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MARTIN, Alphonse (1854-1930) : La Santé publique et l'acoolisme(1892). Saisie du texte : O. Bogros pour la collection électroniquede la Médiathèque André Malraux de Lisieux (24.III.2015) [Ce texte n'ayantpas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement desfautes non corrigées]. Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@lintercom.fr, [Olivier Bogros]obogros@lintercom.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusionlibre et gratuite (freeware) Orthographe etgraphie conservées. Texte établi sur l'exemplaire de la Médiathèque (Bm Lx: n.c) du Recueil des publicationsde la Société Havraise d’Etudes diverses de la 59e année – 1892– Deuxième trimestre publié au Havre par l'imprimerie Micaux. La Santé publique et l'acoolisme par Alphonse Martin Membre résidant. _____ On a pu constater, au cours de l'épidémie .cholérique de 1892, avecquelle énergie et quelle précision ont été prises, parl'administration municipale du Havre, les mesures nécessaires pourarrêter le fléau. Il est véritablement merveilleux que l'on ait réussià obtenir de si bons résultats avec notre législation sanitaire siprimitive, si incomplète et si arriérée. Il est permis, en effet, de qualifier de rétrograde, notre législationen cette matière, si on la compare avec les ordonnances royales et lesarrêts des Parlements en vigueur au XVIe siècle. Autrefois on prenaitdes mesures bien plus sévères pour l'isolement des malades, pourl'organisation d'un service médical spécial, pour la création desressources indispensables à ces dépenses extraordinaires. Ces mesuresétaient d'autant plus nécessaires que pour chasser le mauvais air de lapeste ou d'autres maladies comme ils le disaient, nos ancêtres neconnaissaient que le feu et les parfums, spécifiques d'une efficacitédouteuse ; il ne faut pas les blâmer s'ils prenaient des précautions,parfois ridicules, pour éviter le contact direct des sains et desmalades. Aussitôt que le magistrat de police avait eu connaissance des cas demaladie contagieuse, il convoquait, en assemblée générale, lesadministrateurs des hôpitaux destinés à recevoir ces malades. Al'arrivée de ces derniers, une enquête était faite pour savoir commentle mal s'était déclaré et quelles maisons les malades avaientfréquentées. Les administrateurs des hôpitaux désignaient aussitôt plusieursmédecins, chirurgiens et barbiers chargés de soigner exclusivement lesmalades contagieux, et ils leur accordaient des appointements fixespour ces soins. Ces chirurgiens et barbiers dénonçaient auxcommissaires du quartier les cas de maladie qui se révélaient. Plustard, lors de la contagion de 1596, on dut établir trois prévôts desanté, ainsi que trois aides qui allaient, le matin et le soir, chezles commissaires pour s'informer des nouveaux cas et conduire lesmalades chez les chirurgiens, qui devaient les médicamenter. Si cesmalades étaient pauvres, les prévôts de santé étaient tenus de lestransporter, pendant la nuit, à l'Hôtel-Dieu. Après la construction, à Paris, de maisons de santé spéciales auxpestiférés (1), cette liberté accordée aux malades de se faire soignerchez eux fut réduite à ceux qui occupaient seuls une maison entière.Par suite, tous ceux qui se trouvaient attaqués par la maladie, dansune maison occupée par plusieurs locataires étaient envoyés auxhôpitaux (2). Cette obligation d'isoler les malades fut confirmée en 1619 par leParlement, qui avait ordonné de nouveau, que les malades logés enchambre, en seraient promptement enlevés par les prévôts de la santé ouleurs archers, que leurs maisons seraient cadenassées, qu'il seraitpourvu à la nourriture de ceux qui resteraient dans les maisons. On alla même plus loin en 1668, en faisant fermer les maisons où setrouvaient des personnes qui avaient été en communication avec desmalades, et en pourvoyant à la nourriture