PROST, Bernard (1849-1915) : Le Cochon (1882). Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux deLisieux (17.VII.2002) Texte relu par : A. Guézou Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Mél : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros] 100346.471@compuserve.com http://www.bmlisieux.com/ Diffusion libre et gratuite (freeware) Texte établi sur un exemplaire (BmLx : nc) de l'ouvrage Les Animaux chez eux illustré par Auguste Lançon (1836-1887) paru chez L. Baschet à Paris en 1882. Le Cochon par Bernard Prost ~~~~Méprisé de son vivant, apprécié seulementaprès sa mort, - à l'inverse de beaucoup de prétendus grands hommes, -le Cochon est un des nombreux exemples de l'ingratitude humaine. Ce déshérité, ce paria, ce martyr subitstoïquement, depuis des milliers d'années, le sort réservé, dans toutecivilisation, aux humbles, aux faibles, aux innocents, aux malheureux. Son nom même, nom étrange dont l'étymologie adérouté jusqu'ici l'érudition des philologues, son nom a été longtempsun opprobre. La Fontaine a osé le prononcer dans une de ses fables ;mais le cas est unique. Au siècle dernier, quand florissait lalittérature bâtarde de l'école dite descriptive, poètes et prosateursavaient recours à toutes les ressources de la périphrase pour esquiverce mot honni. On connaît la définition imagée de Florian : "L'animal auduvet soyeux, qui se nourrit des fruits du chêne." J'aime mieux, enfait d'euphémismes, l'alexandrin de Mme d'Houdetot : Ces bons rois fainéants, tout habillés de soie. Et encore, le dernier hémistiche plagie-t-iltextuellement une vieille expression restée populaire dans lescampagnes où, lorsqu'il arrive à un paysan de parler, par hasard, deses Cochons devant un homme de la ville, il ne manque pas de lesqualifier "d'habillés de soie, sous votre respect," ajoute-t-il avec conviction, en soulevant son chapeau ou tirant son bonnet. Quoi qu'il en soit, le substantif qui nousoccupe a obtenu à grand'peine son admission définitive dans levocabulaire des honnêtes gens. Il y a vingt ans au plus on nel'écrivait guère en toutes lettres, si peu qu'on eût de prétention aulangage académique. Jules Janin - un ami et un apologiste du Cochon,pourtant - n'a-t-il pas eu la lâcheté de traduire l'Epicuri de grege porcum d'Horace par agneau du troupeau d'Épicure ? Les doctrinaires de l'histoire naturelle n'ontpas témoigné plus de bienveillance à l'égard de notre modeste héros ;ils l'ont méconnu ou calomnié à plaisir. Buffon surtout, le ci-devantnoble M. de Buffon, si prodigue d'enthousiasme et de périodesmajestueuses pour l'aristocratie du monde des bêtes, si dédaigneux,souvent si injuste pour les plus utiles et les plus infortunésreprésentants de la démocratie animale, Buffon, de peur de salir sesfines manchettes en se commettant avec de pareilles espèces, s'est biengardé d'étudier le Cochon de près ; il a jugé suffisant de l'injurieren beau français. "De tous les quadrupèdes, s'écrie-t-il, le Cochonparaît être l'animal le plus brute… Toutes ses habitudes sontgrossières, tous ses goûts sont immondes, toutes ses sensations seréduisent à une luxure furieuse et à une gourmandise brutale qui luifait dévorer indistinctement tout ce qui se présente, et même saprogéniture au moment où elle vient de naître…" etc., etc. J'abrège cesoutrageantes impertinences. Michelet, si mes souvenirs sont exacts,Toussenel, H. Taine, M. de Cherville, Ch. Monselet, Arsène Houssaye,entre autres, se sont chargés de répondre à Buffon et de rendre justiceà son intéressante victime déjà vengée par Franklin, et réhabilitée parla Convention nationale qui assigna au Cochon une place d'honneur aumilieu des nouveaux saints de son calendrier. Il a fallu la Révolution de 1789, il a fallutout l'esprit, toute l'éloquence des auteurs éminents que je viens deciter, pour qu'il fût enfin