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MENDÈS, Catulle (1841-1909) : Le Cadeau de la Petite Noël(1885). Saisie du texte : S. Pestel pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (06.XI.2017) Texte relu par : A. Guézou. Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque-lisieux@agglo-lisieux.fr, [Olivier Bogros]obogros@agglo-lisieux.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusionlibre et gratuite (freeware) Orthographe etgraphie conservées. Texte établi sur un exemplaire (coll. part.) du Nouveau Décaméron. Deuxième journée, publié à Parispar E. Dentu en 1885. LE CADEAU DE LA PETITE NOEL PAR CATULLE MENDÈS ~ * ~ I C’ÉTAIT la veille de Noël, chez Sylvère Bertin, celui de tous lespeintres qui sait le mieux, au gré des Parisiennes, ajouter à lablancheur des bras et des épaules, – comme si son pinceau était unehouppe, – le velouté des poudres de riz légères, et qui n’a point derival pour tordre, sur un front étroit, l’ombre un peu bistre desfrisons. La petite Rose Noël, – si mignonne vous savez ? – paraissaitplus petite encore dans le grand atelier. Pendant que Sylvère, assisdevant le chevalet, mais ne peignant pas, la suivait d’un regard trèsdoux, attendri, presque plaintif, – un regard singulier, véritablement,– elle allait et venait, presque courant, presque sautant, avec desfaçons de jeune chat qui joue, entre la tapisserie où d’indolentsHercules, nus et tordus, humilient à filer des quenouilles la vigueursaillante de leurs énormes muscles, où des Narcisses, en habit de page,regardent, dans le miroir vert de l’eau, les boucles d’or de leurscheveux et l’aile rouge de leur toque trembler parmi les améthystes etles topazes reflétées d’un paon qui fait la roue sur la margelle dubassin. Toute rose dans son emmitouflement de soie et de fourrures, –car elle ne s’était pas encore défaite, – elle se confrontait à lablancheur nue des plâtres ou des marbres, avançait une petite moue defleur fâchée vers une glace de Venise où elle ne pouvait voir que l’unde ses yeux et une seule de ses fossettes, parce qu’il y avait, au beaumilieu du cristal, un groupe blanc, opaque, de scaramouches etd’arlequines. Se hissant, s’allongeant, elle tendait les mains, – depetites mains d’enfant, rapides, étourdies, qui cassent si bien lesjoujoux, – vers les bibelots précieux rangés sur la corniche du bahutHenri III, riait du diable japonais, à la face furibonde, quis’écartèle éperdument dans des nuages de bois, souriait à la petitebergère de sèvres, dont la jupe bleu et lilas, qui a l’air d’un liseronrenversé, se fripe dans l’envolement d’une danse immobile, ouvrait lesboîtes d’ivoire, incrustées de roseaux d’or, s’étonnait de la mitre enéventail d’une Iris de bronze vert, trouvait très laids les dieuxIndous qui ont une pointe sur la tête, – c’est comme les Prussiens,dit-elle, – qui rêvent, accroupis, « ayant dans leurs mains leursorteils, » regardait tout, touchait à tout, ne remettait rien en place.Elle s’arrêta devant la cheminée. C’était une cheminée colossale, d’oùpendaient, jusqu’au parquet, des tentures de satin lourdement chamarréd’or – chasubles ou nappes d’autel, dont Sylvère avait fait destentures. Elle écarta les étoffes, s’étonna des hautes cariatides dechêne et surtout du vaste foyer où l’on aurait pu mettre un jeune arbreavec toutes ses branches. Elle s’y fourra, en éclatant de rire, s’ytint toute droite, s’y mit à tourner en valsant, et s’en échappabrusquement, en repoussant les tentures, toute rouge de plaisir, commeun enfant qui sort d’une cachette où on n’a pas su le trouver ! Mais cequi la charma le plus, ce fut une babouche persane, en velours pourpré,brodée de petites perles, qu’elle aperçut dans un vieux plat de cuivrerepoussé. « Ah ! la jolie pantoufle ! vous ne savez pas ce que vousdevriez faire ? Puisque c’est Noël, mettez-la dans votre cheminée, cesoir. » Et ce qu’elle conseillait, elle le fit ; elle plaça la babouchederrière les lourds rideaux. « Le petit Noël doit être mon parent,puisque je m’appelle comme