de ces individus suspects,pendant quarante jours, dans une maison particulière. Ce n'était pas assez de soigner les personnes atteintes par l'épidémie,il fallait encore supprimer les causes de celle-ci. En conséquence, lesofficiers de police recommandaient la propreté à l'intérieur desmaisons (3), l'enlèvement des animaux domestiques, le nettoiement desrues, le soin d'entretenir pure, l'eau de rivière ; l'éloignement de laville, des métiers qui pouvaient la corrompre. Ils devaient éviterl'infection pouvant provenir du transport ou de la vente publique desmeubles et habits ; ordonner la destruction, par le feu, des lingescontaminés; l'ex-pulsion des mendiants ; la purification de l'air parles seuls moyens connus, le feu et l'eau ; la suppression des grandesassemblées, des spectacles ; la fermeture des écoles. On recommandait au peuple « de ne point demeurer oisif par les rues, niaux portes des maisons, après le soleil couché, de modérer le travaildu corps, celui de l'esprit, ne point s'échauffer, ni se lasser, ni sepassionner ; n'endurer ni la faim ni la soif, ne point manger de fruitscrus, de salades crues, ni de lait, peu de persil, de raves, d'oignons,pas de pâtisseries, bien tremper son vin, etc. » Comme désinfectants, on se bornait à préconiser l'emploi du soufre, del'alun, de l'encens, de la poudre à canon et du foin (4). Ladésinfection des maisons était faite par le commissaire du quartierassisté de deux marguilliers et aidé de deux hommes de peine, rétribuésà raison de dix livres par mois. Pendant la convalescence des malades,on devait allumer du feu dans les cours et dans les chambres, pendantquarante jours; on prescrivait aussi d'éventer les meubles et leslinges. Pour empêcher la propagation du fléau dans les villes voisines, lacirculation était interdite, les foires étaient supprimées à dixlieues à la ronde ; les routes et les sentiers étaient interceptés,l'argent même était désinfecté avec du vinaigre et de l'eau bouillante; les vivres étaient apportés à trois cents pas de la ville, lescorrespondances délivrées au bout d'un bâton, après avoir été purifiéesavec de la poudre à canon. On se procurait les fonds nécessaires au traitement .des malades, aulogement et à la nourriture des individus mis en quarantaine, au moyende taxes prélevées sur les bourgeois et sur les habitants. En 1561, lesdépenses ayant été plus fortes, le Parlement de Paris obligeait leshabitants à payer immédiatement trois années de leur cotisation auBureau des Pauvres. En 1622, le Parlement de Normandie ordonnait que,pour subvenir à des dépenses extraordinaires, et en attendant qu'il yait été pourvu par la libéralité du Roy, il serait prélevé unecertaine somme sur les appointements de tous les fonctionnaires. Lesdépenses faites à l'occasion des grandes épidémies étaient donc à lacharge de tous, comme dette nationale. Que les dépenses aient été acquittées par les villes ou par l'Etat, iln'en est pas moins certain que l'assistance était obligatoirelorsqu'il se produisait un fléau épidémique. On en trouve un exempledans l'épidémie de 1639, qui avait fait au Havre de très nombreusesvictimes. Les administrateurs du lieude santé ayant épuisé toutesleurs ressources particulières, les échevins du Havre furent obligés decontracter un emprunt de quinze mille livres pour y suppléer. Grâce à ces ressources, on avait sacrifié plus de dix-huit mille livrespour les pestiférés ; dans ce chiffre figurait la somme de deux millelivres pour fournitures de pain, autant pour fournitures de viande ;les secours en argent distribués dans les maisons s'étaient élevés àplus de seize mille livres. Enfin on avait payé -quatre cents livres à « des pauvres honteux nepouvant gagner leur vie et non portés sur le rôle ordinaire de lasubvention, à telle fin de les empêcher de divaguer par les rues pourmendier en cachette ». N'est-ce pas en miniature