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ROSIÈRE, Élise(18..-18..) : Les Troissoeurs vénitiennes(1859).

Saisie dutexte : S.Pestel pour lacollectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (18.IX.2010)
Relecture : A. Guézou
Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros]obogros@ville-lisieux.fr
http://www.bmlisieux.com/

Diffusionlibre et gratuite (freeware)
Texteétabli sur l'exemplaire(Bm Lx : 4856)de la Médiathèque du recueil del'année 1858-1859 des Centmille feuilletons illustrés,publié à Paris.


Lestrois soeurs vénitiennes
Roman complet etinédit
par
Élise Rosière


~ * ~

A quelques pas de Venise labelle, et mirant dans les eaux bleues du golfe sesportiques de marbre blanc à l’architecture nobleet fière, s’élevait, il y a longtempsdéjà, le palais Urselini. L’aspect degrandeur imposante et sévère de cette demeure,qu’à juste titre on eût pu appeler unpalais princier, révélait aux regards surpris duvoyageur la haute origine de son propriétaire. Mais si cevoyageur privilégié entrait dansl’intérieur du palais, son étonnementfaisait place à l’admiration la plus vive,à la vue des richesses que renfermait cette demeureenchantée, d’immenses appartementsornés avec un goût, un luxe fabuleux, partout despeintures, des chefs-d’oeuvre artistiques de toutesorte et d’un prix inestimable.

Le soleil venait de disparaître àl’horizon : c’était l’heureoù commence cette brise tiède etembaumée qui n’appartient qu’aux nuitsitaliennes. Trois jeunes filles étaient assises dans lejardin du palais Urselini, jardin féerique s’il enfut, et dont l’arrangement plein de goût et desplendeur tenait le milieu entre les jardins de Rome et nosdélicieux jardins de Lenôtre. Ici, un bosquet defleurs les plus rares aux parfums les plus exquis abritant un marbre deCarrare animé par le ciseau d’un de nos plusgrands maîtres. Plus loin, un rocher natureld’où s’échappe une cascadedont les flots argentés roulent en murmurant doucement surun lit de mousse et viennent se perdre dans le cailloutagedoré qui entoure le pied du berceau sous lequel sont assisesles jeunes filles. Au-dessus de leur têtes’élève un dôme de lis, deroses blanches et des lilas d’Espagne, dont les grappesodorantes, retombant en festons gracieusement entrelacés,cachent aux regards profanes une suave statue de vierge dont les formesdivines, à demi cachées sous une ample draperiesemée d’étoiles, sont si vraies quel’on croit, en la regardant, voir circuler la vie sous lemarbre : parfois même, quand un rayon de soleil glissantentre les feuilles vient toucher son front pur et candide, il sembleentouré d’une auréolecéleste.

Le piédestal de cette merveilleuse statue servait de dossierau banc de mousse sur lequel étaient assises les troisjeunes filles, groupe divin aux pieds de la divine vierge qui semblaitleur sourire.

L’aînée, dona Réginalde,avait vingt-deux ans ; c’était dans toute sapureté le type de la beauté italienne.

Dona Diana, la seconde, était blonde comme une fille duNord, blanche et rose, svelte et gracieuse comme unecréation de Van-Dick : elle avait dix-huit ans.

Que dire de la troisième ?

Angèle avait quinze ans à peine, et sabeauté, déjà égaleà celle de ses soeurs, laissait devinerqu’avec l’âge elle les surpasseraitbientôt : car la nature prodigue avait réuni danssa personne toutes les perfections qui séparéesfaisaient l’ornement de Diana ou de Réginalde.

C’étaient les cheveux noirs et brillants commel’aile du corbeau, les longs cils veloutés, lessourcils finement arqués de Réginalde,c’était son port de tête altier, presquehautain, unis à la blancheur diaphane, aux lèvresfines et rosées, aux dents de perles et aux grands et douxyeux bleus de Diana. Ajoutez à ces trésors unetaille merveilleusement souple dont chaque mouvement faisait ressortirchez la belle enfant une grâce nouvelle, une mainmodelée sur celle de la vierge de marbre qui priaitau-dessus de sa tête, un pied d’Andalouse, et voussaurez pourquoi le prince duc d’Urselini disait que sa filleAngèle était le plus précieux fleuronde sa couronne ducale.

En ce moment, Angèle tenait dans ses mains un luthd’ébène incrustéd’or, et aux armes de sa famille. Ses doigts couraient silégers sur les cordes mélodieuses qu’oneût pensé plutôt les entendreagitées sous le souffle du zéphyr. Ainsi devaientvibrer, suspendues par les druides aux branches des vieuxchênes, les lyres que venaient caresser les vents du nord,lorsque dans les nuits silencieuses elles faisaient entendre cesharmonies étranges et douces qu’on prenait pour lavoix des dieux. Diana pour l’écouter avaitfermé son livre d’heures et elle la contemplaitavec ravissement, tandis que Réginalde, le sourcilfroncé, la lèvre dédaigneuse, tournaitet retournait un noeud de ruban cerise sur lequel elle avaitbrodé des festons de perles. Son regard allaitalternativement de son ruban à Angèle, et chaquefois qu’il s’arrêtait sur celle-ci, onpouvait y lire plus d’envie que de bienveillance. Peuà peu, subjuguée par la beautévraiment sublime d’Angèle, elle se laissa allerà l’admirer quelques instants, mais,échappant bientôt avec impatience à cecharme qu’elle subissait malgré elle, elleinterrompit brusquement la jeune musicienne.

