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SIMON,G.-Th.-R. : Del'influence des passions sur l'économie animale (1805). Saisie du texte : O. Bogros pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (16.IV.2009) [Ce texte n'ayantpas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement desfautes non corrigées]. Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros]obogros@ville-lisieux.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusionlibre et gratuite (freeware) Orthographe etgraphieconservées. Texte établi sur l'exemplaire de laMédiathèque (Bm Lx : Norm 1045) de Mon testament : opusculesmédico-philosophiques publié à Lisieux chez J.J. Pigeon en1837. En ligne sur Gallica. Del'influence des passions sur l'économie animale par G.Th. R Simon ~*~Introduction J'AI fait une Thèse (*) sur les passions.D'autres élèves avaient déjà traité ce sujet ; mais leur travail s'estborné à citer beaucoup d'observations particulières, sans chercher à entirer des résultats généraux. Ils ont rassemblé des matériaux sansélever l'édifice : or, c'est ce dernier objet que j'ai en vue. On voitpourquoi je n'ai pas cité ces observations : je n'aurais joué que lerôle de simple copiste, et je voulais présenter quelque chose quim'appartînt. « Vous êtes un habile homme, disait Montesquieu, descompilateurs ; vous venez dans une bibliothèque ; et vous mettez enhaut les livres qui sont en bas ; vous avez fait-là un beauchef-d'oeuvre. » Il y a dans ma Thèse des digressions ; mais ces digressions étaientnécessaires. Avant de parler de l'effet des passions, j'ai parlé despassions elles-mêmes, et j'ai tenté d'expliquer leur génération dans lecoeur humain. L'impression d'un objet sur un de nos sens produit deuxchoses en nous ; c'est-à-dire, une idée et un sentiment. Condillac a prouvéque tous nos raisonnemens n'étaient que ces idées modifiées. Neserait-il pas possible de prouver que nos passions ne sont aussi quedes modifications de ces sentimens primitifs ? J'ai donné quelquesidées sur cela ; mais je n'avais, ni assez d'haleine, ni assez devigueur pour parcourir une carrière si longue et si dangereuse. J'ai employé un style un peu figuré ; mais peut-on me le reprocher,quand je parle des passions ? Je suis encore jeune d'ailleurs, et jesens qu'il m'aurait été impossible de faire autrement. Enfin, si lesréprimandes de Voltairem'humilient, l'exemple de Buffonme soutient. Au reste, je n'ai jamais mieux senti les difficultés de l'art d'écrireque quand j'ai voulu le tenter : il est pénible de se sentir au-dessousde son sujet. Je ne sais pas si nos auteurs en sont devenus plus fierspour avoir composé leurs ouvrages, et si leur amour paternel secomplaît et s'admire dans leurs enfans ; mais je sens que lacomposition de ce très-mince opuscule a augmenté le sentiment de mafaiblesse et ma timidité naturelle. N. B. Dans mon texte primitif, j'aiconfondu les passionset les mouvemenspassionnés ; une note du texte répare cette erreur, maisne la répare qu'imparfaitement : il faut que le lecteur aide à lalettre ; ce que j'avais d'abord appelé passions élémentaires,sont les *mouvemenspassionnés. (*) [Del’influence des passions sur l’économie animale : essai présenté etsoutenu à l’Ecole de médecine de Paris le 25 frimaire an 14/ par G.TH.R Simon.- A Paris de l’impr. De Didot jeune, an XIV [1805].-in-4°, 24 p.