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JANIN, Jules (1804-1874):  Une nuit dans Alexandrie(1839).
Saisie du texte : S. Pestel pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (31.X.2014)
Texte relu par : A. Guézou.
Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex
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Diffusionlibre et gratuite (freeware)

Orthographe etgraphie conservées.
Texte établi sur l'exemplaire de la médiathèque (Bm Lx: nc) des Mélanges et variétés– volume 1, tome deuxième des Oeuvresdiverses de Jules Janin publié par Albert de La Fizelière en1876 à Paris pour la Librairie des Bibliophiles.



UNE NUIT

 DANS ALEXANDRIE


PAR

Jules JANIN

~ * ~

IL y a de cela assez longtemps, je vivais en simple citoyen de colonieromaine, sans titre et sans revenu ; et, malgré les événements déjàfort compliqués de ma vie, j’étais loin de me douter que je deviendraisun jour, d’abord comte de Saint-Germain dans une cour française, puisensuite le citoyen Germain dans une république de vingt-quatreheures, et enfin monsieur Germain tout court, grâce à cette manie debourgeoisie qui vous possède aujourd’hui.

Ainsi commença le narrateur.

A ces mots l’attention fut grande dans l’assemblée ; le silence devintplus silencieux, et l’auditoire en suspens se trouva saisi d’un sigrand étonnement que le comte s’arrêta tout court, tant il comprit quece silence surnaturel équivalait à une interruption.

Et, de fait, n’était-ce pas merveille, pour une société de notreépoque, tout occupée des intérêts de la politique moderne et toutentière à ces interminables dissertations qui ont remplacé dans nossalons la galanterie et la médisance, délicieux passe-temps de nosgrand’mères, de se voir tout à coup interrompue par ce fameux comte deSaint-Germain, si remarqué à la cour de Louis XV, si fécond en vivessaillies et en souvenirs imposants ; qui, sans passé et sans avenir,spirituel et riche, deux grandes conditions de succès à cette cour,disparut un beau jour subitement, après avoir donné à la couronne sesdeux plus beaux diamants et joué un rôle presque historique sous unrègne où l’histoire ressemble au roman à faire peur ? singulier etmystérieux personnage, avec une grave physionomie traversée de temps àautre par un sourire sardonique, et dans un âge tel qu’il aurait étéimpossible de dire s’il était jeune homme ou homme fait, tant ils’était maintenu ferme dans ce moment si fugitif de la vie, quand,arrivée à sa limite naturelle, la jeunesse vous dit adieu avec un airde pitié et de regret, et vous jette entre les bras inexorables d’uneraison froide et plus correcte, mais aussi moins insouciante et moinsheureuse sans contredit.

Le comte de Saint-Germain s’arrêta donc longtemps au milieu de saphrase commencée, jusqu’à ce qu’il pût reprendre son récit. En mêmetemps l’assemblée se rapprochait en silence ; elle étudiait avec soince narrateur étrange : les dames cherchaient dans son costume propre etdécent quelques vestiges des modes antiques ; les hommes leregardaient, les uns avec défiance, les autres avec un niais et stupidesourire, quelque jeunes gens avec un intérêt réel et comme le seulvieillard qui fût assez vieux pour être au-dessus d’eux. C’était unecuriosité comme celle d’un chat qui découvre un objet nouveau dans lamaison de son maître.

Ainsi fit l’assemblée pour M. de Saint-Germain. Quand elle l’eut bienétudié dans tous les sens, bien examiné, bien flairé, elle s’en saisitentièrement, puis elle reprit son allure ordinaire. Le silenceredescendit à son degré accoutumé, et le comte, redevenu un simpleparticulier, reprit naturellement son récit sans autre explication.

Vous qui êtes jeunes, même comme nation, nous dit-il, vous ne pouvezpas vous douter de la masse d’idées contraires et d’opinions opposéesqui prennent cours dans les empires à des époques qui n’arrivent qu’unefois dans une destinée d’empire. Je veux parler de ces époques fatalesde transition, quand un grand peuple, se détachant, sans s’en douter etmalgré lui, de sa vie passée et de ses mœurs antiques, et de lapolitique qui fut sa vie, se sent livré tout à coup à mille destinéesopposées, et se trouve forcé, en derniers recours, d’appeler leparadoxe pour occuper son inquiétude ; car dans ces temps de révolutionle vrai devient insupportable et insipide ; on cherche le mieux pour nepas s’arrêter au bien ; on se jette dans l’absurde parce qu’on estarrivé aux limites du possible. Cet état de nation, qui ressemblerait àun cauchemar si le réveil n’était pas si terrible, vous autres Françaisvous l’avez déjà subi une fois, il n’y a pas longtemps. Vous vous êtes,il est vrai, tirés de ces vains prestiges avec un bonheur que je n’aivu qu’à vous ; mais cet épouvantable rêve, vous pouvez en croirel’expérience d’un homme qui a été le valet de chambre de Cromwel, je nevous conseille pas de le recommencer.

