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DUCLAY,Eugène: Les Candidatsexcentriques - Gaietés et Tristesses Electorales (1910). Saisiedu texte : O. Bogros pour lacollectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (21.X.2006) Relecture : A. Guézou Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros]obogros@ville-lisieux.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusionlibre et gratuite (freeware) Texteétabli sur un exemplairede la Médiathèque (Bm Lx : n.c.) de l'Opinion, journal de la semainedu samedi 7 mai 1910. LESCANDIDATS EXCENTRIQUES Gaietés et Tristesses Electorales par Eugène Duclay ~~~~Lesmédecins aliénistes, prétendait il y a une vingtaine d'années un auteuranecdotique, Simon Brugal, ont observé que les périodes électoralesamènent une recrudescence des cas de folie. Gardons-nous de nousinscrire en faux contre assertion, énoncée, d'ailleurs, sans l'apportd'aucune statistique ; nous aurions probablement tort. Outre lesconflagrations sociales telles que les révolutions, les émeutes et lesgrèves, ne savons-nous pas déjà que des événements retentissants commecatastrophes, crimes, procès sensationnels tourmentent fâcheusement lacervelle de nos contemporains ? Ceux qu'en temps d'élections on qualifie de « candidatstoqués » sont les victimes vouées de cet autre phénomène qui sévitconstitutionnellement tous les quatre ans, la période électorale. La proclamation du suffrage universel mit sur pied le premiercontingent de ces candidats. Dans ses Murailles révolutionnaires,Alfred Delvau nous a conservé leurs professions de foi. Dès 1848, Lamiral, sonneur à Saint-Eustache, veut êtremandataire du peuple : « J'ai été, déclare-t-il, trop malheureux enménage pour ne pas être heureux en politique ». Alof Pourrat, chef debataillon de la IIe (?) considère la France comme « le Christ du mondeséduit » et démontrera à la tribune que « le meilleur des engrais estl'engrais humain ». Charlemagne Béjot propose de remplacer les statuesdu Luxembourg par des rosiers à cent feuilles ! Bellée, avocat à lacour d'appel et agriculteur, rêve d'établir une noblesse paysanne. Leshuit quartiers de paysannerie dont se targuait Proudhon auraient, parexemple, donné droit à un marquisat rural. Rue-Destrem, descendant duDestrem de la Législative et des Cinq-Cents, se prévaut de son célibat: « La nation sera ma famille, des lois équitables seront mes enfants». Desrosiers inventa, en Seine-et-Oise, la profession de foiillustrée. Il adornait ses affiches d'un bélier, d'un âne et d'unboeuf. Cet essai de vulgarisation artistique ne lui porta pas bonheur.Augustin Colson, de la Meuse : « Je dévoilerai à la France entière lescauses de la maladie des pommes de terre et les moyens d'en atténuerles effets ». * * * Duranttout le règne de Napoléon III, les candidats toqués se terrent. Cesilluminés sentimentaux et humanitaires de la Deuxième Républiquedemeurent comme écrasés par le matérialisme du régime ; l'organisationserrée de la candidature officielle annihile par avance toute velléitéd'extravagance. Ils se recueillent à propos - car, ne l'oublions pas,le candidat excentrique n'est pas toujours un candidat fantaisiste : ilveut être élu ! L'avènement del'Empire libéral soulève le filet qui emprisonnait les hannetons dusuffrage universel. Les élections de 1869 nous ramènent CharlemagneBéjot. Vieilli, il s'attache à des réalisations plus pratiques. Ilpropose alors d'établir sur le P.-L.-M. des trains de plaisir quipermettront aux ouvriers de Paris d'aller passer le dimanche àMarseille au prix de quinze centimes. Son acolyte Rue-Destrem s'estexaspéré : qu'on lui donne seulement quinze jours de pouvoir afin d' «exterminer Lucifer et de proclamer la divine Justice ». Ledéfilé continue. Gustave Grandin se présente contre M. Emile Ollivier.« Pavé de bonnes intentions », il ne désire qu'une chose : « Faireexécuter les lois samaritaines » qu'il élabore depuis dix années. « Lapaix universelle par l'application de la thèse, de l'antithèse et de lasynthèse », s'écrie Pierre Mancel ! Quant au docteur Grégoire, il veutbien abandonner son traitement de député en faveur des victimesd'accidents causés par les voitures de maîtres. * * * 1871! La République ! La liberté ! C'est un débordement. Le citoyenBaudemoulin se fait fort d'éteindre la dette nationale sans emprunts,sans impôts, sans assignats, grâce à une combinaison financière qu'ilne dévoilera que s'il est élu. Le citoyen Gosset, « grand patriote,homme