Corps
GADEAU DE KERVILLE, Henri(1858-1940) : Observations relativesà ma note intitulée Perversion sexuelle chez des coléoptères mâles....-Rouen: Impr. Julien Lecerf, 1896.- 12 p. ; 26 cm. Saisie du texte : O. Bogros pour la collection électroniquede la Médiathèque André Malraux de Lisieux (21.VIII.2017) [Ce texte n'ayantpas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement desfautes non corrigées]. Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque-lisieux@agglo-lisieux.fr, [Olivier Bogros]obogros@agglo-lisieux.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusionlibre et gratuite (freeware) Orthographeetgraphieconservées. Texteétabli sur l'exemplaire de la Médiathèque (Bm Lx : Normn.c.) OBSERVATIONS RELATIVES A MA NOTE INTITULÉE PERVERSION SEXUELLE CHEZ DES COLÉOPTÈRES MALES (avec une figure dans le texte) Note communiquée au Congrès annuel de la Société entomologique de France (séance du 26 février 4896) et publiée dans le Bulletin de cette Société (n° 4 bis, p. 85) par Henri Gadeau de Kerville ~*~La note en question, dans laquelle je signale des cas d'accouplemententre insectes males, qui constituent de véritables actes depédérastie, en ajoutant que, d'après de curieuses observations, jecrois pouvoir diviser cette pédérastie des insectes en pédérastie parnécessité et pédérastie par goût, a déterminé, quand je l'ai lue,quelque étonnement et quelques murmures chez plusieurs de mescollègues, étonnement et murmures dus sans doute à la nature du sujet. Je n'ai, en aucune manière, à m'excuser d'avoir traité une pareillequestion. Dans une réunion composée uniquement de naturalistes, l'und'eux a tous les droits d'aborder n'importe quel sujet d'histoirenaturelle, du moment que le sujet est sérieux et sérieusement traité. Ne pas, dans une telle circonstance, employer les motstechniques, et recourir à des périphrases, sous prétexte deconvenance, serait, à mes yeux, un acte de pudibonderie toujoursridicule et souvent hypocrite. Il ne faut pas oublier que les termesscientifiques sont chastes, et que la vérité nue ne saurait offenserles yeux ou les oreilles d'un véritable naturaliste. Ce que je viens dedire pour une communication verbale est évidemment applicable à toutecommunication imprimée faite pour un publie spécial. Si, à mon avis, le sujet dont j'ai parlé ne peut faire rougir le frontd'aucun entomologiste, et, au double point de vue du fond et de laforme, ne saurait être blâmé au nom de la pudeur, il en est toutautrement de certaines critiques verbales que m'ont faites plusieursde mes collègues, à la suite de cette communication. Toujours avec uneattention très-grande et beaucoup de reconnaissance pour les personnesqui me les formulent, j'examine les critiques qui me sont adressées.Il va sans dire que les critiques en question, émanant de membresdistingués de la Société entomologique de France, avec lesquels jem'honore d'entretenir d'excellentes relations, si profitables à moninstruction zoologique, méritaient de ma part une étude spéciale. Nepouvant, cela va sans dire, insérer cette réponse dans les publicationsde la Société entomologique de France, je l'ai fait imprimer à part,ainsi que je l'avais annoncé dans la note en question. Ces critiques concernent l'emploi du mot de pédérastie pour des insectes, et la division en pédérastie. par nécessitéet pédérastie par goût. 1° D'après son étymologie, m'a-t-on dit, le mot de pédérastie n'est pasapplicable aux faits que vous signalez, c'est-à-dire à l'accouplemententre insectes mâles, puisque pédéraste vient de παι ̃ς, παιδο ́ς, enfant,et d'ἐραστη ́ς, amoureux ; ce terme ne doit être employé que pourl'espèce humaine. Si le mot pédéraste ne désignait que des hommes amoureux d'enfants, ilserait, de toute évidence, absolument impropre pour désigner desaccouplements entre insectes mâles. Mais ce terme, comme beaucoupd'autres mots de notre langue, a changé, quant au sens , depuis saformation. Actuellement , dans le langage scientifique, l'expression depédéraste est réservée aux hommes qui introduisent leur pénis dansl'anus d'un autre homme et à ceux qui , dans cet accouplement hideux,jouent le rôle passif, quel que soit l'âge de l'individu actif et del'individu passif. A l'égard de la véracité de cette assertion, je ne puis mieux faire quede citer une grande autorité dans la question, le Dr A. Moll, qui