Corps
LALOUEL, Honoré-Pierre(18..-18..) : Sur les femmes qui sesont distinguées dans la poésie anglaise.- Caen : Imprimeries de A. Hardel & deF. Poisson,[1843].- 70 p. ; 25 cm. Saisie du texte : S. Pestel pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (11.X.2011) Texte relu par : Anne Guézou Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@cclisieuxpaysdauge.fr, [Olivier Bogros]obogros@cclisieuxpaysdauge.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusionlibre et gratuite (freeware) Orthographe etgraphieconservées. Les fautes signalées dans l'errata non pas été corrigées (voir en bas de page). Texteétabli sur l'exemplaire de laMédiathèque (Bm Lx : R28 br). La brochure est composée de deux parties.La première imprimée par Hardel est un tiré à part de la Revue du Calvados et porte le titre : Sur les femmes qui se sont distinguées dans la poésie anglaise et occupe les pages 1 à 26 ; la seconde intitulée : Essai sur les dames anglaises qui se sont distinguées dans la littérature, va de la page 27 à la fin et est imprimée par F. Poisson en 1843. Surles femmes qui se sont distinguées dans la poésie anglaise par H. Lalouel Membre de l'Académie de Caen ~*~Si les hommes d’aujourd’hui ne sont pas plus savants que leurs pères,il est certain que les femmes sont moins ignorantes que leurs mères. Iln’ya peut-être point de meilleure preuve du progrès des lumières que leperfectionnement de l’éducation des femmes. Notre siècle en a vu unplus grand nombre de distinguées par leur esprit, que les vingt sièclesqui ont suivi celui de Sapho. On admire avec raison les écrits desStaël, des Cottin, des Genlis, des George Sand, des Tastu, des Hemans,des Edgeworth, des Baillie, des Blessington, des Norton, etc., et sansdoute que la postérité les admirera comme nous. A tous ces nomscélèbres, il serait facile d’en joindre beaucoup d’autres qui ne lesont guère moins. Que dis-je ? plus on réfléchit à cette matière, pluson s’étonne de ce que les femmes ont fait dernièrement. A l’exceptionde la vive et spirituelle Lady Wortley Montague, l’Angleterre n’avaitproduit aucune femme célèbre avant le règne de Georges III. Car, quelsque fussent les talents d’Elisabeth Rowe, de Miss Carter, Chapone,Lennox, Hutchinson, leur réputation ne s’est jamais étendue au-delà deleur patrie, et, si on lit encore leurs ouvrages, c’est moins paramusement que par curiosité. Les mémoires de la dernière surtout n’ontd’autre mérite que de faire connaître les mœurs de l’Angleterre à unedes plus importantes époques de son histoire. Sous ce rapport, la France fut également pauvre jusqu’à la fin dudix-huitième siècle. Le règne de Louis XIV, si fécond en merveilles detoute espèce, n’a produit qu’une femme d’une réputation européenne, etdont les ouvrages se trouvent dans toutes les bibliothèques : c’estMme. de Sévigné. Car tout admirables que nous paraissent nos Scudéry,nos Dacier, nos Deshoulières ; avec quelqu’éloge que nous citions lesGraffigny, les Lambert, les du Châtelet, les du Boccage, etc., laplupart d’entre elles sont ignorées à l’étranger. Les autres nationsnous présentent un blanc parfait, et jusqu’à présent la France etl’Angleterre se sont partagé la gloire littéraire du beau sexe.L’Allemagne, où les femmes sont ménagères ; l’Italie, où elles sontadorées ; l’Espagne, où elles sont esclaves, n’ont pas acquis beaucoupd’illustration en ce genre. Il est bien vrai que tous ces paysprétendent avoir une longue liste de femmes marquantes dans la science,dans les arts, dans les vers, dans la prose ; mais le malheur estqu’elles n’ont point laissé d’écrits, ou que des écrits que lapostérité a dédaignés. Le temps, ce tyran barbare et impitoyable, adétruit les monuments élevés par de si belles mains. Mais les femmesrécentes ont appris à bâtir sur des fondements plus solides. On peutprédire d’avance queDelphine, Corine, Eveline, Cécilie, les contes delaVie Fashionable et tant d’autres, ne périront qu’avec lalittérature contemporaine. Il faut donc saluer tous ces ouvrages, et bénir la mémoire de cellesqui les ont produits, non seulement parce qu’ils sont agréables à lire,mais parce qu’ils présagent un bon avenir, et montrent combienl’éducation du sexe s’est perfectionnée. Sans cela, que sont trois ouquatre femmes extraordinaires dans la balance des destinées humaines ?Que nous importent individuellement les charmantes auteurs des Exilésen Sibérie, du Château de Rackrent, de Camille, etc. ? Tout lemonde n’a pas pu jouir de leur amabilité personnelle, et ce mérite futpeu de chose pour la société en général ; mais, dignes types de leursexe, ornées de toutes les grâces de l’esprit, aussi bien que de toutesles qualités du cœur, elles montrent ce que les femmes peuvent être, cequ’elles sont en effet, et ce qu’on a droit d’attendre chaque jour.Quelques femmes accomplies prouvent bien mieux en faveur de leur sexe,que ne feraient quelques grands hommes en faveur du nôtre. Si elles ontun esprit moins hardi, moins original, moins indépendant, il estcertain qu’elles réfléchissent mieux la couleur de la société qu’ellesfréquentent, et qu’elles prennent plus fortement le cachet de l’époqueoù elles vivent. Un Bacon, un Galilée, un Descartes, peuvent naîtredans un siècle obscur, et répandre tout-à-coup une lumière inattendue ;mais une femme qui s’illustre comme auteur, suppose un haut degré decivilisation, et la considération accordée aux talents qu’elle acultivés. Aussi nous regardons comme un bien pur et sans mélange, les lumièresdes femmes, et la gloire qu’elles ont acquise dans les lettres : nonpas qu’on voulût acheter ces lumières au prix de la douceur, del’aménité, en un mot, de toutes les vertus modestes qui composent leurapanage ; mais toutes ces qualités sont-elles donc incompatibles, etl’expérience prouve-t-elle qu’il soit impossible de les faire marcherde compagnie ? Depuis cinquante ans que les femmes se livrent plusparticulièrement à la littérature, sont-elles devenues plus acariâtres,plus mauvaises mères, ou moins agréables membres de la société, quen’étaient leurs aïeules qui ne savaient pas épeler un mot de quatresyllabes, et dont tout le talent se bornait à manier l’aiguille ?Quelle absurdité de dire que l’instruction rend les femmes fières,insolentes, hautaines ! Tout au contraire, dit un auteur italien, «certamente vediamo le donne più culte, ed educate pei libri conveniential loro stato, acquistar riflessione, moderar l’amor proprio, eregolarsi per massime virtuose a gloria del loro sesso. » On s’anobliten perfectionnant sa raison, dit Voltaire, et l’esprit donne denouvelles grâces. On n’est plus au temps où les hommes ne se croyaientnés que pour la guerre, et les femmes que pour la coquetterie. Letalent est une beauté de plus : c’est un nouvel empire. Mais,dira-t-on, les femmes savantes sont parfaitement ridicules dansMolière. Oui, sans doute ; mais Trissotin et Vadius le sont biendavantage. Que conclure de là ? Faut-il que la fuite d’un mal nousprécipite dans un pire ? Faut-il être ignorant, parce que les pédantssont des sots, ou prodigue, parce que les avares sont odieux ? Les talents sont comme la beauté : ils n’inspirent d’orgueil qu’autantqu’ils sont rares ; ils cessent d’engendrer la vanité, dès qu’ils nesont plus un avantage exclusif. La propagation des lumières est le coupde mort du pédantisme. Si, comme nos pères se l’imaginaient, les femmesauteurs de leurs temps, négligeaient leurs enfants, leurs ménages, senégligeaient elles-mêmes, c’est que leur nombre était assez petit pourqu’elles fussent des objets de remarque. Il y a cent ans, les femmesqui savaient une langue étrangère, et qui écrivaient passablement laleur, durent en être très-fières. Ainsi le furent, on peut le croire,les premières dames qui portèrent des bas de soie et des rubans. Maisdepuis que tous ces avantages sont devenus communs, grâce au progrèsdes arts et de l’industrie, on en jouit sans fierté, aussi bien quesans exciter d’envie. Le développement de l’esprit des femmes a contribué à développer celuides hommes. En effet, outre qu’elles sont bien plus capables de fairesucer à leurs enfants les mamelles de cette première éducationqui leur est confiée comme mères, un haut degré d’intelligence en ellesen suppose toujours un correspondant dans ceux qui sont si jaloux deleur plaire. On ne parle pas ici de l’astronomie, des mathématiques nides sciences abstraites. On ne prétend pas non plus que nous devionsavoir de plus grands poètes, de plus grands orateurs, ni de plus grandshommes d’Etat, parce que les femmes actuelles sont plus instruites quela mère de Montaigne, ou les filles de Milton. Mais en France, aussibien qu’en Angleterre, combien de chevaliers désœuvrés, indolents,apathiques, qui ne veulent pas se donner la peine d’acquérir plus delumières qu’il n’en faut pour échapper au mépris ? Jadis ces hommesfutiles en savaient toujours assez pour briller dans les cercles del’ignorance. Mais les temps sont changés. Les livres ont passé de labibliothèque au salon. Les femmes lisent et parlent de ce qu’elles ontlu. Leur société n’est plus l’asile de la mollesse, de l’insipidité,des vains propos. La conversation roule sur autre chose que le temps,le jeu, les sermons, la mode, le prix des rubans. Pour se mêler à leursentretiens, pour contribuer aux honneurs de la réunion, il faut aumoins un goût épuré, un langage poli, une teinture de littérature, desconnaissances en plus d’un genre, et c’est ce que leurs adorateursseront forcés d’acquérir. Périsse le proverbe qui borne tout le talentdes femmes à la quenouille ! O Sophocle, pourquoi dites-vous que lesilence est leur plus bel ornement ? » Et vous, Montaigne, pourquoiprétendez-vous qu’elles en savent assez, « dès qu’elles saventdistinguer la chemise du pourpoint de leurs maris ? » Graves auteurs,comme vous casseriez promptement ces arrêts, si vous pouviez comparerun moment les femmes de votre temps à celles du nôtre ! Les femmes ont une manière particulière de voir, de penser, des’exprimer. Rien de plus facile que de distinguer leurs écrits de ceuxd’un homme. Leur pensée coule, s’épanche comme un liquide d’un vase.Elle ressemble à l’huile qui alimente une lampe. Elles aiment àcaresser un sujet, à le tourner sans cesse dans leurs mains, à voltigerautour d’un point. Fine et légère, quoique timide, leur muse est uneabeille printanière qui aime à butiner autour de la ruche, mais quis’en écarte peu dans la crainte de l’orage. Tous leurs tableauxrespirent la douce teinte de l’aurore, et la variété des couleurs del’iris. Leur imagination nous rappelle les charmants couchers dusoleil, plutôt que ces rayons éblouissants qu’il ne lance qu’à sonmidi. Quoique presque toujours éloquentes, c’est moins une éloquence depassion que de sentiment. Fruit de ce tact fin et délicat, qu’ellesapportent en naissant, leur style mélodieux décèle plus de goût que deforce ; leur raisonnement est plus élégant qu’original ; et, comme leurpersonne, leur rhétorique n’admet que des ornements choisis. « Ed ilfatto comproba saper esse meglio di quelli (uomi) scrivere etimmaginare con grazia, e leggiadria, con linguaggio più bello, piùchiaro, plus seducente ; cioè col lume vaghissimo della vivaceimmaginazione, e col fuoco de caldi affetti. » Leur esprit est enjouécomme la brise, leurs métaphores transparentes comme la gaze, leurstransitions fines comme des réseaux d’argent. Mais il n’y a rien dedémosthénique autour d’elles ; et quelque bonne helléniste que fût unefemme, elle ne pourrait jamais comprendre les beautés de l’orateur grec. Les femmes ne sont pas propres à tout faire. « Le profondespeculazioni, i faticosi precetti, gli studj ostinati, astratti,severi, non son per quel sesso, che tutto e composto di vivaimmaginazione, di sentimento, e di delicatezza. Il cuore è la mollamaestra della lor vita ed attività, il gusto et il sentimento sono idue cardini della lor anima, et della lor ragione. » Commentpourraient-elles donc aimer, continue le même auteur ? « Come dunqueamar ponno gli studj, ove non grazie si trovano nè allettamenti, nonfiori nè vezzi, non teneri novimenti, nè care dolcezze ; ma lunghezzaed asprezza, fatica, applicazione ; nulla infine che parli al cuore, etil trattenga ? » Aussi nous leur avons prudemment interdit la chaire,le barreau, le sénat, l’école et tous les ouvrages qui supposent uneprofession. Nous nous sommes arrogé le droit exclusif de paraître dansles écoles, dans les tribunaux, etc., aussi bien que celui de tirerl’épée avec art : mais les femmes ne nous envient point celui-ci, etambitionnent peu celui-là. L’exemple unique de la fille d’Accurse, quiprofessa le droit dans l’université de Bologne, ne tire point àconséquence, non plus que celui d’Hypathie, cette illustreplatonicienne, qui donna des leçons publiques de philosophie dansAlexandrie, et qui finit par être victime du fanatisme et de l’envie. Les femmes sont d’une constitution trop délicate pour penser fortement.On leur doit peu de ces maximes qui gouvernent le monde, de cesprincipes qui multiplient la science, de ces découvertes qui changentl’aspect de la société. Elles connaissent peu les inspirationsprofondes, l’enthousiasme de la grande poésie, les transports de l’ode,la fureur du dithyrambe, en un mot tous ces fiers accents qui fontfrémir les guerriers, comme l’ancienne ballade de Chavy-Chase quitourmentait jour et nuit l’âme de Sir Philip Sidney. Mais si elless’élèvent rarement aux plus hautes régions du Parnasse, elles sontmoins exposées à faire des chûtes, et l’on a moins d’écarts à leurreprocher. Si elles entonnent avec moins de sublimité l’hymne des dieuxet des héros, elles n’encensent jamais d’indignes idoles. Jamais ellesne trempent leur plume ni dans le fiel ni dans l’amertume. Comme lacolère de l’oiseau-mouche, toute leur vengeance se borne à quelquedépit passager. La tendresse, la piété, la reconnaissance, l’amour auxailes angéliques, voilà les sujets que leur muse aime à traiter. Les femmes sont également mal nées pour porter le scalpel dans l’âmedes tyrans, pour analyser les passions sombres et farouches, pourapprofondir ces caractères mixtes et composés qui se meuvent sur lascène du monde ; en un mot, pour peindre un Sylla, un Louis XI, unChristiern, un Cromwell. Cela se conçoit. Comme l’amour est presque laseule passion qui gronde dans leur âme, elles comprennent peu leconflit de toutes celles qui bouillonnent dans le cœur de l’homme. D’unautre côté, la délicatesse de leur éducation, l’innocence de leursmœurs, leur peu d’expérience, ou plutôt leur ignorance complète desaffaires, expliquent leurs vues étroites à beaucoup d’égards. Peut-êtreaussi qu’elles ne sont pas douées d’assez de patience pour découvrirles grandes vérités morales et politiques. Il y a trop d’éléments àdébrouiller, trop de causes à interroger, trop de probabilités àbalancer avant d’arriver à la conclusion, et elles aiment mieux secontenter d’un fragment de la vérité, que de creuser pour obtenir lavérité tout entière. Mais aux femmes appartiennent, par excellence, les lettres, le conte,le roman, la fable, l’idylle, le sonnet, la chanson et tous les sujetsqui se rattachent au genre léger et à la poésie badine. « Sembra che ilfemminil sesso abbia un diritto suo proprio a questa letteratura, efuor de’ casi Straordinarj, che debbono sempre eccettuarsi, questa puòdirsi la sola alle donne conveniente. » Voyez comme les riens sedivinisent sous leur plume ! Quel homme aurait écrit les chansons deSapho, les lettres de Sévigné et de Graffigny, les nouvelles de missAustin, les leçons de Mme. Barbauld, les conversations de Mme. Marcet,etc. ? Tous ces ouvrages ne sont-ils pas conçus, travaillés, finis avecune grâce inexprimable ? On retrouve la même observation fine, le mêmepinceau graphique dans les écrits des Edgeworth, des Mitford, des Opie,des Sedgewick, tandis que le cœur de la femme respire tout entier dansles tendres lamentations de lady Russel, dans les transports extatiquesd’Elisabeth Rowe, dans la gaîté, le dépit, la satire même de ladyMontague. Quelle tendresse, quel épanchement d’âme dans la Psyché deMme. Tighe, dans les pièces fugitives de lady