- BIUM] DE L'INFLUENCE DES PASSIONS SUR L'ECONOMIEANIMALE. TOUTES nos sensations sontaccompagnées primitivement(1) de plaisir et de douleur. La nature, en créant l'homme, a vouluaussi le conserver ; et le plaisir et la douleur sont la voix de cettenature conservatrice et bienfaisante. Ils nous indiquent ce qui peutnous servir ou nous nuire ; ils sont les sentinelles qui veillent àtoutes les portes par où peut entrer la mort et la destruction. Nous désirons le plaisir, et nous fuyons la douleur : nous recherchonsles objets qui produisent en nous le premier sentiment ; nous fuyonsceux qui excitent en nous le second. De ces deux sentimens mille etmille fois éprouvés, nous nous formons une espèce d'expérienceraisonnée qui dicte à l'avenir nos déterminations : c'est cetteexpérience du plaisir et de la douleur que nous appelons une passion(2). Une passion n'est donc que le désir fortement marqué produit en nouspar une sensation agréable plusieurs fois répétée ; ou plutôt ce n'estque cette sensation elle-même. La sensation n'est que la sensibilitémise en action : nos passions ne sont donc qu'une modification de cettesensibilité. On voit donc qu'elle est la même chose que cetamour-propre qui joue un si grand rôle et dans les maximes ingénieusesde la Rochefoucault,et dans les éloquentes déclamations d'Helvétius. Cependant on voit facilement dans nos besoins et dans nos sensationsl'origine des passions qui nous agitent dans l'aurore de la vie ; maison n'y trouve pas si aisément la source de celles qui agitent siprofondément l'âge viril, et qui composent, pour ainsi dire,l'existence morale du vieillard. Le sexe, l'âge, les habitudes, lespréjugés et les influences sociales les modifient tellement, qu'ellesne laissent plus apercevoir leurs élémens primitifs. Nous avons dit que le sexe influe sur les passions ; c'est ce dont onne peut pas douter. Tout le monde connaît le peu d'énergie et laversatilité des passions des femmes ; et cette règle générale nesouffre que deux exceptions. Il y a deux passions principales quiagissent sur leur caractère avec une constance et une énergieremarquables ; ce sont celles qui ont rapport au but de leurorganisation, à leur destination naturelle. La nature, qui a créé lafemme pour la conservation de l'espèce, l'a portée à remplir ses vuespar deux mobiles puissans, l'amour et l'affection maternelle. Quel esten effet l'infortuné qui n'a jamais senti le bonheur d'aimer et d'êtreaimé ? Quel est celui qui n'a jamais éprouvé combien leur amour esttendre et profond ? Tandis que l'homme, avare de lui-même dans cesmomens mêmes où il semble se donner tout entier, ne goûte que lesplaisirs qu'il ressent, la femme, plus généreuse et plus désintéressée,jouit à la fois de la volupté qu'elle éprouve et de celle qu'elle faitéprouver ; savoure en même temps les plaisirs qu'elle donne et ceuxqu'elle reçoit. Elle s'attache par les faveurs qu'elle accorde et parles sacrifices qu'elle fait ; lorsque ces faveurs sont pour l'homme quiles reçoit un motif d'ingratitude et d'oubli. Mais si les femmes sontadorables par l'amour, elle sont sublimes par l'amour maternel.Parlerai-je de cette tendresse effusive qui semble s'acroître par lesdouleurs, et qui trouve dans les longues anxiétés de la grossesse, etdans les déchiremens de l'accouchement, des motifs pour aimer plusvivement le petit être qui les a causés ? Peindrai-je ces soinscontinus qui ne se rebutent jamais ; cette prévenance qui prévoit lesbesoins avant qu'ils se fassent sentir ; cette constance d'affectionque le dégoût ne peut étouffer, que l'importunité ne peut lasser, queles caprices ne peuvent affaiblir, que les dangers ne peuvent effrayer? Non, sans doute ; et je les affaiblirais en les esquissant : une mèreseule peut retracer avec fidélité ce qu'elle éprouve si vivement. Nous voyons que le sexe influe sur les passions ; l'âge n'y influe pasmoins. A mesure que nous avançons dans la carrière de la vie, chaqueorgane, en se développant, fait naître une passion, et l'époque dudéveloppement de l'organe coïncide avec celui de la passion qui endépend. La fable n'a-t-elle pas fait naître la beauté, ou du moins ladouce et vive impression qu'elle fait sur nous, des organes générateursde Saturne, amputés par l'ambitieux Jupiter ? Il y a sur cela uneespèce