ditce qui suit dans son ouvrage classique sur les perversions sexuelles(1), ouvrage que le sénateur Bérenger a commis l'injustice et la maladressede faire poursuivre en la personne de l'éditeur, M. Georges Carré, àParis, dont l'acquittement a rendu quelque peu ridicule le pudibondsénateur. « On emploie souvent, dit le Dr A. Moll dans l'ouvrage en question (p.16), l'expression de pédérastes pour désigner les hommes à tendanceshomosexuelles. Pourtant je ne me servirai pas de ce terme, en général,car scientifiquement il ne désigne qu'un groupe particulier de cesindividus, c'est-à-dire ceux qui membrum in anum immittunt (2) ; de même lapédérastie ne désigne qu'une espèce bien déterminée d'acte génitalentre les hommes, à savoir l'immissio penis in anum. Comme cela se voitsouvent, le mot a dévié de sa signification primitive. Pédéraste vientde παιδο ́ς, ἐραστη ́ς, et signifie amateur de garçons : c'est sous cenom que les anciens Grecs désignaient d'une façon générale, qu'il s'agit ou nond'un acte génital, les amateurs de garçons et. de jeunes gens. » Onpourrait croire, d'après ce passage, que le mot de pédérastes estréservé aux hommes qui introduisent leur pénis dans l'anus d'un autrehomme, mais ce terme est applicable à celui qui joue le rôle actif,comme à celui dont le rôle est passif, ce qui, d'ailleurs, est l'avisdu Dr Moll, puisque, au cours de l'ouvrage en question, il emploie lestermes de pédéraste actif et de pédéraste passif (p. 136, etc.). En résumé, on voit très-nettement, par cette citation, que lesaccouplements entre insectes mâles dont je parle dans la note critiquéeen question, accouplements constitués par l'introduction du pénis del'un dans l'anus de l'autre, sont semblables aux accouplements despédérastes humains, beaucoup moins rares hélas ! qu'on le croitgénéralement. De plus, puisque le vice des hommes appelé masturbation porte, avecraison, le même nom chez les animaux, où il s'accomplit d'une manièreanalogue, parfois d'une façon identique (chez les Singes et les Ours,par exemple), je considère comme absolument légitime d'employer aussipour les animaux l'expression de pédérastie, puisqu'il s'agit d'unacte qui, au point de vue physique, se passe de la même manière dansl'espèce humaine et chez d'autres animaux. 2° Il me reste maintenant à justifier ma division de la pédérastie desinsectes en pédérastie par nécessité et pédérastie par goût. Nier qu'il existe une pédérastie par nécessité, aussi bien chez lesinsectes que dans les classes élevées de l'animalité, l'homme compris,c'est nier des faits évidents et maintes fois constatés. Prétendre,comme on me l'a dit, que les accouplements entre mâles chez lesinsectes sont dus au hasard, n'est vraiment pas une opinion soutenable.L'accouplement ne se fait pas plus au hasard chez les insectes, animauxfort élevés en organisation au point de vue psychique, qu'il ne s'opèreau hasard chez les vertébrés supérieurs. S'il en était autrement, nousverrions à chaque instant des accouplements anomaux chez les insectes,ce qui n'a pas lieu. Le fait que les mâles de certains insectesviennent parfois de très-loin pour s'accoupler avec des femelles deleur espèce, joint à d'autres faits tout aussi démonstratifs, prouventtrès-nettement que ce n'est pas le hasard qui préside à l'accouplementchez ces animaux. Un besoin physiologique qui a une intensité très-variable,non-seulement chez les mâles de différentes espèces animales,non-seulement chez les mâles d'une même espèce, non-seulement auxdifférents âges du mâle, mais encore, à tel ou tel âge, suivant lasaison, et même suivant l'état psycho-physiologique dans lequel ils setrouvent à un moment donné, pousse les mâles à s'accoupler. Il est aiséde comprendre que les mâles qui éprouvent irrésistiblement ce besoin etqui alors n'ont à leur disposition, pour une raison ou pour une autre,ni des femelles de leur espèce, ni des femelles de genres plus ou moinsvoisins ayant une conformation et une taille appropriée à la leur, s'accouplent, poursatisfaire ce besoin impérieux, avec des mâles de leur propre espèce,voire même avec des mâles appartenant à des espèces assez éloignéesdans la classification. Nombre d'observations de ce genre prouventindubitablement l'existence de la pédérastie par nécessité chez desinsectes, chez des oiseaux et chez des mammifères, y compris l'espècehumaine. J'ai