Voilà l’état misérable dans lequel se trouvait le monde quand César,habile et clément continuateur de Sylla, eut appris une seconde fois auCapitole qu’il pouvait avoir un maître. La leçon profita surtout àtrois hommes, à Auguste plus qu’aux deux autres : Auguste, Marc-Antoineet Lépide furent un instant les trois colonnes sur lesquelles reposaitl’univers : mais lorsque Lépide eut été jeté de côté aussi facilementque votre ancien maître Barras, dont la destinée fut la même, il arrivaqu’entre Auguste et Antoine le débat fut long et disputé. Le monde separtagea entre ces deux maîtres, prêt à battre des mains au vainqueur ;et, comme à ce monde ainsi excité il fallait à toute force uneoccupation puissante qui pût remplacer cette préoccupation de liberté àlaquelle il renonçait à jamais, on se rejeta de plus belle, d’aborddans les théories philosophiques, dans les doctrines du bien et du mal; tantôt le spiritualisme, plus souvent la sensation ; aujourd’huil’Académie, demain le Portique. Mais ces graves questions avaient étédébattues dans la Grèce de Périclès ; elles avaient déjà assisté unefois à la décadence d’une grande république ; elles avaient étéembellies par ce langage ingénieux et cadencé que Platon avait importédu ciel. Aussi fut-ce un vain effort quand l’oisiveté romaine voulutaller sur les brisées de l’oisiveté athénienne : elle se perdit dans cedédale dont l’éloquence seule pouvait faire trouver les détours ;Cicéron lui-même les dénatura dans sa maison de Tusculum. En dernierrésultat, loin d’avancer, la morale fit un pas rétrograde ; elle pritun masque, comme dans les histoires de Sallustre. Ainsi, pour la vertu,elle s’en tint à la définition du dernier Brutus.

J’ignore, si l’esprit humain à cet instant n’eût pas eu d’autredébouché, à quels excès il se fût porté. Peut-être bien que, faute demieux, Rome se fût mise encore à faire de la liberté, bien qu’à cemétier elle se fût fatiguée et perdue. Heureusement qu’elle se mit àfaire de la politique, ce qui n’est pas la même chose. Alors millerecherches furent entreprises sur le génie des peuples, surl’excellence des gouvernements, sur les meilleures lois possibles.C’est ainsi que mon ami Thomas Morus, malgré mes conseils et mesprières, écrivait l’Oceana sous le règne de Henri VIII, et sedépouillait de son habit de chancelier d’Angleterre pour marcher àl’échafaud. La politique était donc la principale occupation du monderomain pendant qu’Auguste et Antoine, tantôt unis, tantôt séparés, sebattant l’un contre l’autre ou poursuivant ensemble Cnéius, le fils dugrand Pompée, amis inséparables, ennemis jurés, réunis ensuite parl’hymen d’Octavie, la sœur d’Auguste, dont la touchante beauté et lesvertus simples et modestes auraient dû enchaîner Antoine, méditaientchacun de son côté l’asservissement de l’univers.

Pour moi, insouciant voyageur dans ce monde ainsi divisé, et qui, parposition comme par caractère, n’appartenais à aucun parti, j’avaiscependant suivi Antoine en Orient, parce que l’Orient devait être lethéâtre de ces grands débats. Jamais dans vos livres, jamais dans vosextases de jeunesse, jamais dans vos plus beaux jours de gloire, quandvos dômes étincelants et chargés de drapeaux resplendissaient sous lesfeux d’un soleil brillant comme le soleil d’Austerlitz et desPyramides, vous n’avez vu, vous n’avez imaginé rien de beau commel’Alexandrie de Cléopâtre. Figurez-vous toute l’Italie avec sa force,toute la Grèce avec ses formes riantes, tout l’Orient avec sesrichesses, ce que la république a de grandeur, ce que la royauté a degrâce et de majesté, deux mondes confondus sur un seul point ; à latête du premier monde, Antoine, l’ami de César, son lieutenant dans sesconquêtes, accompagné de ses vieilles cohortes, géant au cœur de lionet au sourire de jeune homme ; à la tête de l’autre monde Cléopâtre,entourée encore de l’amour de César, reine à la tête de jeune fille,aux blanches mains, à la démarche de déesse, montée sur un vaisseaud’ivoire et d’or aux cordages de soie et aux voiles de pourpre ; desjardins et des palais suspendus au-dessus de ces deux puissances, etvous aurez une faible idée d’Alexandrie.