Craven, de Mmes.Charlotte Smith, Hemans, Norton, Blessington, etc. ! Quelle main, autreque celle d’une femme, aurait pu crayonner le dévouement héroïque deCorine, ses souffrances, ses aspirations, sa soif inextinguible desémotions ? Si ce n’est pas la même verve, le même enthousiasme,n’est-ce pas la même sensibilité exquise dans les ouvrages des Souza,des Cottin, des Genlis, des Georges Sand, des Tastu, des Colet, etc. ?Mais ne perdons pas de vue le sujet qui doit nous occuper. Dyce a publié un volume de poésies toutes émanées de la veine des damesanglaises, et il mérite d’être embaumé dans leur souvenir, puisqu’il apris la peine d’en arracher plusieurs à un injuste oubli. Si notresiècle voit naître des anthologies plus riches, il n’en verra pointnaître de plus curieuses, ni de plus intéressantes. Son recueil, quicommence par Juliana Berners et finit par Letitia Landon, est lepremier qui soit entièrement consacré aux femmes, si l’on excepte celuique Wolf a donné des femmes poètes de l’ancienne Grèce. Jusqu’à cequ’on approche de notre temps, il contient sans doute peu de ce qu’undédaigneux critique voulût qualifier du nom de poésie. Les héroïnesqu’il passe en revue ne sont pas des prêtresses échevelées, dessibylles en délire, des pythonisses tremblant sous les secousses dudieu du Permesse : ce sont des vierges sensibles, pudibondes, desmatrones modestes, retenues, et telles qu’on se plaît à les voir parerles salons, danser sur le gazon ou fouler l’herbe des prairies ; maispoésie ou non poésie, ces vers sont délicieux pour quiconque préfère uncristal limpide à un torrent fangeux : et combien d’esprits judicieuxpréfèrent, en effet, le genre d’Anacréon à celui de Pindare ? Pourquoidemander toujours de l’enthousiasme, une imagination enflammée, desfigures pompeuses ? Sont-ce là les véritables attributs de l’art ? Etn’y a-t-il de poésie que dans l’ivresse et dans l’égarement ? Quoi donc? l’expression radieuse des sentiments délicats est-elle sans charmes,l’affection sans attraits, la tendresse sans douceur, la reconnaissancesans sublimité, les accents de la douleur sans mélodie ? Commentexclure du banquet des poètes celles qui ne sont nées que poursympathiser avec nous, qui n’ont reçu un cœur que pour aimer, une âmeque pour sentir ? Catherine Philips, née en 1631, morte en 1664, est bien connue sous lenom d’Orinde. Son dévouement aux Muses, dit Dyce, ne l’empêcha point des’acquitter de ses devoirs de la manière la plus exemplaire. Quoiquechantée par Dryden, célébrée par Cowley, sa plus grande gloire vient dece que Jérémie Taylor lui adressa ses traités sur la Nature, les Offices et les Mesures de l’Amitié. Cependant Orinde était célébréecontre son gré. Ses poèmes, qui avaient été dispersés parmi ses amis,furent imprimés sans son aveu, et leur publication lui causa, dit-on,un accès de fièvre qui l’emporta à la fleur de son âge. D’autres disentqu’elle mourut de la petite vérole. Anne Killigrew, suivante et femme d’atours de la duchesse d’York, étaitune poétesse de la même trempe. Son portrait, peint par elle-même, entête de ses œuvres, atteste ce que dit Dyce, qu’elle était aussi bellequ’habile dans la peinture. On lit volontiers sa complainte à un amant.Elle mourut de la même maladie que la précédente, en 1655. Marie Monk, fille de lord Molesworth, fut une des plus aimablescréatures qui aient jamais foulé la terre. Ses poëmes furent dédiés,après sa mort, à la princesse de Galles. Dyce nous offre deux morceauxde sa poésie : l’un est une traduction de l’Italien Felicaia sur laProvidence ; l’autre, ce sont des vers écrits sur son lit de mort à sonépoux. Anne, comtesse de Winchelsea, doit son immortalité à la phrase suivantede Wordsworth : « Chose étrange, dit-il, qu’à l’exception d’un passageou deux qui se trouvent dans la Forêt de Windsor, par Pope, etquelques tableaux répandus dans les poëmes de Lady Winchelsea, toute lapoésie publiée depuis le Paradis perdu jusqu’aux Saisons, ne contiennepas une seule image de la nature champêtre ! » Dyce nous a donné troispetites pièces de cette dame, toutes excellentes en elles-mêmes : l’Athée et le Gland, les Progrès de la Vie et la Rêverienocturne. C’est à ce dernier morceau que Wordsworth fait allusion. On ne trouve rien de comparable à ce qu’on vient de voir dans leseffusions de trente belles poètes (on peut les appeler ainsi parcourtoisie) qui fleurirent depuis Lady Winchelsea jusqu’à CharlotteSmith. Il est vrai que Lady Wortley Montague se trouve du nombre ; maison sait que son génie brilla dans une autre sphère. Elizabeth Rowe, qui fut admirée par Prior, nous offre une judicieuseréponse à la pastorale de l’Amour et de l’Amitié par Mme. Singer.Mais, quoique ses vers soient élégants, ils sont bien inférieurs à saprose. Ses lettres des Morts aux Vivants sont remplies demysticisme et d’éjaculations qui vont souvent jusqu’à l’enflure. L’ode: « Soufflez, vents de la nuit ! » par Miss William ; une autre surl’INDIFFÉRENCE, par Mme. Gréville ; une troisième sur la Patience,par Françoise Shéridan, furent très-admirées de leur temps. Henriette Lady O’Neil, née en 1755, morte en 1793, ne fut pas étrangèreaux véritables inspirations. Son ode au Pavot, est plein de passionet de mouvement. Marie Barber et Marie Leapor, l’une femme d’unépicier, l’autre cuisinière, furent poètes, sans posséder beaucoup du mens divinior, ni l’une ni l’autre. Georgiana, duchesse deDevonshire, l’une des plus belles femmes de son siècle, était aussil’une des plus spirituelles. Coleridge admirait ses vers, surtout lepassage du mont St-.Gothard, qu’on cite souvent. Que dire de MarieRobinson avec toutes ses fragilités ? ses poèmes prouvent qu’elle avaitbeaucoup d’imagination, et sa conduite, beaucoup de faiblesse. sur la fin du dernier siècle, vivaient Anne Seward, qui aurait surpasséla plupart de ses contemporaines, si elle avait su tirer parti de sestalents ; Anne Hunter, dont les vers sont doux et ressentis, ainsi quesa Chanson de Mort presque digne de Campbell ; Amélie Opie, dont le conte de l’Orphelin, le Père et la Fille dureront aussi long-tempsque la piété filiale ; Anne Grand, dont les Montagnards respirent lanature et l’air de l’Ecosse. Cependant si cette dernière occupe uneplace distinguée parmi les célébrités Écossaises, sa réputation reposeprincipalement sur sa prose. « J’admire les femmes poètes de nos jours, disait Hazlitt, ce sontautant de muses modernes à mes yeux. Je deviendrais facilement amoureuxavec Mme. Inchbald, romantique avec Mme. Radcliffe, satirique avec Mme.d’Arblay. Quant à Mme. Barbauld, ses hymnes pour les Enfantsrespirent une tendresse excessive. J’ai long-temps été partagé entreson ode au Printemps, et celle de Collins au Soir. C’est une musefort mignonne, selon moi, elle répand agréablement les fleurs de lapoésie sur les bords arides de la controverse religieuse. » Mais toutesces femmes sont encore plus célèbres en prose qu’en vers. Nous yreviendrons ailleurs. Caroline Bowles est connue par le Jour deNaissance, poème délicieux et bien écrit : elle a surpassé Elton, quiavait déjà traité le même sujet dans son poème de l’Enfance. Charlotte Smith, vient clore la liste des poétesses du dernier siècle.Cette femme célèbre et rendue malheureuse par l’imprudence de sonépoux, commença par traduire les nouvelles de Prévost, fit unecollection de contes curieux, puisés dans les causes célèbres, qu’elleintitula le Roman de la Vie ; composa Emmeline, Ethélinde, Célestine, Desmonde, le Vieux Manoir, les Egarements de Warwick,le Banni, Mantalbert, Marchmont, le Jeune Philosophe, le PromeneurSolitaire, formant en tout 38 volumes. Elle composa bien d’autresouvrages sous le titre de Promenades, de Conversations, etc. Sesnouvelles sont bien écrites en général ; douée d’une imagination vive,elle excellait à peindre les mœurs, et ses caractères sont à la foisvrais et originaux. Cependant sa poésie est bien supérieure à sa prose.Ses vers sont si harmonieux et si élégants, ses images si fraîches etsi neuves, ses sentiments si justes et si touchants, qu’il estimpossible de les lire sans sympathiser avec l’auteur. Ses sonnetssurtout, sont au-dessus de tout éloge. Ils approchent de ceux deMilton, et ne le cèdent guère à ceux de Wordsworth. Cette femme mouruten 1806. Quel critique oserait promettre l’immortalité à un poète, quand on voitles réputations littéraires aussi caduques et périssables qu’elles sont? Combien de favoris d’Apollon ont vu se flétrir leurs lauriers depuisle commencement de notre siècle ? Que sont devenus les volumesharmonieux de Southey, les riches mélodies de Keats, les imagesromantiques de Shelley, la grandeur morale de Wordsworth, le pathétiquerustique de Crabbe, etc. ? Toutes ces productions tombent à grands pasdans le fleuve de l’oubli, où s’endorment dans la boutique leslibraires. Les nouvelles de Walter Scott ont éclipsé tout autre éclatcontemporain. Même les accents retentissants de Moore se perdent dansle lointain, excepté ceux qui sont mariés à une musique impérissable ;et l’étoile rayonnante de Byron pâlira avec le temps. Il est inutile deparler de Milman, de Croly, d’Atherstone, de Hood et d’une légiond’autres qui ont moins survécu à leur réputation, qu’été injustementprivés de celle qui leur était due. Les deux poètes qui ont le pluslong-temps résisté à cette fatalité, sont Rogers et Campbell. Tous deuxsont pourtant peu volumineux, et plus remarquables par le poli etl’élégance de leurs écrits, que par la verve et l’enthousiasme, qui ontparu pendant un temps, les seuls passeports à l’immortalité. Cependant si le goût, si l’élégance sont des titres à la faveur, ilsemble qu’on pourrait promettre une longue popularité à plusieursfemmes poètes de notre siècle, à la tête desquelles se placent Mme.Hemans, Miss Baillie, Mmes Norton, Lenox, Wortley, etc. Nous allonsd’abord examiner le mérite de la première que les muses ont perdue, iln’y a pas long-temps. La poésie de Mme. Hemans est douce, tendre, moelleuse, contemplative,plutôt que sublime, véhémente ou chaleureuse. Ses sentiments ont unepureté éthérée : on les croirait émanés du cœur d’un ange. Son styleest coloré, harmonieux, coulant ; et, quoiqu’elle ait abordé une foulede sujets, elle les a toujours traités avec grâce et originalité. Voyezcomme ses légendes Allemandes respirent le sombre enthousiasme desnations du nord ! comme ses Français sont gais, parlent et agissentavec leur galanterie accoutumée ? comme ses Italiens aiment et sepassionnent à l’instar des héros de l’Arioste ! Quoique sa muse aime às’étendre, elle est rarement prolixe, et elle arrive toujours à uneheureuse conclusion. Ses poèmes sont remplis d’images et dedescriptions charmantes. Comme dans un parterre bien cultivé, toutesses fleurs sont à leur place ; et, si elle prodigue moins les pierresprécieuses que les poètes orientaux, elle sait infiniment mieux les enchasser pour en relever l’éclat. Elle est à la fois descriptive etpathétique dans les mêmes pièces. Elle ne peint la nature, ellen’introduit les scènes champêtres que pour les faire servir de base àla morale. Si la postérité hérite de notre goût pour les poèmes courts,Mme. Hemans n’est pas près d’être oubliée. Il n’y a que le Sanctuairede la Forêt qui soit un peu long. Les vers sur le palmier son exquis,et ceux inscrits sur la tombe d’une famille commune, touchantsjusqu’aux larmes. L’histoire de la Dame du Château est racontéeavec art. Jeanne d’Arc à Rheims est sublime et héroïque jusqu’au but.Voltaire aurait pu apprendre d’une femme à rendre la Pucelleintéressante sans crime, et poétique sans indignité. Southey aégalement fait un beau poème sur Jeanne d’Arc. C’est ainsi que lesAnglais chantent maintenant l’héroïne qu’ils conduisirent sur un bûcherardent. Mme. Hemans s’est montrée plus passionnée dans ses épîtres d’Arabella et de Properzia. Le poème des Jeunes Ecolières estplein de douceur, la Pléiade perdue pleine de solennité, et le mourant improvisatore est vraiment lyrique. De toutes les femmes connues, c’est peut-être Joanna Baillie, quipossède le plus beau génie poétique. Ses drames furent salués comme desouvrages du plus haut ordre, au temps où la poésie de Cowper, de Crabbeet de Burns était dans toute sa fraîcheur. Ils ont conservé leur rang,pendant que Walter Scott et lord Byron se sont disputé la couronnepoétique ; et de nos jours, ils partagent l’admiration publique avecles poèmes de Rogers et de Campbell. Elle est retournée puiser auxvieilles sources qui inspiraient les écrivains dramatiques du tempsd’Elisabeth. Elle donne à ses caractères le même jeu, la même intensité; et elle possède la même imagination folâtre et romantique. Elle estunique dans son genre. Jamais femme n’a pris un si sublime essor dansles régions consacrées à la muse tragique. Si l’Écosse n’a vu naîtrequ’une femme poète, elle a vu naître la plus grande. Cependant elle a fait tort à sa réputation, en s’attachant à nedévelopper qu’une passion dans chacune de ses pièces. Ses tragédies etses comédies sont, abstraction faite du reste, des hérésies dans l’artdramatique. Miss Baillie est un écrivain de la secte des Unitaires.Avec elle les passions sont, comme la république française, unes etindivisibles. Mais elles ne le sont pas dans la nature, non plus quedans Shakespeare. Est-ce que son Basile serait supérieur à Roméo et àJuliette, comme le prétend Southey ? Quoi qu’il en soit, il est certainque son De Montfort, qui fut condamné sur le théâtre, vaut mieux queles Remords, Bertrand, Fazio, et autres tragédies postérieures quiont été plus fortunées. Il y a dans le principal caractère de cettepièce un nerf, une unité d’intérêt soutenu, une précision d’expressionque Kemble seul était capable de rendre ; et l’on y trouve toute lagrâce que les femmes ont coutume de donner à leurs écrits. Sa comédiede l’Election, qui fut jouée avec un succès indifférent, paraît lecomble de la farce enfantine : tout y est insignifiant et parfaitementaimable. Parmi les candidats qui se sont présentés dernièrement à la courd’Apollon, il est certain que les dames Anglaises composaient lamajorité ; mais aucune n’a fait une plus belle figure que Mme. Norton.La fille du grand Shéridan avait droit de faire sensation sous plusd’un rapport. Cependant, si la poésie a plu, c’est plutôt en dépit,qu’à la faveur de la fable qu’elle a ornée. Chose étrange, qu’un sujetaussi usé, aussi rebattu que le Juif-Errant, occupe encore les poèteset les romanciers ! En Allemagne, Klingemann et Von Armin l’ontreprésenté sous son véritable caractère. En Angleterre, Shelley,Medwyn, Croly, Lewis et l’auteur de St.