le tableau de notresituation financière actuelle. Malgré l'infériorité de leurs connaissances scientifiques, nos anciensadministrateurs possédaient donc quelques notions hygiéniques ; ilsavaient de plus le droitd'être énergiques en donnant une sanction àleurs prescriptions, sans doute ils avaient à compter avec denombreuses réticences, avec des dissimulations de la part desintéressés d'autant plus enclins à éluder les précautions que celles-ciétaient plus sévères. Delamare, dans un Traité de Police publié en1705, signale déjà les causes qui paralysaient généralement l'attaquedu fléau à son début et ces raisons subsistent encore aujourd'hui. Tandis que la plupart des Etats de l'Europe ont perfectionné lesrèglements sur la matière, en France, pour la police des épidémies,nous sommes encore à 1790, car il faut reculer jusque-là pour trouver,en faveur des administrations communales, des armes bien faibles pourcombattre la propagation des maladies contagieuses. Cependant, l'alarme a été souvent donnée par les hygiénistes et lemonde judiciaire. Pour ne parler que de notre ville, n'est-ce pas à laSociété Havraise d'Etudes diverses que M. Meyer, rapporteur du comitéd'utilité publique, prenait l'initiative, dès le mois de Juin 1885, desréformes urgentes à apporter à la législation sanitaire. Son projet,discuté en séance publique, présidée par M. Jules Siegfried,aujourd'hui député et membre du Conseil supérieur d'Hygiène, avait étéadopté dès le 10 Juillet 1885. A cette discussion avaient pris part MM.Monod, aujourd'hui Directeur de l'Assistance publique, les docteursMartin, Gibert, Dechambre et Launay. Jusqu'à présent cette tentativen'a pas obtenu de résultat, mais il faut espérer qu'elle sera repriseet discutée promptement. C'est l'avis de M. Jules Siegfried qui a prisà cœur cette question si grave et si intéressante. Iln'est pas possible, en effet, de continuer à laisser lesadministrations locales dans l'incertitude sur ce que l'on appelle lesprécautions convenables (?), la distribution des secours nécessaires(?), en cas d'épidémie, sans indiquer jusqu'où va le droit del'administration ; quelle est l'étendue des mesures qu'elle peutprendre à l'égard des citoyens et de leurs demeures ; il estindispensable aussi d'assurer les moyens financiers pour acquitter lesdépenses considérables que nécessitent les luttes contre les épidémies. Nous ne voulons pas entrer ici dans l'examen des questions complexesque soulèvent les règlements sanitaires sous le rapport de lanavigation, mais seulement jeter un coup d'œil sur ceux qui ont pourobjet les mesures à prendre à l'intérieur. Rappelons d'abord que M. Meyer proposait spécialement : I. La substitution, aux commissions locales des logements insalubres,des conseils d'hygiène présentant plus de garantie d'indépendance ;l'extension de leurs pouvoirs aux logements occupés par leurspropriétaires et non pas seulement aux immeubles donnés en location àdes tiers. II. Entente de l'Etat et des communes pour combattre les maladiescontagieuses graves telles que : le choléra, la peste et la fièvrejaune qui ne peuvent être considérés comme des fléaux locaux proprementdits, parce que souvent ils intéressent le pays tout entier. Obligationpour l'Etat de supporter les dépenses occasionnées par les mesuressanitaires prises dans ces circonstances. III. Dispositions législatives par lesquelles les autorités sanitaireset leurs agents pourraient : 1° pénétrer, toutes les fois que celaserait nécessaire, dans le domicile des citoyens pour veiller àl'exécution des mesures légalement prescrites ; 2° ordonnerl'évacuation de toute maison ou portion de maison contaminée et dont ladésinfection serait reconnue impossible ; 3° faculté pour les autoritésd'ordonner le transfert d'office dans un hospice ou une ambulancespéciale, de tout malade qui ne pourrait être soigné à son domicile,soit parce qu'il