Pourtant dans cette ville même la politique nous avait suivis.Incurable maladie des nations oisives et fatiguées, la politique étaitpartout, dans le palais du proconsul et sous le tente du soldat, enOrient et en Occident, à Alexandrie plus que partout ailleurs ; car lesRomains de la république se trouvant en présence d’une reine affable etpleine d’attraits, les sujets de Cléopâtre, au contraire, appelés àconsidérer de plus près la bonhomie guerrière d’Antoine, il se fit quechez les républicains survint un grand amour de monarchie, et que lessujets du trône furent envahis d’un grand désir de république. Cela neprouvait qu’une chose, c’est que des deux côtés, reine ou empereur,chacun dissimulait, chacun se faisait meilleur que de coutume, nefût-ce que par envie de plaire, car ni l’un ni l’autre n’avait besoinde descendre à flatter le peuple ; chacun s’en souciait fort peu,j’imagine ; et lorsque Cléopâtre souriait aux cohortes, elle souriaiten effet à leur général ; le général, de son côté, faisait sa cour àCléopâtre en parlant aux sujets de la reine ; empire ou autre chose,c’était toujours la même déception, ce qui n’empêchait pas, en théorie,que le principe ne restât pur et à l’abri de toute atteinte ; il nes’agissait que de savoir lequel devait prévaloir. A ce sujet je me prisde grande dispute avec un stoïcien du vieux système, philosophe toutimbu des doctrines sévères de son école. Il se nommait Scaurus ; ilétait le frère d’un des partisans d’un des partisans d’Antoine, mais saconscience, qui lui défendait de fréquenter un courtisan, les avaitséparés depuis longtemps. C’était, à tout prendre, un homme d’unepensée énergique et d’un beau langage. Cependant il est demeuré sansnom, parce qu’il est donné à peu de philosophes de se faire un nomdurable. Il avait quatre-vingt-dix ans lorsque je lui fermai les yeuxdans la délicieuse maison de Campanie que lui avait laissée son frèreen mourant : cependant il me semble souvent que je le vois encore,enveloppé de son manteau, chargé d’une longue barbe noire, se promenerà grands pas sous les portiques en récitant tout ce qu’il avait ajoutéà la République de Platon, tout ce qu’il savait du même traité deCicéron, que le temps a fait disparaître et que peut-être un jour jeretrouverai dans mes papiers ; sans compter qu’il avait toujoursprésentes les belles pages d’Aristote contre la tyrannie, et enparticulier contre ces hommes sortis de la classe des démagogues, fortde la confiance du peuple à force d’avoir calomnié les hommespuissants (1). Ainsi armé, et m’écrasant de l’exemple de Phidon àArgos, de Phalaris dans l’Ionie, de Pisistrate à Athènes, de Denys àSyracuse, mon stoïcien sortait souvent vainqueur dans nos disputes dechaque jour ; car pour moi, peu jaloux de m’appuyer d’exemples passéset de rappeler ces grandes monarchies si admirablement constituées quiavaient fourni à Alexandre le modèle de la sienne, je me retranchaisdans la discussion du principe, dont je vous ferai grâce, parce que,tout grands politiques que vous êtes, je vous ennuierais mortellement.

Nous étions donc toujours en discussion, Scaurus et moi ; et, commej’avais apporté tout mon sang-froid dans cette dispute et quej’attendais avec patience quelque bon argument bien décisif en faveurde la royauté, je me repaissais à loisir des belles et grandes rêveriesdu philosophe. Cette belle imagination prenait toutes les formes,parcourait tous les sentiers, passait en revue toutes les opinions :tantôt, comme Bias, elle définissait la république un respect pourles lois égal à la terreur des tyrans ; ou bien, comme Thalès, unnombre égal de riches et de pauvres ; d’autres fois, avec Pittacus,elle appelait de tous ses vœux un État où les scélérats seraient exclusde la magistrature ; enfin, avec Chilon, elle chassait les orateurs dela tribune pour ne laisser régner que la raison. Vous ne sauriez croireavec quel ravissement j’écoutais ces rêveries touchantes : car, autantles théories politiques sont à redouter parmi la foule ignorante etgrossière, autant ces mêmes théories sont intéressantes dans la bouched’un sage.

Une nuit où tout reposait, excepté nous et les sentinelles des deuxcamps, dont les lances au fer éblouissant renvoyaient au loin les pâleset doux rayons de la lune, nous nous promenions, mon philosophe et moi,dans les murs silencieux d’Alexandrie, sous ces portiques de marbreblanc, au milieu de ces fontaines qui ne se taisaient ni jour ni nuit,et comme dominés par le fleuve aux flots d’argent où se balançaitmollement la galère de Cléopâtre. Nous nous taisions. Ce silence quisuccédait à tant de tumulte n’était pas sans charmes ; et nouspoursuivîmes notre route jusqu’à ce que nous fussions arrivés au palaisde la reine. C’était un vaste et élégant édifice défendu de toutesparts, et appuyé sur cette même tour au sommet de laquelle Antoine futenlevé, frappé d’un coup mortel. Tout était silencieux dans le palais ;pas une lumière qui indiquât un de ces festins somptueux dont chaquetoast était annoncé à la ville par des fanfares comme s’il se fût agid’un triomphe ; c’était une nuit de paix et de calme comme au temps dePtolémée, une de ces nuits silencieuses comme si César, enveloppé dansl’ombre et se cachant à tous les regards par un dernier respect pour lesénat et le peuple romain, eût dû venir le soir même et sans bruitvisiter cette voluptueuse reine d’Asie qu’il avait tant adorée !