-Léon, l’ont ressassé à quimieux mieux ; et voilà Mme. Norton qui le ramène encore sur la scène,sous le nom d’Isbal le Sempiternel (The Undying One) ! Comment sefait-il qu’on s’attache à un sujet si étrange et qui se prête si peu àla poésie ? Certes, un être maudit du ciel et de la terre, condamné àun éternel pèlerinage, privé de rapports et de sympathies avec leshommes, cherchant partout la mort sans la trouver, présente quelquechose en dehors de tout ce que l’on connaît ; et il faut avouer queGodwin a su tirer de cette source quelques tableaux remplis de terreuret d’une émotion profonde. Cependant, quelque grande que soit laperspective des âges où le héros enfonce ses regards, quelqueextraordinaire que soit la destinée qu’il accomplit, quel baumeadoucissant les muses peuvent-elles jeter sur une âme aussiprofondément ulcérée, aussi flétrie, aussi usée par le temps ? Commentfaire parler, agir, sentir, comme homme, un être qu[i] n’a rien decommun avec les hommes ? Ce sont pourtant là des difficultés que Mme. Norton a voulu vaincre, etqu’elle aurait sans doute vaincues si cela eût été dans l’ordrepossible. Elle a complètement changé le caractère de son héros, aupoint qu’il est devenu méconnaissable. En effet, qu’a de commun cepauvre Juif-Errant, mort à tout, excepté à lui-même, avec cefanfaron, ce tranche-montagne qui erre, se bat, se marie et fait desvœux d’éternelle constance à Edith d’Angleterre, à Xarifa d’Espagne, àMiriam de Palestine, à Linda de Castalie, et remplit l’intervalle entreses amours de combats interminables, sans qu’on sache pour quelle causeil s’arme et sous quel prince il tire l’épée ? Homère est célèbre parles différents genre de mort qu’il donne à ses héros : Mme. Norton nel’est guère moins par celles qu’elle attribue à ses héroïnes. Lapremière amante d’Isbal a une fin violente ; Xifara, qui lui succède,goûte une mort douce ; la troisième est répudiée ; la quatrièmesuccombe on ne sait comment, excepté que la catastrophe arrive à lahauteur du cap d’Irlande. Si le poème de Mme. Norton ne décélait pas d’aussi beaux éclairs degénie, on ne l’aurait pas examiné de si près ; mais le défaut est plusdans le sujet que dans le poète, et une matière moins scabreuse auraitinvariablement donné un résultat plus satisfaisant. Pourquoi est-il sidifficile de persuader aux femmes que leur fort ne git point dans lareprésentation de ces passions farouches qu’elles ne connaissentheureusement que par théorie ? Que la fille de Shéridan puise sesinspirations dans son cœur, au lieu de plonger dans l’abîme de l’idéal,et il y a tout à parier qu’elle obtiendra un succès complet. Son poèmenous offre des tableaux rapides, des scènes animées, souvent une vervelyrique, et presque tous ses vers sont d’une excellente facture. Avecquel épanchement de cœur Xifara lamente la perte de son époux, tombédans un combat entre les Espagnols et les Maures ! Quelle peinture ellefait du terme de sa vie ! et quelle apostrophe s’échappe de sa bouchemourante, sur les bord du Guadalquivir ! De pareils passages prouventce que peut Mme. Norton. Il lui suffit de s’orienter dans uneatmosphère moins orageuse pour exhaler le plus doux parfum de lapoésie. S’il fallait d’autres preuves de ses talents, on les trouveraitfacilement dans ses mélanges joints à Isbal. Ses Souvenirs surtout etles Chagrins de Rosalie, sont de charmantes peintures de la viesociale, dont l’auteur est un des plus beaux ornements. Que dis-je ? il fut un temps où elle brillait dans les salons deSaint-James et de Grosvenor-Square comme l’étoile radieuse du matin ;elle animait, elle embellissait tous les lieux par sa présence ; adoréede son époux, elle le payait d’un juste retour. Pourquoi faut-il quel’odieuse politique soit venue détruire tant de charmes et d’harmonie ?L’histoire est connue ; la chronique scandaleuse a couru par tout leroyaume. M. Norton a consenti à déshonorer sa femme pour perdre unpremier ministre (2). Le tribunal qui entendit les atroces accusationsarticulées contre la reine Caroline, a de nouveau prêté l’oreille auxinjurieuses dépositions sur le compte de Mme. Norton. Ainsi, quoiqueinnocentes et absoutes devant la justice, ces deux femmes célèbres sesont vues flétries aux yeux d’une prude aristocratie, plus encore quedans l’estime des honnêtes gens. La première en mourut de chagrin, ofa broken heart, quelques jours après la cérémonie qui aurait dû placersur sa tête la couronne d’un grand empire ; la seconde n’a supporté sesmaux qu’en fuyant le royaume de Barbe-Bleue (3), cette terreanti-chevaleresque, où les femmes, toujours en butte aux plus grandsdangers, exposées aux plus noires calomnies, trouvent si peu d’amis etde protecteurs. Depuis ce moment, Mme. Norton a passé presque tout sontemps à Rome. Il faut traiter Mme. Lenox Conyngham avec indulgence. Elle est filleunique de Holmes, qui soutient aujourd’hui la gloire du barreauIrlandais, et nièce des Emmett, ces héros-martyrs qui ont généreusementversé leur sang pour la cause de leur patrie. Ses effusions poétiquesont souffert de sa mauvaise santé. C’est sur le lit de souffrancequ’elle a modulé toutes ces pensées qui se pressaient sur son cœur.Elles sont presque toujours fines et originales, et ne laissent àdésirer qu’une expression plus châtiée. Espérons que le prompt retourde sa santé lui aura permis de revenir sur ces vers et de leur donnerun nouveau poli. Parmi les poésies diverses que renferme son volume, ondistingue Hella et le Songe, qui sont les plus longs ; le Conte duJeune Auteur renferme des stances excellentes ; celui de la JeuneMuette surtout décèle beaucoup de talent et de sensibilité. Si l’on enjuge d’après plusieurs épigraphes grecques et allemandes, placées entête de ses poésies, Mme. Lenox posséderait à fond ces deux languesdifficiles. Si cela est, les Irlandaises ne sont pas moins instruitesque les Anglaises. Lady Emeline Stuart Wortley est peut-être la plus charmante auteur quiait embouché la trompette héroïque pour célébrer les hauts faits deWellington. Elle lui a adressé au moins seize sonnets, qui sont tousmarqués au coin de l’inspiration poétique. Le Visionnaire est un beaupoème, quoique inégal. Tantôt sa muse s’élance, comme un aigle,jusqu’aux astres pour passer en revue les merveilles de l’univers, ettandis que l’œil étonné, ébloui, cherche à la suivre, tout-à-coup elleretombe à terre pour se plaindre de torts, de fraudes et d’injurespersonnelles. Ces plaintes seraient-elles fondées sur l’expérience ?Cette dame nous ferait-elle ainsi l’histoire des révolutions de safortune ou de ses amours désappointés ? Quoi qu’il en soit, Byron n’arien de plus vigoureux ni de plus fortement empreint du cachet du génieque les premières stances de son poème. Plût au ciel qu’elle eût autantde jugement que d’imagination ! sa réputation serait établie tout d’uncoup. Sa pensée se précipite comme un torrent, les formes heureusesnaissent en foule sous sa plume ; mais à côté des plus beaux jets ondécouvre une sève, une exubérance excessive : il aurait fallu une mainamie pour réprimer cette prodigalité. Quoique ses vers respirentl’audace et l’originalité des plus grands poètes, elle se manquera àelle-même, si elle n’abandonne la politique : outre que cette matièrene peut être agréable qu’à ceux de son parti, elle ne convient qu’à lapoésie burlesque et satyrique. Il faut aussi qu’elle soigne davantageson style, qu’elle consulte un peu plus son oreille : elle a desstances remarquables par leur dureté, et elle dépasse souvent lesbornes des licences poétiques. Du reste, ce ne sont là que des tachesqu’un peu de soin fera disparaître. Qu’elle continue de cultiver lesmuses, il n’y a pas de doute qu’elles agréeront son encens, et laplaceront au premier rang des femmes de son siècle. Parmi ses autresproductions, on distingue le Siège d’Anvers, les Souvenirs del’Italie, etc. Le comté d’York se vante à présent de deux muses qui forment deuxantipodes poétiques, aussi bien que sociales : ce sont Lady Wortleyqu’on vient de voir, et Marie Hutton. L’une embellit les cercles del’aristocratie par ses grâces et son esprit ; l’autre se meut dans unesphère moins élevée, où les talents sont également admirés, parcequ’ils y sont beaucoup moins communs. Ses poèmes sont plus doux quesublimes, et elle avoue modestement qu’elle ne les a publiés qu’à lasollicitation de ses amis. Outre sir Hubert de Vere, conte enquatre chants, elle a composé une foule de pièces fugitives. Il fautlui souhaiter du succès, puisqu’elle a une âme tendre et de bonsprincipes. Elle est vivement éprise du malheur des Polonais, et leur aadressé au moins une douzaine de petites pièces, sous une forme ou sousl’autre. Montgommery, Elliot et Marie Hutton, tels sont les poètes quihonorent aujourd’hui la ville de Sheffield. Marie Russell Mitford a publié un volume de poèmes et plusieurstragédies qui ont du mérite. Si toutes ces productions n’ont pas lamême perfection, c’est qu’elle commença à écrire avant que son goût fûtformé. Comme Crabbe, elle excelle dans la peinture des scèneschampêtres, de la vie commune et des travaux journaliers. Si l’auteurdu Village et de Bedfort Regis veut abandonner la politique pourles bois et les fontaines, nul doute qu’elle ne trouve un écho sur leParnasse. Mais la louange des héros, le panégyrique des littérateurs,comme le docteur Mitford et Valpy, sont des sujets de mauvais augurepour une femme. Ses poèmes qui avaient excité les applaudissements deses amis privés, ont été donnés au public à la sollicitation de cesmêmes amis, et elle s’est fait un nom sans paraître s’afficher. Quoiqueses contes offrent peu de passion et d’action, elle a prouvé avecquelle souplesse la main d’une femme peut toucher les cordes de la lyre. Miss Porten se présente à nous avec les Voiles ou le Triomphe de laConstance, poème en six livres. Comme tant d’autres, elle a employé debeaux talents à traiter un sujet ingrat. Quoi de plus absurde, que depersonnifier les énergies de la nature, et de ne nous offrir que desesprits et des gnomes, au lieu des réalités que nous connaissons ?C’est le misérable système que Darwin a développé dans son JardinBotanique ; ce qui a fait dire aux critiques que c’était un véritablesacrifice du génie dans le temple du faux goût. Le fond du poème, laperte et la restauration des voiles, était originairement un petitconte de fées, fort amusant. On l’a gâté en lui faisant prendre laforme d’une allégorie didactique. Combien n’eût-il pas mieux valu nousdonner des tableaux bien frappés, comme celui du Stromboli, que depersonnifier les feux souterrains du Vésuve ? Miss Porden pense avecforce et s’exprime de même, quand elle abandonne les rochers primitifset secondaires, mais elle a tort de les enter sur un conte de fées.Elle s’est méprise en alliant ainsi la science à la poésie. Du reste,l’érudition lui sied bien, et notre siècle a produit peu de femmes quiaient des lumières pour s’égarer comme elle. Madame Turnbull, déjà avantageusement connue comme artiste, a publié unjoli volume de poèmes sous les auspices de ses amis. Plusieurs de cespièces fugitives ont mérité d’être mises en musique par les plus grandscompositeurs du jour. La chanson du Ménestrel surtout a fait une vivesensation. Marie Howitt a ses ballades et traditions, productions quinous rappellent les anciennes ballades écossaises. Elles sonttrès-populaires, et décorent les colonnes du Magasin de Tait. Mme.Elliot nous a laissé sa noble apostrophe au Child Harold ; Mme.Ellis, un recueil de chansons ; Miss Brookes et Miss Balfour,d’élégantes traductions de plusieurs poèmes Irlandais ; et Eliza Cookfait concevoir de grandes espérances. N’oublions pas Mme. F-H. Jobert, auteur d’une traduction fidèle,presque littérale, quoiqu’en vers du Jocelyn de M. de Lamartine. LesAnglais ont connu deux manières de traduire ; l’une qui consiste à seprendre rigoureusement à son original, à le rendre tel qu’il est, à nedire ni plus ni moins que ce qu’il dit ; l’autre à se donner carrière,à retrancher, à mettre du sien suivant que le demande la rime, àrajeunir même les couleurs de son auteur, quand elles ont vieilli. Mme.Jobert a suivi le premier système. Elle a senti que c’eût été unsacrilége de tronquer ou de délayer les pensées du barde, si nobles, sijustes, si poétiquement exprimées. Les tableaux n’ont pointchangé de cadre, et pour que les images conservassent leur attitudenaturelle, elle a adopté le même nombre, et, pour ainsi dire, pris lamesure de chaque vers avant de leur donner un nouvel habit. Cettesévérité n’est pas favorable à la poésie ; mais si cette traduction estmoins harmonieuse que celles de Pope et de Dryden, qui peut nierqu’elle ne représente mieux la physionomie de l’original ? Je voudrais couronner, une à une, toutes les dames Anglaises qui ontporté leur tribut poétique au temple des Muses : mais quel homme peutse flatter d’avoir des mains assez délicates pour leur tresser descouronnes ? Comme il n’y avait que les grâces d’admises à parer Vénus,il n’y a qu’elles capables de sentir et d’apprécier ce qu’elles ontfait. Quand je comparerais leurs ouvrages aux rubis et aux diamants,j’en peindrais la richesse, et non pas la beauté. Je ressemblerais auxOrientaux qui n’ont jamais connu la peinture, faute d’étudier lanature, ou à ce tyran qui gâta les statues de Phidias et de Praxitèle,en les surchargeant d’ornements étrangers. J’imiterai donc ces antiquesbergers de la Chaldée, qui, sans pouvoir suivre les étoiles dans leurcours, se contentèrent de les admirer, de les rassembler enconstellations, et de leur donner ces doux noms qu’elles porterontéternellement. Quelle pléïade ou quelle constellation, en effet, brillajamais dans le ciel, comme celle que forment les femmes dans lalittérature Anglaise ? Vous en faites partie, aimable Aikin, tendreAustin, séduisante Barwell, grave Bowdler, joyeuse Bradburn, Brunton,Burney, Campbell, Carter, Cornwell, Davidson, Dunning, Fulhame,Edgeworth, Gordon, Gore, Grant, Gunning, Hall, Hamilton, Hawkins,Holford, Hoffland, Jackson, Jamieson, Lea, Leslie, Lennox, Macaulay,Marcet, Martineau, Matthews, More, Opie, Owenson, Pearson, Piozzi,Porter, Plumtree, Radcliffe, Rowe, Robinson ; vous ne serez pointoubliées héroïques Seward, soucieuse Shéridan, affectueuse Sherwood ;ni vous tendres sœurs, Charlotte et Elisabeth Smith : ni vous non plus,moins connues, quoique non moins dignes de l’être, modestes Talbot,Taylor, Tighe, Thrale, Trimmer, Turner, Walker, Wells, West,Wolstoncraft, Yearsley, etc. A la vue de ce tableau magnifique, autour duquel bien d’autres nomscélèbres pourraient venir se grouper encore, ne dirait-on pas que nousvivons dans un véritable âge d’or, puisque tant de femmes, joignant lesagréments d’un esprit cultivé aux charmes de la beauté naturelle, fontle principal ornement de la société, et, tout en se réservant aubonheur d’un seul homme, contribuent tant à l’amusement de tous ? Lesiècle d’Elisabeth est fameux par les restes de l’antique chevalerie,et par tous ces héros que Spencer a immortalisés dans la Reine desFées. Le trône de la reine Anne resplendit de tout cet éclatlittéraire et scientifique qui venait de passer de la France et del’Italie. D’autres princes, d’autres princesses se sont signalées parla fondation de ces ordres qui prodiguent à l’envi les jarretières, lescroix, les rubans et les cordons pour récompenser les services de touteespèce. Pour vous, illustre Victoria, princesse digne de présider auxdestinées d’un peuple libre et intelligent, autant que fier et jalouxde ses droits politiques, voulez-vous qu’une gloire particulière marquevotre règne, dans la postérité ! Encouragez les talents de votresexe ; fondez une académie pour les femmes, accordez-leur deslettres-patentes, joignez-y des récompenses plus honorables encore ;que sous vos auspices, elles réalisent ce projet tant de fois médité envain par les Roscommon, les Dryden, les Swift (4), etc. ; qu’à l’ombrede votre protection elles s’érigent en reines du Parnasse, en juges dumérite littéraire ; en arbitres du bon goût. L’antique idiôme saxon,cultivé, fécondé, agrandi par Shakespeare, Milton, Byron et tantd’autres grands poètes qui n’ont connu d’autre règle que l’inépuisablefacilité de leur génie, est dans un bouillonnement, une fluctuation,une péripétie perpétuelle, il a besoin d’un tribunal qui veille à laconservation de sa syntaxe et de sa pureté ; et quel barbare oseraenffreindre les lois de celui que je propose ? Ce n’est qu’ainsi qu’ilpourra s’épurer, se dégrossir peu à peu, et acquérir cette clarté,cette précision, cette élégance qui lui feront un jour partagerl’empire des salons avec la langue française. Dans un autre numéro, nous donnerons un travail analogue sur les femmesqui se sont fait un nom dans la prose. H. LALOUEL. (Extrait de la Revue du Calvados.) NOTES : (1) La reine Elizabeth et l’infortunée Marie-Stuart ont laissé lesouvenir de deux femmes savantes, plutôt que de deux charmantes auteurs. (2) Lord Melbourne. (3) Henri VIII. (4) Ces trois hommes célèbres se sont efforcés à différentes reprises,de fonder une Académie anglaise, à l’instar de l’Académie française,pour veiller à la conservation de leur langue et la fixer. Mais ilsn’ont jamais réussi, et la chose paraît impossible. Les Anglais sonttrop fiers et trop indépendants, dit le docteur Johnson, pour obéir auxcanons d’une assemblée d’académiciens. Ils ne liraient jamais leursédits, ou s’ils les lisaient, ce ne serait que pour être plus sûrs des’en moquer. [SUITE] ESSAI SUR LES DAMES ANGLAISES Qui se sont distinguées dans la Littérature. ~*~La fiction est, jusqu’à un certain point, le reflet du goût et desopinions du siècle qui la voit naître, comme le théâtre