n'aurait pas les ressources nécessaires, soit parceque ce domicile ne remplirait pas les conditions hygiéniquesdéterminées par les règlements, avec ces réserves que l'on ne devraitpas faire revivre la séquestration des anciens lépreux, mais qu'aucontraire, on permettrait l'accès auprès du lit des malades de leursproches parents et amis dont les visites sont souvent salutaires danscertains cas ; qu'en outre il serait offert un asile aux personnesmomentanément dépossédées de leurs demeures, par suite de l'applicationde cette disposition. Nous le répétons, dans les circonstances que nous venons de traverser,en l'absence d'une législation précise, les résultats obtenus parpersuasion, par l'administration municipale du Havre ont été les mêmes,c'est-à-dire conformes aux indications données par M. Meyer dans sonprojet de loi déjà cité. En effet, on a pu remarquer qu'après avoir pris les mesures pourcombattre l'épidémie, nos administrateurs ont réussi à les faireaccepter par la population et à en faire prendre la responsabilitéfinancière par l'Etat qui a accordé une forte subvention sur lesproduits des paris mutuels. Maià il ne serait pas prudent de secontenter d'un système aussi précaire et qui pourrait fort bien ne pasêtre mis en pratique partout avec la même efficacité ; il faut doncinsister pour obtenir une législation en rapport avec nos moeursactuelles et avec les moyens scientifiques dont nous pouvons disposer. Sans doute, les dispositions que l'on prendra paraîtront bien dures, sion les met en parallèle avec les principes de la liberté individuelleet de l'inviolabilité du domicile, si on les place devant le respect dela propriété privée, proclamée par nos lois fondamentales, mais il y abien d'autres exemples de cette contrariété d'intérêts publics etprivés. Le respect de la liberté individuelle ne doit pas aller jusqu'àtolérer, sur les individus, la malpropreté qui est évidemment une causede la propagation des épidémies. On devrait refuser tout secours à desgens qui persistent à se tenir dans un état de saleté, souventrepoussant, tel que l'on a pu le remarquer aux premières distributionsgénérales faites à l'Hôtel-de-Ville, sur des individus auxquels lechomage ne laissait que trop le temps de se débarbouiller. Le respect de la propriété privée et de l'inviolabilité du domicile nereçoit-il pas une rude atteinte dans d'autres circonstances telles que: le cas de siège, où l'autorité militaire est si bien armée pour faireéchec au droit commun, dans le périmètre nécessaire à la défense contrel'ennemi ; le cas où un navire est déclaré en état d'innavigabilité,par l'autorité maritime ; l'inaliénabilité du domaine public, etc. Lorsque des citoyens ont commis l'imprudence d'établir ou d'habiter deslogements insalubres dans les rues étroites et non aérées, ils doivents'attendre à en être éloignés dans le cas de lutte contre les fléauxépidémiques qui se développent surtout dans ces endroits dangereux.L'autorité municipale doit avoir le pouvoir de préserver de lacontagion les individus, même malgré eux, parce qu'ils compromettentleurs semblables. Si l'on objecte que des immeubles ne peuvent être frappés d'une sorted'interdit, d'expropriation pour cause d'utilité publique sansindemnité, nous répondrons que, la nécessité de multiplier leslogements, dans l'enceinte de la ville, n'existe plus depuis lasuppression des fortifications, alors qu'il existe aux alentours desquartiers agglomérés, de vastes terrains à bâtir. Il ne faut pas oublier en effet que lors de la fondation de notreville, il n'y avait pas une habitation, pas une concession de terrainqui n'eût au moins cent mètres carrés, tandis qu'actuellement dans lesquartiers Notre-Dame et St-François, compris sur le canton sud, la mêmesurface de terrain renferme de véritables fourmilières. Les voiesprincipales, notamment celles connues aujourd'hui sous le nom de