Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Bibliothèque Municipale de Lisieux (27.06.1997)
Texte relu par : A. Guézou
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Je me suis occupé pendant long-temps de la culture des melons,pratiquée dans l'est du Calvados, et j'ai pensé que je pouvaisprésenter à la Société quelques faits peu connus sur cette culture. Jeserai court, parce que je ne veux point répéter ce que nos agronomesont dit de l'histoire des melons, des espèces de cet excellent fruit,et des méthodes que l'on emploie dans tous les endroits où il estcultivé. J'exposerai simplement celle qui est adoptée dans les environsde Lisieux et d'Honfleur, où, malgré le climat, on est parvenu ànaturaliser les melons, qui ont fait naître une branche de commercefort importante, dont le produit augmente chaque année.
On creuse au midi, ou au levant, vers la mi-avril, une fosse de neuf oudix pouces de profondeur, où l'on place une couche de fumier de chevalbien chaud et bien tassé, qu'on élève de trois pouces environ au-dessusdu sol. On la couvre d'un lit de six à sept pouces de terre bien fine,et bordée avec des gazons serrés fortement pour conserver la chaleur.On pose sur cette couche un chassis de papier huilé de deux pieds dehauteur, de quatre de largeur, et communément de six à sept delongueur. Ce chassis est un demi-cylindre dont la carcasse est forméed'un cadre surmonté de demi-cerceaux sur lesquels le papier estappliqué. C'est peut-être à cet instrument très-simple et fabriqué parles jardiniers eux-mêmes, que l'on doit attribuer la grande extensionde la culture dont j'ai l'honneur d'entretenir la Société. Le papierpeut durer trois ans, en lui donnant chaque année une nouvelle couched'huile. L'huile de lin est préférable, elle rend le papier plustransparent et laisse passer plus de rayons nécessaires à lavégétation.
La meilleure graine est celle qui est toujours pleine, cellequi provient des fruits les plus mûrs, venus au grand air, et quitenaient aux tranches supérieures. Quoique vieille, elle lève très-bien: on assure même qu'elle est préférable quand elle a 5 ou 6 ans.
Quelques jardiniers sèment la graine sans la préparer, d'autresla font tremper pendant vingt-quatre heures dans du lait doux, dans duvin ou dans de l'eau-de-vie de 14 à 15 degrés, pour la faire germer :on plante deux pépins ensemble sur la couche à un pouce de profondeur,et on laisse un espace de trois pouces et demi entre chaque plantation.Trois ou quatre jours après, on voit poindre les deux plantes, et quandhuit jours sont passés, on arrache la plus faible. Dès que celle qu'ona conservée a deux feuilles (non compris les deux premières appeléesoreillons), on les châtre, c'est-à-dire qu'on coupe le coeur, en ayantsoin de laisser subsister les deux oeilletons d'où doivent sortir deuxbras. Il faut couper, aussitôt qu'ils paraissent, les deux autres brasqui partent des oreillons, et prendre garde d'endommager les feuilles.Il importe beaucoup de châtrer avant de repiquer. Il faut rechausser lejeune plant lorsqu'il s'élève trop sous le chassis : on se sert pourcet effet de terre légère et meuble que l'on monte avec la mainjusqu'au collet. On repique le plant deux ou trois jours après qu'il aété châtré. Ce repiquage doit se faire avec précaution. On se sertordinairement d'un emporte-pièce ou lève-melon, afin que les jeunes pieds soient transportés en motte.
Pour planter un pied de melon en pleine terre, on fait dans une plancheun peu saillante ou bombée un trou d'un pied environ de profondeur, etde deux pieds de diamètre. On le remplit de fumier aussi chaud et aussitassé qu'il se peut. Ce fumier doit dépasser le sol de quatre doigtsà-peu-près ; on le couvre de six à sept pouces de bonne terre meuble.L'espèce de butte que l'on forme ainsi doit avoir la figure d'un cônetronqué et convexe en-dessus, afin d'empêcher que l'eau ne séjourneautour de la plante. Quelques cultivateurs donnent au trou moins deprofondeur pour économiser le fumier ; mais ils ne réussissent quequand le terrain est léger et bien exposé, et que les années sontfavorables. Les centres des cônes doivent être à quatre pieds au moinsles uns des autres. Lorsqu'on fait le repiquage par un temps sec, onarrose chaque plante avec un verre d'eau ; on la couvre ensuite avecdeux feuilles de papier posées sur deux baguettes courbes et en croix,élevées de trois à quatre pouces et fichées en terre par les deuxbouts. La première feuille de papier a un pied environ en carré etn'est pas préparée ; celle de dessus, qui doit résister à l'air, estdemi-blanc grand-raisin et a reçu une couche d'huile un moisauparavant. Les coins en sont assujettis par des cailloux ou pard'autres corps pesans pour empêcher qu'elle ne soit enlevée par lesvents. On ôte la première feuille six ou huit jours après le repiquage; on conserve l'autre (celle qui est huilée) jusqu'à ce que lesbranches la dépassent entièrement : ce qui arrive d'ordinaire entre laSaint-Jean et la Saint-Pierre, où la plante est forte et les fruitsassurés : on remue la terre avec une truelle autour des melons, à undoigt de profondeur, trois semaines environ après qu'ils ont étéplantés, et l'on répète de temps en temps ces petits labours jusqu'à ceque les branches des pieds soient près de se toucher. Lorsqu'on enlèvele papier huilé, on rebêche le plant en entier, en ayant la précautionde ne pas toucher aux racines qui s'étendent fort loin. On doit avoirsoin d'ôter les feuilles mortes, de sarcler et de détruire les limaçonset les fourmis.