Cette nuit sans orgie nous surprit quelque peu ; et nous étions encoreà chercher en quels lieux se divertissait l’empereur, lorsqu’à l’angledu palais nous aperçûmes une petite porte qui s’ouvrit lentement.Bientôt après un esclave en sortit ; il referma la porte avecprécaution, après quoi il se dirigea vers la ville. Il portait sur sesépaules un tapis de Perse d’un volume assez considérable, et roulé avecsoin. Nous fûmes curieux de savoir à qui ce tapis pouvait s’adresser :peut-être était-ce un présent que la reine envoyait à quelque capitaineromain. Nous suivîmes donc, presque sans le vouloir, le tapis etl’esclave : ils entrèrent d’abord chez un devin célèbre par sesprédictions et son inflexible savoir.

« Vous verrez, dit Scaurus, qu’il s’agit de quelque enchantement, d’unphiltre amoureux sans doute. »

Et il leva les épaules comme un homme qui ne croit ni aux astres ni àleur influence puissante.

Bientôt l’esclave et le tapis reparurent, et nous le suivîmes toujours.Nous les vîmes entrer dans la tente d’Énobarbus. Énorbarbus étaitl’intime ami d’Antoine, un glouton et jovial compagnon de ses guerreset de ses plaisirs.

« Par Jupiter ! m’écriai-je, mes pressentiments ne m’auront pas trompé: c’est à Énobarbus que restera ce beau tapis. »

Mais le tapis et l’esclave reparurent quelque temps après, et ils sedirigèrent dans un quartier tout opposé, chez Mécène, le favorid’Auguste. Caché à Alexandrie, Mécène méditait en secret la ruined’Antoine. Mécène n’était pas encore ce que je l’ai vu depuis, gros,gras et lourd, tout parfumé des odes louangeuses d’Horace et desapothéoses de Virgile : c’était alors tout simplement un diplomate à lamain blanche, avec le bout de l’oreille déjà rouge, les lèvres roses,mais, du reste, d’un embonpoint très-décent, et qui, de nos jours,n’eût pas outre-passé les bornes d’un fauteuil de conseiller d’État.

« Je n’y comprends plus rien, dis-je tout bas à mon compagnon.

- Ni moi non plus, reprit-il. Ce sont de trop grands seigneurs pourconspirer par l’entremise d’un eunuque. Quant au tapis, à quoi peut-ilservir ? Je l’ignore, mais, foi de philosophe ! je meurs d’envie de lesavoir.

- Nous le saurons peut-être, lui répondis-je ; il ne s’agit qued’attendre. »

Nous attendîmes, en effet, beaucoup plus longtemps à la porte de Mécènequ’à celle d’Énobarbus. A la fin le tapis se montra de nouveau, et cene fut pas sans surprise qu’au détour du môle de Césarion nous le vîmesentrer, devinez où, à la caserne même des gardes prétoriennes.C’étaient d’anciennes troupes de César, les premiers vainqueurs del’Égypte, les mêmes qui avaient imaginé de frapper au visage ses jeuneset beaux guerriers, et de les mettre plus sûrement en fuite que s’il nese fût agi que de la mort. Nous fûmes sur le point de renoncer à larecherche de cette énigme. « A qui donc en veut cet esclave ? queveut-il ? où va-t-il ? » La caserne le retint longtemps. Quand il ensortit, plusieurs soldats le suivirent jusque sur le seuil et baisèrentavec respect la pourpre tyrienne ; car à la clarté des flambeaux nousapercevions la couleur douteuse du mystérieux tapis.

« Vous m’avouerez, me disait tout bas mon stoïcien, que voilà unsingulier messager ; généraux et soldats, la tente du diplomate et lasimple caserne, tout lui convient ; il se glisse partout avec la mêmesécurité… Et, si je ne me trompe, le voilà qui entre dans le palaisd’Antoine aussi facilement qu’à Athènes j’entrerais à l’Académie. »