lui. Je lui dirai de vous apporter un jolicadeau. » Puis, elle s’inquiéta d’autre chose, d’un portrait de grandedame, inachevé : « Joli, mais pas jolie ; » d’un oiseau des îles,empaillé, qui grimpait à une branche de corail, d’un yatagan dans sagaine d’argent ciselé, et enfin se trouva si lasse qu’elle se laissatomber dans un fauteuil, essoufflée, en disant : « Ouf ! c’est trèsamusant chez vous ; à présent, puisque vous voulez faire mon portrait,je ne bouge plus, travaillez. - Je ne peux pas, dit Sylvère, les bras pendants. - Bon ! et pourquoi ça ? » Il s’approcha d’elle, et s’agenouilla lentement. « Parce que je vous aime, » dit-il. II C’était vrai, il l’aimait. Oui, cette petite Noël, qui avait débuté,l’année dernière, au théâtre de la Tour d’Auvergne, dans une Revue oùelle jouait le rôle muet de Phylloxera, – on lui avait fait croire,tant elle était niaise alors, que « Phylloxera » était le nom d’unereine des sauvages venue à Paris pour se faire photographier chezNadar, – et qui, maintenant, à force de protection, un attachéd’ambassade ayant pris l’affaire en main, figurait un petit Lapin blancdans le ballet d’une féerie ; cette folle fille, qui, en douze mois,avait écrit son nom sur toutes les glaces de tous les cabinetsparticuliers, et qui, en somme, était à peine jolie, – ah ! pourtantsi, bien jolie, avec sa ronde petite face grasse, où la bouche et lesyeux ressemblent à une pivoine et à deux bluets tombés dans du laitrose, – il l’aimait ! Et, cela, éperdument, depuis trois mois. D’abord,se jugeant absurde, il avait voulu ne pas songer à elle, vaincre cestupide désir ; n’allant plus au théâtre où il pouvait la voir, segardant des soupers dont elle pourrait être. Efforts inutiles. RoseNoël l’avait pris et ne le lâchait pas. Ce joli Lapin, à la fourrure deneige, avait une façon de battre le tambour, si drôle, si dôle qu’illui était impossible de l’oublier : c’était son cœur qu’elles tapaient,les petites baguettes, tout le temps. Un imbécile ? oui, un amoureux.Il se résigna à être ridicule, trouvant le ridicule, à tout prendre,moins bête que la souffrance. « Mademoiselle, lui écrivit-il,voulez-vous me permettre de faire votre portrait pour le prochain Salon? » Je crois bien qu’elle voulait ! Surtout s’il la représentait enpetit Lapin. Songez donc : se montrer à tout le monde, comme sur lascène, sans avoir besoin de se fatiguer pour cela. Et elle ne manquapas de venir à l’heure indiquée. Même elle avait apporté, parprécaution, le costume de Lapin. Pas encombrant du reste ; enveloppéd’un mouchoir de dentelle, il tenait dans une poche sans la gonfler. III Maintenant il lui avouait tout, son amour, ses résistances, tous sesgrands chagrins. Mais c’était fini, les tristesses, elle était là, elleserait bonne, elle l’aimerait. « Oh ! n’est-ce pas, vous m’aimerez ! »Il essayait de lui prendre les chères mains mignonnes qui battaient sibien du tambour. D’ailleurs assez tranquille, comme les gens assurés deréussir. Pourquoi la petite Noël ne voudrait-elle pas de lui ? Elle se leva, rouge de colère, et dit en frappant du pied : - Alors, vous vous êtes moqué de moi ? Ce n’est pas pour faire monportrait que vous m’avez écrit de venir, c’est pour me faire la cour ?Ah ! bien, si j’avais su, je ne me serais pas dérangée, par exemple. Étonné, il voulut répondre ; elle ne le laissa pas parler, – bavardantavec une espèce de rage : - Je vous demande un peu ce que ça me fait, que vous m’aimiez ? Est-ceque vous croyez que je vais m’attendrir pour si peu ? « Ah ! mon Dieu,le pauvre garçon, il m’aime, il faut être gentille avec lui. » Plussouvent. Eh ! mon cher, vous n’êtes pas le seul à être fou de moi, ets’il fallait être gentille avec tous ceux… Non, vraiment, les hommessont agaçants, enfin. Dès qu’ils vous adorent, vous, ils croient que çasuffit pour qu’on les adore, eux. C’est trop bête. Est-ce que je suisobligée de vous dire : « Comment donc ? » parce que vous me dites : «Je vous en prie ! » Tenez, parlons peu, parlons bien. Pourquoiêtes-vous amoureux de la