- De qui est cet air ? demanda-t-elle.

Angèle s’arrêta, et, sans montrer lamoindre mauvaise humeur d’être ainsi interrompue,elle répondit avec un doux sourire : - Je ne puis envérité vous le dire, ma chèreRéginalde... c’est une très-anciennebarcarolle. Don Luis me l’a rapportée de Maurice.

- Ah ! fit Réginalde, d’une voix sourde ; puiss’adressant à Diana qui, toujours immobile,semblait écouter encore le luth harmonieux, elle lui ditavec ironie :

- Quelle douce pensée retient ainsi captive notre belleDiana ?

- Bien douce en effet, répondit Diana, je pensais au bonheurde passer ma vie dans cette retraite que j’aime !... un livreà la main... et écoutant la suavemélodie que nous faisait entendre tout àl’heure notre aimable Angèle.

- Voilà des idées bien champêtres pourune noble duchesse. J’avoue en toute humilité quej’ai des goûts beaucoup moins bucoliques... La paixdes champs si précieuse pour vous, Diana ! n’apour moi aucun charme ; ce que j’aime ! c’est lebruit du monde !... ce sont ses fêtes, ses concerts... sesbals ! Oh ! un bal ! est-il au monde rien d’aussi beauqu’un bal ! des salons resplendissants de glaces et dedorures !... des toilettes somptueuses ! l’enivrement de ladanse ! Oh je le dis encore, rien n’est plus beau !... ets’il fallait que je vécusse loin du monde, dans laretraite, je mourrais !

Réginalde s’était animéesous ses pensées qui faisaient battre son coeur...ses joues pâles étaient empourprées...son oeil noir lançait des éclairs.

- Je ne sais, dit Diana d’une voix calme, si c’estune erreur de la nature de m’avoir fait naître sousle soleil brûlant de l’Italie, moi qui reste froideet indifférente à ces passions tumultueuses quifont bouillonner le sang de ses enfants... Ce monde qui vous attire etvous charme, Réginalde, ne m’offre àmoi que frayeur et dégoût... son bruit me fatigueet je me sens bien seule au milieu de ces immenses salons... bienisolée parmi cette foule de femmes toutesoccupées de leur toilette et de l’effetqu’elles produisent. Aussi, quand je rentre chez moi,... jerespire largement, je m’enivre de tout le bonheur qui memanquait là-bas... Riez donc si vous voulez, masoeur, mais une retraite bien cachée sous de grandsarbres !... des livres ! de la musique ! des pinceaux !voilà ce qui pour moi constitue le vrai bonheur !...

- Et vous, dona Angèle ?... demanda Réginalde quivenait de voir passer sur les lèvres de sa jeunesoeur un sourire presque triste, renoncez-vous aussi au monde,à ses pompes et à ses oeuvres ?...

- Moi je pense, ma chère Réginalde, que Dieu estbon, puisqu’il a mis dans votre coeur et dans celuide notre bien-aimée Diana des goûts sidifférents.

- Pourquoi cela ?... demanda vivement Réginalde.

Diana s’était contentée de sourire.

- Mais, dit simplement Angèle, parce que votre bonheurà toutes deux me semble découler de cetteopposition !

- Puis-je savoir, senora... en quoi mon goût pour le mondepeut influer sur le bonheur de dona Diana ?...

- Cela est facile, ma soeur, vous aimez le monde parce quevous êtes noble entre les plus nobles, belle entre les plusbelles, riche entre les plus riches, et que le monde, qui toujourscourtise ce qu’il envie, vous adulte et vous flatte ;habituée aux hommages, les hommages vous sont devenusnécessaires, il vous les faut pour que vous viviezheureuse... Eh bien, Réginalde, si notre soeurDiana, au lieu de fuir le monde, le recherchait, si elle partageaitenfin votre passion de briller et de plaire...qu’arriverait-il ? belle comme vous... noble et riche commevous, elle marcherait sur le même rang... les courtisans separtageraient en deux camps, et qui sait... si votre amitiéserait assez forte pour prévenir la haine qui tient de siprès à la jalousie ?

Angèle se tut, elle était trop émuepour continuer.

- Et vous concluez ?... demanda Réginalde aprèsun moment de silence.

- Je conclus que toute lutte ayant son terme, l’une de vousdevrait céder la palme à l’autre etqu’alors vainqueur ou vaincu serait égalementmalheureux, l’une par ses remords, l’autre par sonhumiliation.

- Mais c’est que cela pourrait arriver !s’écria Diana, les yeux plein de larmes. Oh !sainte madone !... le jour où je me sentiraientraînée vers les plaisirs mondains... cejour-là, je m’enfermerai pour jamais dans uncloître !...