permis de prendre la défense de ce pauvrecalomnié, sans faire crier au réalisme ou au paradoxe. Et cependant, parmi les animaux domestiques,en est-il un qui ait, je ne dis pas plus, mais autant de droit à notresympathique commisération ? Le cheval, le boeuf, le mouton, jouissent d'unsort relativement privilégié ; l'âne même, cet autre paria, trouveencore des consolations et des joies au cours de sa triste existence ;l'espoir, du moins, ne leur est pas interdit ; si le présent lesaccable, ils peuvent augurer mieux de l'avenir. Le Cochon seul ignoreces compensations. Pour lui la destinée est impitoyable ; pour lui nuladoucissement, nul réconfort, pas la moindre lueur d'espérance. Voué ausacrifice dès son berceau, créé et mis au monde pour être mangé à lafleur de l'âge, il ne connaît que l'incessante et horrible angoisse ducondamné à mort. Attente affreuse d'un dénoûment fatal ! La pitié d'unsouverain arrache parfois à la guillotine de grands criminels ; lui,malgré son innocence, n'échappe jamais au couteau du boucher. Comprenez-vous que, sous la menace de cetteépée de Damoclès, sa carrière soit tristement empoisonnée ? Aussivit-il sombre, mélancolique, renfrogné, toujours obsédé de la cruellevision. S'il aborde ses camarades de captivité, il semble leur dire :"Frère, il faut mourir !" Il ne se fait pas d'illusions. Il sait trèsbien qu'on n'attend que son trépas, qu'on escompte son cadavre ; que sion paraît s'intéresser à lui, c'est en prévision du bénéfice à tirer desa dépouille ; que si on le soigne, c'est afin de hâter l'heure où onle livrera à l'assassin. Il sait ce que valent les caresses ducampagnard qui lui palpe l'échine pour juger de l'épaisseur de sagraisse ; il apprécie la signification des sourires féroces quil'accueillent à son arrivée à la ferme ; il ne prend pas pour de lacompassion les regards de convoitise gourmande qu'allume, plus tard,chez la ménagère et les marmots, l'aspect de son opulente rotondité. Une telle infortune, supportée si noblement, ade quoi toucher les coeurs sensibles. Je ne chercherai point, en ce quime concerne, à dissimuler mes sentiments de bonne et affectueuse amitiéà l'endroit d'une pauvre créature bafouée, vilipendée, traînée dans laboue d'une manière indigne. Quel est donc l'auteur de cette jolie boutade? "Dire que je suis l'ami du Cochon serait peut-être me vanter, mais jepuis avouer, sans fatuité, que je suis avec lui en de fort bons termes.- Comme ces habitants des villes de province que divise l'esprit decaste ou de parti, nous ne nous voyons pas ; mais nous nous estimonsassez pour nous saluer, lorsque nous nous rencontrons. - Son grognementamical me dit bonjour, et le regard compatissant avec lequel jeconsidère cette bedaine frémissante et trottinante doit lui démontrerqu'il n'a point affaire à un ingrat." Voilà ma profession de foi faite, et mieux tournée, à coup sûr, qu'en prose de mon cru. Examinons un peu, maintenant, quels griefs on allègue contre mon client. Sa dégradation : mais elle est notre oeuvre !Écoutez là-dessus un des maîtres les plus autorisés en la matière, M.de Cherville : "Oui, la dégradation du Cochon est notre oeuvre ; lavivacité, l'énergie, l'indomptable courage, la finesse de l'ouïe, ladélicatesse de l'odorat caractérisent le type primitif ou similaire desa race, que nous avons encore sous les yeux dans le sanglier. Enl'isolant, nous avons détruit l'instinct sociable si fortement accusédans son espèce. Nous l'avons rendu mou, lâche, paresseux, en leparquant dans une étable la plupart du temps trop étroite, en lelaissant croupir sur un fumier infect ; en revanche, nous avonssoigneusement cultivé et encouragé son vice dominant, la gloutonnerie,de manière à ce qu'elle finît par atrophier ses facultés naturelles.Tout dans son avilissement est de notre fait ; de mieux doués n'eussentpas résisté