n’est que lareprésentation de la société qui s’y rend. Aujourd’hui Sophocle neserait pas vrai à Athènes, Cervantes en Espagne, Shakespeare enAngleterre. Pour faire revivre la littérature d’un siècle passé, ilfaudrait ranimer les sentiments qui la firent naître. Il seraitimpossible de représenter une tragédie grecque, sans la remodeler, surun théâtre moderne. Quand le fond serait le même, il faudrait que laforme fût différente. Les personnages doivent être français à Paris,espagnols à Madrid, anglais à Londres. Walter Scott a emprunté sespersonnages aux siècles passés : les sentiments qui les animent sontceux du sien. La Nouvelle est l’épopée populaire, elle a pris pied àmesure que le goût de la littérature s’est répandu. Tant que la lecturese borna aux littérateurs, elle fut pédante, doctorale, scholastique ;elle se plaisait dans l’allégorie ; elle se nourrissait d’érudition ;elle réfléchissait la vie du collège. Après la restauration, enAngleterre, elle prit le ton des courtisans de Charles II : ton poli,raffiné, quoique licencieuse à l’extrême comme la duchesse dePortsmouth et le comte de Rochester. Cependant la nation trouva unfidèle miroir de ses croyances dans les Progrès du Pèlerin. L’ouvragede Bunyan forme la poésie du puritanisme ; ce n’est pas une Nouvelle,car il n’a rien de commun avec la vie commune, ainsi que les visionsdes cinq monarchistes avec les véritables formes du gouvernement.Mais c’est par cela même qu’il fut vrai pour le siècle qui le vitnaître. L’esprit qui avait renversé les Stuarts, se montre beaucoupmieux dans l’allégorie de Bunyan que dans la défense de laRépublique, par Milton. Ce n’est que dans la maison de Navarre, àmesure que la cour et la nation se sont rapprochées, que l’Angleterre avu naître ces immortelles nouvelles qui peignent la vie et qui charmentégalement le littérateur et les gens oisifs. En France, les Nouvellesdu dernier siècle respirent l’esprit du temps, et l’on peut direqu’elles perdent en vérité, ce qu’elles gagnent en philosophie. Il n’ya ni chair ni sang dans les caractères de Marmontel ; ce ne sont quedes aphorismes dramatisés.Le Candide et le Zadig du patriarche de l’église philosophique nesont que de brillantes caricatures. Il ne tenait pourtant qu’à Voltaired’être le premier romancier de l’Europe, s’il avait voulu représenterla vie commune, au lieu de s’en tenir à la pensée abstraite et d’écrirepour son couvent. Plus on examine ses tragédies, plus on voit que laphilosophie géna les talents du grand poète ; s’il avait peint leshommes au lieu de s’en moquer, Voltaire surpassait Lesage dans sesromans, comme il a surpassé tous les historiens de son temps dansCharles XII. Richardson agrandit le cercle de la fiction dans Clarisse. Au lieu depeindre des faiblesses et des caprices particuliers, il peignit lesplus profonds replis du cœur humain. Il éleva la Nouvelle au rang de latragédie quand il mit les passions en jeu. Rousseau fut le Richardsonfrançais : inférieur en pathétique, il lui est supérieur en éloquence.Plus tard, Goëthe employa les mêmes éléments pour exciter des émotionsplus profondes encore dans son Werther. Mais ce grand génie eut l’artd’être circonstancié comme Richardson, sans être aussi ennuyeux. Iljoint partout la simplicité du romancier anglais à l’éloquence del’écrivain français. Aucune traduction ne saurait donner une juste idéedu Werther. Il pense, éprouve, s’exprime comme tout le monde : sessentiments ne sont sublimes que par leur intensité. On peut regarderces trois écrivains comme les pères de la Nouvelle domestique, fondéesur le sentiment et la passion, en opposition à la nouvelle sociale,fondée sur l’observation, et perfectionnée par Fielding Lesage, etc.Car, si Goldsmith les surpasse en délicatesse, il est loin d’eux enfait de passion ; il est à la nouvelle comique ce qu’ils sont à lanouvelle tragique. La veine ouverte par Richardson est la moins épuisée et peut-être lamoins épuisable. Le roman de mœurs vieillit bientôt ; de là, l’oubliqui pèse déjà sur une foule d’écrits de ce genre, en dépit de tout letalent qu’on y a déployé. Sans être plus noble, le romand fondé sur lesentiment est plus durable. Bien des personnes confondent cependantl’un avec l’autre : il suffit de comparer la Violette avec Almockpour sentir la différence. En un mot, le charme a passé de l’existencephysique à l’existence morale. Le roman du dix-neuvième siècleparaît destiné à exploiter cette dernière veine. C’est dans ce genre de littérature que les femmes excellent surtout.Voyez comme leur esprit s’y montre et s’y développe avec avantage !Presque toutes ont ce que Walter Scott attribue à Miss Austen,c’est-à-dire le talent d’analyser toutes les nuances du sentiment, desonder tous les replis du cœur humain, de mettre sous nos yeux tout cequ’elles racontent, tant leur pinceau est animé, graphique etpittoresque ! Quel homme que George Sand, dans la peinture de cesémotions qu’on apprend sagement aux femmes à réprimer ! Qui a jamaissurpassé Mme de Staël dans la poésie de l’ame, dans l’éloquence dusentiment, dans la brûlante peinture des affections intérieures ! Siles Anglaises ont moins de verve, moins de passion, elles ont peut-êtreplus d’onction, plus de pathétique ; et, comme Pâris, si j’étais appelépour les juger, je ne sais trop auxquelles je donnerais la préférence.Quoi de plus touchant que les contes de Mme Hall ! Quelle vivacité,quelles étincelles d’esprit dans ceux de Mme Goré ! Quel intérêtpathétique dans Hélène Warcham ! Quel épanchement de cœur dans EdithChurchill ! Quelle profondeur tragique dans Carwel ! Quelleconnaissance de la femme dans la Fille de l’Amiral ! Quand lalittérature anglaise n’aurait produit que cela depuis dix ans, queltrésor d’innocentes jouissances pour ceux qui la lisent ! Mais avantd’aborder les belles romancières, voyons quelques autres femmes qui sesont distinguées dans un autre genre. Elizabeth Singer, depuis Mme Rowe, née en 1674, morte en 1737, à l’âgede 63 ans, vivement regrettée pour ses vertus et sa bienfaisance,s’adonna de bonne heure à la culture des lettres et des arts. Elle fitdes progrès remarquables dans la musique, dans le dessin, et appritpresque d’elle-même le français et l’italien ; mais son caractère,composé d’un mélange de douceur et d’enthousiasme, l’entraîna vers lapoésie. A douze ans, elle écrivait déjà de petites pièces sur dessujets divers, et elle n’en avait que vingt quand elle publia, sous lenom de Philomèle, un recueil de vers qui lui mérita l’approbation descritiques de son temps. Quand Napoléon s’écria : « Je suis le Rodolphe de ma famille, » iléprouva une plus grande satisfaction que si le sang impérial des Césarsavait coulé dans ses veines. John Philpot Curran était également plusfier de tirer son origine d’un sénéchal de Newmarket, que lord Byron dedescendre des barons qui accompagnèrent Guillaume-le-Conquérant au-delàde la mer. Yelverton, depuis lord Avonmore, disait au temps où iln’avait qu’une chemise pour toute garde-robe, que le patricien et leroturier sentent aussi bon l’un que l’autre, quand ils sont bienparfumés, et qu’il n’y a de bonne odeur que celle qui vient de la vertuet des travaux honnêtes. Miss Singer eut constamment le même mépris pour la naissance, le ranget les richesses. Elle ne voulut jamais donner sa main à aucun desadorateurs titrés que lui attirèrent sa beauté, sa jeunesse et sestalents ; pas même au célèbre Prior qui se trouva du nombre. Il luifallait quelqu’un selon son cœur. Enfin, trouvant toutes les vertusmodestes qu’elle désirait dans M. Rowe, elle l’épousa et passa avec luicinq ans dans la plus heureuse union. Devenue veuve, elle abandonna lemonde et ses plaisirs pour passer le reste de sa vie dans la retraiteet la pratique des bonnes œuvres. Outre le recueil déjà cité, on a decette dame : l’Amitié après la mort, des Lettres morales etamusantes, mêlées de prose et de vers ; l’Histoire de Joseph, des Exercices de piété, des mélanges et la belle élégie qu’elle composasur la mort de son mari. Françoise The Warm-Hearted, comtesse, et ensuite duchesse deSomerset, quoique connue par sa correspondance avec Walts, Doddridge etShenstone, l’est beaucoup plus par le patronage éclairé qu’elle accordaà Thomson au temps où le chantre des Saisons n’avait encore niargent, ni crédit. En récompense, le poète l’a immortalisée en luidédiant son Printemps par ces beaux vers : O Hartford,fitted or to shine in courts With unaffected grace, or walk the plain With innocenceand meditation joined In dostassemblage, listen to my song, Which thy ownSeason paints ; when nature all. Is bloomingand benevolent like thee. Plût au ciel que toutes les femmes puissantes fissent un aussi bonusage de leur influence : sans doute que les arts les paieraient d’unaussi généreux retour ! Lady Marie Wortley-Montague, née en 1690 et morte en 1762, montra debonne heure les plus heureuses dispositions, que son père eut soin decultiver. Il lui donna dans tous les genres les mêmes maîtres qu’à sesfrères, et elle apprit successivement le grec, le latin, le français,l’italien, l’allemand. Elle épousa de bonne heure un homme qui jouaitun certain rôle au parlement, et lorsque celui-ci fut nommé ambassadeurà Constantinople, elle s’empressa de l’accompagner en Turquie oùl’appelait une curiosité excitée par tout ce qu’on raconte de cettecontrée célèbre et romantique. Elle ne fut pas plus tôt arrivée qu’ellecommença à étudier la langue turque avec tant d’ardeur qu’elle ensurmonta toutes les difficultés dans un an, et parvint à l’entendre, àle parler même avec facilité. Sa position d’ambassadrice la mit à mêmede voir et d’observer une foule de choses qui sont interdites auxvoyageurs ordinaires. Elle obtint même du sultan Achmet la permissiond’entrer dans le sérail, où elle se lia d’amitié avec la sultanefavorite Fatime. On débita dans le temps que le grand-seigneur avaitconçu pour elle une passion à laquelle elle ne serait pas restéeindifférente. Ceci a bien l’air d’un conte fait à plaisir ; mais quelhonneur pour une femme, née dans une île pâle et froide de l’Occident,si elle avait pu rivaliser un moment avec toutes ces beautés échappéesdes heureux climats où le soleil verse, avec les flots d’une lumièreplus pure, tous les trésors des plus riches couleurs ! Quelle gloire,dis-je, pour une Anglaise, si ses charmes avaient pu balancer, aux yeuxdu sultan, les éblouissants appas de toutes ces célestes créatures quienvironnaient leur fortuné possesseur ! Quoiqu’il en soit, la portion la plus intéressante de ses ouvrages estsans contredit celle qui tient à ce voyage, et on lira ses lettres deConstantinople tant que l’amour du mystère et des histoires secrètesaura droit de captiver le cœur humain. Que dis-je ? on les regarderalongtemps comme le monument le plus authentique des mœurs, des usageset des coutumes de l’Orient. Car qui mieux qu’elle a vu tout ce qui sepasse dans les harems et dans les appartements des femmes ? Qui a mieuxassisté à leurs entretiens, à leurs passe-temps, à leurs cérémoniesnuptiales, à leurs bains mystérieux ? Qui mieux, dis-je, a déchiré levoile de ces lieux à jamais impénétrables aux hommes, pour nous enpeindre les objets avec les couleurs les plus fraîches, les plusséduisantes, les plus voluptueuses ? Qui osera enfin contredire sontémoignage oculaire, et rivaliser avec son style enchanteur ? Si l’onexcepte une ombre de babil et de vanité, défauts pour ainsi direinséparables de l’œuvre d’une femme, son livre est le plus charmantmanuel épistolaire que possède la langue anglaise, et que lalittérature française, avec toutes ses richesses, n’a pu surpasser quepar le divin badinage de Sévigné ! La nature avait doué Lady Montague d’une intelligence mâle, d’uneimagination active et d’une observation si juste, que ses remarquespassaient pour des oracles. Cependant ses essais n’ont d’autre mériteque d’être courts ; et, quand à ses poêmes, ils sont déjà tombés dansl’oubli. A son retour en Angleterre, elle se lia d’amitié avec toutes lescélébrités littéraires de son temps. Pope, Addison, Steele, Young etplusieurs autres formaient sa société habituelle. Cependant cetteharmonie ne fut pas de longue durée. Comme elle se faisait un jeud’agacer, de plaisanter Pope sur ses infirmités (mieux vaudrait centfois agacer les frêlons que le genus irritabilile vatum), celui-ci enfut piqué et ne tarda pas à s’en venger par des traits de satyre quiamenèrent une rupture ouverte entre les parties. Nous devons à cette femme célèbre l’inoculation qu’elle découvrit enTurquie, où elle se pratiquait depuis longtemps. Après avoir fait vacciner son fils pour première épreuve, elle résolutd’introduire ce procédé dans l’Europe occidentale, où le docteur Jenneren fut le propagateur. Sans doute qu’elle ne pouvait pas faire un plusbeau présent à sa patrie que de lui offrir les moyens d’atténuer leseffets d’une aussi cruelle maladie que la petite vérole. Aussil’Angleterre a voulu perpétuer le souvenir de ce bienfait enreprésentant, dans la cathédrale de Lichfield, la beauté versant deslarmes sur le tombeau de celle qui nous a appris à soustraire à unemort prématurée et à la laideur tant d’enfants destinés à devenir leursvictimes. Catherine Macaulay, née en 1733, morte en 1791, reçut une éducationsolitaire qui disposa de bonne heure son esprit à l’enthousiasme.Nourrie de la lecture des historiens grecs et latins, elle forma leprojet d’écrire, dans le même esprit, les annales de son pays, etpublia, dès l’année 1763, le premier volume de son Histoired’Angleterre. Une femme qui écrit l’histoire dans de pareils principesne pouvait pas manquer d’attirer l’attention sur elle. Son ouvrage futl’objet d’une foule de critiques, et personne ne fut en butte auxinjures les plus atroces. Ses adversaires furent réduits à dire qu’elleétait horriblement laide, et que, ne pouvant se faire remarquer commefemme, elle avait résolu d’envahir le domaine de l’homme. Sans être unebeauté accomplie, il paraît cependant qu’elle avait une figure aimable.Lorsqu’elle vint à Paris en 1777, elle y connut, entre autres personnescélèbres, Franklin, Turgot, Marmontel et Mme du Boccage. Ses principaux ouvrages sont l’Histoire d’Angleterre, depuis JacquesIer jusqu’à l’avénement de la maison de Hanovre, ouvrage qui est peu luaujourd’hui ; Remarques sur les Eléments du gouvernement, par Hobbe ; Réflexions sur les causes des mécontentements de son temps ; un Traité sur la morale, des Lettres sur l’éducation, etc. Harris n’apas balancé à placer Mme Macaulay, comme historien, au-dessus deClarendon et même de Hume. Le docteur Wilson, un de ses plus ardentsadmirateurs, alla plus loin encore, et lui éleva une statue, comme à ladéesse de la liberté, dans son église de Walbrooke. Enfin Mme Macaulayavait inspiré tant d’enthousiasme à Mme Roland que celle-ci déclare,dans ses Mémoires, qu’elle n’a d’autre ambition que de devenir laMacaulay de son pays. Mais voici un trait qui ne fait pas d’honneur àcette femme et qui prouve jusqu’à quel point l’esprit de parti peutégarer la raison. En compulsant les documents qui se trouvent au Muséebritannique, elle avait coutume de déchirer, dans les manuscrits,toutes les pages qui étaient favorables aux Stuarts et contraires à sonparti. Cet horrible abus de confiance, qui finit par être découvert,mérite d’être transmis à la postérité. Miss Chapone, née en 1726, morte en 1801, composa à l’âge de neuf ansle roman intitulé les Amours d’Amoret et de Mélisse. La joliehistoire de Fidelia, insérée dans l’Aventurer, et un poême impriméau commencement de la traduction d’Epictète, par Miss Carter, furentaussi donnés de bonne heure au public sous le voile de l’anonyme.Encouragée par ce premier succès, elle publia bientôt après les Lettres sur le perfectionnement de l’esprit, adressées aux femmes,ouvrage autrefois estimé en Angleterre, et dans lequel on trouve uneraison saine, exprimée dans un style élégant. On a encore de MissChapone un volume de Mélanges et un Recueil de Lettres où elle combatla morale des romans de Richardson. Cette femme mourut en 1801 dans unétat voisin de l’indigence, après avoir été très-liée avec Miss