- Bon, dit Réginalde toujours railleuse, nous voicirassurées pour Diana... mais vous, dona Angèle,ne craignez-vous pas pour vous-même une aussi terriblerivalité ?

- Non, senora... répondit Angèle avecfermeté.

Sans doute Réginalde se trompa sur la significationdonnée à ces deux mots, car elle ditd’un ton où, malgré ses efforts,perçaient l’amertume et le dépit : -Vous pouvez, en effet, être parfaitement tranquille sur cepoint, senora... quand vous ferez votre entrée dans lemonde, vous aurez seize ans et votre incomparable beautélaissera loin derrière elle ma beautémédiocre et mes vingt-trois ans.

Diana se mit à rire et embrassa Angèle qui, sansrépondre, fixa sur Réginalde ses grands yeuxhumides et profonds.

Une belle et noble tête de vieillard apparut alorsà l’entrée du berceau.

- Et bien, senoras ? que faites-vous donc ?... il y a un quartd’heure que je vous attends pour me mettre àtable... Par saint Marc, ajouta-t-il gaiement, quels sombres visages !conspirez-vous contre le salut de l’État ?...

Les trois jeunes filles entourèrent leur père.

Réginalde, heureuse d’échapperà une conversation qui l’embarrassait,s’empara du bras du prince et l’entraînavers le palais, tandis que Diana et Angèle, aprèsavoir adressé à la vierge de marbre un salutamical et un doux sourire comme à une tendre amie, lessuivaient en se tenant toutes deux enlacées.

En entrant dans la grande salle où était servi lerepas du soir, Réginalde promena autour d’elle unregard curieux.

- Don Luis est à Venise, dit le prince répondantà la recherche muette de sa fille aînée.

Celle-ci fit un signe de tête qui signifiait : « Jele sais, mon père. »

- Ne reviendra-t-il pas ce soir ? demanda vivement Angèle,qui avait entendu les paroles du prince.

- Je ne le sais pas, ma belle curieuse. Don Luis est à lacour du doge... et la cour du doge est un séjour bienattrayant pour un seigneur de l’âge de don Luis.

Réginalde fronça le sourcil, et Angèlesoupira malgré elle ; il n’y eut que Diana quigarda sa parfaite indifférence. Réginalde repriten regardant Angèle et en appuyant sur ces mots :

- Moi, monseigneur, je suis sûre que don Luis reviendra cesoir ; il me l’a promis.

- Ah ! ah ! voilà qui est différent !...

Angèle ne fit pas un mouvement qui indiquât lechagrin, et, comme le prince achevait de parler, les pas d’uncheval se firent entendre sous la fenêtre.

Le regard de Réginalde devint triomphant.

- Le voici ! dit-elle.

En effet, presque aussitôt la porte s’ouvrit et donLuis entra.

Don Luis avait vingt-six ans. Il était comme homme ce quedona Angèle promettait d’être commefemme. En entrant, il salua les trois soeurs et tendit la mainau prince, en lui disant avec une respectueuse affection :

- Bonsoir, père !

- Bonsoir, don Luis... Déjà de retour ?

- Oui, monseigneur... Dona Réginalde m’avaitchargé de quelques emplettes, et je lui avais promis derevenir ce soir.

- Et en noble Vénitien que tu es, tu eussespréféré te rompre le col que demanquer à une promesse faite à une dame ?

- Vous l’avez dit, monseigneur... et puis, continua don Luisd’une voix émue, est-ce ma faute, si je ne metrouve bien qu’ici ?

Et son regard, qui voulait être pour tout le monde,s’arrêta malgré lui surAngèle.

La jeune fille rougit et baissa les yeux.

Dona Réginalde, tout occupée des objets que luiavait apportés don Luis, ne remarqua rien ; elle venaitd’ouvrir un étui d’or renfermant unmagnifique éventail enrichi de pierresprécieuses, et s’écriait toute ravie :

- Oh ! voyez donc, monseigneur,... Diana, Angèle, voyez donccomme cela est beau !

L’éventail fut admiré, et,après avoir passé de main en main, revintà Réginalde, qui le renferma dans sonétui et courut ouvrir un carton. Elle en tira une foule deces jolis riens si chers aux femmes, et surtout aux femmes commeRéginalde, pour qui le mot : plaire ! renfermait lamoitié de la vie. Aussi eut-elle de nouveaux cris de joieà la vue d’une garniture pour une robe de bal.Cette garniture, entièrement composée de fleursnaturelles, était un miracle de goût etd’élégance.

- Oh ! voyez, disait Réginalde radieuse d’orgueil,s’il y aura dans toutes les plus nobles dames de Venise uneseule parure comparable à la mienne !

- Ah ça ! mais dans tous ces trésors, je ne voisrien pour Diana, dit le prince en regardant sa seconde fille. Est-ceque tu n’as pas aussi chargé don Luis de quelquesemplettes, mon enfant ?

- Mais si, monseigneur... un bouquet, je crois. N’est-il pasvrai, don Luis ? demanda négligemment Diana.

- Oui, señora... et quoique vous ne m’eussiezdonné cette commission que pour me faire plaisir etcéder à mes sollicitations, je l’aifaite en toute conscience.

