tant et si bien qu'il parait, après lamort de son auteur, douze ans après qu'il avait été présenté.

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Toutes ces images, ces prospectus, est-il besoin de le dire ? sont fortcurieux à feuilleter et leurs illustrations, tantôt naïves, tantôthabiles et détaillées, évoquent la vie quotidienne des artisans, desfournisseurs du Rouen ancien. Voulez-vous un chapeau ? Jacques Pézieren fournit Au Soleil d'Or, rue de la Grosse-Horloge, devantNotre-Dame de la Ronde. Voulez-vous des bonnets, « bourlets, bourses decheveux », porte-collets ? Guillotte, rue aux Juifs, en fournit àl'enseigne de La Vierge et l'Enfant, « l'Ara Cœli », près de laSainte-Chapelle du Palais de Justice. Voulez-vous de la mercerie ?Allez chez Simon Sertier, rue Grand-Pont, dont le prospectus proposedes « bas de soie, première qualité de taille, espèce noir de Paris,teints à discroisés ». Voulez-vous être habillé « patriotiquement », audernier cri des nouveautés révolutionnaires de 1789 ? Ne voyez-vous pasqu'on assiège rue des Carmes une des boutiques de la Chambre desComptes, rue des Carmes, n° 13 ? On y trouve des flammes et despavillons tricolores, des écharpes, des rubans, des cocardes pour lesmunicipalités, des épaulettes en or, des épées, des boutons d'uniformepour les officiers de la garde nationale. Si vous êtes, malgré tout,embarrassés il vous suffira de parcourir Le Grand Magasin, rueGrand-Pont, en face de la rue aux Ours. C'est vraiment un immense bazaroù se trouve de tout, des pierres précieuses, des bijoux, des sacs àmain,  des porcelaines de Sèvres, de Chantilly, de Saxe, d'Orient,des Indes françaises, des faïences de Niederviller, des lampes, desbronzes, des parfums, des sachets, des eaux de senteur.

Les orfèvres, comme ils le furent longtemps, étaient réunis alors auxenvirons de la Cathédrale, avec leurs enseignes dorées, qu'ilsreproduisent sur leurs prospectes et leurs cartes: Le Mouton qui faitla barbe au loup, rue du Change, où demeure Le Saas ; Aux troiscouronnes d'or, rue des Bonnetiers, dont l'avis est orné d'une gravurede F. Lemaître ; A la Croix d'argent, Desnos, joaillier, avec saréclame où s'arrondit une gravure rococo de Le Veau ; Aux troiscroix, ornée d'une grande composition gravée au simple trait, donnantl'adresse de René Roussel, vis-à-vis le portail de la Cathédrale ; Ala foy d'or, dans un encadrement, qui signale la boutique de l'orfèvreGond, rue du Change, et enfin, A la boucle de diamant, de Trohé,diamantaire, rue Saint-Nicolas, près de la rue des Carmes, où l'ontrouve des croix à la Jeannette, « des Saint-Esprits », des coulants decheveux « à la conseillère ».

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Bien d'autres métiers figurent parmi ces vieux papiers normands :marchands de draps, comme un ancêtre de notre ami Raoul Aubé, quidemeurait rue aux Ours, près de la rue des Cordeliers. Aubé « qui vendtoutes sortes de draperies : draps de Van Robais, le Louviers, drapsd'Elbeuf,  de Sedan noir, de Carcassonne, Vire, Cherbourg,Valognes ; draps d'écarlate de Julienne ; draps de Châteauroux.Ratines, Espagnolettes, Molletons, Bouracans, Turquoises d'Abbeville ».Un autre drapier qui vend des pinchinats de Darnétal, du droguet deRennes, des siamoises, du ras de Saint-Maur, Le Retour Thinel, dontl'enseigne est décorée d'un agneau suspendu comme l'insigne de laToison d'or, demeure rue de la Grosse-Horloge, en face l'égliseNotre-Dame de la Ronde.

Citons encore quelques prospectus des métiers les plus divers : lefourbisseur d'épée Boulleau, rue des Carmes, près la Crosse, avec sonenseigne A la Justice ; le faïencier Goubert, Au dessert de laBergère, rue Grand-Pont ; le peignier-tablettier Louis Lequesne, AuLouis d'or, qui étale toutes ses tabatières ; le parfumeur P. Aubouinà l'entrée de la rue Ganterie, proche la Crosse, dont l'enseigne Aucœur de la ville, représente une vue panoramique de Rouen. N'oublionspas des enseignes et réclames de pharmacie pour l'Eau de mélisse desCarmes, pour l'Eau rouge du Père André, dont les bouteilles sont de 24heures ; l'Eau vulnéraire d'arquebusade du Frère Sébastien, maintenantau Grand Couvent des Carmes à Rouen ; l'Esprit de cochlearia, poursoigner les dents ; les étiquettes des pharmaciens Lemoyne etChandelier à Saint-Sever ; les enseignes des cartiers : Au Lys Royal,Folloppe, rue du Merrier, qui vend toutes sortes de papiers, et Au Coqcouronné, même rue ; Au grand chasseur, dont le prospectus montre unchasseur à cheval accompagné de ses chiens courants qui est l'enseignede Nicolas Cuvier, balancier, qui, rue de la Grosse-Horloge « vendtoutes sortes de poudres à giboyer ».