de réciprocité d'action ; et nous voyons aussi chaque passiondéveloppée par des causes extérieures, développer l'organe qui lui estsubordonné. Si la lecture des romans licencieux, si les spectaclesvoluptueux, si la musique molle et efféminée, ou des tableaux indécensallument dans notre coeur une nouvelle affection, dans nos sens desdésirs inconnus alors, le moral agit sur le physique; et c'est l'amourlui-même qui développe les organes que la nature a consacrés à sesplaisirs. On peut objecter qu'il est rare que nous soyons animés d'une seulepassion : Labruyèrea dit que les enfans étaient de petits hommes, et qu'on apercevait chezeux le germe de toutes les passions qu'ils doivent éprouver un jour.Cependant, il faut avouer qu'il y a toujours chez nous une passion quil'emporte sur toutes les autres, et comme le dit Pope ; One master passionin the Breast Like Aaron serpent Swallowsup the rest. Toutes les autres lui sont sacrifiées ; or, cette passion dominante estdéterminée par l'organe prédominant, à chaque époque de la vie. Ainsi, dans l'enfance, l'énergie de la digestion et le besoin demouvement déterminés par l'accroissement, nécessitent et ce goût pourles exercices violens, et cette gourmandise grossière que desinstituteurs maladroits répriment souvent mal-à-propos, Ainsi, dans la jeunesse, les organes de la reproduction prennent undéveloppement subit, et le nouveau feu qui les anime, divergeant, pourainsi dire, dans toute l'économie, en rayons vivifians, imprime à notreorganisation cette vie nouvelle, cette nouvelle énergie qui ont souventguéri des maladies contre lesquelles l'art de la médecine avait échoué,et fait éclore en même temps dans notre coeur cette sensibilitéprofonde, ces désirs désintéressés, ces sentimens généreux quicaractérisent un premier amour. L'âge viril arrive, et nous aimons toujours le plaisir ; mais nous lecherchons ailleurs. Nous voulons que les hommes s'accordent à flatternos goûts ; nous voulons qu'ils nous sacrifient les leurs ; nousrecherchons donc la considération et l'autorité qui peut les ydéterminer. Alors cet amour du plaisir qui oublie le but pour s'occuper des moyens,et qui, se dénaturant, considère les moyens comme formant le but mêmequ'il veut toucher ; cet amour du plaisir, qui, après avoir sacrifiél'amour aux voluptés brutales du libertinage, oublie bientôt cesvoluptés pour ce qui doit les préparer, oublie de jouir pour préparerla jouissance ; cet amour du plaisir fait naître l'ambition : avec ellenaissent l'envie, la jalousie, la vengeance et tous les sentimenshaineux ; et, ce qui est un peu difficile à expliquer, c'est dans cetâge où se développent les organes abdominaux, que se développent aussiles passions violentes qui les affectent spécialement. Enfin, nous vieillissons ; les plaisirs de l'amour ne nous touchentplus ; nos sens blasés ne pourraient les ressentir et les supporter.Nous sommes dégoûtés des honneurs et des hommes qui les distribuent ;nous avons senti le vide et l'illusion des premiers ; nous avons faitla cruelle expérience de l'amitié simulée et de l'égoïsme intéressé desseconds. Nous cherchons des moyens de plaisir plus constans, plussolides que les honneurs ; nous choisissons un ami plus sûr que ceuxqui nous ont trompés autrefois : et cet ami, c'est l'or. Cette soif quine s'éteint jamais, qui s'accroît toujours, même par les satisfactionsqu'elle éprouve, est à-la-fois pour le vieillard une peine et unplaisir. Il jouit des privations qu'il s'impose ; il ressent tous lesplaisirs que son or peut payer, et il a dans son coffre-fort autant dejouissances entassées que de pièces d'argent ; il éprouve, en un mot,les seuls plaisirs qu'il peut ressentir, ceux qui accompagnentl'espérance et les désirs. Voilà les grandes passions qui se partagent la vie humaine : mais ellesvarient, même