- Ma foi, je suis curieuse d’en juger ! dit en riant la jeunefille.

Don Luis prit un carton beaucoup moins grand que le premier et le luiprésenta.

- Oh ! le délicieux bouquet !... Merci, don Luis, dit Dianaen tendant sa main au jeune homme.

- Vous êtes satisfaite, senora ?

- Dites enchantée, senor !

- En vérité, je ne vois pas ce que vous trouvezde magnifique à ce bouquet, dit avec dédainRéginalde ; il est parfaitement simple, voilàtout.

- C’est justement cette simplicité qui me charme,senora, et de plus, je crois qu’il fera untrès-bon effet sur ma robe de gros de Naples blanc.

- Et, reprit Réginalde avec son ton railleur, en ajoutantà cette robe blanche et à ce bouquet blanc unefleur blanche dans les cheveux, un bracelet blanc au bras, on aura leprogramme complet de la splendide toilette de l’illustre donaDiana d’Urselini.

- Que voulez-vous, dona Réginalde, je ne suis point du toutambitieuse, moi..., je me contente facilementd’être l’humble satellite du brillantsoleil !

Réginalde comprit l’épigramme ; elle semordit les lèvres et parut fort occupée de sagarniture.

Diana était bonne, elle se repentit de lui avoir fait de lapeine et courut l’embrasser, aux applaudissements du bonprince, qui suivait en souriant cette scène.

Angèle, assise à l’écart, nedisait rien : elle lisait.

Don Luis s’approcha d’elle et lui dit tout bas,avec émotion :

- Vous ne m’avez rien demandé, donaAngèle ?

- Que vous aurais-je demandé, don Luis ?... Vous savez bienque je ne vais pas au bal !

- Est-ce un regret, senora ?

- Oh ! non, senor... je vous assure.

Il se fit un moment de silence. Don Luis reprit :

- Et si j’avais aussi apporté quelque chose pourvous, dona Angèle ?

- Pour moi ?... fit la jeune fille en attachant sur don Luis ses grandsyeux étonnés.

Don Luis rougit et pâlit sous ce regard.

- Pardon, Angèle, murmura-t-il presque en joignant lesmains, j’ai apporté des fleurs pour le berceau dela Vierge.

Angèle, par un mouvement aussi spontanéqu’irréfléchi, saisit les mains dujeune homme en s’écriant :

- Oh ! vous êtes un bon et noble coeur, don Luis!..., merci !

Diana et Réginalde se retournèrent.

- Allons, demanda gaiement le prince, qu’a-t-il encore fait ?

- Il m’a apporté de jolies fleurs pour mon cherberceau, monseigneur, répondit la jeune fille toute joyeuse.

Don Luis s’éloigna en souriant et revint portantdans ses bras une superbe corbeille de porcelaine dans laquelle sebalançaient deux lis magnifiques.

- Ah ça ! mon cher don Luis, comment as-tu fait pourapporter cela ? demanda le prince.

- Supposez-vous donc, monseigneur, que don Luis a apportélui-même ces fleurs ? demanda Réginalde avec unesurprise hautaine.

- La supposition serait parfaitement juste, senora, réponditdon Luis en s’inclinant.

- Un noble duc de Villaflora chevauchant ainsi chargé devaitoffrir un curieux spectacle aux passants, ajouta Réginaldeavec un sourire forcé et derrière lequelperçait le dépit.

- Vraiment ! senora. Je dois avouer que je n’ai fait aucuneréflexion sur la mine plus ou moins intéressanteque je pouvais avoir.

Et don Luis, pour couper court aux remarques de Réginalde,prétexta un peu de fatigue et se retira.

En le reconduisant, le prince lui dit :

- Venez demain matin chez moi, don Luis : j’ai àvous entretenir d’une affaire sérieuse et qui vousintéresse personnellement.

II

Don Diego Alfieri, prince d’Urselini, était unedes plus hautes sommités de l’aristocratievénitienne. Longtemps amiral, il avait conduit les flottesrépublicaines dans vingt combats glorieux. Aprèsla paix, achetée par ses victoires, il revint àVenise, espérant enfin se fixer près de sa femme,qu’il voyait si rarement pendant sa longue et aventureusecarrière de marin, près de ses enfantsqu’il aimait tant, et dont il avait étési longtemps éloigné.

Ce beau rêve de bonheur ne devait se réaliserqu’en partie quand le prince rentra à Venise ; laprincesse se mourait d’une maladie de poitrine.Forcé d’accepter le portefeuille de ministre quelui offrait le doge, la politique, cette mer plus orageuse encore quecelle qu’il venait de quitter, vint à son tour luienlever avec le repos plus de la moitié de son temps.

Au bout de six mois, la princesse mourut. Don Diego, le noblepatricien, si fort devant l’ennemi, se trouva faible et sanscourage pour supporter cette perte douloureuse. Fatigué desgrandeurs, qui lui ôtaient même le triste bonheurde pleurer en liberté, il donna sa démission,résistant à toutes les prières du dogeet bien décidé à se retirer dans sonpalais, hors de Venise, et au milieu de ses enfants.