Et, en effet, au milieu de mille acclamations bruyantes, ce tapis futintroduit dans le palais. Le palais du général éclatait de mille feux.Échauffés par le vin, les convives, Africains ou Romains, esclavesparvenus ou nobles descendants de familles patriciennes, se livraient àcette gaieté bruyante qui plaisait si fort à l’empereur. Savant dansles voluptés de l’Asie, on avait vu Antoine donner une ville pour unbon plat de poisson, honorer son cuisinier à l’égal d’un homme deguerre ; et même ce soir-là le festin était plus somptueux que jamais,car on parlait dans le public d’un défi entre Antoine et Cléopâtre,d’une lutte inouïe même entre ces deux puissances, d’un triomphe devolupté qu’il s’agissait de remporter. L’arrivée de l’esclave au tapisde pourpre fut donc brillante et animée ; le banquet recommença de plusbelle, les flambeaux jetèrent une clarté plus grande. Pour nouscependant, assis à la porte du palais, et sans communiquer nosémotions, nous nous livrions à mille pensers divers. L’âme de Scaurusétait en souffrance ; sa sévère indignation ne pouvait se contenir à lavue de ce Romain qui se jouait d’un monde et qui aurait donné leCapitole pour une nuit de volupté. Moi, au contraire, en homme qui abeaucoup vécu, je trouvais plaisante cette destinée de la vieille Romequi venait aboutir, en dernier résultat, aux plaisirs d’un débauché etd’une reine adultère. En vérité, pour celui qui sait l’histoire, c’estune bien misérable chose que tous ces empires dont la chute vous blessel’oreille. Il faut avoir de la pitié de reste pour s’apitoyer sur cesmasses inertes qui s’écroulent dès qu’elles ne peuvent plus soutenirleur propre poids. Un royaume qui s’écroule, c’est un équilibre perdu,voilà tout. Cependant, pour l’homme qui doit survivre à cette grandechute, c’est un singulier plaisir de voir tomber un empire, et decomprendre combien ridiculement il tombe, et ensuite de le voir dominé,s’il est favorisé du ciel, par des barbares qui l’envahissent, ou,moins heureux, par quelques palmiers stériles du désert et des herbesrampantes, comme vous pouvez voir les ruines de Thèbes et de Memphis.

Cependant la nuit s’avançait, les étoiles jetaient un éclat moins vif,on entendait déjà le bruit naissant d’une grande ville qui s’éveille,le vent du matin circulait en sifflant dans les voiles du port ; etnous allions nous retirer, quand la porte d’Antoine s’ouvrit encore unefois. Alors nous aperçûmes cette troisième colonne de l’universrecharger, en chancelant, sur les épaules de son esclave le tapismystérieux. A ma grande surprise, je reconnus dans l’esclave Éros, bonet valeureux soldat, le même qui devait apprendre à son maître commentil fallait mourir. Il était facile de voir qu’Éros avait pris sa partdu festin : son pas était mal assuré, et souvent il s’arrêtait commepour retrouver sa route. Il allait ainsi tout hors de lui lorsqu’unincident étrange vint encore augmenter son trouble. Nous étions encoreen présence du palais d’Antoine ; l’empereur, entouré de ses courtisanset chargé comme eux de la couronne de lierre des banquets, respiraitmachinalement l’air frais du matin, tout étonné de voir se leverl’aurore autrement qu’à la tête d’une armée. Ce fut alors qu’unemusique qui n’était pas de la terre se fit entendre : c’étaient dessons doux et tristes dont la monotonie n’était pas sans charmes, et quin’avaient rien d’humain. A ce bruit les Romains ôtèrent leurs couronnes; Éros s’arrêta tout court.

« Les dieux s’en vont, dit-il ; Bacchus nous abandonne : mon maître estmort ! »

En même temps de grandes larmes roulaient dans ses yeux. En vérité Érosétait un bon esclave, et dans un marché on l’eût payé bien cher. Jem’approchai de lui.

« Salut au seigneur Éros, lui dis-je ; que les Heures aux doigts deroses et toutes les divinités du matin lui soient propices !... Mais ilme paraît, Éros, que vous menez une vie bien pénible : comment sefait-il qu’à cette heure, et après les libations de la nuit, vousn’êtes pas étendu tout du long dans le triclinium de votre maître,entre ses deux molosses bretons, et serrant dans vos bras quelque bonneesclave sicilienne qu’il vous aura donnée dans un moment de bellehumeur ?

- Par Hercule ! c’est bien parler, mon maître ! reprit Éros : m’estavis que je travaille comme un consul, tandis que je devrais êtreheureux comme un grand prêtre. »

Puis, élevant les yeux vers son tapis avec un air langoureux etsentimental qu’il avait puisé dans une vieille amphore de vin de Chypre:

« Joli fardeau ! disait-il. Que ne suis-je le Grec Anacréon ! je teferais une petite chanson de dix syllabes, toi qui es l’arbre souslequel repose mon maître dans les grandes chaleurs de l’été, commeBathylle pour le vieillard de Cos !

- Quel est donc cet arbuste que tu portes ? » reprit l’impatientScaurus.

Éros reprit en chantant sur un air de courtisane :

Un joli arbre, sur ma foi : ses fleurs sont des perles blanches,
Ses feuilles sont d’or comme la fleur de saule.
Trop heureux qui peut serrer ce jeune tronc dans les deux mains !
Trop heureux qui peut embrasser ses racines !