dans chaque âge : suivant le tempérament. On a dit que les ictériques voyaient tout en jaune ; et cette remarqueest vraie en morale comme en pathologie : la durée et la vivacité denos passions varient avec le tempérament. Ainsi l'amour, cette passion délicieuse qui nous énivre par sesjouissances, et dont les peines mêmes ne sont pas sans attrait, l'amourest vif et volage dans le tempérament sanguin. L'homme qui en est douéaime tout ce qui est beau, parce que ses sens s'ouvrent à toutes lesbeautés de la nature, et que son organisation robuste et bienproportionnée lui permet tous les plaisirs. L'amour est vif et constantchez le bilieux, chez lequel les impressions des objets extérieurs ontautant de durée que de vivacité. Il est constant chez le mélancolique,et sombre comme lui ; les objets extérieurs ne l'ébranlent pasfacilement ; mais leurs impressions sur lui sont d'autant plusdurables, qu'elles ont dû être plus vives, et qu'elles sont effacéesdifficilement par de nouvelles impressions. Peut-on donner le nomd'amour à cette flamme sans chaleur, dont le flegmatique est à peineéchauffé, à peine animé ? Cette passion, ordinairement si vive, vainc àpeine l'indolence de son caractère. Il est constant, mais c'est parparesse ; il n'aime pas assez vivement pour être volage et pour changer; il serait pénible pour lui de perdre la douce habitude d'aimer, ouplutôt de se laisser adorer. Ce que nous venons de dire nous indique aussi que l'habitude influe surles passions. L'habitude, en effet, nous attache à certains plaisirsd'adoption, en même temps qu'elle diminue leur vivacité. Ce buveur de vin ne peut bientôt trouver que dans les liqueursspiritueuses un stimulus pour son palais blasé ; peut-être qu'enfinl'eau-forte seule pourra l'agacer suffisamment. Ce joueur ne peut vivresans ces émotions vives, sans cette alternative rapide d'une joie viveet d'un désespoir concentré, que l'amour du gain, tour satisfait etmécontent, lui fait éprouver. Ces marins accoutumés à l'inconstance desflots, aux variations de ce capricieux élément qui est leur patrie,pourraient-ils supporter la vie, si la crainte de la perdre et la joiede l'avoir recouvrée n'y jetaient un peu de variété. Ils cesseraient denaviguer si leurs vaisseaux étaient plus solides ; ils haïraient la mersi elle n'avait plus d'écueils, de rochers, de vents ou d'orages. Il y a des passions élémentaires et des passions compliquées. Lesdernières nous montrent, dans un objet particulier, la source de notrefélicité ; les autres, variant à chaque instant, forment une suite demouvemens alternatifs dont la réunion compose, pour ainsi dire, la viede chaque passion compliquée : ainsi, l'avare, comme l'ambitieux,éprouve des désirs ou des regrets ; ainsi l'amour seul pourrait nousretracer cette série continuelle de désirs, de craintes, de regrets,d'espoir et de volupté qui l'agitent tour-à-tour. Mais il est unedivision plus simple, et qui peut nous diriger plus sûrement vers notrebut. Popeva nous la fournir ; écoutons-le : « Love, hope and joyfair pleasure smiling train « Hate, fear and grief, the family of pain ». Le plaisir et la douleur donnent lieu à deux ordres de passion. Leplaisir produit la joie, la gaieté, la volupté, le bonheur, quand ilexiste ; il donne des regrets ou produit le désespoir, quand il aexisté. Enfin, il donne lieu au désir, quand il pourra exister, ou àl'espoir, quand il devra exister. La douleur donne lieu au chagrin par sa présence Elle nous faitéprouver une sorte de souvenir mélancolique agréable, auquel on n'a pasdonné de nom quand elle est passée. Elle nous imprime de la crainte, sielle est incertaine et éloignée ; de la terreur, si elle nous menace ;de l'horreur, si elle est de nature à causer à-la-fois de la peine etdu dégoût. Cependant, ces passions prennent la teinte particulière