La mort prématurée de dona Estella, en frappantsi cruellement don Diego, l’avait faitréfléchir au néant des choses de cemonde. Il se dit que lui, plus âgé que donaEstella, et par cela même plus rapproché du but,pouvait aussi quitter le monde au moment où il s’yattendait le moins ; puis il compta les plus belles annéesde sa vie passées dans une si complèteabnégation de lui-même au profit des autres, etconclut qu’ayant assez fait pour sa patrie, il pouvait sanségoïsme faire un peu pour lui-même. Or,ce que don Diego appelait faire pour lui-mêmeétait le bonheur de ses enfants, ne vivre que pour eux etpar eux. Ce projet une fois arrêté, ils’en occupa sans relâche, regardant comme autant deparcelles enlevées à son bonheur tous lesinstants qui devaient s’écouler avant sonexécution.

Libre de tous soucis, il put enfin quitter le palais du doge et serendre à la villa Urselini, cette superbe retraiteadorée de la princesse et où elle avaitpassé ses longues années d’attente.

Don Diego appela près de lui ses trois filles, pensionnairesau couvent des Annonciades, puis dont Juan, son fils, et don Luis, sonneveu et son pupille, tous deux au collége àFlorence. Alors, réunissant à grands frais lesplus savants maîtres, il fit donner à ses enfantsune éducation aussi brillante que solide, et dont il suivitles progrès avec bonheur.

Ainsi se passèrent dix années.

Don Juan, le fils aîné du prince, avaitépousé la soeur du duc deMédina. Il habitait Madrid, près dupère de sa femme.

Don Luis, occupant un grade élevé dansl’armée vénitienne, passait tout letemps dont il pouvait disposer près de son oncle et devaitépouser dona Réginalde.

Le lendemain de la soirée que nous avons racontéedans notre premier chapitre, le prince attendait dans son cabinetl’arrivée de don Luis.

Enfin le jeune homme parut.

- Je me rends à vos ordres, monseigneur, dit-il ens’inclinant profondément et portant àses lèvres la main que lui tendait le prince.

Celui-ci répondit par un sourire amical, et montrant unsiége à don Luis :

- Asseyez-vous, et causons, dit-il.

Don Luis obéit ; le prince continua :

- Vous savez, don Luis, que, pendant le voyage que vous fîtesil y a un mois à Murcie, mon fils don Juan vint nous visiterici.

- Je le sais, monseigneur.

- Vous savez aussi, sans doute, que le jeune prince deTolède accompagnait don Juan. Dites-moi, don Luis, vousconnaissez le prince de Tolède..., dites-moi, quepensez-vous de lui ?

- Beaucoup de bien, monseigneur ; c’est un noble etgénéreux hidalgo, et je l’ai toujourstenu en haute estime.

- Fort bien. Je suis heureux de vous entendre parler ainsi, don Luis.Mon fils don Juan m’avait déjà ditbeaucoup de bien du prince, mais je désirais avoir votreopinion ; maintenant je suis satisfait. Don Fernand deTolède descend d’une des plus anciennes et desplus nobles familles d’Espagne, je puis donc lui donner mafille avec joie et fierté. Une seule difficultém’arrête encore, et elle dépend de vous,don Luis.

- Que dois-je faire, monseigneur ? demanda don Luis avec uneanxiété visible.

- Le prince de Tolède me demande la main d’une demes deux plus jeunes filles ; mais je désire queRéginalde soit mariée la première, sondroit d’aînesse le veut ainsi. La guerre vous alongtemps éloigné de nous, don Luis, mais puisqueenfin vous nous êtes rendu, fixez vous-même le jourde votre union avec dona Réginalde.

- Est-ce donc dona Diana que le prince choisit ? demanda don Luisd’une voix tremblante.

- Non, vraiment, et cela est fort heureux pour lui, car notre bonneDiana, quelque douce et aimable qu’elle soitd’ailleurs, me paraît avoir unerépugnance invincible pour le mariage ; nous aurions eu fortà faire avec elle, je crois. Non, don Luis, cen’est point Diana, c’est ma belle madone, mabien-aimée petite Angèle, que le prince a choisi.

- Angèle, dites-vous ! Angèle !s’écria don Luis devenu d’unepâleur mortelle.

Le prince le regarda étonné.

- Qu’avez-vous, don Luis ? demanda-t-ilsévèrement ; d’où vientvotre trouble, votre pâleur ?... Parlez, je le veux.

- Oh ! vous qui m’avez permis de vous nommer monpère, murmura don Luis en se laissant glisser aux genoux duprince et joignant les mains avec désespoir, pardonnez-moi ;je n’ai pu aimer dona Réginalde, etj’aime Angèle plus que ma vie !

Et le jeune homme, la tête inclinée sur sapoitrine, garda sa posture suppliante.

Le prince s’était levé et marchait avecagitation.

Après un moment de silence, qui parut un siècleau malheureux don Luis, il s’arrêta devant lui.

- Pourquoi donc, dit-il, lorsqu’il y a cinq ans je vousparlais pour la première fois de ce mariage,parûtes-vous accepter ma proposition avec joie ?