ruesde Paris, d'Estimauville, de la Communauté, des Viviers, de la Gaffe,Bazan, Faidherbe, Grand-Croissant et Dauphine sont suffisamment largespour être habitées. Quant aux rues St-Pierre, Breuillette, de la Halle,Jeanne-d'Arc et des Boucheries, du Petit-Croissant, d'Edreville etPercanville, si étroites et où le soleil ne pénètre jamais, ellesn'étaient point destinées à recevoir des logements mais à servir dedé-pendances et de magasins pour les maisons d'habitations en façade.sur les autres rues parallèles. Ce ne fut que, par une nécessité qui adisparu aujourd'hui, et dans un but de lucre, que l'on a converti cesdépendances en habitations, que l'on a enchevêtré, dans des coursexigües, des corps de logis souvent infects. Quelques chiffres suffiront pour démontrer l'insalubrité de cesquartiers par défaut d'aération. Actuellement, le quartier de St-François, forme un îlot deconstructions particulières, d'environ soixante-un mille mètres carrés,rues et places comprises. D'après le recensement de 1891, ce quartiercomprend trois cent cinquante-huit maisons, renfermant deux millesoixante-treize ménages, formant ensemble sept mille cinq centvingt-six habitants. La surface afférente à chaque ménage n'est doncpas supérieure à vingt-neuf mètres carrés et l'on compte un habitantpar huit mètres carrés. Dans le quartier Notre-Dame, dit de la basse ville, entre la rue de laCorderie, la rue des Pincettes, la place Gambetta, les quais Videcoq,de Notre-Dame et le Grand-Quai, on trouve une surface d'environ centquatre-vingt-huit mille mètres carrés sur laquelle sont construitesmille quarante-trois maisons renfermant six mille-vingt-un ménagesformant dix-sept mille deux cent quatre-vingt-neuf habitants. Ladensité de la population est à peu près la même qu'à St-François, caron compte un ménage par trente-un mètres carrés et onze mètressuperficiels pour chaque habitant. Cet entassement de la population ne s'obtient que par la multiplicitédes étages ; c'est en effet dans les premier et deuxième cantons(St-François et Notre-Dame) que l'on trouve le plus de maisons dequatre étages et au-dessus ; on en compte mille trois cents sur cesdeux points alors que, pour tout le reste de la ville, il n'y a quecinq cent cinquante constructions de cette catégorie. Cette agglomération d'individus sur des surfaces aussi restreintes a eupour résultat, aussi bien dans la dernière épidémie que dans celles quil'ont précédée, de fournir un nombre considérable de victimes au fléauqui s'y était déclaré. Les deux tiers des cas graves, c'est-à-diresuivis de décès, ont éclos dans ces deux quartiers. Au contraire, si nous prenons pour point de comparaison, un autrequartier bien aéré, où les cas d'épidémie ont été très rares, tel quecelui du Lycée, où les habitations sont moins rapprochées, leshabitants plus aisés, en grande partie du moins, et les rues pluslarges, on reconnaîtra sans peine la nécessité d'abandonner ces petitescasernes des vieux quartiers si on ne peut les assainir. Dans cequartier neuf, limité par la rue de Normandie, la rue Thiers, leboulevard de Strasbourg et la rue Michelet, on compte seulement deuxmille neuf cent quarante-trois ménages formant neuf mille quatre centquatre-vingt-trois habitants, soit cent cinquante-trois mètres pour unménage et quarante-sept mètres pour un habitant. Dans la surface totaleévaluée à quatre cent cinquante mille mètres, ne sont compris ni leLycée ni la Sous-Préfecture et leurs jardins. Jusqu'à présent, nos critiques ont porté sur la situation déplorabledans laquelle se trouvent la plupart des habitations ouvrières, sur lesconséquences fâcheuses, qui peuvent résulter pour la classe laborieuseen cas d'épidémie, c'est-à-dire l'enlèvement des malades contagieuxpour les transporter, au risque d'aggravation du mal, dans un lieu plussain et mieux approprié aux soins médicaux ; il faut nous adressermaintenant