à l'épreuve, et nous avons d'autant moins le droit de luireprocher la grossièreté de ses habitudes, sa voracité, sa goinfrerie,que nous en tirons un large profit ; que, grâce à tout cela, lesrebuts, les déchets de la cuisine, du jardin, de la laiterie, lesimmondices mêmes, se trouvent transformés en une viande saine etsucculente." C'est ainsi, hélas ! que nous sommes. Sous lefallacieux prétexte de civiliser le Cochon, nous l'avons hébété, avili,dégradé ; nous exploitons à outrance ses défauts, et, au lieu dereconnaître franchement nos torts, nous faisons peser sur lui toutl'odieux de notre propre responsabilité, nous ne trouvons pasd'expressions assez énergiques pour flétrir son objection. Humanité,voilà bien de tes injustices ! N'a-t-on pas, d'ailleurs, fort exagéré cettedégradation ? Je concède que notre ami ne soit pas inattaquable sur cepoint, j'admets encore qu'il prête le flanc à la médisance ; mais il nefaut pas pourtant se montrer, de parti pris, si injuste envers lui. Ilest susceptible de beaux sentiments ; on peut même l'initier auxexigences du bon ton ; témoin le Cochon de Grimod de la Reynière, qui,assis sur un fauteuil, occupait très convenablement sa place, les joursde gala, à la table du célèbre gastronome ; témoin aussi les Cochonslégendaires de Mlle Georges et de Jules Janin. Il est, en effet, aussi bien doué, du côté del'intelligence, que certains autres animaux vantés à l'envi. Qu'on serappelle les Cochons savants dont les danses et les exercices variéscharmaient les loisirs de l'empereur Alexandre-Sévère et la vieillessemaladive du roi Louis XI. Et ce trait merveilleux, cité dans l'Histoire naturellede Pline : des pirates s'étaient emparé d'un troupeau de porcs etl'emmenaient dans leur bateau ; ils s'éloignaient de terre, poursuivispar les cris désespérés du berger, quand les prisonniers, dociles à lavoix de leur maître, eurent l'esprit de se jeter tous du même côté del'embarcation pour la faire chavirer et purent ainsi regagner le rivage. Le thème serait inépuisable, mais la placem'est mesurée. Je mentionnerai brièvement une autre preuve del'intelligence du Cochon : son amour de la musique. Aucun animal ne luiest comparable sous ce rapport. Chez lui, c'est presque du raffinement.Le chalumeau, le cornet à bouquin, la flûte de Pan, la cornemuse,l'intéressent, mais sans le passionner ; il ne se méprend ni sur lavulgarité de leurs sons ni sur l'insuffisance de leurs ressourcesharmoniques ; fin connaisseur, il réserve ses prédilections pour deplus nobles instruments. La clarinette, en particulier, excite sonenthousiasme. Jouez-lui le solo de l'ouverture de Zampa : vousle verrez hocher la tête en mesure et applaudir aux meilleurs endroitspar de petits grognements expressifs. Son type préféré, à ce que nousaffirme un docte musicographe, c'est la clarinette en si bémol.Sil savait qu'il la doit à Meyerbeer, il pardonnerait certainement à lanation israélite tous les mépris dont elle abreuve son espèce. L'auteur de l'Esprit des bêtes nousfournit, dans un ordre de faits bien différent, un dernier argument enfaveur de ce dilettante, si bénévolement accusé de dégradation. "Detous les animaux domestiques, écrit Toussenel, le Porc est le seul quicraigne de souiller de son fumier la couche sur laquelle il sommeille.Le cheval et le chien, qui ont de si jolies manières, ne sont pascependant à la hauteur de cette délicatesse." Les mauvais instincts du Cochon, les côtésfâcheux de sa nature, que l'homme a si bien pris à tâche de développerpour en tirer parti, ont été, de même, l'objet d'exagérationsregrettables. Ses détracteurs prétendent qu'il se plaît à dévorer sespetits et à manger les enfants au berceau. Ce serait là, sans doute,une habitude terriblement vicieuse ; mais quelques faits isolés,certains cas exceptionnels ne suffisent pas à mériter au