petite Noël ? parce que vous la trouvez jolie.C’est pour ça, n’est-ce pas, pas pour autre chose ? Eh bien, est-ce quec’est de ma faute, à moi, si je ne vous parais pas laide, et vousdois-je quelque chose parce que j’ai la chance de ne pas être unmonstre ? J’ai des cheveux roux et touffus comme une petite crinière delionne, je le sais ; les plus jolis yeux de Paris, soit ; une bouchecomme une fleur, oui ; des oreilles comme des coquillages roses, je nedis pas non ; et quoiqu’un peu boulotte d’en haut, la taille très fine,bien ! Mais, dites donc, parce que j’ai tout cela, et que vous avezdaigné vous en apercevoir, est-ce que je suis forcée, moi, de vousdonner tout cela, et le reste ? Vrai, je vous conseille une expérience: entrez dans une boutique de bijoutier, pleine de jolies choses, desperles, des rubis, des diamants en rivière, et dites au marchand : «Vous avez là un tas de bijoux qui me conviennent joliment ; je vousinvite à m’en faire immédiatement cadeau. » Vous verrez comment vousserez reçu ! Bref, c’est très flatteur d’être aimée, mais ce n’est pasune raison pour qu’on aime. Je vous plais, vous ne me plaisez pas.Voilà qui est clair, je pense ? Là-dessus, bonjour. Vous vous êtrecrânement fichu de moi tout de même. Ah ! c’est comme ça que vousfaites « poser », vous ? Je m’en souviendrai, et, vous savez, ne vousavisez pas de m’écrire pour me faire revenir ; jamais je ne remettraile pied chez vous, jamais, jamais, jamais, jamais ! Plus rouge encore, du feu dans les yeux, elle sortit de l’atelier, avecun rire méchant, dans un vif froufrou de robes, qui avait l’air d’êtreen colère lui aussi. IV Tout le jour Sylvère Bertin fut triste, triste jusqu’au désespoir.Était-ce possible vraiment que cette créature, qu’il avait toujours vuefrivole, et que, maintenant, il savait mauvaise, le possédât, lemaîtrisât ainsi ? Il avait voulu travailler, il n’avait pas pu ; ilétait sorti, espérant que le brouhaha de la rue étourdirait sa pensée ;non, il n’avait pas vu la foule, pas entendu les bruits ; dans sesyeux, rien que la vision rose de la petite Noël ; dans ses oreilles,rien que le joli méchant rire de la petite Noël. Cependant, comme lanuit était venue, – il devait être assez tard déjà, – il se souvintque, ce soir, il avait promis de fêter noël en compagnie de quelquescamarades. Une belle nuit joyeuse le guérirait peut-être de son stupideamour, l’en distrairait à coup sûr. Eh bien ! arrivé devant la porte durestaurant, il n’entra pas. Morose, il eut peur de la bonne humeur desautres : puis la douleur a souvent le jaloux orgueil de se préférer àla joie. Il revint chez lui. Son domestique, qui l’attendait, avaitallumé le poêle de l’atelier et les lampes. « Monsieur n’a plus besoinde rien ? – Non. Merci. » Il tomba lourdement dans un fauteuil, etregarda autour de lui, plus triste encore, songeant que, ce matin, elleavait joué, elle toute petite et rayonnante, dans cette grande pièce unpeu sombre, et qu’elle n’y reviendrait jamais, jamais ! Il avait deslarmes plein les yeux, oui, des larmes. Eh ! qui de nous n’a paspleuré, même pour la petite Noël ? Il se leva. Une idée enfantine luiétait venue : tous ces objets qu’elle touchés aujourd’hui, où elleavait mis le charmant désordre de son étourderie, il voulait lestoucher à son tour ; il y retrouverait quelque chose peut-être de laprésence perdue. Il se mira, lui aussi, dans le miroir de Venise, ycherchant l’image envolée, mania le diable japonais, baisa la petitebergère de sèvres, ouvrit les boîtes d’ivoire incrustées de roseauxd’or. Mais où donc était la babouche ? C’était de la babouche qu’elles’était surtout amusée. Il se rappela, elle l’avait mise dans lacheminée, derrière les rideaux ; il s’approcha, se baissa un peu,tendit la main pour écarter les tentures tout près du parquet… Ilpoussa un grand cri de surprise ! Là, dans la pantoufle persane, il yavait un petit pied nu, un adorable petit pied nu de femme ; et,passant tout à coup la tête entre les tentures : « C’est mon cadeau ! »dit la petite Noël. |