Carter,Mesdames Barbauld et Montagu ; cette dernière auteur d’un Essai surShakespeare. Charlotte Lennox, amie de Johnson et de Richardson, naquit en 1720, etmourut en 1804. Cette muse féconde publia successivement les Mémoiresde Harriet Stuart, le Don Quichote Femelle, qui eut un accueil trèsfavorable, Shakespeare éclairci, ouvrage qui indique à quellessources le poète est allé puiser ses pièces ; les Mémoires de lacomtesse de Bercy, de Sully, de Mme de Maintenon ; le Théâtre desGrecs du père Brumoy, traduit du français ; Philandre, dramepastoral, la Sœur, les Mœurs de la vieille cité, comédies quifurent représentées avec plus ou moins de succès sur les premiersthéâtres de Londres ; le Musée des Dames, Henriette, Sophie etEuphémie, romans : Euphémie est le dernier et le meilleur ouvrageque l’auteur ait publié. Johnson avait une si haute opinion des talentsde cette femme, qu’il déclara, sur la fin de sa vie, qu’il la regardaitcomme infiniment supérieure à ses contemporaines, Miss Carter, HannaMore et miss Burney. Charlotte Lennox passa les derniers jours de savie dans la misère et les maladies. Ce ne fut que quelque temps avantsa mort qu’elle reçut du Literary Fund Society, des secours qui lamirent à l’abri du besoin. Elisabeth Carter, née en 1717, morte en 1806, rivalisa avec notrecélèbre Dacier par son érudition et le goût sûr de sa critique. Ellejoignait à une connaissance profonde des langues anciennes et modernesun jugement sûr, et elle avait du goût pour la poésie. Sa traductiond’Epictète est jusqu’ici la meilleure que possède la langue anglaise.Ses poésies sur différents sujets sont également remarquables par lapensée et par un style toujours élégant et naturel. On lui doit aussideux articles qui se trouvent dans le Rambler, portant la signaturede Chariésa, et une traduction des dialogues d’Algarette sur la lumièreet les couleurs. Mesdames Macaulay, Chapone, Lennox, Talbot, Carter,telles furent les femmes qui se distinguèrent le plus dans lalittérature anglaise sous Georges II. Sous Georges III, cette littérature ne resta pas étrangère àl’influence des grands événements qui semblèrent annoncer un nouvelordre de choses. L’invasion des nouvelles doctrines se fit bientôtsentir. La prose se précipita dans l’extravagance des nouvellesthéories, et la poésie s’abîma dans l’enfantillage et le romantisme.Fondateurs de cette nouvelle école, Coleridge, Wordswort et Sautheyabandonnèrent les villes pour aller planter l’étendard de la muse ausein des lacs du Cumberland. La littérature était tombée dansl’insipidité, la platitude, l’épuisement, même entre les mains despusillanimes imitateurs de Pope. Il fallait un ressort pour laremonter, et on le trouva dans les principes qui émanèrent de larévolution française, cette grande secousse qui laboura tout le fondsde la pensée européenne, et qui mit toutes les facultés de l’esprithumain à même de germer en liberté. De l’impulsion qu’elle reçut, lapoésie s’éleva tout-à-coup de l’imitation la plus servile à la plusaudacieuse originalité ; du fonds des lieux communs les plus rebattusau comble du paradoxe. Cette régénération fut saluée par beaucoup depersonnes avec autant d’empressement que les innovations politiques,avec lesquelles elle marchait de front. Il y eut un moment de bouillonnement et de fermentation incroyable dansle cerveau des poètes aussi bien que des politiques et des philosophes.On voulut tout rajeunir, en réduisant tout en atômes, commes ces fillesimpies (1) qui hachèrent les membres de leur père pour ramener dans sesveines le principe d’une nouvelle vie. Les figures de l’anciennerhétorique, les tropes, l’allégorie, les personnifications, l’emploi dela mythologie, tout fut rayé du code des nouveaux recteurs du Parnasse.On ne voulut plus employer de capitales dans l’imprimerie, pas plusqu’on ne voulut accorder des lettres patentes à la noblesse. On fondacette nouvelle école sur le principe de la nature, abstraction faite del’art. La poésie, semblable à ce tyran qui coupait la tête des fleursqui dépassaient les autres, abattit toutes les distinctions humaines,toutes les hiérarchies, toutes les subordinations. Plus de souvenirshistoriques, plus de traditions, encore moins d’armoiries, d’écussonsou de fleurs-de-lis. Toutes ces marques orgueilleuses, dont une casteavait si long-temps abusé, se fondirent dans une philanthropieuniverselle. Pendant ces saturnales de nouvelle espèce, les maîtreschangèrent d’habits avec les esclaves pour s’entendre adresser les plussévères leçons. Les rois et les reines furent précipitées de la scène,aussi bien que de leurs trônes, pour faire place à l’égalité. Onregarda la rime comme une vieille relique de la féodalité, et le mètrefut aboli avec la monarchie. Les règles de la grammaire, l’élégance,l’harmonie furent sifflées comme la crampe du pédantisme et la gale despréjugés. Chacun se mit à l’œuvre de la réforme sans autre type quecelui qu’il trouva dans son cerveau. Comme on avait pour but de toutréduire à un niveau absolu, on vit aussitôt prévaloir une simplicitébizarre, aussi bien dans le style que dans les sentiments. Les Enchantements détruits, les Châteaux en ruine de Mme Radcliffe,durent une partie de leur succès à l’état de crise où l’ancien ordre dechoses se trouvait alors. De même, la Nature et l’Art de MmeInchbald ne firent tant de bruit que parce qu’on était persuadé alorsque les juges et les évêques n’étaient pas invariablement les puresabstractions de la justice et de la piété. Mais les femmes ne suivirent jamais les hommes dans tous leurs excès,et parmi celles qui restèrent fidèles aux anciennes formes, il fautciter Miss Burney, depuis Mme d’Arblay, auteur d’Evelina, Cecilia,Camilla, etc. Elle appartient visiblement à la vieille école ; elleobserve les mœurs comme on avait fait avant elle, et les observe enfemme. Mais elle s’attache trop aux vétilles, à l’étiquette du hautton. Ses héroïnes, formalistes exagérées, sont moins jalouses de leurréputation que de leurs gants blancs. Elle se plaît à les faire tournerdans un cercle de cérémonies faites à plaisir ; et comme elle prend leraffinement pour la politesse, elle ne fait la vulgarité que pour sejeter dans l’affectation. C’est parce qu’une honnête villageoise diraitd’abord oui ou non à l’honnête paysan qui lui demanderait sa main, queMme d’Arblay veut que ses demoiselles traînent la réponse jusqu’auquatrième ou cinquième volume du roman, sans qu’il y ait la moindreraison pour cela. Elle n’a pas assurément trouvé la perfection idéaledes femmes ; elle leur prête trop de niaiseries sous le masque desvertus réelles. Ses Nouvelles sont aussi bizarres par le fonds que le Don Quichotte,sans renfermer cette veine de poésie et d’observations profondes quifont de celui-ci l’éternel oracle des romanciers. Quoiqu’elle excelledans le portrait, les siens manquent presque toujours de profondeur.Elle réussit principalement à peindre les travers de la vie et à lesmontrer comme au haut d’une lunette d’approche. Evelina, sa pluscourte Nouvelle, est aussi sa meilleure ; ici les caractères sont bientracés, et le dialogue est plein de sel et de réparties. Les romans deMiss Burney ont été long-temps très-admirés et traduits dans presque toutes les langues de l’Europe.Le Vieux Baron anglais, par Clara Reene, forme le pendant du Châteaud’Otrante par Horace Walpole. Comme lui, il roule sur une agencesurnaturelle, sur un meurtre, sur le rétablissement d’un héritierlégitime dans ses droits. Mme Barbauld, femme d’un Français protestant, qui tenait une école dansle comté de Norfolk, où il se fit une jolie fortune, publia d’abord la Corse et le Tribut à Paolo. Elle écrivit ensuite des Leçons, les Hymnes et autres ouvrages pour les enfants. Elle édita les œuvresposthumes de Richardson, les Nouvellistes anglais, et des Extraitsdu Spectateur. Comme prosateur, elle eut peu de rivales de son temps,et son essai sur les Attentes trompeuses est un des ouvrages les plusélégants qu’il y ait dans la langue anglaise. Quelle est cette puissante magicienne qui se plaît à nous transporterdans les régions de l’horreur et des ténèbres, à évoquer les fantômes,à prêter une voix aux revenants, à surprendre, à glacer d’effroi lesplus hardis ? C’est Mme Radcliffe, célèbre auteur des Châteaux-d’Athelin, de Dumbaigne, du Roman de la Forêt, des Mystères d’Udolphe, de l’Italie, du Sicilien, etc, ouvrages quiont eu un succès prodigieux et qu’on a traduits dans presque toutes leslangues. Elle aime à peindre l’obscure, l’indéfinissable ; à mettre enjeu des agences mystérieuses, surnaturelles ; à nous y faire croirecomme des enfants. Ses personnages errent presque toujours dans lasolitude, au sein de la nuit la plus profonde, à la pâle clarté del’astre qui éclaire l’immensité d’un ciel sablé. Les archesretentissantes de l’architecture du moyen-âge, les abbayes séquestrées,les passages souterrains, les caves peuplées de bandits, le bruitrauque des torrents, la voix des ombres, le mugissement de la tempête,tout est mis en usage pour rehausser l’effet. Ici se sont de profondssoupirs qui s’échappent des donjons, là l’apparition d’un spectre, plusloin un assassin caché dans la houpelande d’un moine, ailleurs enfin lescélérat qui se perd comme un trait dans l’épaisseur des forêts. Ellesait pourtant exciter des émotions plus douces : entendez-vous cesaccents qui roulent le long des rivages solitaires de la Provence ! Cesont les plaintes d’une vierge flétrie et captive qui appelle son amant; ou bien ce sont des nones cloîtrées qui entonnent leurs hymnesnocturnes, et dont les sons voilés nous rappellent les mystiquesaccords des Anges. Son principal personnage est presque toujours unevierge ou une dame délaissée, entourée de périls, exposée aux piégesd’amants suborneurs. Mais la plus grande coupe de délices pour ceux quiaiment le terrible et le merveilleux, c’est le conte provençal queLudovico répète au château d’Udolphe. Sheldoni, moine italien, estaussi fortement crayonné, quoique l’effet vienne moins de son caractèreque de l’isolement de la scène où il se trouve placé. Les romans de MmeRadcliffe ressemblent au Château d’Otrante et au Vieux Baronanglais, en ce que tous ces auteurs préfèrent le mystère au grand jour,les machines surnaturelles aux moyens humains. Ce genre n’est pourtantpas à l’abri de tout reproche. Comme toutes ces machines doivents’expliquer dans la suite, et se réduire à de simples figures decarton, on a honte d’avoir été aussi agité pour si peu de chose. « Mme Radcliffe, dit Walter Scoot, se place parmi les fondateursd’école. Elle a découvert le secret de la terreur et des impressionsprofondes ; quoique plusieurs écrivains aient voulu marcher sur sestraces, aucun n’a pu l’imiter, excepté l’auteur de Montorio. Sonstyle est chaleureux et son pinceau graphique, autant que sonimagination était ardente. Cependant si ses images sont plus foncées,elles sont moins correctes et moins bien terminées que celles deCharlotte Smith qui vivait de son temps. D’un autre côté, comme elles’oriente dans la terre des enchantements, elle ne met guère en jeu lespassions humaines, et elle ne peint pas davantage les mœurs de la vie.Miss Ward, qui devint plus tard Mme Radcliffe, naquit en 1762 et mouruten 1823. Mme Inchbald, qui s’est fait un nom par Simple Histoire, la Natureet l’Art, a un genre tout opposé. Elle excelle à peindre les émotionsdouces et à toucher les cordes du cœur ; elle nous attendrit jusqu’auxlarmes, elle nous fond dans le luxe du malheur. Ses contes sontpeut-être les plus pathétiques qu’il y ait dans aucune langue ; ilssuffisent pour réfuter l’assertion de Rousseau, qui prétend que lesfemmes ne sont pas faites pour décrire fortement les passions de l’âme.Cette femme, l’ornement de son siècle par ses talents, l’admiration dunôtre par ses vertus, vécut toujours dans la simplicité pour êtreindépendante et pouvoir faire du bien aux pauvres. Elizabeth Hamilton,auteur des Bergers et des Montagnards d’Ecosse, a sur relever lesavantages de l’industrie et de la propreté, pour en faire des vertusaux yeux de sa nation : tout le défaut de ses tableaux, c’est d’être unpeu caricaturés. Jeanne et Marie Porter, se sont toutes deux illustrées par leursécrits. Dans les Chefs Ecossais, la première expose les vicissitudesde la vie de Wallace, et intéresse à la fois notre cœur et notreesprit. Les ouvrages de Marie forment près de cinquante volumes, etceux de sa sœur n’en dédisent guère. Ne sont-ce pas là de véritablesprodiges en littérature ? La première écrivit et publia des contes dèsl’âge de douze ans. Walter Scott fit connaissance avec elle de bonneheure. Quand il quittait l’école, on dit qu’il courait la trouver chezsa mère, où ils passaient la soirée à conter des contes de fées etd’enchanteurs. Marie mourut en 1832. Jeanne, la plus célèbre, vitencore. Hanna More, née vers 1746, morte en 1833, n’est guère qu’élégante etcorrecte en poésie. Ses tragédies sont de froids et pesants dialoguesen vers blancs. C’est tout au plus si l’on y trouve de temps en tempsune pensée vigoureuse ; il y a peu de passion et d’imagination. Saréputation repose principalement sur ses Essais moraux, quoique sespréceptes soient un peu austères, rigoureux même. Ce sont plus ceuxd’une Lacédémonienne inflexible que ceux d’une femme chrétienne, pleinede charité. Elle contemple l’humanité d’un point de vue trop élevé ;mais c’est moins sa faute que celle de ses maîtres, qui appartiennenttous à l’école stoïque. Elle n’a laissé de précieux que sacorrespondance avec les principaux personnages de son temps. C’est làque son âme se déploie et se montre à découvert. Gai, folâtre,enthousiaste avec Garrick, Langhorne, Horace Walpole, etc., soncaractère prit une teinte plus grave dans sa vieillesse, commel’attestent ses lettres à l’évêque Porteus. De son temps, le talentchez les femmes était comme un fanal placé au haut d’une tour : cellesqui se distinguaient étaient en petit nombre. On les regardait commedes merveilles, et, comme telles, elles étaient plus courtisées, plusflattées, plus admirées qu’elles ne le sont de nos jours. Née avec ungoût naturel pour les plaisirs, l’auteur qui nous occupe ne fut pasinsensible aux éloges des hommes. Cependant, dès qu’elle s’aperçut quecette vanité était incompatible avec ses devoirs, elle s’en corrigea.Elle avait commencé par éblouir le monde, elle finit par l’édifier :elle termina sa vie dans les exercices de la piété la plus profonde. Miss Landon, imagination forte, esprit observateur, plume élégante.Elle possède aussi des lumières très-étendues qu’elle fait entrer avecbonheur dans ses contes ; elle nous charme et nous instruit tout à lafois. Le Roman et la Réalité était une perle précieuse. FrancescaCarrera est quelque chose de bien meilleur encore. Il y a égalementplus de poésie et de vérité. Le plan en est mieux conçu, les caractèresplus vrais, l’intrigue mieux développée. Si le premier ouvrage fit plusde sensation, c’est qu’il était moins attendu d’une pareille auteur. Lasphère de sa prose est plus étendue que celle de sa poésie. Sa muse nechante que les vanités du monde, ses décevantes promesses et sesfroides injustices ; elle est toujours triste et larmoyante. Aucontraire, dans la prose, elle vit, elle respire au milieu de nous.Tantôt elle vante les plaisirs de la société, et tantôt elle lessatirise ; tantôt elle s’abandonne à toute la gaîté de l’espritfrançais, et tantôt elle harmonise un des plus beaux couples qui aientjamais aimé dans le ciel : Guido et Francesca. Tout le cercle de la fiction moderne n’offre rien de supérieur autableau de ces deux êtres qui sont à la fois sublimes et naturels. Riende plus pur et de plus éloigné de l’égoïsme que son héros et sonhéroïne. Leur histoire doit se graver en traits ineffaçables dans tousles cœurs bien nés. Parmi les poésies de Miss Landon, on compte son Album des Salons qui renferme plusieurs jolies pièces. Les vers à lamémoire de Mme Hémans sont des plus pathétiques que l’auteur ait faits.Les femmes connaissent peu la haine et la rivalité d’auteurs : elles selouent, elles s’admirent réciproquement. Quelle leçon si les hommessavaient