aux individus eux-mêmes, à l'alcoolisme, qui est un facteurencore plus important dans la propagation et la gravité des épidémies. Avec les économistes qui se sont occupés de la question de répressionde l'alcoolisme ; avec M. Jules Siegfried, qui provoquait, en 1885, àla Société Havraise d'Etudes diverses, un rapport sur ce sujet, dressépar N. Levarey, notre collègue ; avec l'honorable directeur deshospices du Havre, M. Laplanche, qui a étudié ce problème dans sonétude si consciencieuse. sur l'assistance publique au Havre, nousinsisterons à notre tour sur la nécessité d'une législation ferme etsévère pour le débit de l'alcool, sans laquelle, de l'avis de beaucoupd'hygiénistes, il n'y a rien à faire pour l'amélioration des racespauvres. Il ne suffit pas, en effet, de tracer des rues larges et régulières,d'y construire des corps de logis, bien aérés, il faut encore que leshabitants, surtout les familles peu aisées et nombreuses, observent unehygiène basée sur la propreté et la tempérance. C'est sans doute pouravoir négligé ces qualités que beaucoup d'habitants des quartiers del'Eure et de Ste-Marie ont donné tant de prise au fléau épidémique.Dans le carré limité par la rue de Normandie, la rue des Prés, la rueDemidoff et la rue Malherbe, sur une surface bâtie d'environ centsoixante-dix mille mètres carrés, ne renfermant que deux mille ménagesou six mille sept cents habitants, c'est-à-dire avec une moyenne dequatre-vingt-six mètres carrés pour chaque ménage et vingt-cinq mètrespar habitant, le nombre des décès cholériques a été presque aussinombreux que dans la basse ville. S'il est reconnu que les 8/10 des cas graves de maladies épidémiquess'appliquent à des alcooliques plus ou moins invétérés ; s'il estdémontré que dans ces cas les plus énergiques précautions prises parles administrations ne parviennent pas à faire baisser la proportiondes victimes (5), il faut essayer de diminuer la consommation del'alcool et enrayer la marche ascendante observée malheureusementdepuis plusieurs années d'après la statistique suivante : En 1884, lorsque la population du Havre comptait cent cinq millehabitants, la consommation annuelle de l'alcool pur, employé pour lafabrication des liquides connus sous le nom d'eau-de-vie, cognac, fil,absinthe, etc., était de quinze mille sept cent cinquante-troishectolitres, représentant quinze litres d'alcool pur par habitant. En 1887, cette consommation atteignait seize mille neuf centsoixante-dix-neuf hectolitres. En 1891, elle était arrivée à dix-huitmille cent trente-sept hectolitres. D'après le chiffre de lapopulation, recensée en 1891, il faut donc attribuer à chaque habitantla consommation annuelle de seize litres dix-huit centilitres d'alcoolpur, non compris les autres boissons alcooliques, telles que la bière,le vin et les cidres. Cette augmentation graduelle est encore plus effrayante si l'on examinela consommation réelle de chaque individu, selon son sexe et seshabitudes. Il faut d'abord déduire, du chiffre des véritables consommateurs, lesenfants au-dessous de quinze ans dont le nombre est de trente-et-unmille sept cent cinq, ce qui ramène le chiffre des buveurs d'alcool àquatre-vingt-quatre mille six cent soixante-quatre. Puis, il estnécessaire de séparer les deux sexes, dont les habitudes sontdifférentes ; il faut attribuer aux quarante-et-un mille quatre centonze hommes la plus grande partie des cinq millions quatre centquarante-et-un mille litres d'eau-de-vie ou autres liqueurs alcooliquescomposés avec les dix-huit mille cent trente-sept hectolitres d'alcoolpur. En réservant vingt-cinq pour cent aux quarante-trois mille centquatre-vingt-dix personnes représentant le sexe faible, et en laissantle surplus au sexe fort, nous ne faisons injure à personne. Chaque individu du sexe masculin, âgé de plus de quinze ans, a donc àsa charge une consommation annuelle de