prévenu uneréputation d'infanticide par plaisir et d'anthropophage par goût. Lelapin, l'inoffensif lapin, n'est-il pas inculpé, lui-aussi, detémoigner parfois à sa progéniture une tendresse trop vorace ?Personne, néanmoins, n'a jamais eu l'idée de taquiner, de ce chef, lebon Jean Lapin. Ne faisons donc pas du Cochon le bouc émissaire detoute la gent animale ; admirons plutôt cette Truie aimante, dévouée,poussant l'abnégation jusqu'à l'héroïsme, épuisant ses mamelles àallaiter une douzaine de cochonnets affamés, inventant pour eux descâlineries adorables dans leur gaucherie, adoucissant sa voix eninflexions inquiètes ou attendries pour les rappeler autour d'elle ouleur faire la morale, dirigeant leurs premiers pas, prenant part àleurs jeux, attentive à leurs besoins et à leurs désirs ! Je puis invoquer ici un témoignage précieux,d'une impartialité irrécusable, absolument décisif : le bourreau duCochon payant de plein gré, à sa victime, le tribut d'une justificationéclatante. C'est le Manuel du charcutier qui parle : "La Truie,quoique mal nourrie, prend un soin particulier de ses petits ; auxchamps, elle se retourne à chaque instant pour voir s'ils la suivent :elle leur fait part des racines qu'elle trouve en fouillant la terre ;sont-ils éloignés un peu, elle les attend avec complaisance ;jettent-ils un cri, l'inquiétude la saisit ; veut-on en enlever un,elle s'élance pour le défendre et son courage va jusqu'à la fureur." Letableau est touchant ; en voici un autre qui ne l'est pas moins : "Lepremier usage que les Cochonnets font de leur existence est de setraîner à la tête de leur mère souffrante, de la frotter de leurboutoir, comme s'ils voulaient la dédommager par leurs caresses desdouleurs qu'ils viennent de lui causer." Ce "Manuel du charcutier" vousferait vraiment venir les larmes aux yeux. Avouez, en tout cas, que leplaidoyer est éloquent et l'apologie complète. Grâce à un témoignageaussi convaincant qu'inattendu, il demeure acquis que la Truie est uneexcellente mère de famille, et que ses nourrissons offrent le typeparfait de la piété filiale. Ombre de Buffon, que reste-t-il de tescalomnies ? On adresse encore à notre ami un autrereproche : on raille, en termes amers, sa laideur. Assurément, au pointde vue de l'élégance, il ne soutient pas le parallèle avec lechevreuil, l'antilope ou le chamois ; mais, que voulez-vous, dans lemonde des bêtes comme dans le nôtre, la perfection physique n'est paséchue en partage à chacun. Si la nature ne l'a pas avantagé, ce n'estpas sa faute ; qu'on s'en prenne à cette marâtre. Lui, au moins, secontente de son sort, ne jalouse pas les privilégiés et n'a jamais eule semblant même d'une prétention personnelle à la beauté. Pourrait-onrendre un pareil hommage à tous les laiderons qui déshonorent l'espècehumaine ? Au surplus, à le bien examiner, il n'est pas aussidésagréable à l'oeil que les mauvaises langues l'affirment. En entenant pas compte de son atroce caricature, le Phacochère, etdéfalcation faite des martyrs de l'engraissage ou du défaut de soins,le Cochon, pris en des conditions normales, ne manque ni d'originalitépittoresque dans les formes, ni d'une certaine désinvolture dans lesmouvements. Il n'est pas beau, mais il est joli. Jeune, il a pour luila gentillesse ; rien de coquet et de gracieux comme ces petits corpsblancs et roses, proprets, toujours frétillants, à la frimousseguillerette et fûtée. Plus âgé, il se recommande aux amateurs deplastique par son échine large et souple, son pied fin, sa jambe ronde,son oreille transparente, ses joues trouées de fossettes ; trois chosessurtout, chez lui, sont véritablement incomparables : la queue envrille, fantasque, intéressante, spirituelle ; l'oeil, expressif etd'un feu étrange, à la fois moqueur, insouciant et mélancolique,reflétant toute une psychologie inconnue