encore à justifier l'expression de pédérastie par goût, ce qui estbeaucoup moins facile que de prouver la justesse du terme de pédérastiepar nécessité. Il est, en effet, très-malaisé de prouver que c'est pargoût, par préférence et non pour une autre raison, que tel insecte mâles'est accouplé avec un mâle de son espèce ou d'une espèce différente,lorsqu'il avait à sa disposition des femelles de sa propre espèce. Dans la note aux critiques de laquelle je réponds ici, je mentionnel'observation suivante faite par mon excellent ami Paul Noel, letrès-actif directeur du Laboratoire régional d'Entomologie agricole deRouen : Parmi un grand nombre de Hannetons vulgaires mâles, qu'iltenait en captivité avec un grand nombre de femelles de la même espèce,quelques mâles s'accouplèrent avec des individus de leur sexe, bienqu'ils eussent à leur disposition quantité de femelles. On pourrait supposer que les pédérastes passifs s'étantpréalablementaccouplés avec des femelles de leur espèce, exhalaient un peu de leurodeur, — on sait que l'olfaction joue un rôle considérable dansl'accouplement des insectes (3), — et que, trompés par cette odeur, lespédérastes actifs s'étaient accouplés avec eux. Mais, à la réflexion,il n'est guère possible d'admettre qu'un mâle accouplé avec unefemelle, puis désaccouplé, exhale une odeur féminine plus forte quecelle des femelles qui se trouvent auprès de lui. Évidemment l'on nepeut affirmer, d'après cette observation, que les pédérastes actifsétaient des pédérastes par goût, mais, à mon avis, cette suppositionest acceptable. Il est fort possible que l'état de captivité fasse augmenter le nombredes actes de pédérastie ; mais il n'en est pas moins absolument certainque des accouplements entre mâles se produisent également à l'état depleine liberté. La science entomologique a enregistré, sur ce sujet, denombreuses observations, dont une des plus intéressantes a été faitepar Peragallo, et publiée dans sa Seconde note pour servir à l'histoiredes Lucioles (Annal. de la Soc. entomol. de France, ann. 1863, p. 661).Il s'agit du Luciola lusitanica Charp. Voici cette observation : « A la date du 25 mai 1863, dit Peragallo dans la note en question(p.661), l'un de mes correspondants de Menton, sur mes indications, ...m'avait recueilli un certain nombre de femelles de Luciolesaccouplées, et signalé un fait tellement extraordinaire, je diraimême tellementmonstrueux, l'accouplement de Lucioles mâles avec des Téléphores dumême sexe, que je me suis empressé d'aller faire à Menton une chassesérieuse. « Le 2 juin 1863, à huit heures et demie du soir, jepénétrai donc, avec mon correspondant, dans une immense propriété decitronniers au terrain assez inculte et humide... » « Dans les champs de citronniers où se sont portéesmes investigations, aussi bien à l'est qu'à l'ouest de la ville deMenton, dit plus loin Peragallo (p. 663), on prend pendant le jour,libres ou accouplés naturellement, de nombreux exemplaires d'une Ragonycha qui doit être la melanura de Fabricius. « Or, dans ces mêmes champs, à dix heures du soir etrarement avant, nous avons, à chacune de nos chasses, capturé soit àterre, soit sur les plantes basses, des Lucioles mâles, positivementmâles, couvertes par des mâles de Ragonycha ; et ce n'est pas un faitisolé, puisque j'ai en ma possession douze de ces couples pris en troislocalités différentes, à différentes dates, et sur ces douze couplestrois, qu'il m'a été possible d'asphyxier instantanément au moyen dusoufre, sont encore réunis. Le coït est même tellement complet,tellement certain, tellement intentionnel, que j'ai gardé pendantplusieurs heures de ces couples immobiles, immobilité extraordinairedans un petit être aussi vif que la Ragonycha ; comme je suispositivement certain du sexe des deux insectes, et que ce sexe est le même, je ne puis admettre qu'une immoralité flagrante dela part de la Ragonycha, et une complaisance coupable de la part de laLuciole mâle. « La Société pourra d'ailleurs se convaincre de ce que j'avance, car jejoins à mon envoi trois de ces couples dont l'un encore réuni. » Peragallo ajoute (p. 664) que, d'après ses observations, « jamais cesaccouplements monstrueux n'ont été remarqués entre mâles de Ragonychaet femelles de Lucioles, entre mâles de Lucioles et femelles de Ragonycha, et que toujours la Ragonycha couvre la Luciole. » Certes, il