des passionsdominantes qui les ont fait naître : ainsi les désirs de l'avare etceux de l'ambitieux différent beaucoup ; et leurs effets l'indiquerontsuffisamment. Le désir d'un bon mets augmente la sécrétion de lasalive, et celui des plaisirs vénériens stimule particulièrement lesorganes générateurs. Toutes les passions qui sont causées par le plaisir, et toutes cellesqui sont le résultat de la douleur, ont deux manières d'agir générales,variant cependant suivant leur intensité. La joie et toutes les passions gaies ont, lorsqu'elles sont modérées,un effet tonique et stimulant sur notre économie ; toutes les fonctionsse font plus énergiquement, plus facilement : le cerveau, doucementexcité, jouit d'une action modérée ; la joie produit les rapprochemensles plus heureux, les idées les plus brillantes, les bons mots les plusplaisans. La circulation générale et capillaire a plus d'activité : laconjonctive est plus brillante, le coloris des joues plus animé ; lesexhalations et les sécrétions se font plus abondamment. Les viscères del'abdomen n'éprouvent pas une influence moins heureuse des effets de lagaieté. Elle influe sur l'estomac et sur tous les organes quiconcourent à l'assimilation des alimens ; c'est même une observationtriviale que la désopilation de la rate par le secours du rire et desplaisirs modérés. Si ces passions gaies sont exagérées, l'intensité de leur action peutla rendre nuisible à l'économie animale. On raconte beaucoup d'exemplesde personnes mortes de joie. L'amour maternel, l'amour conjugal et cetautre amour qui le précède, ou qui devrait toujours le précéder,comptent dans leurs fastes plusieurs honorables victimes de l'excès demouvemens qu'ils ont imprimés. Le cerveau, fortement stimulé parl'impression de la joie, devient un centre d'irritation où le sangafflue avec impétuosité. L'épilepsie, l'apoplexie peuvent être la suitede cet afflux sanguin et des changemens rapides qui se font dans sasubstance et ses différentes parties : la circulation est troublée, lepouls est fort, mais irrégulier, et les soupirs fréquens quiaccompagnent une joie tumultueuse décèlent surtout cette gêne et cetteirrégularité dans la circulation pulmonaire. Il serait difficiled'indiquer l'influence des passions gaies exagérées sur les organesabdominaux et générateurs : on sait cependant que la joie de l'amourcause un éréthisme particulier dans les organes de la reproduction, etque la joie maternelle est caractérisée par un plaisir particulier dansles organes de la lactation. Si la joie, sans être trop vive, est durable, elle diminue moinsvivement notre sensibilité ; mais sa continuité produit l'ennui ; elledevient insipide pour nous. Aux yeux de l'amant rassasié des plaisirsd'un long commerce avec l'objet aimé, les yeux de sa maîtresse ontperdu leur éclat, ses joues leur coloris : ce sourire charmant n'estplus qu'une grimace d'habitude, et le timbre enchanteur de sa voixn'est plus qu'un bourdonnement monotone appelant le sommeil par safatigante continuité ; la divinité n'est plus qu'une femme, et lasatiété a renversé ses autels ; aussi, voyons-nous dans les amans unispar l'hymen, l'amitié, une tendre amitié succéder à l'amour. Nousaimons dans notre épouse, non pas notre amante, mais celle que nousavons adorée autrefois, celle qui nous a payé de retour, notrevéritable amie et la mère de nos enfans. Aux yeux de l'ambitieux lasdes grandes places et des honneurs, ces honneurs mêmes à qui il a toutsacrifié sont une vaine fumée qui n'enivre que les sots : ce sont desbulles de savon émaillées de toutes les couleurs de l'iris faites pouramuser les enfans, que le même souffle qui les a formées détruit en unmoment. Quels sont le plus souvent ceux qui terminent leurs jours ? Quelquesvictimes du caprice de la destinée ou de la dureté des hommes échappentainsi