quatre-vingt-quatorze litresquarante-sept centilitres de liquides alcooliques ou deux mille huitcent vingt petits verres. Il reste pour chaque représentant de l'autresexe, une consommation annuelle de trente-et-un litres quarante-neufcentilitres ou neuf cent trente petits verres. Au total cent soixante-trois millions depetits verres. Pour établir le prix de revient, au consommateur, de cette rivièrealcoolique, il faut distinguer entre le liquide détaillé sur place,c'est-à-dire dans les débits et cafés, et celui qui est vendu pour êtreemporté à domicile; il y a en effet, une différence sensible que l'onpeut évaluer au tiers entre ces deux modes de vente. Pour rester au-dessous de la vérité, nous fixerons au prix moyen dedeux francs, le litre d'eau-de-vie consommé à domicile et à troisfrancs le litre détaillé sur place. La galanterie nous oblige à reconnaître que la totalité du liquideabsorbé par le sexe faible se consomme à domicile et non dans lescabarets; tandis que pour les hommes, on peut évaluer à la moitié cettemême consommation et le surplus dans les cafés. Nous attribuons doncaux hommes : 47 litres 23 à 3francs................... 141 fr. 69 47 litres 23 à 2 francs.................... 94 » 46 Ensemble......................................... 236 fr. 15 Ce chiffre, multiplié par le nombre des 41,141 buveurs, fournit unedépense de 9.715.447 fr. Les trente et un litres quarante-neufcentilitres au taux de deux francs, consommés annuellement par chaquereprésentant du sexe féminin, fournissent une dépense de soixante-deuxfrancs quatre-vingt-dix-huit centimes pour chaque, ou pour lesquarante-trois mille cent quatre-vingt-dix havraises, un total de2.720.106 fr. En chiffres ronds, voilà une dépense annuelle de douze millions et demi[12.435.553 fr.] de francs occasionnée à la population du Havre parl'usage ou plutôt par l'abus des liqueurs alcooliques. Si l'on ajoute àce chiffre, déjà énorme, le prix de vente des apéritifs et mélanges detoutes sortes, vendus trois ou quatre fois plus cher que les modestesgouttes de deux sous ou les vertes à dix, on arrivera à un chiffrefabuleux et que nous n'osons pas évaluer. L'abus des liqueurs alcooliques paraît encore plus insensé, lorsquel'on songe que le fabricant ou débitant ayant acheté un hectolitred'alcool pur, le convertit en trois cents litres d'eau-de-vie oud'autre liquide, qui lui reviennent à un franc l'un en moyenne. Lorsquele prix de vente est de deux à trois francs, c'est une majoration decent à deux cents pour cent, qu'il donne à sa marchandise. Quand l'ouvrier se laisse exploiter ainsi, il aurait bien tortd'accuser ensuite son patron et son propriétaire d'être aussi desexploiteurs. Nous ne demandons pas que la classe ouvrière renonceentièrement à l'usage des liqueurs fortes, ce serait une véritableutopie, mais qu'elle diminue seulement sa consommation, de moitié parexemple, ne serait-ce que les deux millions de litres absorbés dans lescafés. Avec les six millions de francs ainsi économisés chaque année,que de logements salubres on pourrait établir ! que de bien-être onprocurerait surtout à la classe ouvrière ! quel grand pas on auraitfait faire à la question sociale ! quelle amélioration de la santépublique lorsque l'on aurait diminué le nombre de sujets sur lesquelsles épidémies font toujours les plus grands ravages Nous appelons donc l'attention du législateur sur les réformes àapporter au débit des boissons alcooliques, sur les propositions déjàfaites à ce sujet, en 1885, par la Société Havraise d'Études diverses.Il est nécessaire de rechercher, s'il ne serait pas opportun,d'augmenter le prix de la licence délivrée aux marchands de liquidesexclusivement alcooliques, de vérifier sévèrement les boissons mises envente, d'autoriser les municipalités à fermer les débits qui ne setrouveraient pas dans des conditions hygiéniques suffisantes. On pourrait