d'expérience et bien pourvu », sollicite la possession duPalais-Royal, du Palais de l'Elysée et du Palais de l'Industrie. Ilfera de l'un le siège d'une grande banque territoriale, de l'autre lecentre d'une fédération agricole, du troisième une immense tribune pourle développement des idées à bon marché. Levadiouxde Charroux (Allier) promet de « faire respecter la loi de Dieu » ; ils'engage également à « faire remplacer la lanterne des voitures par unesonnette ». Charles Perrot, licencié en droit à Pont-de-Roide (Doubs),se qualifie de « candidat selon l'Evangile » et d'« ami des Prussiens». Barra, de Béthune, veut un impôt sévère sur les célibataires et lescélibatrices (sic) non mariés à l'âge de trente ans. Paul Meunier, deCommentry, est l'apôtre de la « virginité du coeur dans le mariage ».Le marquis de Lort-Sérignan, à Elbeuf, fait un pressant appel auxpaysans de la Seine-Inférieure : « Nommez-moi, je suis des vôtrespuisque je suis charbonnier ». Ce qui préoccupeMathieu Boube, de l'Isle-en-Dodon, ce n'est pas la République, maisl'humanité. Il veut imposer à tous les citoyens français des croquantsde sa composition, pétris avec de la farine de maïs et contenant « lesessences sublimées des corps végétaux les plus riches en matièrescuratives que la nature ait jamais produites ». Le candidat Chatelin,dans la Mayenne, est plus avisé : il mettra à la disposition de sesélecteurs « son taureau, son bélier et son verrat » pour aider à la «reproduction de leurs semblables ». Un deces prometteurs de la lune fut élu, on ne sait comment, par lesélecteurs parisiens. Ce fut Jean Brunet. L'Assemblée nationale s'enégaya jusqu'au moment où, à force de surenchères excentriques, ilparvint à l'agacer tout à fait. Jean Brunet avait trois idées fixes :la reconstitution de nos anciennes provinces, la radiation des athéesde la liste des jurés, la consécration de la France au « Christuniversel » dans un temple central élevé sur le Trocadéro. Jean Brunetn'a pas vécu assez longtemps pour contempler la réalisation de sontroisième idéal... mais, sur la Butte Montmartre. En 1881 et 1885 apparaissent les premières candidaturesféministes, celle du docteur comte Horace de Boudrant qui parled'émanciper la femme « celle-ci étant ce qu'il y a de meilleur dansl'humanité » ; celle de Zachée de Grenier-Fujal, qui rêve d'une «république fédérale universelle » dans laquelle l'homme se dépouillerade ses droits politiques en faveur de « la plus belle moitié du genrehumain » ; enfin, celle de M. de Gasté, qui fait campagne... pour safille ! Outre cette copieuse liste de candidatstoqués, il faudrait citer, pour être à peu près complet, la bonnedouzaine de demi-fous qui amusèrent et irritèrent tour à tour les corpsélectoraux, durant toute la fin du dernier siècle. Parmi les plusopiniâtres, citons le fameux Paulin Gagne qui, pendant le siège deParis, proposa de « philanthropophager » tous les vieillards âgés deplus de soixante ans, afin de nourrir la population. Il poussal'abnégation jusqu'à s'offrir le premier. Ennemi de la République qu'ilappelait la « Rage Publique », il avait imaginé cinq para-chocs,sauveurs de l'Arche-France, destinés à faire vibrer à l'unisson l' «orgue des coeurs ». Sa vieillesse fut empoisonnée par les entreprisesd'un homonyme, extravagant comme lui, qui signait ses élucubrations :Joseph Gagne, cousin de l'immortel et populaire archi-Gagne. Citonsencore ceux que la chronique de 1910 a suffisamment interviewés pourl'édification de la postérité. Citons Renaudin, concierge : Suppressiondes impôts ; vote du budget facultatif ; obligation du mariage à trenteans, pour les deux sexes... Citons Ernest Verrière, candidatréformiste-éolien. Citons Etienne Coulet, tubiste à l'administrationdes postes, candidat congressiste. Etienne Coulet fut le premier quiprotesta contre la catastrophe de Messine ! Et,pour terminer, citons le candidat Charles Marest. Celui-là n'est pas uncandidat toqué, c'est un candidat inconscient, dans la plus stricteacception du terme. Charles Marest fut produit devant les électeurs àune réunion publique tenue au Théâtre des Deux-Masques par MmeMarguerite Durand, elle-même candidate dans la première circonscriptiondu neuvième arrondissement. MmeMarguerite Durand comptait disqualifier le suffrage universel enfaisant s'égarer des voix sur la tête d'un « minus habens », soninnocent complice. Elle n'y est pas parvenue : Le suffrage universelest assez grand pour se disqualifier tout seul. EUGÈNEDUCLAY. |