- Hélas ! monseigneur, dona Angèle avait dix ansalors, et je croyais l’aimer comme une soeur.

Le prince reprit sa promenade agitée.

Don Luis se releva ; la pâleur au front, ledésespoir dans le coeur, il attendit sonarrêt.

Le prince s’arrêta de nouveau.

- Don Luis, dit-il avec fermeté, vous épouserezdans quinze jours dona Réginalde, ou dans une heure vousquitterez ce palais pour toujours.

- Ordonnez, mon père, je suis prêt àvous obéir, répondit don Luis avec un calmeeffrayant ; mais quand j’aurai donné mon nomà dona Réginalde, quand j’auraiacquitté envers vous la promesse donnée, alors jeserai libre de mourir... je pourrai chercher dans la tombe le repos etl’oubli.

- Don Luis ! malheureux ! que dites-vous ? s’écriale prince alarmé et rendu à toute sa tendressepour le jeune homme par cet élan de douleur intraduisible.

- Oh ! rassurez-vous, monseigneur ! je ne déshonorerai paspar un suicide honteux les noms illustres de Villaflore etd’Urselini, et, fit-il avec un sourire amer, je vivrai bienjusqu’à la première bataille... etlà je serai bien maladroit si, dans tant de balleséchangées, je ne sais pas en faire venir uneà mon adresse.

- Mais que faire, mon Dieu ! s’écria le prince ;rompre ce mariage est impossible ! Que diraitl’altière Réginalde ! Dois-je doncexposer ma douce Angèle à la haine de sasoeur, à sa vengeance, peut-être ! Oh !don Luis ! don Luis !... si Réginalde t’aimait !

- Elle ne m’aime pas, mon père ! et moi... Oh ! jevous le jure, ce mariage me tuera.

Le prince tendit la main au jeune homme ; il était vaincu.

- Don Luis, dit-il, je croirais tenter Dieu et attirer le malheur dansma famille, en vous forçant à contracter uneunion pour laquelle vous avez tant de répulsion ; allezà Angèle... moi, je parlerai àRéginalde.

- Mon père ! s’écria don Luis avec untransport de joie.

Don Diego l’interrompit et le calma d’un geste.

- Prenez garde de vous réjouir trop tôt, don Luis! dit-il avec tristesse ; n’oubliez pas qu’entrevous et mon Angèle, il y a Réginalde !

III

Angèle, ignorante des tempêtes qu’ellesoulevait autour d’elle, était tranquillementoccupée à son cher berceau de la Vierge ; ellearrosait ses fleurs aimées, présent de don Luis,quand celui-ci parut à l’entrée duberceau.

La jeune fille le salua avec son doux sourire et lui dit, en luimontrant ses fleurs :

- Oh ! voyez donc comme elles sont belles !

- Belles et pures comme vous, Angèle, dit don Luisd’une voix vibrante de passion ; puis, prenant dans sa mainla main de la jeune fille, il l’attira doucement vers le bancde mousse, la fit asseoir, et, pliant un genou devant elle, il lui dit,en l’enveloppant d’un regard brûlantd’amour :

- Ma bien-aimée Angèle... m’aimez-vous ?

Angèle baissa ses longs cils, au bord desquels tremblait unelarme.

- Pourquoi cette question, don Luis ? demanda-t-elle d’unvoix mal assurée. Ne savez-vous pas que je vous aime commej’aime don Juan, et n’allez-vous pas devenir monfrère ?

- Votre frère, Angèle !... oh ! non, mais votreépoux ! s’écria don Luis avecexaltation qui tenait du délire.

- Qu’avez-vous, don Luis ? Au nom du ciel, taisez-vous...vous m’effrayez ! dit Angèle troubléejusqu’au fond de l’âme.

- Angèle, ma douce madone, murmura-t-il, pardon, mais jevous aime tant, mon Dieu !... Oh ! le bonheur me rend fou !

Et s’efforçant de paraître plus calme,don Luis rapporta à Angèle une partie de ce quis’était passé chez le prince.

Angèle l’écoutait  en silence,trouvant un charme infini dans les expressions brûlantes decet ardent amour ; elle allait répondre, quandderrière les lis et les roses qui formaient le berceauapparut dona Réginalde. Le visage de la fièreVénitienne était contracté par lafureur, ses yeux noirs lançaient des éclairs.« Prenez garde ! » prononça-t-elle deslèvres seulement ; puis elle disparut avec un geste demenace terrible. Angèle avait vu et comprisRéginalde. Prêt às’évanouir de terreur, mais tremblant plus encorepour don Luis que pour elle-même, elle eut la force deretenir le cri prêt à lui échapper.

Don Luis, toujours agenouillé, tout entier à sonamour, n’avait rien vu. Pour la seconde fois, ilrépétait d’un ton suppliant :

- Angèle, mon Angèle, m’aimez-vous ?

Angèle, le coeur déchiré,mais calme et forte en apparence, se leva alors en lui disantfroidement :

- Croyez-moi, don Luis, renoncez à un amour impossible ; jevous aime comme un frère... jamais je ne vous aimeraiautrement.