« Je vous demande pardon, Mesdames, dit le comte en s’arrêtant : j’aihonte moi-même de ces vers blancs, qui me feront prendre pour unetraduction de Shakespeare ; mais vous m’excuserez si vous songez souscombien de révolutions poétiques il m’a fallu courber la tête. Enfant,j’ai commencé par scander les vers de Sophocle et d’Homère ; hommefait, je me suis occupé de l’alexandrin de Virgile et des verssaphiques d’Horace ; sous le grand poëte Ronsard, je me souviensd’avoir été un des meilleurs poétiseurs français. A présent votre modepoétique est trop variable pour que je puisse m’y soumettre.Pardonnez-moi donc mes vers blancs,  s’il vous plaît… Pardon,encore, je ne sais plus où j’en étais de mon récit.

- Vous en étiez à l’esclave, reprit vivement un tout jeune enfant quiavait l’air de dormir sur les genoux de sa mère.

- Et le chanteur chancelait de plus belle tout en riant.

- Si tu voulais me confier ton fardeau, Éros, lui dis-je, je leporterais bien à ta place.

- C’est un pesant fardeau, disait Éros, que de porter la Cilicie, laCappadoce, le Pont-Euxin, je ne sais combien de villes nombreuses…

- Mais je suis aussi fort que toi, Éros, ce me semble, et si tu portestout cela, je pourrai bien le porter moi-même.

- Aussi fort que moi ? disait Éros ; impossible ! tu es un homme libre,et j’ai sur toi l’avantage d’être un esclave. »

Et il poursuivait sa pensée tout en se parlant à soi-même :

« Un bon esclave est le maître de son maître. Si son maître est lamaître du monde, il est, lui aussi, le maître du monde ; si la fortunesourit à son maître, il a la plus grande part de ce sourire ; et quandla beauté se rend à son maître, il a encore le droit de s’en féliciter…Voilà bien la peine d’être libre ! reprit-il après un instant desilence. Tout homme libre que tu es, si tu laissais tomber ce fardeau,tu serais mort : il y aurait un tremblement de terre au premier choc,et l’abîme s’ouvrirait pour te dévorer comme Curtius. De ce fardeau iln’y a que moi qui ai le droit de me jouer ; moi seul je pourrais lelaisser tomber sans mourir, parce que je suis l’esclave d’Antoine.Aussi est-ce pitié lorsque, dans l’antichambre de mon seigneur, jerencontre des rois timides et tremblants. Ils se lèvent à mon aspect,et, saisissant leur couronne des deux mains : « Salut, disent-ils,salut au seigneur « Éros ! vive à jamais le clément Éros !… » Et ilssont heureux de me prendre la main, parce qu’ils savent que souvent decette main un sceptre peut tomber. »

Ainsi parlait Éros. Au son emphatique de sa voix on voyait qu’il étaitconvaincu de sa dignité d’esclave et de sa supériorité sur les hommeslibres. En même temps, et comme pour mieux la prouver, il jouait avecson redoutable fardeau comme un enfant jouerait avec un hochet, lechangeant d’épaule à chaque instant ; après quoi, tout fier de sonaudace, il me regardait fixement comme pour me défier d’en faire autant.

« Donne-moi ton fardeau, mon cher Éros, repris-je encore une fois : tudois être bien fatigué de l’avoir porté toute cette nuit ! »

Il me le céda sans mot dire, mais en le chargeant sur mon épaule ilavait je ne sais quel sourire sardonique qui n’annonçait rien de bon.

« Puisque tu veux à toute force mon fardeau, le voici. Imprudent ! quedirais-tu si ce tapis devenait tout à coup une jeune lionne prête à tedévorer ? Ce tapis est comme un rosier de l’Égypte : ne remuez pas sajolie tête rose et parfumée, vous en verriez sortir un aspic au noirvenin. Rends-moi, homme libre, rends-moi mon fardeau, car ta liberté tesera un méchant bouclier à l’instant du danger. »

Cependant j’étais décidé à voir la fin de cette singulière aventure ;je ne voulais pas, par une vaine terreur, perdre le fruit d’une nuitd’attente ; et, malgré les sinistres prédictions d’Éros, je marchaistoujours à ses côtés. D’ailleurs mon fardeau n’était pas sans charmes :c’était un poids léger et inoffensif, quelque chose d’inanimé, mais,autant que je pouvais le comprendre, avec des formes charmantes etcette douce et pénétrante chaleur qui donnerait des forces au plusfaible. Nous repassâmes devant la caserne.

« Est-ce là qu’il faut entrer ? demandai-je à Éros.