en profiter ! Tous les ouvrages de Miss Austen combinent au plus haut degrél’instruction et l’amusement sans qu’on s’en aperçoive. Elle doit êtrel’auteur favorite de ceux qui ne lisent que par passe-temps. Elle atrouvé le secret de charmer les esprits désœuvrés, et ce n’est pas unpetit mérite ; car toute récréation est louable dès qu’elle estinnocente. On dit qu’un monarque d’Orient proposa des récompenses àceux qui inventeraient de nouveaux plaisirs : ce serait le plus beautrait de sa vie, s’il avait ajouté des plaisirs rationnels. Lesprincipaux ouvrages de Miss Austen sont le Sens et la Sensibilité, l’Orgueil et le Préjugé, le Parc de Mansfield et Emma, l’Abbaye deNorthanger et la Persuasion. Quoique essentiellement morales, cesnouvelles ne sont pas des homélies ou des sermons dramatisés comme onl’a dit de Calebs. Elle insinue plutôt ses leçons qu’elle ne lesimprime par force. Sa fable est bien tissue, ses incidents bien amenés,ses caractères originaux. Tous les événements servent à développer leprincipe posé ; et, ce qui est un rare mérite, la catastrophe nousfrappe toujours de surprise. Quoique Miss Austen n’ait sans doute paslu Aristote, peu d’écrivains ont mieux observé la règle de l’unitéd’action. On lui a reproché d’être longue et minutieuse. L’excès estblâmable en tout ; mais combien d’écrivains ont affaibli leurs ouvragesà force d’émonder ce qu’ils croyaient inutile ? Il n’y a que lescirconstances capables de faire connaître les caractères : lesretrancher serait aussi absurde que de couper les feuilles d’un arbre,s’imaginant que les fruits en feront meilleure fin. Miss Edgeworth, écrivain populaire, remarquable par le génie, l’utilitéet le bon sens pratique de ses ouvrages. Tous les arts ont leur mériteet doivent avoir leur récompense. Mais le grand art, c’est l’art devivre, l’art de nous rendre heureux ; voilà ce que miss Edgeworth estvenue enseigner à son siècle. Ses nombreux traités sur l’éducation ontrempli une lacune difficile à combler. Ses Contes populaires ontréformé les classes inférieures ; ses Contes à la mode nous ontappris l’art de jouir. Deux genres de maux assiégent les riches. L’unest l’ennui ou l’absence de tout motif d’action, que la Providence leura infligé pour compenser l’inégalité de fortune qui se trouve entre euxet les pauvres. L’autre, le désir de suivre la mode, passion furieusequi aveugle tant de gens et qui les ruine, en les immolant à la riséedes autres. Miss Edgeworth a corrigé ces vices, en consacrant ses deuxmeilleures nouvelles à les décrire. L’histoire de lord Glenthorn estune superbe peinture de l’ennui. Celle d’Alméric prouve dans quelmalheur on se précipite, en voulant suivre la mode. Manœuvringreprésente la folie des stratagêmes, et la fausse diplomatie de la vieprivée. Madame Fleury apprend aux riches à faire efficacement du bienaux pauvres. Dun montre combien les pauvres souffrent quelquefois,faute de recevoir le salaire qui leur est dû. L’Ennui est peut-êtrele chef-d’œuvre de l’auteur, qui renferme autant de caractères, autantd’incidents, autant de réflexions que la première nouvelle anglaise ;il est aussi rapide, aussi varié que les meilleurs contes de Voltaire,et il est beaucoup plus sensé, plus moral. Les caractères irlandaissont inimitables. Point de caricatures grossières, comme dans certainsécrivains dramatiques, mais toutes peintures faites avec délicatesse etprécision. En général, les productions de miss Edgeworth sont aussi amusantesqu’instructives. Aux yeux de quelques personnes, elles manquent decoloris, d’imagination, d’effet romantique. Il faut se souvenir que cene sont pas des peintures idéales, non plus que des chroniquesscandaleuses. Il faut respecter les ouvrages de Rousseau, de Pétrarque,comme notre auteur les respectait elle-même. Mais que font cesécrivains pour le monde qu’elle s’efforce de corriger ? Ne se rit-ilpas des choses qu’il ne comprend pas. Si le bon sens qu’elle luiinculque admettait la clarté, l’élégance, il se refusait à cetteéloquence ardente qui ne cherche qu’à tromper et trompe en effet. Lesautres ouvrages de miss Edgeworth sont des Lettres pour les dameslittéraires, Rélinde, le Château de Rackrent, des Contes moraux,la Moderne Griselde, Léonore, les contes de la vie fashionable, le Patronage, Harrington et Ormond, les Conversations et les Voyagesde Henri et Lucie, Hélène, etc. La plupart de ces productions ont ététraduites en français et dans les principales langues de l’Europe. MissEdgeworth a reçu le jour en Irlande et elle vit encore. Lady Blessington. Ses nouvelles respirent l’air du temps : ce sontvéritablement les romans de la société. Ses caractères sont despersonnages qui se meuvent actuellement dans le grand monde. Sesréflexions ont été également puisées dans les salons de la noblesse.Les talents de cette femme se sont développés graduellement. Les Victimes de la Société valent beaucoup mieux que les Repealers. Onnous représente deux femmes dans un contraste parfait. L’une est uneinnocente et charmante fille au cœur tendre, aux affections fortes, auximpulsions généreuses, que l’on transporte trop tôt de la maison oùelle était l’idole, au lit d’un époux étourdi, extravagant, qui sedégoûte de la pureté même qu’il ne saurait comprendre. Négligée,abandonnée de son mari, exposée aux intrigues, aux machinations de fauxamis, livrée à la censure d’un cercle de gens faux qui se soupçonnent àproportion de leur méchanceté, la pauvre créature trahit son cœurinnocent, les circonstances tournent contre elle, et elle meurt dechagrin, de désespoir, victime du scandale et de la calomnie. En opposition à ce caractère de lady Annandale, on a celui de Caroline Montrésor, qui est dessiné avec vigueur et qui décèle unegrande connaissance des contradictions de la nature humaine. Douée degrandes qualités naturelles, ornée de toutes les grâces de l’esprit,aussi bien que de tous les attraits personnels, la contagion du siècle,le mauvais exemple ont corrompu son cœur, et elle entre dans le mondepréparée à jouer tous les rôles de la trahison dont elle va devenir lavictime. L’innocence sans expérience a perdu lady Annandale : lafourberie et l’astuce sont également funestes à Caroline Montrésor. Lafable marche à l’aide d’une correspondance, moyen qui était jadis sifort en honneur. Quoique ce mode soit maintenant décrié, et qu’il seprête peu à l’effet dramatique, il est favorable aux réflexions detoute espèce. En effet, quoi de plus intéressant et de plus curieux quecette portion du livre qui contient les observations d’un esprit sensé,qui place devant les yeux de la jeunesse les périls qui l’assiégent,moins comme des maux nécessaires que des écueils à éviter ? Deuxouvrages d’un genre plus léger, intitulés Confessions d’une vieilleDame et Confessions d’un vieux Moniteur, sont encore plusspirituels, plus populaires que les Victimes de la Société. C’est unemine de satyres fines et d’observations subtiles. A côté d’une ironiepiquante, on découvre une morale sage et des leçons utiles. LadyBlessington a écrit beaucoup d’autres ouvrages, comme l’Idler enItalie, les Conversations de lord Byron, etc., etc. C’est l’auteurla plus populaire de son sexe. Elle a fait une fortune immense par sesouvrages. Lady Morgan montra de bonne heure du goût pour la musique, la peinture,la littérature. Saint-Clair, sa première nouvelle, est moins originalque ses autres productions. Le Novice de Saint-Domingue a eu plus desuccès. Mais c’est la Fille Irlandaise, connue en France sous le nomde Glorvina, qui a établi sa réputation. L’Ida ou l’Athénien, etle Missionnaire, décrivent la Grèce et l’Inde sous un jour plusodieux encore que la politique qui les gouverne. En 1811, cette damefit connaissance avec sir Charles Morgan, membre du Collége desmédecins de Londres, auteur de quelques ouvrages estimés, qui demandaet obtint sa main. En 1816, elle voyagea avec son époux en France, etl’année suivante elle publia un tableau de ce pays. Trois ans aprèsparut son Italie. Ses autres ouvrages sont O’Donnel ou l’Irlande,Florence Maccarthy, un Mémoire de Salvator Rosa, l’Absentéïsme,les O’Briens, les O’Flahertys, et un volume de poèmes écrits àquatorze ans. Son dernier ouvrage sur la France et le livre du Boudoir,ont été bien accueillis. Les opinions politiques de lady Morgan lui ontattiré la censure amère de certains critiques ; mais, comme lord Byron,elle leur a répondu d’une manière vigoureuse. Ses nouvelles ne sont pasce qu’elle a de mieux ; mais ses crayons historiques sont charmants ;ils représentent parfaitement sa patrie : c’est véritablement lecaractère irlandais, tel qu’il se manifeste à l’œil d’une femme. Mme Trollope continue de briller dans les salons de Londres et deprêter sa plume aux tories. Elle a écrit Jonathan Jefferson, ou lesMœurs domestiques des Américains ; la Belgique et l’Allemagneoccidentale, Paris et les Parisiens, le Petit Postillon, etc. C’estune femme qui aime à voyager et qui amuse ses lecteurs en leurracontant tout ce qu’elle a vu. Quoiqu’elle ne soit ni savante niprofonde, elle est douée d’un tact et d’une observation qui luitiennent lieu du reste. Contente de peindre tout ce qui s’offre à l’œild’une femme, elle abandonne aux autres le ton dogmatique et ladiscussion des sujets épineux, Et quae Desperat tractata nitescere posserelinquint. Qu’on ne croie pas cependant qu’on fasse ici l’éloge de l’ignorance. Aucontraire, personne n’admire plus que nous la science jointe àl’éloquence dans les écrits de ce genre. N’est-ce pas là ce qui nousravit dans les voyages de Saussure dans les Alpes, d’Eustache enItalie, du Dr Clarke dans les régions du Nord, de l’évêque Héber dansl’Inde, et surtout de Humbolt dans l’Amérique méridionale ? Mais si MmeTrollope n’a pas pu s’élever au rang des voyageurs de premier ordre ;elle est encore moins tombée dans la classe de ceux qui ne donnent quece qui est trop commun de nos jours, c’est-à-dire des voyages compiléssur les guides, les gazettes, les dictionnaires topographiques ; desvoyages remplis de citations absurdes, de creuses remarques, de vaguesgénéralités, en un mot, de tout ce qui indique qu’on fait les livresdans le cabinet, au lieu de les recueillir sur le champ del’observation. Marie Boyle. Forester, sa première Nouvelle, doit partager lesadmirateurs de M. James ; car il ressemble beaucoup à ses écrits.Quoique les Amours de Marie Savile et de lord Fleming, soient assezintéressants, les whigs ne partageront pas l’opinion de l’auteur, quiveut faire un héros martyr du faible Jacques II, et une héroïne de sareine qui lui ressemblait beaucoup. La révolution anglaise de 1688 estun sujet trop sérieux pour les romanciers historiques, et surtout pourune femme. Quoique miss Boyle prétende avoir pris l’histoire pourguide, les libéraux lui reprocheront d’avoir pris une histoirepartiale. Elle a suivi Ward, qui a voulu blanchir les mains de JacquesII, et noircir ceux qui le renversèrent de son trône. Si les diairesde Pepye et d’Evelyn prouvent que la débauche du temps était affreuse,les ouvrages historiques de Fox, de Mackintosh et de Hallam, prouventencore mieux que ce prince était un tyran, et que la révolution, avectoutes ses calamités, fut un bienfait pour la nation. Lady Chatterton est auteur des Rambles, en Irlande. Assez d’autresont peint les malheurs, les souffrances, l’asservissement de la patriede Carolan, des bardes et des héros celtiques. Infidèle à sa Péri, Moormême nous représente Erin inondée de pleurs, affligée sous la main deses oppresseurs, saignant de toutes ses veines, buvant la coupe del’infortune jusqu’à la lie. Comme Job, elle était méprisée, abandonnéedans ses tribulations, aucun voyageur ne daignait la visiter. C’étaitun préjugé gothique qu’il importait de détruire : c’est ce qu’a faitlady Chatterton. Voyez comme elle nous peint l’Irlande s’élevant dusein des mers sur son trône d’émeraude et de vert azur, avec tous sesaccidents enchanteurs, ses sites pittoresques, ses grottes romantiques,ses lacs limpides, ses montagnes étagées, ses fêtes rustiques, sesbanquets civiques, etc. ! Certes, un tel pays n’est pas indigned’attirer l’attention de ceux qui reviennent des rivages brillants dela Grèce et de la Campanie, et nul doute que plus d’un voyageur seratenté de le visiter après notre auteur. Mme Bray a écrit cinq Nouvelles, sous le non d’Epreuve du Cœur,quoiqu’elles n’aient rien de commun que le titre. Deux de cesnouvelles, l’Orpheline de la Vendée et l’Adopté, roulent sur larévolution Française, ce sont d’excellentes peintures des joies et desdouleurs de la nature humaine assise au foyer domestique. Mais cettedame confirme ce que nous avons dit ailleurs, savoir, que les femmes nesont point faites pour courir autour des remparts de Troie et deJéricho, pour emporter d’assaut les portes de Gaza et d’Ascalon, pourcomposer une Iliade, un Paradis Perdu, un Samson Agonistès. Lesépisodes qu’elle a consacrés à Mirabeau et autres célébritéscontemporaines, manquent de force et d’énergie. Il fallait laisser àd’autres le soin d’analyser ces caractères composés de soufre et debitume qui se mouvaient à pas de géants au milieu du choc des élémentssociaux. Mirabeau était un Hercule couvert de la tunique empoisonnée du centaureNessus. Il s’élève comme une pyramide mentale dans les annales de larévolution française, avec un front d’airain, une tête de diamant, unebouche d’or. Quelle assiette ! quel aplomb il avait à la tribune !quels os athlétiques ! quelles épaules d’Atlas ! Comme il portait dansses yeux la menace et le défi des combats ! comme l’épée enflammée dela guerre étincelait dans ses mains ! comme il immolait ses ennemis deses regards ou de ses coups ! Sa marche était celle d’un éléphant quiécrase tout sous ses pas ! sa logique avait le poids d’une trombetombante, ou d’une colonne des eaux du déluge. Lui-même était un rochersourcilleux qui brave audacieusement les coups du ciel et de la terre : rupes « Obvia ventorum furiisexpostaque ponto Vim cunctam atque minas perfetcælique marisque Ipsa immota manens. » VIRG. Quoique son âme fût une fournaise ardente où bouillonnaient, oùfrémissaient toutes les passions humaines ; quoique ses piedstrempassent dans la fange révolutionnaire, comme Milton, il élevait satête jusque dans les régions de l’intelligence la plus exaltée ; il ycontemplait la beauté dans tout l’éclat de sa gloire crystalline ; ilen détachait sans cesse les plus grandes images, les plus noblesémanations, et chez ces deux grands hommes, les notions du juste et dubeau l’emportèrent toujours infiniment sur tout le reste. On a douté pendant long-temps que Mme Shelley fût l’auteur de Frankenstein ; mais qui peut en douter après avoir lu le joli romande Lodore ? Douée d’une imagination forte et d’une âme rêveuse, cettefemme fait des Nouvelles de sentiment plutôt que de mœurs. Elle crée uncertain nombre d’êtres humains, les élève, les discipline à sa manière,les revêt d’un extérieur brillant, les fait sentir, parler, agir d’unemanière semi-angélique. Ses groupes n’ont rien de comparable pour lagrâce, l’innocence et la suavité, que la Vierge du Guide et lestableaux de l’Albane. Si cette femme avait vécu au temps de la croyancemythologique ou chevaleresque, nul doute qu’elle n’eût rempli sesromans de fées, de sylphes, de belles captives, et qu’elle ne leur eûtenvoyé des chevaliers pour les délivrer. Quoique née dans un siècle désenchanté, prosaïque et peu favorable à lafiction, voyez dans quel séjour elle nous transporte ! Voyez commel’imagination, le goût, la délicatesse, le bon sens le parent à l’envi! Voulez-vous oublier le monde et sa froideur, et ses bassesses et soningratitude : Lisez le délicieux roman de Lodore : c’est le livre leplus rafraîchissant qu’on puisse imaginer. Comme son héros et sonhéroïne sont gais, sémillants, innocents, sans soupçon ! Quel langages’échappe de leurs lèvres ! Jamais l’image du divin Memnon n’articulade plus doux accents quand le soleil la frappait au fond du désert del’Egypte. Ils possèdent tout ce qu’il faut pour être heureux etfinissent par l’être en effet. Ce sont des types de la félicitéhumaine. Il est impossible de ne