Don Luis, atterré, la laissa partir sans avoir la force delui dire un seul mot.

Son désespoir fut immense.

Chaque jour il s’enfermait chez lui, refusant de recevoirmême le prince ; la nuit seulement, quand tout reposait dansle palais, il sortait de son appartement, prenait lentement le chemindu berceau de la Vierge, et là, les yeux fixéssur les fenêtres d’Angèle, se livraità un désespoir qui menaçait sa raison.

Une nuit, cette fenêtre s’ouvrit ; soncoeur battit avec violence, respirant à peine. Ilattendit, croyant voir apparaître Angèle ; mais aulieu de la gracieuse jeune fille, ce fut un homme qu’ilaperçut. Cet homme, enveloppé d’unample manteau, le visage caché sous un large feutre, attachaau balcon une échelle de soie ets’arrêta pour parler à une femme,qu’à la pâle lueur de la lune don Luisprit pour sa bien-aimée.

Essayer de peindre ce qui se passa dans le coeur du malheureuxjeune homme serait impossible. Courbé sousl’étreinte de la jalousie quil’étouffait, il demeura immobile commes’il eût étéfrappé de la foudre.

L’inconnu commença à descendre avecprécaution.

Le mouvement tira don Luis de sa stupeur, il poussa un cri de rage, ets’élança au pied du balcon.

- Qui es-tu misérable ? s’écria-t-il ense plaçant l’épéeà la main devant le rôdeur de nuit.

Celui-ci, quoique avec un mouvement marqué pour cacher sonvisage, se redressa fièrement et réponditd’une voix évidemmentdéguisée : « Je ne suis point unmisérable ! don Luis !... ma noblesse est aussi bonne que lavôtre... et si je suis ici, c’est que j’yai été appelé...

- Tu mens ! infâme ! en garde, défends-toi ! oupar saint Marc, noble ou non, je te cloue sur la place...

Et don Luis, le noble Luis, moitié fou de douleur, seprécipita sur lui l’arme haute.

L’inconnu recula de quelques pas et tira sonépée.

Un combat furieux s’engagea.

Quoiqu’il fût de première force enescrime, don Luis, aveuglé par le désespoir et lajalousie, ne pouvait porter que des coups mal dirigés par lafureur, et devait avoir le désavantage ; aprèsquelques minutes de combat, il tomba baigné dans son sang.

Son adversaire alors se pencha sur lui, et, aprèss’être assuré que sa blessuren’était pas mortelle, se releva, appela du secoursd’une voix éclatante, puiss’élança dans le parc où ildisparut.

IV


Deux mois après, don Luis, encore convalescentd’une longue et cruelle maladie, s’étaitdécidé à épouser donaRéginalde.

Angèle était depuis quelques jours au couvent desAnnonciades, on l’attendait pour le mariage de sasoeur.

La veille du jour fixé pour lacérémonie, don Luis, emporté par soncoeur, voulut revoir une dernière fois les lieuxhabités par celle qu’il avait tantaimée, qu’il aimait tant encorequoiqu’il la crût indigne de lui. Ils’assura qu’Angèlen’était pas de retour et se dirigea vers sonappartement.

Après avoir traversé plusieurs piècesdésertes, don Luis arriva à l’oratoirede la jeune fille. Là il s’arrêta, puisouvrit la fenêtre et s’accouda sur le balcon..., lemême qui avait servi d’appui auséducteur d’Angèle... Ce souvenirraviva toutes ses douleurs..., son coeur se brisa, et deslarmes silencieuses coulèrent le long de ses jouespâles et amaigries. Reportant ensuite ses regards dansl’intérieur de l’oratoire, il les fixasur le prie-Dieu où Angèle avait coutume des’agenouiller chaque soir.

Sur la tablette du prie-Dieu il vit un livre d’heures et unerose.

Une rose blanche mousseuse du berceau de la Vierge ! Le coeurde don Luis se serra.

A elle ! cette fleur ! dit-il. Oh ! non, elle n’en est plusdigne !...

Et déjà sa main s’avançaitpour prendre la rose, quand des pas légers et la voixd’Angèle se firent entendre dans lapièce voisine.

Don Luis n’eut que le temps de se jeter derrièreune tenture pour se dérober à la vued’Angèle qui entrait.

Comme don Luis, la jeune fille s’arrêta au milieude l’oratoire, promena autour d’elle un regardd’une morne tristesse et marcha droit au prie-Dieu.

La rose frappa aussi ses regards, elle s’en empara avec unélan de joie..., mais la repoussant aussitôt :

- Non, dit-elle, pas de faiblesse..., ces fleurs ne sont plusà moi... Adieu, roses chéries... compagnes de mesjours de bonheur... vous qui partagiez mon coeur avec monpère et Dieu !... Adieu pour toujours, je ne vous connaisplus !... Et, faisant un pas vers la fenêtre, elle voulutlancer la rose dans le jardin... mais la fleur frappa sa tige contre labalustrade de pierre et vint retomber à terre dansl’intérieur du balcon.