- Par Apollon ! disait Éros, pas à présent : il fait trop jour, tuferais reculer le soleil. »

En effet, le jour était arrivé, et quand nous fûmes en présence dupalais de la reine, nous pûmes le voir distinctement, enveloppé de lablanche lumière du matin comme un cadavre dans un linceul. Arrivés prèsde la porte, Éros se retourna vers nous.

« Il en est temps encore, nous dit-il : rendez-moi mon fardeau, et vousêtes sauvés.

- Nous entrerons, Éros, reprit le brave Scaurus, et nous verrons si tues assez esclave pour avoir le droit de sauver des hommes libres. »

Nous entrâmes en effet. Nous étions seuls. Le vestibule était de marbre; une savante mosaïque déroulait à nos pieds mille peintures riantes,et le plafond doré était éclairé par les restes mourants d’une lampe àquatre becs, suspendue à une longue chaîne de bronze. Déjà nousfrappions à une seconde porte quand Éros eut pitié de nous.

« Imprudents ! nous dit-il, n’allez pas plus loin ! vous tomberiezparmi les gardes de la reine et sous les flèches de ses archers. Il netiendrait qu’à moi de vous punir de m’avoir espionné toute une nuit ;mais mon noble maître Marc-Antoine m’a appris qu’il était doux depardonner… Écoute, me dit-il d’un ton solennel de commandement, mets àterre ce tapis, déroule-le doucement, et tu comprendras, malheureux, àquels périls tu t’exposais ! »

J’obéis, je plaçai mon fardeau par terre, et, prenant par les deuxmains l’extrémité de la pourpre tyrienne, d’abord j’aperçus une lueurfugitive, quelque chose de blanc qui se cachait sous ces plis depourpre, jusqu’à ce qu’enfin, à l’extrémité même du tapis, jedécouvris, le dirai-je ? Cléopâtre elle-même, la reine d’Alexandrie, lamaîtresse d’Antoine, endormie et plongée dans une ivresse léthargique !

Vous ne seriez guère avancés si, à ce propos j’avais besoin de vousprémunir contre tous les mensonges de l’histoire. On en a fait beaucoupsur Cléopâtre ; et même ceux d’entre vous qui se souviennent de l’avoirvue sur nos théâtres, sous les traits imposants et sous la taillemajestueuse d’une tragédienne célèbre, n’en auraient qu’une très-fausseidée. Cléopâtre ne ressemblait en rien à Mlle Georges : elle n’avait niles beaux traits de son visage, ni cet imposant ensemble, ni cette voixsonore et pure. Vive et pétulante comme une jeune panthère, quatrepieds au plus, la peau légèrement brunie, une voix aigre et colère, unvisage d’enfant dédaigneux et boudeur, telle était la reine. Il fautl’avoir vue comme moi pour se la figurer parcourant les rues de lacapitale enveloppée dans un tapis.

Toutefois ce fut un étrange spectacle, pour nous surtout qui n’avionsaperçu cette grande puissance de l’Orient qu’à travers les pompes de lacour et les apprêts minutieux de sa coquetterie de femme, de la voirétendue à nos pieds, ivre-morte et dans un désordre si complet que vousl’eussiez prise pour une bacchante dans un jour d’orgie, oubliée parles satyres au coin d’un bois. Elle était là, immobile, pâle comme lalumière qui frappait sur son pâle visage ; ses cheveux étaient endésordre, elle était à peine vêtue ; et il eût été difficile dereconnaître, à ces yeux égarés, à cette bouche entr’ouverte, l’ancienneamante de César, la jeune et belle reine de l’Orient ; d’autant plusqu’avant cette ivresse nous nous souvenions d’une manière invincible deses visites multipliées autre part qu’au palais d’Antoine. Voilàl’affligeant spectacle qui frappa nos regards. Pour moi, j’en fusconsterné. Je me suis toujours senti un faible pour le pouvoir dans lesmains des femmes ; et quand la loi salique fut promulguée, je fuschassé du conseil des vieux barons pour m’y être opposé trop vivement.Éros jouissait de ma consternation, il l’attribuait à la peur.

Il n’en était pas ainsi de mon compagnon : perdu toute la nuit dans sesbelles rêveries de grandeur et de majesté populaires, il venait detrouver tout à coup un terrible argument en faveur de son amour pour larépublique.

« Vois-tu, me dit-il en s’approchant près de la reine étendue, vois-tuce corps inanimé, cette âme anéantie, ce gracieux sourire effrayant parson immobilité ? vois-tu cette ivresse profonde ? vois-tu ces traceshideuses d’une débauche nocturne ? Tout ceci ce n’est pourtant pas dela royauté ! »

Sans répondre à cet accent terrible, je me mis à baisser la toge de lareine, et à l’arranger elle-même dans une position plus décente ; jeréparai de mon mieux le désordre de sa toilette. Il était complet ; etmême ce ne fut pas sans pâlir que je remarquai que, dans le vagabondagede sa nuit, la reine avait perdu une des perles qu’elle portait à sesoreilles aux grands jours. En effet l’oreille droite était nue, tandisqu’à l’autre oreille était encore suspendue la seconde merveille del’Orient. La reine tenait dans ses mains une large pancarte : ils’agissait de plusieurs royaumes que lui avait donnés Antoine pendantla nuit. Je m’emparai à mon tour de cet argument sans réplique.