à nos philosophes ; le groin,grand nez goguenard, insolemment superbe en sa monumentale ampleur. Mais pourquoi m'attarder à une réhabilitationsuperflue ? Charles Jacques, Millet, pour ne citer que ces deux noms,et, avant eux, Paul Potter et Karl Dujardin n'ont-il point, par centchefs-d'oeuvre, assuré au Cochon la place que les artistes lui avaientrefusée jusqu'alors dans les scènes de la vie champêtre et lareprésentation des animaux ? En littérature, n'a-t-il pas aussi gagnéenfin son procès ? Si mon assertion vous paraît téméraire, lisez lapage exquise que lui a consacrée H. Taine dans son Voyage aux Pyrénées.La poésie, elle aussi, a levé la proscription lancée depuis des sièclescontre lui. Jusqu'à l'esthétique, qui a fait amende honorable etproclamé les droits de ce grand calomnié. Je vous accorde, pourtant, que, dans l'intérêtmême de mon client, il ne faut pas se montrer trop exigeant sur cepoint, et, pour ma part, je serais assez disposé à adopter, commetransaction, l'aphorisme de M. de Cherville : "Si le principe moderne,qui affirme la supériorité de l'utile sur le beau, était pris à lalettre, le compagnon de Saint Antoine occuperait un des rangs les plusélevés dans la hiérarchie des animaux." Je ne demande pas mieux que derapprocher de cet axiome, le sonnet fameux de Monselet : LE COCHON Car tout est bon en toi : chair, graisse, muscle, tripe ! Mais là, aussi, il s'agit de s'entendre et dene rien outrer. Le moyen, par exemple, de laisser passer sansréclamation une théorie comme celle-ci : "Le Porc est l'emblème del'avare, et l'avare n'est bon qu'après sa mort." Voilà de la cruautégratuite au premier chef. A ce mot, méchamment spirituel, joignezquelques autres paradoxes du même genre, et vous évoquez aussitôtl'image du pauvre défunt devenu lard, jambon, boudin, saucisse,andouille, fromage, saindoux, fricassée, grillade, etc., etc. Que cespectacle réjouisse l'estomac, soit ; que ces multiplestransformations, que toutes ces succulentes dépouilles constituent unphénomène unique d'utilité posthume, personne ne songe à le nier ; nul,non plus, fût-il membre honoraire de la Société protectrice desanimaux, ne s'avisera jamais de protester contre des hécatombes quiintéressent à un si haut degré les plaisirs de la table et surtout lesbesoins de l'alimentation populaire ; mais, de grâce, un peu de pitiépour la victime offerte en permanent holocauste à nos appétitscarnassiers ! Laissons aux gastronomes endurcis le remords del'ingratitude envers le Christophe Colomb de la truffe ; auxcharcutiers, le monopole de l'indifférence devant le suppliceépouvantable de son agonie. Rendons un peu justice, de son vivant, àcelui qui nous comble de tant de bienfaits après sa mort ; sans luiaccorder ses grandes et petites entrées au foyer domestique,traitons-le, du moins, en bon et méritant serviteur. Méditons, à l'occasion, cette profonde véritéde Toussenel : "Le Porc est le don le plus précieux que le navigateureuropéen puisse faire aux peuples sauvages. C'est un des éléments les plus puissants de la civilisation et du progrès." Et enfin, s'il faut tout dire, faisons un retour sur nous-mêmes ; souvenons-nous de la parole du poëte : Tout Homme a dans son coeur un Cochon qui sommeille ; Sans oublier que cet endormi est, maintesfois, terriblement éveillé.Je m'arrête, faute de place, et à peine ai-je effleuré mon sujet : jen'ai pas même eu le temps d'esquisser un résumé rapide de l'histoire duCochon depuis l'arche de Noé, où l'on signale sa présence, jusqu'àl'année dernière, où les "belles petites" ont essayé en vaind'introduire chez nous le porte-veineque l'on sait, fort en honneur dans toute l'Allemagne. Un in-octavo neserait pas de trop pour combler les lacunes de cette monographie etépuiser la matière. Je m'engage à l'entreprendre au premier moment deloisir. BERNARD PROST. |