En dehors de ces annonces, que de séries de paperasses administrativesne contient pas cette publication : congés d'ouvrier, laissez-passerrévolutionnaires, billets de garde nationale, tarifs de voiturespubliques, billets de sortie d'hôpital, certificats de civisme, fairepart de mariage, convocations de milice bourgeoise, billetsd'enterrements, billets de messe, avis de décès et placards mortuaires,comme ceux réunis dans la collection Gabriel Dervois, série d'ex-donosde Robin des Bouillons, archidiacre du Grand Caux ; Antoine Marette etbien d'autres ; ex-libris de Jean de la Roque-Hue en 1724, gravé parBelleau ; de Y. de Séraucourt, docteur en Sorbonne ; de Th. Horcholle,curé de Sainte-Marie de la Ronde ; de Toustain de Richebourg avec lesarmoiries et la fameuse légende : « tous teints de sang », images deconfréries de Saint-Aubin de Petit-Couronne ; de chez la veuve Machuel; de Saint-Martin de Canteleu, de chez la veuve Oursel, rue Ecuyère ;de la Sainte-Trinité, de Saint-Nicaise, de chez P. Seyer ; deSaint-Vincent et Saint-Nicolas, à l'église Saint-Etienne avecacrostiche de Marc-Antoine Halbout, maître en charge en 1765. Nous enpassons et des meilleurs !

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Raoul Aubé qui aurait tant aimé à éclairer d'un commentaire alertel'histoire de tous ces métiers qu'il connaissait mieux que personne,n'a pu le faire et a été privé de ce plaisir. Par contre il a donné desrenseignements curieux sur les Confréries de Charité et leurs images desainteté.

Disons, écrit-il, avec un auleur qui les a étudiées, que plus larges etplus souples que les corporations, les confréries groupaient leursadhérents pour le plaisir, le repos et l'exercice de la charité, commeles premières les réunissaient pour le travail. Mais dans la suite destemps des occupations moins décentes ne rappelèrent que de loin lesecours dû aux malades, l'aide envers les malheureux et l'inhumationobligatoire des pauvres. La grosse gaîté populaire de la majorité desassistants multipliait les occasions de réjouissance et le senspéjoratif de frairies pourrait venir de là. Du reste, même à l'époquela plus florissante, la classe qui donnait aux confréries, leursmaîtres et leurs prévôts, était moins élevée que celle d'où sortaient,par exemple, les trésoriers de fabrique des paroisses urbaines.

Après avoir reconnu le rôle utile joué par ces confréries dans lessoins d'assistance, leur participation à l'enrichissement des églisespar leurs dons d'ornements, de bannières, de croix processionnelles etmême de retables et de vitraux. Raoul Aubé note avec finesse l'intérêtde ces images de confréries, recueillies par tant de collectionneurs.

Il nous faut dire un mot de nos images elles-mêmes et de leur exécutionmatérielle. Le plus souvent un dessin incorrect la grossièreté destailles méritent l'appréciation dédaigneuse d'A.-F. Didot, parlant dansson traité de la gravure sur bois, de Le Sueur le plus connu de nosgraveurs. Cependant, sans sortir de notre région, allons voir dans leséglises ce qui reste des nombreux retables édifiés au XVIIe et auXVIIIe siècle par les artistes les plus en renom, les Mazeline, les desRuisseaux, les de France, et nous serons frappés de la ressemblance denos images de confrérie, mêmes si elles sont parfois trahies par uneexposition rudimentaire ou malhabile avec ces véritables monuments oùsont prodigués les niches, les colonnes couplées, les frontons, lesanges, où la peinture, le bronze et l'or concourent à former unensemble original qui s'est plié sans effort aux fluctuations de lamode architecturale.

Aussi les confréries, dont nous ne possédons pas d'Images antérieures à1650, n'eurent qu'à regarder autour d'elles pour demander auxdessinateurs et graveurs des compositions dont l'actualité devaitdéterminer le succès.