Angèle s’était agenouilléesur le prie-Dieu et murmurait d’une voix pleine de larmes :

- Sainte madone... protégez-moi ?... arrachez de moncoeur cet amour qui me tue... et qui maintenant est uncrime... Oh ! je vous en supplie... sainte madone, donnez-moi la forceet le courage ; et, courbant son front, elle pleura.

Derrière la tenture, don Luis étouffait sessanglots.

Tout à coup, il se redressa, la fureur remplaçales larmes, comme dans la nuit terrible un homme venaitd’escalader le balcon.

Don Luis se contenant à peine attendit.

Celui qui venait d’entrer fit un seul pas dansl’oratoire, et fléchissant le genou :

- C’est moi, Angèle, dit-il.

- Vous !... mais qui êtes-vous donc ?... et que mevoulez-vous ?... demanda Angèle en se reculant avec effroi.

- Angèle, ne reconnaissez-vous pas don Fernand deTolède ?

Et il s’avança doucement vers elle.

- Don Fernand de Tolède !... fit Angèle encherchant à rappeler ses souvenirs. Oui... je vous reconnaismaintenant, mais cela ne m’explique pas, sénor,votre présence chez moi...

- Dona Angèle a-t-elle oublié la lettrequ’elle m’écrivit il y a deux mois ?...

- Moi, je vous ai écrit ?... Oh ! vous mentezsénor !... s’écria Angèleavec force.

Pour toute réponse, don Fernand tira un billet de son seinet le présenta à la jeune fille.

Angèle s’en saisit et le parcourut avidement.

- Oh ! Réginalde ! murmura-t-elle en le froissant avecdouleur ; puis, se redressant avec la majestéd’une reine offensée, elle étendit lamain vers la madone qui surmontait le prie-Dieu :

- Don Fernand, dit-elle, solennellement... devant cette imagerévérée de la sainte madone... sur lesalut éternel de mon âme, je vous le jure, jen’ai pas écrit ce billet... J’ignoraisjusqu’à son existence. La nuit que vousvîntes ici, ma soeur Diana étaitsouffrante, et j’ai passé toute la nuitprès d’elle !...

Don Luis retint un cri de joie !

Don Fernand pourra un cri de douleur :

- Je vous crois, sénora, dit-il tristement, quand je vinsici, il y a deux mois, ce fut dona Réginalde qui mereçut ; Angèle n’a pu se rendre icicette nuit, m’a-t-elle dit !..., mais regardez bien cetoratoire... et revenez-y la nuit qui précéderamon mariage avec don Luis de Villaflore...... et vous la verrez.J’ai appris que dona Réginalde épousaitdemain don Luis... et je suis venu, sénora... Adieu, donaAngèle, continua-t-il d’une voixbrisée..., d’un mot vous avez anéantimon bonheur..., mais je vous aime et le dernier battement de moncoeur sera pour vous. Alors, aprèss’être inclinéjusqu’à terre, don Fernand voulut reprendre lechemin du balcon.

- Pas par là, sénor... dit Angèle enl’arrêtant avec fierté et ouvrant uneporte qui donnait sur une galerie, conduisant à la grandesortie du palais ; par ici, dit-elle.

Don Fernand s’éloigna. Au moment où laporte se refermait derrière lui, il se fit un grand tumultedans l’appartement qui précédaitl’oratoire d’Angèle. Puis la porte del’oratoire s’ouvrit avec violence, et le prince,pâle et haletant, s’y précipita ens’écriant avec angoisse :

- Angèle ! ma fille ! où est monAngèle ?...

Angèle, surprise et effrayée de cetégarement, courut à son père, qui lapressa dans ses bras avec une tendresse folle... la couvrant decaresses et lui demandant d’une voix entrecoupée :

- Ma fille ! ma bien-aimée Angèle... tu nel’as pas vue, n’est-ce pas ?... tu n’aspas touché à cette fleur maudite ?...

- De quelle fleur parlez-vous, monseigneur ?... demanda don Luis qui,sorti de sa cachette sans être vu, était avecDiana derrière le prince.

- Là, sur ce prie-Dieu, devait être une rose... etcette rose était empoisonnée !!!

- Mais cette rose... la voici ! dit Diana en désignant avechorreur la fleur gisant sur le balcon.

Tous les yeux se portèrent vers l’endroitindiqué : alors on vit un superbe ara rouge, favorid’Angèle, étendu mort àcôté de la fleur sur laquelle son becétait encore appuyé.

- Merci à vous, mon Dieu, qui avezépargné mon doux ange ? dit le prince avec uneémotion profonde et en plaçant sa mainvénérable sur le frontd’Angèle.

On chercha vainement Réginalde : elle avait disparu depuisle moment où un billet mystérieuxétait venu avertir le prince du danger que couraitAngèle :

« Réginalde, disait ce billet, n’aimaitpas don Luis, mais elle voulait se venger d’Angèledont la beauté effaçait la sienne. »

Le lendemain, le prince reçut une lettre de lasupérieure du couvent des Annonciades. Elle demandait pourdona Réginalde la permission de se faire religieuse.

Deux ans plus tard, Angèle épousait don Luis.

Depuis un an déjà, Réginalde avaitpris le voile.

        ÉLISE ROSIÈRE.

FIN.