pas s’identifier avec eux. Grâces immortelles à Miss Pardoe, qui, pour nous délasser des contesusés et rebattus de la froide, stérile et languissante Europe ; decette contrée glacée par le souffle des aquilons, déflorée par lacupidité, exploitée, épuisée dans toutes ses veines par les pionniers,les mineurs, les spéculateurs de toute espèce, est allée se placer dansces régions privilégiées d’où nous tirons sans cesse tout ce qui peutrehausser le luxe et faire chérir l’existence ; dans la patrie desDives et des Péris ; dans ce superbe Orient, qui, comme dit Milton,verse à flots l’or et les perles sur la tête de ses rois. « Where thegorgeous Eeast with richest hand « Show’rs onher kings barbaric pearl and gold, » Dans cette terre d’éblouissantes réalités, de ressources incalculables,de richesses sans nombre, sous les formes les plus variées ; dans laterre des métaux et des pierres précieuses, des mines d’or et d’argent,des vallées de diamants, des rivages couverts de perles, des tissusfins et légers qui ornent la beauté sans la dérober à nos regards ;dans la terre des reines glorieuses comme celle qui se présenta augrand roi Salomon ; dans la terre de sultans et des potentats auxpalais de glace, pavés de jaspe et d’onyx, aux trônes d’ivoire,soutenus par des colonnes d’albâtre, éventés par des plumes de paon ;enfin dans la terre des parfums exquis, des exhalantes odeurs, desencens précieux, des jouissances et des voluptés les plus raffinées ! Le Roman du Harem, la Ville du Sultan, est-il des noms de meilleuraugure pour les amateurs du romantique ? En effet, on ne lit pas tousles jours des contes aussi enivrants, aussi pleins de charmes etd’intérêt. C’est une sorte de réverbération des Nuits Arabes. Toutrespire le ton et la couleur orientale ; c’est la même prodigalité defleurs, la même exubérance d’images, le même retour inépuisabled’événements inattendus. Tous les personnages sont vêtus de robesflottantes et coiffés de hauts turbans ; nulle part ils ne démententleur nation ni leurs mœurs. Cette modeste romancière veut nous fairecroire que ce sont là les contes naturels que les molhas débitent dansles cafés du Levant, et que les massaldis répètent dans lesappartements des Turcs opulents pendant la saison des fêtes. On peutdouter de cette assertion ; mais quand l’auteur aurait emprunté lenoyau de ces contes ; quand le fonds, les sentiments, les images, lapassion, l’esprit poétique qui les anime ; quand l’art d’en avoir liéles parties de manière à en former un brillant assemblage de pièces derapports ne lui appartiendrait pas, elle aurait toujours le mérite deles avoir naturalisés dans sa langue avec un bonheur inexprimable. MissPardoe a encore publié ses Croquis et Traditions du Portugal,qu’elle avait recueillis pendant son séjour au bord du Tage, etc. Aucun écrivain actuel ne manifeste plus de talent que Mme. Gore ; maisau lieu de l’appliquer, comme Pope, a perfectionner un ouvrage, elle leconsume, comme Lope de Vega, à en ébaucher mille. Sa veine saignetoujours et saigne sans effort ; elle enfante volume sur volume ; c’estun fleuve actif, vigoureux, qui coule toujours en effleurant denouveaux bords. Aussi ses ouvrages pèchent par l’ensemble ; ilsmanquent de corps, de caractère, de principe de durée : ce ne sont quede brillants croquis. Le germe du conte se hâte trop d’éclore avantd’avoir été fécondé par le génie et couvé sous l’aile chaude del’imagination. Ses portraits, frappés d’un mot, n’ont ni profondeur niconsistance : ils font désirer la main d’un Cervantes ou d’unRichardson. Comme la plupart des auteurs du jour, c’est pour vouloirtrop faire que Mme Gore ne fait pas si bien. Les Contes Hongrois sontce qu’elle a produit de mieux. La Mère et les Filles ne sont guèreque le reflet de brillantes frivolités de la vie ; il y a absencetotale de sentiment. Cette femme ignore l’art de passer du grave audoux ; ses couleurs rentrent trop l’une dans l’autre avant d’êtresèches, et ses tableaux sont presque tous gâtés. Mme Shéridan a un style pur et châtié ; ses allusions ont de la grâce,de la finesse ; ses réflexions de l’à-propos, souvent de la profondeur.Son Carwell offre une conception haute, des caractères tranchés, unegrande vérité dans les détails. Il respire la première des beautéslittéraires, une belle âme, une croyance intime à la vertu des hommes,une perception juste de l’aimable, de l’honnête ; un esprit qui seforme par l’expérience, un cœur que cette expérience ne peut corrompre.Les Progrès et les Fins de la Vie, la Peinture d’un autre siècle,etc., valent beaucoup moins. En produisant le Mariage, l’Héritage, la Destinée ou la Fille duChef, Miss Ferrier a porté un beau tribut au temple de la littératureromantique, sans une image capable d’offenser le moraliste chrétien,sans un sentiment capable de faire rougir un ange. Ces Nouvellesparurent au temps où le monde était embrâsé par l’éclat du grand astredu Nord, au temps où Scott envoyait à la presse les prodigieuxenfantements de sa muse prolifique, et ravissait, étonnait son lecteurpar ces brillantes Nouvelles qui joignent partout le charme de lavérité au charme du roman, à un degré que nul écrivain n’avait connudepuis les jours de Shakespeare. S’il n’est pas facile d’obtenir desapplaudissements sur la scène après la sortie d’un grand acteur,comment partager l’empire de cette scène avec un acteur qui ne laquittait jamais, ou qui, s’il la quittait un moment, « In our ears «So charming left his voice that we him deem’d «Still speaking” ? » C’est pourtant ce qu’a fait Miss Ferrier. Heureusement que son génieavait une pente opposée à celui du grand antagoniste avec lequel elleparcourait la carrière, et qu’elle ne fut jamais tentée de marcher surses traces. En peignant les passe-temps, les travers et les absurditésde la vie actuelle, elle présenta une nouvelle coupe de plaisirs à ceuxqui s’ennuyaient, qui se fatiguaient même des fêtes militaires, desprouesses chevaleresques et de l’éternelle fantasmagorie des tempspassés. Et si tel fut l’effet de ses écrits au temps où Walter-Scottétait jaloux d’éclipser tout autre mérite contemporain, qui doutequ’ils n’aient acquis un nouvel éclat depuis qu’il n’est plus, comme lalune qui se montre avec avantage dès que le soleil a disparu ? Un esprit aussi cultivé que celui de Miss Ferrier, un cœur aussiimpressionnable à la beauté physique et morale, ne pouvait pas êtremort à la passion extatique, à l’ivresse intellectuelle, àl’entraînement des tableaux brûlants et romantiques ; on en trouve mêmedes touches assez multipliées dans ses ouvrages. Mais sans dédaigner lemonde de l’imagination, elle ne s’y trouvait pas à son aise. C’est àregret qu’elle plonge dans ces régions qu’on ne peut illuminer que parles jets d’une lumière plus puissante que la sienne ; elle préfèreconverser avec la nature vivante et s’appuyer sur des réalités. Lescaractères qu’elle peint, les objets qu’elle passe en revue, lesincidents qu’elle décrit, sont simples, communs, journaliers : tout lemonde peut juger de la vérité de ses tableaux, parce que les ridiculesdes hommes viennent tour à tour poser devant elle. Comme Mme de Staël,elle observait, elle mettait à profit les originaux qu’elle rencontraitdans les rapports de la société, et plus d’un de ses amis a le droit dese plaindre ou de s’applaudir de figurer dans ses pages. Du reste,autant on admire les talents de Miss Ferrier, autant on approuve labeauté de ses principes. Ses Nouvelles se rangent parmi les productionsclassiques de sa langue : elles vont de pair avec celles de MissAusten, et son bien au-dessus de celles de Miss Burney. C’est ici le cas de signaler aussi les jolies productions de LadyCharlotte Bury, la Victime (Devoted), le Mariage du haut ton, etc.,dont la réputation s’est étendue jusqu’en France. Ces Nouvelles ontobtenu tant de succès qu’on les réimprime de nos jours à Paris. Mme Jameson a bien fait de se placer sur un terrain neuf. En poésie,que de rivaux elle aurait rencontrés, véritables sultans turcs quiaimeraient mieux étrangler une sœur que de la voir approcher du trône.Dans le roman, son sexe ne peut-il pas dire avec orgueil : « Quæ terranostri non plena laboris ? » Que reste-t-il à faire après MissEdgeworth, Austen, Ferrier, Blessington, Shelley, et toutes celles quenous venons de passer en revue ? Mais dans la critique, c’est autrechose : quelle femme a osé marcher sur les traces de Mme de Staël ? MmeJameson est la première, par son analyse des Caractères des Femmes deShakespeare. Non pas que ce sujet parût très-piquant, mais elle a cruqu’elle rendrait un service important si elle pouvait nous révéler lanature de son sexe, telle qu’elle se manifesta au génie du poètetragique. Elle ne s’est point trompée : le monde lui tiendra compte deson œuvre ; elle vivra dans la société d’Imogène et de Desdémone,lorsque la plupart des romanciers du jour auront fait naufrage dans lefleuve du temps. Il n’était pas facile de rajeunir un sujet sur lequel tous leslittérateurs de l’Europe se sont épuisés ; comment trouver à glaneraprès Johnson, Hazlitt, Coleridge, Schlegel, Tiek, Goëthe, Villemain ettant d’autres ? Mais jusqu’ici tous les critiques de Shakespeareavaient été des hommes, car Mme Montagnu n’est pas une exception,puisqu’elle ne nous a transmis que des opinions générales, échos dessavants qu’elle fréquentait ; et Mme. Jameson ne s’occupe que desfemmes, qu’on avait trop négligées jusqu’ici. Elle distingue seshéroïnes en caractères d’intelligence, de passion, d’imagination ; encaractères d’affection, en caractères historiques. Il est évident qu’ilne faut pas prendre cette classification à la lettre, mais commeindiquant la prépondérance d’une qualité sur toute autre dans le mêmecaractère. Sous ce rapport, cette méthode a son utilité. Portia,Isabella, Béatrice, Rosalinde, qui sont rangées dans le chapitre descaractères d’intelligence, diffèrent assez de Juliette, Perdita,Ophélie, Miranda, Imogène, Desdémonde ; et, comme dans celles-ci, lesaffections douces l’emportent sur les qualités intellectuelles, on en afait des caractères de passion, d’imagination. Les remarques del’auteur sur Portia, Isabella, sont frappantes et justes, quand on lescompare à celles de Hazlitt ; et ses observations sur Rosalinde,Beatrice, Constance, Lady Macbeth, ne pouvaient également sortir que dela plume d’une femme. Elle s’élève avec éloquence contre l’hypothèse deceux qui prétendent que ce dernier caractère n’est qu’unepersonnification du mal. En général, si ses théories ne nousconvainquent pas toujours par leur solidité, il est rare qu’elles netouchent pas par leur nouveauté ingénieuse. L’auteur a encore ses Visites, ses Crayons en Angleterre et àl’étranger, le Diaire d’une Ennuyée, etc. Les crayons de voyagenous rappellent les caractères ; si c’est la même sensibilité à l’égarddu beau, soit dans la nature, soit dans l’art, c’est aussi la mêmeplume éloquente et judicieuse. Mme Jameson voyagea dans descirconstances très-favorables. Elle paraît avoir vu tout ce qui étaitdigne d’être visité, et combien peu de voyageurs anglais sont reçuscomme elle, par les plus grands personnages ! Elle nous a donnéplusieurs chapitres intéressants sur Tieck et sur le théâtre allemand ;et jusqu’ici c’est elle qui nous a le mieux fait connaître la peintureet la sculpture d’au-delà du Rhin. Les Mémoires des beautés de lacour de Charles II nous rappellent ces portraits que Lely et Knellerpeignirent jadis d’après nature. La plus intéressante portion del’ouvrage traite aussi de la peinture et du costume sous le règne de cemonarque. Tout le monde sait que nous sommes tous plus ou moins sujets auxinfluences nerveuses ; mais comment se fait-il que ce sujet ait étéréservé à une femme ? En effet, Mme Carleton, douée de beaucoupd’esprit, de réflexion, a donné au monde un traité intitulé : Recherches sur la nature et les effets de l’influence nerveuse,ouvrage d’une réputation européenne, puisqu’il se vend à Paris, etqu’il a été critiqué dans la revue scientifique de Gottenberg, quin’examine que les ouvrages notables. On accuse les femmes de ne pasconnaître leurs propres dispositions : l’auteur a voulu détruire cetteimputation calomnieuse, en soumettant les siennes à un examenparticulier. Elle déclare qu’elle n’a pas étudié la science secundùmartem, et qu’elle a puisé son livre dans ses réflexions ; celan’empêche pas que ce ne soit un livre utile ; et, comme ses idées sontexposées d’une manière claire et systématique, elles seront facilementcomprises par le lecteur le moins exercé, tandis que les savants ytrouveront un autre mérite. Ceux même qui ne seront pas de son opinionne doivent pas montrer d’humeur contre elle : elle est de trop bonnefoi pour vouloir en imposer, et elle ne nous donne jamais ses penséessous la forme arrogante du syllogisme. Cependant, en morale comme enphysiologie, elle nous offre des faits et des vérités tirées de bonnessources ; et, dans ce cas, peut-être qu’elle n’a pas trouvé sesréflexions en se repliant sur elle-même ; mais ceci est excusable :elle ne pouvait pas scruter ses nerfs comme son esprit. L’intérêt croissant qui s’attache à l’Amérique a multiplié lesdiscussions sur tout ce qui tient à son industrie, à son commerce, à sapolitique, à sa civilisation. Quelques personnes prétendent que lalittérature ne peut fleurir dans une république démocratique, parmi unpeuple commerçant, pragmatique, tout occupé d’intérêts matériels.D’autres regardent le caractère prosaïque de ses fondateurs comme letype de ce que la nation doit être un jour. Un troisième parti veut quel’enfance de la société américaine explique la pauvreté de sesmonuments intellectuels. Quoiqu’il en soit, on n’examinera pas ici sile temple de la gloire du nouveau monde contient d’autres grandesfigures que celles de Franklin, de Washington ; et si Henry, Brown,Cooper, Bryant, Halleck, Jonathan Edwards, Washington Irwing, Prescott,Channing, etc., seront dignes d’y entrer un jour. Nous nous occuponsdes femmes, et il y a trois américaines qui sont bien connues en Europe: ce sont Miss Sedgewick, Miss Martineau, Mme Child. Nous allonssuccessivement les faire connaître avec notre précision ordinaire. Miss Sedgewick est peut-être l’écrivain le plus populaire desEtats-Unis. Elle a à la fois intéressé le cœur et l’esprit de sanation. Elle excelle dans la Nouvelle qui représente les mœurs et lesphénomènes de la vie actuelle. Ses ouvrages sont dans la littératureaméricaine ce que ceux de Miss Austen sont dans la littératureanglaise, c’est-à-dire les plus parfaits du genre. Leurs Nouvellesdiffèrent pourtant aussi bien que les scènes qu’elles décrivent ; maisl’admiration qu’elles ont excitée dans un immense cercle de lecteurs etl’influence qu’elles ont exercée sur l’esprit public, sont à peu prèségales. Voici en quoi elles diffèrent. Miss Austen se rangea tout-àcoup parmi les écrivains du plus haut ordre ; Miss Sedgewick pritd’abord un vol plus bas, continua long-temps dans une sphère moyenne etne s’éleva que plus tard dans la plus haute. Le premier venu desouvrages de Miss Austen est une belle manifestation de ses talents etprouve ce qu’elle est ; Miss Sedgewick ne s’est révélée tout entièreque dans ses derniers ouvrages. Rien ne nous frappe plus dans les écrits de Miss Sedgewick que laprogression de ses talents. Ses premiers essais sont loin d’êtreparfaits. Avec quelque bonheur que commencent ses Nouvelles, ellestombent à la longue. La dernière moitié n’offre que confusion,aventures extraordinaires, échappées clandestines, mésintelligences,expéditions mystérieuses de la part des belles ; fraudes et déceptionsde la part de leurs amants. Ce n’est que dans ses dernières Nouvellesque l’auteur prouve qu’elle comprend les éléments de la bonne fiction,que l’intérêt gît dans la fidèle peinture de la vie, et que celas’effectue mieux à l’aide de petits incidents que de grandescatastrophes. Dans ses premiers écrits, tous ses caractères pèchent parexcès ou par défaut : ils sont ravis de plaisir ou blasés sur tout cequi les entoure. Plus tard elle nous peint la vie avec sa lumière etses ombres, comme font tous les grands artistes. Ses