Chacune de ces confréries avait son histoire et souvent ces richesséries d'images, telles que celles recueillies dans les collectionsEdouard Pelay, René Hélot, G. Dervois, se distinguaient, comme le faitremarquer Raoul Aubé par des particularités : les acrostiches enl'honneur d'un maître ou d'un prévôt ;  l'identification dugraveur ou du dessinateur, signalé par un monogramme ; la comparaisonde leurs compositions avec les motifs architecturaux et les statues dessaints se trouvant dans les églises et les chapelles ; le rapprochementdes scènes religieuses que représentent ces placards avec les tableauxitaliens dont les estampes étaient pour la plupart connues desdessinateurs populaires de ce temps. Avec raison, Raoul Aubé, qui anoté les principaux ouvrages consacrés aux confréries normandes par MM.Charles de Beaurepaire, Porée, Pierre Leverdier, Chanoine-Davranches,Louis Regnier, Veuclin, Gourdon, aurait désiré qu'il fût dressé unvéritable catalogue complet, formant un corps de ces images populaires,qui sont si révélatrices de détails sur la vie religieuse d'autrefois.

En quelques lignes, l'auteur des Vieux Papiers normands détermineaussi quel était le mode de publication des « Placards mortuaires », sirecherchés par les amateurs, et qui déterminent les particularitésgénéalogiques des familles.

Nous présentons, dit-il, de nombreux avis de décès ou d'inhumation,avec une variété intéressante de lettres ornées et d'emblèmes. Asignaler notamment une danse macabre, signée de Papillon et remplaçantavantageusement le crâne posé sur les tibias en sautoir de rigueur. Onremarquera aux dates extrêmes, 1728 et an V, la simplicité desformules. De plus, il n’est fait mention, dans aucune, de la famille oudes alliés. Ensuite, sauf pour un, chanoine et une religieuse, il s'yrencontre l'avis « où les dames assisteront, s'il leur plaît. »

On donne souvent un regard distrait ou amusé à l'énumération des titreset des qualités dont plusieurs de ces pièces font mention. Si commebibliophiles nous sommes enclins à recueillir ces « monuments de vanité», sauvés des mains d'égalitaires trop zélés, hâtons-nous de dire queleur utilité, sinon leur importance, sont hors de conteste pour quis'est occupé d'histoire locale. On doit d'ailleurs s'en rapporter auxcontemporains de ces placards, qui les considéraient comme uneaffirmation légitime de la situation sociale des intéressés.

Il leur serait plutôt venu à l'esprit de blâmer l'indépendant qui eûtlésé la dignité de sa famille et de sa caste, en omettant dans sestitres la moindre des seigneuries ou le droit de patronage à la pluspetite cure, qu'il la possédât par le droit de ses ancêtres ou... deses écus.

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Les ex-libris des collectivités ou des particuliers que nous avonsénumérés sont encore une preuve de de cet amour des titres et desprivilèges, si légitime sous un régime de classes. En les étudiant lerigoriste partisan, peut-être partial, d'un simple chiffre ou d'un nomtout uni, pourra se choquer de l'emploi presque exclusif d'armoiries etd'accessoires héraldiques qui en constituent le décor. Le Comité desurveillance de Rouen, qui découvrait au dedans des couvercles deslivres, un filigrane armorié, un blason de quelque noble incarcéré à Yon ou à Lo, « se proposait de prendre une mesure générale pourfaire anéantir ces vestiges déshonorants de la plupart des livressequestrés ». Il aurait eu tort, car il aurait détruit la plupart deces délicieuses estampes burinées à l'intérieur des anciennes reliures,avec la pompe du grand siècle ou la grâce des petits maîtres du XVIII°siècle. Les ex-donos et les attestations de prix qui se sont répandusdémocratiquement de nos jours, sont d'une froideur et d'une banalitéattristante. « Ce serait tout profit, dit notre auteur avec raison, des'inspirer du fer aux armes du Parlement et de la vignette de B.-L.Prévost, gravée dans le plus beau style Louis XVI et qui a dû êtreutilisée un peu partout. On aurait pu aussi bien prendre pour exemplele titre de cette publication, véritable passe-partout pouvant serviraussi bien pour un frontispice que pour une invitation, véritablechef-d’œuvre d'ingéniosité décorative.

Il ne peut, du reste, que donner l'idée de feuilleter ce recueil des Vieux papiers normands, composé d'affiches, d'annonces, de factures,de pièces volantes intéressant les métiers, les arts, professions,industries, corporations de Normandie. Raoul Aubé aurait voulu, à unnumérotage provisoire, substituer une table générale des planches etrédiger une table des noms des graveurs et des collectionneurs. C'estun désir qu'on devrait bien réaliser, pour rendre hommage à l'auteur,qui ne fut pas récompensé du travail considérable que lui avait causécette intéressante publication.

Georges DUBOSC.

NOTE :
(1) Vieux papiers normands.Recueil de pièces intéressant laNormandie, publié avec une introduction et des notes par Raoul Aubé,bibliothécaire adjoint, Société rouennaise de Bibliophiles.