Il faut laisser peu de bras à la plante quand elle est jeune :les pieds faibles doivent en conserver moins que les pieds forts. Ilfaut aussi supprimer les branches plates et maigres. Les melons cantaloupne doivent être arrosés que dans les années très-sèches ; les autresvariétés demandent quelquefois un peu d'eau. Il faut être avared'arrosemens quand la plante est en fleur, de crainte de faire coulerles fruits qui paraissent. Lorsqu'ils sont bien arrêtés, il faut pincerà deux ou trois noeuds au-dessus. Il poussera des branches en arrière,mais on en supprimera une partie, autrement ces fruits ne grossiraientpas. Ils doivent être posés sur des tuileaux : la terre lesendommagerait. On n'en doit laisser que deux ou trois sur chaque pied.
L'année 1823, dans laquelle j'écrivais ces notes, a été peufavorable aux melons ; j'en ai obtenu cependant, au Jardin des plantesde Caen, cent soixante d'excellens et de très-murs pour la plupart, sursoixante pieds que j'avais élevés en pleine terre. Ce succès a prouvéque l'on peut réussir à Caen, comme à Lisieux, sans le secours duvitrage, et augmenter le commerce des melons dans notre département. Lemelon dit d'Honfleur,ou gros maraîcher, est celui que l'on cultive de préférence à Lisieux :il y est mieux naturalisé que les autres. Cependant les melons blancset les gros cantaloups y réussissent aussi très-bien. On cultiveannuellement à Lisieux cinquante à soixante mille pieds de melon quiproduisent cent à cent vingt mille fruits, qu'on vend cinquante àsoixante mille francs. On voit combien cette culture mérite l'intérêtde la Société, et combien elle doit être encouragée, aujourd'hui quenos débouchés dans les pays étrangers sont augmentés et rendus plusfaciles. L'époque où l'on a commencé à cultiver le melon en pleineterre autour de Lisieux n'est pas déterminée. On ne le voyait autrefoisque dans des gorges et des vallons bien exposés : il est aujourd'huipartout, et il réussit également dans toutes les situations.
On ne peut non plus fixer le temps où le melon a été apporté àHonfleur. Quelques personnes l'élèvent sur une couche ordinaire et leplantent ensuite à demeure en plein-champ sur des buttes dont je vaisparler. Mais le plus grand nombre des jardiniers le cultivent de lamanière suivante.
On choisit un terrain incliné, exposé, s'il est possible, aumidi ou au levant, afin que le soleil puisse l'éclairer et l'échaufferune grande partie de la journée. On y creuse des fosses de 15 à 18pouces de profondeur, et de 30 à 33 pouces de diamètre, qu'on remplitavec du fumier chaud sortant de l'écurie. Le milieu doit s'élever encône tronqué. Il faut fouler le fumier avec le pied tout autour de lafosse, afin de le faire descendre au-dessous du sol. Sa surface,d'abord convexe, s'applatit ensuite d'elle-même.
Par cet abaissement, il se trouvera éloigné des racines de laplante, qui périrait bientôt si elles le touchaient. On le couvreensuite avec trois gazons taillés en triangle, et posés de manièrequ'ils forment en-dessus une pointe de diamant, et en dessous unechambre qui doit servir à augmenter la chaleur. Elle forcera enmême-temps les racines à se diriger vers les bords de la couche, oùelles recevront davantage l'influence du soleil. L'expérience aconfirmé les bons résultats de cette disposition ingénieuse, que laplupart des cultivateurs ont adoptée. On achève la couche en y laissanttomber, de dix pouces de hauteur au-dessus, du fumier, du terreaupréparé et ameubli. L'épaisseur de cette enveloppe doit être de quatrepouces sur le sommet de la pyramide formée par les gazons ; si onversait le terreau de plus haut, on risquerait d'applatir et d'évaserpar trop la butte ; on la couvre aussitôt avec des vitrages ou avec dupapier huilé. Il faut y semer la graine dans le jour même ou lelendemain au plus tard. On ne lui fait subir aucune préparation, on nela trempe dans aucune liqueur, et cependant elle lève en quatre jours.On sème six pepins sur chaque butte ; on ne conserve que les troisplantes les plus robustes ; on arrache même encore la plus faible quandon a préféré de grosses variétés. On ne les transplante pas ; ellesrestent sur la butte même où elles ont germé, et elles deviennent aussifortes et aussi belles que si elles avaient été prises sur des couchesordinaires.