n'y a pas dans cette fort intéressante observation, émanantd'un entomologiste sérieux et distingué, la preuve que les Ragonychamâles étaient des pédérastes par goût. Toutefois, il est très importantde faire observer que ces mâles devaient avoir à leur disposition,sinon des femelles de leur espèce, tout au moins des Lucioles femelles,puisque les cas de pédérastie en question furent observés en desendroits où abondaient les deux sexes de la Luciole dont il s'agit. Enconséquence, ces Ragonycha mâles étaient des pédérastes par goût et nondes pédérastes par nécessité. Il me serait facile de mentionner d'autres observations analogues,mais je ne veux pas transformer en un mémoire cette simple réponse àquelques critiques. Je sais bien qu'au premier abord cette idée de pédérastie par goût,chez des insectes, a quelque chose qui étonne, et que l'on est peudisposé à reconnaître la possibilité de ce fait. Mais, à la réflexion, cette idée devient demoins en moins inacceptable. Il n'est en aucune façon douteux qu'il existe, dans l'espèce humaine,des pédérastes par nécessité et des pédérastes par goût. De plus, parmices derniers, s'il y en a chez lesquels cette perversion sexuelle estacquise, chez beaucoup d'autres elle est congénitale ; c'est là un faittrès-important à mentionner. Il est certain qu'il y a des hommes nésavec des goûts homosexuels. Ceux qui en douteraient n'ont qu'à lire,pour s'en convaincre, les travaux spéciaux, entre autres le fortremarquable ouvrage du Dr A. Moll, indiqué dans les lignes quiprécèdent. Ajoutons que l'existence de pédérastes par nécessité chezles insectes est tout aussi certaine que dans notre espèce. Puisque la masturbation s'observe à la fois chez différents animaux etdans l'espèce humaine ; puisque des hommes, ainsi que des mâles dedifférents mammifères, lèchent les parties génitales de la femelleavant de s'accoupler avec elle ; puisque la pédérastie est commune àl'espèce humaine et à d'autres animaux, y compris les insectes ;puisqu'il existe des hommes et des femmes ayant des goûts homosexuelscongénitaux, pourquoi ne pas vouloir admettre l'existence d'insectesayant aussi des goûts homosexuels congénitaux, qui, chez les mâles, semanifestent par des actes de pédérastie ? Remarquons que ces goûtshomosexuels congénitaux sont, cela va sans dire, irréfléchis, qu'ils'agit là d'une perversion et non d'une perversité, ce qui estcomplètement différent. Je ne vois rien d'inacceptable dans l'hypothèse d'une pédérastie pargoût chez les insectes. Certes, l'idée d'une perversité sexuelle chezces animaux serait inadmissible, mais il s'agit là d'une perversionsexuelle Congénitale, par là même totalement irréfléchie, que jeregarde comme très-possible. En définitive, je crois avoir prouvé, par les lignes précédentes, quel'expression de pédérastie est tout à fait applicable aux insectes, etque, chez ces animaux, ont lieu certainement des actes de pédérastiepar nécessité, et hypothétiquement des actes de pédérastie par goût. Il me reste à remercier cordialement mes savants collègues de leurscritiques verbales, car, pour y répondre, j'ai dû faire deux chosesparfaites pour l'esprit : examiner et réfléchir. NOTES : (1) Dr A. Moll : Les perversions de l'instinct génital, étude surl'inversion sexuelle basée sur des documents officiels, avec unepréface du Dr R.-V. Krafft-Ebing, traduit de l'allemand par les DrsPactet et Romme, Paris, Georges Carré, 5e édition, 1893. — Je doutefort que sans les poursuites du sénateur Bérenger et les débats autribunal de police correctionnelle de la Seine, ce livre, exclusivementscientifique et d'une forme grave et irréprochable, aurait été aussivendu. Ces maladroites poursuites lui ont fait beaucoup de réclame, etM. Bérenger est arrivé à un résultat diamétralement opposé à celuiqu'il cherchait à obtenir. (2) N'est-ce pas une pudibonderie fort inutile de mettre ces mots enlatin ? La plupart des lecteurs connaissent parfaitement leursignification, et ceux qui ne la connaissent pas, attirés par ces motsimprimés en italiques, par cela même très en évidence, chercheront àles traduire, ce qui, en l'espèce, ne leur offrira certes pas degrandes difficultés. (3) Il serait très-intéressant de rechercher si l'ablation des antennesdes insectes mâles, d'où résulte la suppression du sens olfactif, nefacilite pas les actes de pédérastie. |