examiner, comme le proposait tout récemment M. G.Laplanche, dans son Étude surl'Assistance publique au Havre,s'il n'y aurait pas lieu d'adopter diverses prescriptions des loisbelge et anglaise, pour remédier aux inconvénients du paiement dessalaires en jetons changés dans les débits, pour obliger les patrons, àpayer en monnaie de cours, et en dehors des cafés et cabarets ou deslocaux y attenant. En résumé, la surveillance des logements, en temps normal oud'épidémie, la révision des règlements municipaux à l'égard des petitesmaisons pouvant être construites à bon marché, la répression del'alcoolisme, sont autant de questions intimement liées entre elles,qui devraient être étudiées avec ardeur et persévérance, en ce momentoù le danger a stimulé tant de bonnes volontés et de sacrifices. LaSociété Havraise d'Etudes diverses doit appeler l'attention despouvoirs publics et faire remettre à l'ordre du jour, les réformes déjàélaborées en 1885 sur notre législation sanitaire. NOTA. — Dans la séance du 9Septembre 1892, la Société Havraise d'Etudes diverses a émis un voeudans ce sens, et ce voeu a été adressé au Conseil municipal, qui anommé, dans sa réunion du 28 Septembre 1892. une Commission pourl'examiner. Cette Com'. mission a fait son rapport le 19 Octobre et,sans prendre parti pour aucun des projets présentés, le Conseilmunicipal du Havre a émis un voeu pour leur discussion immédiate. NOTES : (1) Un établissement de ce genre, connu sous le nom de Pré de Santé,existait auprès du Havre, dans le quartier St-Roch. Projeté en 1587,sans doute à une époque où l'épidémie se faisait sentir dans cetteville, il n'avait été utilisé pour la première fois qu'en 1626, dansune circonstance analogue. Il se composait de bâtiments connus sous lenom de Caloges et d'unechapelle fondée par un bourgeois du Havre. En prévision durenouvellement des maladies contagieuses, un administrateur pris parmiles échevins était chargé de mettre en réserve les revenus del'établissement, produits par les quêtes dans les églises, les droitsde réception à la bourgeoisie, la location des prairies sur lesquellesétaient placées les Caloges.Ces ressources annuelles se montaient à environ 300 livres. (2) Lors de l'épidémie de 1650, les malades du Havre étaient soignésindistinctement à domicile ou à l'hôpital St-Roch. L'administrationcommunale ayant contracté un emprunt de deux mille six cents livres,avait réparti cette somme entre les malades de cet hôpital et ceux quiétaient restés chez eux. Chaque semaine l'échevin de service,accompagné de deux médecins ou chirurgiens de la ville et del'administrateur du Pré de Santé deSt-Roch,allaient dans les maisons visiter les individus atteints de lacontagion afin de les faire transporter à St-Roch. En casd'impossibilité de transfert, ils interceptaient toute communicationavec leu voisins ; ils distribuaient en même temps les secours enargent. (3) Dans certains pays, notamment dans les campagnes de la Picardie, ona conservé l'usage, immémorial, de badigeonner à la chaux les muraillesintérieures et extérieures des habitations. Chaque année, la veille dela fête patronale ou Ducasse,les ménagères, devenues peintres par occasion, exécutent elles-mêmes cetravail peu coûteux. Aujourd'hui, dans les villes, notamment au Havre,on se contente d'un badigeonnage extérieur décennal, mais il est àsouhaiter que des travaux du même genre soient prescrits à l'intérieuret même plus souvent. (4) En 1671 sur l'ordre du duc de St-Aignan gouverneur du Havre, « pourchasser le mauvais air de la Variole, on prescrivait à chaque familled'avoir chez elle une botte de foin mouillé ; cette botte de foin étantplacée au milieu de la chambre on répandait sur le sol quatre ou cinqfreinées de poudre à canon. En y mettant le feu, les endroits les pluséloignés de la chambre se trouvaient remplis de fumée et le mauvais airse trouvait chassé ». |