La culture des melons s'étend de plus en plus dans les environsd'Honfleur, et donne des bénéfices considérables ; elle est plusdispendieuse qu'à Lisieux, à cause des vitrages, dont on se sert pluscommunément que de papier huilé. Mais on est bien dédommagé par lasaveur et la grosseur des fruits, que les étrangers recherchentbeaucoup. On a remarqué, en 1822, dans le jardin de M. Lepetit,d'Honfleur, un melon maraîcher qui pesait trente-trois livres (poids demarc) : on connaît depuis long-temps cette grosseur, mais on l'admiretoujours. Les cloches de verre dont on fait usage auprès de cetteville, sont petites et très-simples. Les pieds des melons sont éloignésde sept à huit pieds des murs dans les jardins, et ils ont entr'eux desespacemens plus grands qu'à Lisieux.
L'expérience a montré aux cultivateurs d'Honfleur qui élèventdes melons, qu'ils ne réussiraient bien avec des couvertures de papierhuilé que dans les années les plus favorables. Les brouillards froidset fréquens qui viennent de la mer, exigent des abris plus sûrs. M.Decandole a déjà remarqué que les fruits des plantes sensibles au froidne mûrissent ni promptement ni complètement, s'ils ne sont abrités avecsoin le long des côtes. Il a donc fallu préférer des cloches de verre àHonfleur. On estime que, dans ce pays, trois pieds de melon rapportentdouze à quinze francs dans les bonnes années. Je viens de faireconnaître ou de rectifier les principaux faits qu'on remarque dans laculture dont il s'agit. En donnant des renseignemens aux cultivateurset aux jardiniers qui veulent la pratiquer, nous pourrons la propageret la rendre plus profitable pour notre pays, et c'est ce motif qui m'aporté à présenter ces observations.
Je terminerai par une remarque importante sur la bouture et surle berceau ou chassis de papier huilé. Il peut faire pousser entrès-peu de temps des racines aux boutures des plantes qui réussissentrarement sous des vitrages ; il modifie donc d'une manière plusavantageuse les effets de la lumière et de la chaleur nécessaires à lavégétation. J'ai placé en 1823 sous ce chassis soixante-sept bouturesde plantes délicates, et j'en ai obtenu soixante de très-bienenracinées. Cette opération doit se faire vers le commencement de mai,ou même un peu plus tard, suivant que la sève se développe dans lesplantes. Il ne faut pas qu'elles soient dans la plus grande végétation; le temps où la sève est la plus abondante n'est pas toujours lemeilleur : c'est l'opinion de plusieurs savans naturalistes. J'airemarqué que des boutures très-vigoureuses ne reprenaient point aussibien que celles qui ne l'étaient pas autant. La cause en est sans douteque la sève était moins abondante dans les dernières : ce qui porteraità croire que le temps où il faut couper et planter est celui de lamoyenne végétation.
La couche de fumier sur laquelle on plante les boutures doitavoir jeté son feu et être couverte d'un pied environ de bonne terremeuble ; du terreau d'ancienne couche, mêlé avec cette terre, produitde bons effets. Les boutures plantées ne doivent prendre d'air qu'aubout de quelques jours, alors on les arrose un peu si le pied est sec,et on se sert d'un arrosoir dont la grille est fine. On doit recouvriraussitôt la couche. Lorsqu'on voit les jeunes plantes pousser, il fautles arroser plus souvent et leur donner de l'air peu à peu, en plaçantdes morceaux de briques ou tout autre corps sous les bords du chassis.Lorsqu'elles ont pris de bonnes racines, on les lève séparément ; onles plante de même dans des pots de moyenne grandeur, et on les placedans des endroits un peu ombragés.
Les jeunes plantes, venues des boutures, exigent pendantl'hiver les mêmes abris et les mêmes soins que les plantes les plusdélicates. C'est en empruntant à la culture des melons un de sesprocédés, que je suis parvenu à rendre plus facile une autre partie del'horticulture, et j'ai dû, en le mettant sous les yeux de la Société,lui faire connaître les résultats que j'ai obtenus.
Extrait des Mémoires de la Société royale d'Agriculture et de Commerce de Caen.
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