« Cet homme qui paye les faveurs d’une femme avec des villes et despopulations entières, cet amant fougueux qui donne à sa maîtresse desmilliers d’hommes pour un baiser, ce terrible empereur qui joue la vieet les destinées de Rome sur un sourire, cet époux de la jeune ettimide Octavie qui vit en plein jour avec une prostituée, cet hommedont les esclaves sont salués à genoux par les rois, voilà pourtant larépublique que tu nous vantes à tout propos, Scaurus ! Oserais-tu lapréférer à la royauté ? »

Ici se termina notre dispute. Éros, dont l’ivresse se dissipait peu àpeu, comprit enfin son imprudence. Il replia la reine dans son manteau,nous fit sortir en toute hâte du palais, referma la porte sur nous, ettout finit.

« Voilà, Mesdames, comment se termina cette discussion politique. Elleeut le sort de toutes les questions qui s’agitent dans le monde, quand,après bien des explications, bien des clameurs, bien des sophismes, etquelquefois de grosses et interminables injures, chacun resteobstinément dans son opinion ; misérable et triste penchant de notreespèce, qui des choses humaines n’aperçoit jamais qu’un côté. »

Ainsi parla le vénérable comte de Saint-Germain. Vous pouvez juger,d’après cette narration effacée et incomplète, s’il y eut de l’intérêtdans son récit. Toutefois, arrivé à la fin de cette longue narration,il s’aperçut, à son grand étonnement, que l’assemblée n’était pasentièrement satisfaite, qu’il lui manquait une explication à quelquechose, et que de cette explication dépendait son parfait contentement.Le comte avait beau chercher ce qu’il avait oublié : sa vieillehabitude de conteur aurait échoué si une jeune femme de l’assemblée nefût venue le tirer d’embarras. C’est une chose charmante qu’une femmequi vous interroge : une fois qu’elle a surmonté sa timidité naturelle,son corps se dresse, son œil devient plus vif, son sourire plusattrayant, et vous voyez à son regard que si elle vous fait unequestion, c’est malgré elle, et comme vaincue dans ce combat decuriosité.

« Pardon, Monsieur, dit-elle au comte en rougissant, nous voudrionsbien savoir, moi et ces dames, ce que devint la belle perle que perditCléopâtre dans cette nuit d’horreur. »

A cette question inattendue, le comte de Saint-Germain fut atterré : cegrand débat de la monarchie et de la république, devenant tout à coupune question de coquetterie, lui fit juger que notre siècle n’était pasaussi grave qu’il l’avait cru d’abord.

« Vous avez raison, Madame, reprit-il : c’est un grand oubli dans monhistoire. Cette nuit même, comme je l’ai dit, Cléopâtre avait défiétoute la pompe des festins de Marc-Antoine, et elle était sortietriomphante du défi : cette belle perle, qui valait trois royaumes,elle l’avait fait fondre dans du vinaigre, elle l’avait avalée d’unseul trait. »

A ces mots un grand tumulte s’éleva dans l’assemblée. De cette orgieroyale on avait presque tout compris, même, en détournant les regards,la visite à Mécène et la visite aux gardes prétoriennes, la visite àAntoine surtout, et cette lente et mystérieuse promenade sur lesépaules d’un esclave ; mais arrivées à ce simple fait de la plus belleperle du monde sacrifiée sans remords à une vanité purementgastronomique, il n’y eut pas une femme, pas une jeune fille qui pûtcontenir son indignation contre un pareil despotisme ; même peu s’enfallut qu’en dépit de l’espèce d’instinct qui plaide dans le cœur desfemmes en faveur de la royauté et de cette majesté vivante qui jettesur notre histoire un si brillant et glorieux reflet, elles ne fussentsur le point de voter pour la république, tant il y avait d’indignationdans leur cœur.

A cet emportement inattendu le comte de Saint-Germain fut hors delui-même. Sans doute qu’il fut un peu chagrin de voir se réduire à sipeu cette grande dissertation politique sur un texte dont on s’occupedepuis le commencement du monde sans résultat.

Son étonnement était d’autant plus grand que le digne hommen’attribuait cette grande colère des dames à propos de la perle deCléopâtre qu’à leur répugnance pour le vinaigre avalé tout pur. Sonimagination n’allait pas au delà.

Mais c’est qu’à force de vivre et de traverser les cours, le comteétait devenu bonhomme, et qu’enfin il commençait peut-être à radoter,comme vous avez pu vous en apercevoir.


NOTE :
(1) Aristote, De la Politique.