personnagesconnaissent la force et la faiblesse, l’activité et le repos,l’amour-propre et l’amour d’autrui, comme cela arrive dans la nature.Elle s’élève de l’imitation à l’originalité, de la convention factice àla simplicité. Mais les muses américaines sont-elles aussi originalesque les montagnes altières qu’elles habitent ? excepté quelques piècesde Bryant et de Halleck, la poésie transatlantique est moins unecréation qu’un réchauffement de matériaux empruntés. Quant aux romans,toute leur nouveauté consiste à marier quelques Indiens avec noscoquettes, ou quelques négresses avec les avares de l’ancien monde. Lesprincipaux ouvrages de Miss Sedgewick sont la Nouvelle Angleterre, Redwood, Hoope Leslie, Linwoods, Contes et Esquisses, Home, Sur lesVraies Richesses, etc. Miss Martineau. Malgré la férule de certains critiques, cette femmelève la tête haut et fait du bruit dans la littérature actuelle. Lesuccès de son premier ouvrage, la Société américaine, en a produit unsecond, Souvenirs d’un Voyage occidental, composé de traits,d’anecdotes et d’essais sur différents sujets. De tous les livres quepossède la langue anglaise sur la société en Amérique, il n’y en apoint de plus curieux ni de plus instructif que ceux de Miss Martineau. Les Illustrations sur l’économie politique forment un petit volumedélicieusement écrit et parfaitement adapté à l’intelligence de laclasse ouvrière. Il est destiné à influer sur les personnes peuinstruites, comme les Conversations sur le même sujet ont fait surles gens éclairés. Quoique l’auteur ne prétende pas avoir fait uneseule découverte, elle a fait beaucoup pour propager la science d’AdamSmith. Ses ouvrages sont entre les mains de milliers de lecteurs, et nesont pas encore assez lus. Elle a tout le mérite d’un grand écrivain,sans autres défauts que ceux de la hâte et de la précipitation. Mais letemps les fera aisément disparaître, en lui permettant d’acquérir denouvelles lumières et de réfléchir sur celles qu’elle a acquises. Carle génie ne suffit pas toujours pour faire de bons livres, et le sienest de nature à se créer des pierres d’achoppement dans sa route. Ilfaut donc qu’elle revienne sur ses œuvres pour compléter ses idées,pour modifier ses vues, pour y appliquer le sceau du jugement et de lasagesse politique. C’est ainsi que ses talents se montreront à leurplus grand avantage. Un peu de peine et de circonspection la rendrontfameuse parmi les femmes de son siècle et parmi les soutiens d’unecause légitime. Cette auteur a peint l’Irlande avec son habileté ordinaire. Ce sontles mêmes traits caractéristiques, les mêmes principes généraux, lemême talent de les énoncer. On y trouve cette belle veine desensibilité qui convient à une femme, et qui va si bien avec la teintede ses doctrines. Quant à Deerbrook, qui vient de paraître, c’est uneNouvelle qui contient les trésors d’une sagesse tranquille, et qui nesera sans doute pas appréciée par ceux à qui elle s’adresse. Lespersonnes qui trouveront du charme dans Deerbrook sont précisémentcelles qui en ont le moins de besoin. Il faut une intelligence élevéepour comprendre un écrivain comme miss Martineau. Du reste, cetteNouvelle plaira aux lecteurs frivoles, en dépit même de son méritesupérieur. S’ils n’admirent pas les pensées nobles et les réflexionsprofondes dont elle abonde, ils seront charmés par les incidents d’oùils découlent, pourvu qu’ils en saisissent le fil : cela n’est pasdifficile, car la fable de Deerbrook est simple, naturelle et bienconduite. Les caractères sont énergiques et aussi originaux que tout cequi est strictement vrai peut l’être. L’auteur a placé la scène parmiles classes moyennes : c’est la vie ouvrière qu’elle nous présente,teinte et colorée de tout l’éclat de son esprit. De toutes les femmes vivantes, c’est miss Martineau qui approche leplus de Mme de Staël. C’est une fière amazone qui lutte avec leshommes, sans vouloir subir leur joug. « Bellatrixaudetque viris concurrere Virgo. » Quand ses adorateurs la pressent de se rendre, elle leur répond,dit-on, que les muses habitaient souvent avec l’amour, jamais avecl’hymen. Elle a raison pour cela : les neuf pucelles ne se marièrentjamais, ni Apollon non plus. Suivant cette belle Américaine, le mariageest un piége, un filet qui attrape les deux partis, un lien qui attachele fou avec le sage, le fort avec le faible, le jeune avec le vieux, lemort avec le vif, la beauté avec la laideur : c’est une cage où tout lemonde entre en tâtonnant. Elle nous représente cet état, dis-je, sousl’image d’une belle femme avec un joug au cou, des entraves aux pieds,une vipère dans le sein, etc. Au contraire, suivant Mme Child, de Boston, amoureuse de la meilleurefoi du monde, la femme sans l’homme est une colonne corinthienne sanschapiteau, une religion sans cérémonies, un temple sans autel, un autelsans sacrifices. L’homme sans la femme est un soldat sans armes, unvaisseau sans voiles, un arbre sans verdure, un printemps sans fleurs,un monarque sans couronne. Cette dame est auteur d’une Histoire des Femmes. Si les droits del’homme sont bien compris, ceux de la femme le sont beaucoup moins.Marie Wolstancraft, mesdames Grimstone Jamieson, Morgan, Sandford,Ellis, miss Martineau, nous laissent presque autant dans le doute quejamais. Sauf la première, qui ne veut d’autre distinction que celleétablie par l’usage, la barbe et les culottes, les autres ne savent pastrop à quoi elles visent. Les Quakers paraissent seuls avoirreconnu la véritable position sociale de la femme, en luiaccordant égalité de droits et de priviléges, autant que cela estcompatible avec la différence des devoirs que la nature lui impose. Etcomment les femmes de cette secte ont-elles supporté leur émancipation? C’est une question dont la réponse nous entraînerait trop loin.Quoique ce soit un beau sujet de spéculation, il faut l’abandonner pourrevenir au livre de Mme Child. C’est une ingénieuse compilation de toutce que les historiens, les géographes, les voyageurs ont dit des mœursdes femmes, du rang qu’elles occupent chez les différents peuples de laterre, du mode de les courtiser, des rites du mariage, des lois quileur sont imposées, etc. On voit que la matière est variée, mélangée,et qu’elle se prêtait peu à l’arrangement. La portion du livreconsacrée aux femmes de l’Europe moderne est peu satisfaisante, etl’auteur n’est pas toujours heureuse dans les traits qu’elle leur prête: mais elle peint infiniment mieux la condition enviable desAméricaines, ses compatriotes ; et à le prendre dans son ensemble, sonlivre doit être le favori des dames. Il l’est en effet, s’il est vraiqu’il ait eu un succès prodigieux, et qu’il ait fait tomber dansl’oubli Alexander, qui avait traité le même sujet. Miss Leslie brillemodestement dans les petites choses. Sa Semaine Paresseuse renfermedes petits contes fort amusants pour les esprits oisifs. Nous sommes loin d’avoir fait un article omnibus numeris absolutum.Il aurait fallu parler des nouvelles de l’élégante Miss Gordon, desMémoires de Mme Thompson, Fanshawe, Miss Aikin, etc., productionsd’autant plus remarquables qu’elles sont très-rares dans la langueanglaise ; mais qui pourrait oublier Miss Stricland et son Histoiredes Reines d’Angleterre ? M. Guizot a déjà complimenté l’auteur surson livre, qu’il traite d’agréable et d’utile. En effet, quelleprocession d’intrépides et vertueuses héroïnes elle fait successivementpasser devant nos yeux ! Ici d’abord c’est Boadicée, digne émule deSémiramis, qui abandonne sa toilette pour aller combattre les générauxromains et les obliger à déposer les armes ; là c’est Mathilde, reinede Guillaume-le-Conquérant, qui occupe les dames saxonnes à travaillercette célèbre tapisserie qui leur rappelle leur captivité (2) ; plusloin c’est la fière Bérengère de Navarre reine croisée deRichard-Cœur-de-Lion, qui accompagne le héros au champ d’Ascalon, etretrace les exploits de Zénobie dans les plaines de l’Orient ; toute savie paraît un épisode détaché de l’Arioste ou d’un roman provençal ;enfin, c’est Philippa de Hainault qui, non contente de triompher du roid’Ecosse, accourt arracher les bourgeois de Calais à la fureurd’Edouard ; c’est Margaret d’Anjou qui livre douze batailles sanglantespour la cause du malheureux Henri VI, et qui paraît long-temps le seulsoutien d’une cause désespérée. C’est aussi le livre du romancier, du poète tragique, de l’amateur dumerveilleux. On y voit la fatale coupe présentée à la belle Rosemonde(3) dans on labyrinthe de Woodstock, par la vindicative Eléonore ;l’apothéose de la Jarretière de la comtesse de Salisburg, les mourantesangoisses de Jeanne Shore, les pleurs de la princesse Bona, cédant saplace à la fière Elizabeth de Woodville ; toutes ces glorieuses têtescouronnées qui tombent à regret de dessus leurs épaules à la voix duféroce Henri VIII ; et enfin la jeune et innocente Jeanne Grey, songeflatteur de l’imagination des poètes, qui se démet tranquillement d’unesouveraineté éphémère pour accepter l’immortelle couronne du martyre.Voulez-vous des enchantements d’un autre genre ? Pénétrez avec MissStricland à la cour de l’impérieuse Elisabeth, et voyez comme cetteprincesse, adroite autant qu’ambitieuse, sait, par une galanterieraffinée, un sourire, un regard, un bon mot (4), métamorphosertout-à-coup ses courtisans en autant de chevaliers qui se dévouent pourelle et la servent avec un enthousiasme inconnu dans les annales de lamonarchie. Il est impossible de terminer cet article sans faire une réflexion quise présente naturellement. La rouille de l’envie, l’artifice desintrigues, le poison de la calomnie, le poignard de la satiredéshonorent parmi les hommes une profession qui, par elle-même, aquelque chose de divin. La vie des poètes et des prosateurs n’est tropsouvent que le récit des plus sévères épreuves de la vie, d’un longagonisme contre la malignité du sort, de brillantes espérancesflétries, d’une longue aspiration après le fantôme de la gloire et dubonheur, des élans d’une nature aimante qui cherche vainement de lasympathie autour d’elle, et qui ne trouve partout que refus,frustration et désappointement dans ses attentes. Il suffit d’yréfléchir un moment : quelle légion de martyrs se présente devant nous,à commencer par ceux de la science, Galilée, Tycho-Brahé, Kepler ! LeDante, âme fière et indomptable, fut persécuté, banni et manqua depain. Toute la vie du Tasse ne fut qu’une longue agonie, et lesempoisonnements, les vexations de toute espèce finirent par lui faireperdre l’esprit. Michel-Ange n’éprouva pas un sort plus propice.Alfieri fut perpétuellement en butte à l’ira e malinconia. Cervanteset le Camoens eurent plus que leur part de souffrances et detribulations. Spencer et Milton, quel catalogue de maux ! Toutes lesforces athlétiques de celui-ci lui suffirent à peine pour faire face àses ennemis. Butler, Thomson, Savage burent la coupe de l’infortunejusqu’à la lie. Un petit pain chaud étouffa Otway après trois jours dejeune. De Foe, l’auteur de Robinson Crusoé, eut les oreilles coupées.Collins, Lee, Cowper, Chatterton, Gilbert, affolèrent. Byron, Shelleyfurent exilés, haïs, persécutés au dernier point. Coleridge ne connutjamais d’amis. En France, les deux Rousseau, Voltaire, Fréron,Desfontaines se firent une guerre de vautours et d’éperviers. Molière,Hume, D’Alembert, Diderot et Condorcet eurent bien de la peine àobtenir un peu de terre après leur mort. Mais pourquoi nous appesantir sur un sujet si mélancolique, et qui nese lasserait jamais de fournir ! Quel contraste frappant nous offrent les femmes auteurs ! On a beau semoquer des Bas-Bleus (the Blue Stockings) et leur prêter milleridicules qu’elles n’eurent jamais, il est certain qu’elles neconnaissent point cette jalousie de métier, cette haine forcenée quidéshonorent leurs frères et les rendent malheureux. O hommes, suivezdonc un si bel exemple ; aimez les arts, respectez ceux qui lescultivent avec succès, de quelque pays, de quelque sexe, de quelquecondition qu’ils soient ; sachez les admirer, et, tout en les admirant,tâchez quelquefois de les imiter ! Mesdames de Graffigny, Denis, DuBoccage, furent constamment amies, ainsi que les Sévigné, lesLafayette, les Lambert, les La Sablière, etc. Où est la femme qui fitjamais une satire contre une autre femme pour la punir d’avoir del’esprit et des talents ? Au contraire, voyez comme Mme Du Boccageapplaudissait par des vers ingénieux aux succès de Mme de Graffigny quila payait du plus sincère retour. Mme Lennox et Elisabeth Carter seconsultaient dans l’épanchement de la plus grande cordialité. MissBurney et Charlotte Smith vécurent en sœurs. Miss Landon fond en larmessur la tombe de Mme Hermans. Voyez encore si la carrière littéraire des femmes n’est pas calme ettranquille comme celle des astres qui sont placés au-dessus de lafoudre et des orages : elle ressemble à une lampe qui brûle doucement àl’abri des agitations de l’atmosphère ; c’est une longue fête que rienne trouble, c’est la surface d’une mer sur laquelle brille constammentdes jours alcyoniens. La plupart d’entre elles ont même eu unelongévité remarquable, preuve que la flamme des plus beaux génies sesoutient aussi longtemps que celle des flambeaux vulgaires. Lady Russelvécut 87 ans, MmeRowe, 63, Lady W.Montague, 75, MmeCentlivre, 44, LadyHervey, 70, LadySuffolk, 79, Mmes Sheridan, 47, Macaulay, 53, Montagu, 81, Chapone, 75, Lennox, 84, Trimmer, 69, Hamilton, 65, Radcliffe, 60, Barbauld, 83, Delany, 93, Inchbald, 63, Piozzi, 80, Hanna More, 88. Une autre remarque, c’est que toutes ces femmes furent les modèles deleur sexe par leurs vertus modestes, aussi bien que par leurs écrits,et loin d’avoir la vanité d’auteurs, la plupart le devinrent par lapublication involontaire de leurs lettres privées. Lady Wortley,Montague, Mmes Centlivre et Piozzi, les trois plus belles, les troisplus capables d’éblouir le monde, furent aussi les trois seules quis’en laissèrent éblouir : on leur attribue des faiblesses, descaprices, de la coquetterie, et leur caractère tenait un peu desinfirmités du génie. Mme Inchbald, quoique faite pour le plaisir desyeux, actrice ambulante et pauvre en perfection, vécut dans la plusgrande odeur de sainteté : elle ressemblait au cygne qui vit dans unegrande mélancolie, et qui s’en console dans l’éclatante blancheur deson plumage. H. LALOUEL, Membre de l’Académie de Caen. NOTES : (1) Les filles de Pélias. (2) C’est l’opinion de l’historien anglais Pinnock et autres. (3) Célèbre maîtresse de Henri II, que la reine obligea des’empoisonner en lui tenant le glaive sous la gorge. Un poète anglais,peu sensible, lui fit cette épigraphe dans le goût de sa nation : « Hic jacet in tumbâ rosa mundi,non Rosamunda, Non redolet, sed olet quæ redoleresolet. » (4) Le magnanime Raleigh écrivit un jour, avec un diamant, sur unecroisée de la cour : « Fain would I climb, yet fear Ito fall. » La reine ne s’en aperçut pas plus tôt qu’elle ajouta au-dessous cetterime encourageante : « If thy heart fail thee, climbnot at all. » Raleigh avait trop d’esprit pour ne pas saisir le sens de ce cartelpoétique. ERRATA. N. B. L’auteur n’ayant pu surveiller l’impression de la premièrepartie du second essai, croit à propos d’indiquer les fautes les plusgrossières qui se sont glissées, au moyen des errata suivants : Page 28, ligne 6, lisez : ce n’est que sous les princes de la maison deHanovre, etc., et non dans la maison de Navarre. Page 30, ligne 6, lisez : Mme Gore, et non Goré. Page 31, vers 4, lisez : in both assemblage. Page 34, ligne 24, lisez : et sa personne, au lieu de et personne ne. Page 36, au bas de la page, lisez : Algarotti. Page 37, ligne 11, lisez : Wordsworth, et non Wordswort. Plus loin, lisez : comme, et non commes Page 39, ligne 11, lisez : fuit, et non fait la vulgarité. Plus loin, lisez : au bout d’une lunette, et non au haut, etc. Plus loin encore, lisez : Clara Reeve, et non Reene. Page 41, ligne 21, lisez : Scott, et non Scoot. Page 44, ligne 7, lisez : sous le ciel et non dans le ciel. Page 46, ligne 25, lisez : Bélinde, et non Relinde. Page 48, ligne 3, lisez : confessions d’un vieux monsieur. . |