à leurs malheurs. Mais ne voit-t-on pas beaucoup d'hommes selasser d'une vie heureuse passée dans la monotonie des plaisirs, etchercher la mort pour échapper à l'ennui ? Quand même ils ne se portent pas à ce cruel excès ; quand cet ennui estmoins fort sur eux que le cri de la nature et le sentiment de leurconservation, de combien de peines secrètes ne sont-ils pas dévorés ?de combien de soucis ne sont-ils pas rongés ? Ne les voit-on pas,ennemis d'eux-mêmes, se faire des chagrins imaginaires et s'effrayerdes fantômes hideux que leur imagination malade a produits ? Une mouchequi vole, une tuile qui tombe, un chien qui crie, leur causent les plusgrandes anxiétés ; et, comme ce Sybarite illustre par sa mollesse etson inutilité ; couchés sur leurs lits de roses, ils sontdouloureusement froissés par un pétale qui s'est reployé sous eux. On voit donc naître du sein de la félicité cette délicatesse exagéréede sensibilité, cette impatience de contradiction, cet ennui profond,qui se signalent alternativement par les convulsions effrayantes, ou laprofonde mélancolie des maladies nerveuses. La tristesse opposée à la joie dans sa nature, est encore opposée dansses effets. Modérée, elle agit sur le cerveau, comme débilitant.L'ennui, le dégoût, la paresse indiquent fortement cette inertiecérébrale aux yeux de l'observateur. Elle produit des effets analoguessur la circulation. La joie, comme la chaleur, établissait dansl'économie un mouvement du centre à la circonférence, et faisaitcirculer librement le sang dans le labyrinthe des vaisseauxsuperficiels ; la tristesse, comme l'air froid, repousse le sang dansles gros vaisseaux, et le force d'abandonner les petits canauxentrelacés qu'il parcourait ; ainsi que le fiévreux, le malheureux ason frisson. On sent donc que la circulation pulmonaire doit être gênéedans la tristesse, parce que tous les petits vaisseaux ont des paroismoins solides et moins soutenues par le parenchyme de cet organe, pourainsi dire aérien : les soupirs, qui sont l'expression de la douleur,le prouvent assez. On voit réciproquement les affections du poumonproduire les passions tristes ; et tout le monde connaît la mélancolie,la gronderie importune et les haines souvent mal fondées des malheureuxphthisiques. Le sang, par son reflux dans les organes intérieurs,n'affecte pas seulement les poumons et, par suite, le coeur ; il affecteencore les organes abdominaux, et spécialement le foie, organe quijouit d'un double apareil de vaisseaux circulatoires, et qui manqued'organe moteur à l'origine d'un de ces appareils. Ainsi, la tristesseproduit des ictères et des engorgemens du foie. Le défaut d'exercice etde mouvement dans la tristesse modérée concourt aussi à les produire.Alors les parois abdominales, successivement contractées et relâchées,et correspondant par un mouvement inverse avec le diaphragme, dansl'état normal, agissent moins sur les organes contenus dans la cavitéqu'ils concourent à former, et ces organes doivent, par conséquent,s'engorger encore plus. Si les passions tristes ont une action vive et subite, si ellescompriment violemment notre poitrine, le sang, repoussé au cerveau, yfait naître ces congestions sanguines, ces apoplexies foudroyantes dontla rapidité ne laisse pas à la médecine le temps d'employer sessecours, et dont la violence les élude tous ; elles font naître dans lapoitrine ces anévrismes subits qui nous précipitent subitement dusommet de la vie dans le gouffre effrayant de la mort. Les passions, par leur influence prolongée, affectent encore plusprofondément l'économie. L'on sait combien une méditation profonde etsoutenue fatigue le cerveau, surtout lorsqu'elle s'appliquecontinuellement au même objet ; l'on sait que si des littérateursillustres par le nombre et la beauté de leurs productions ont pusuffire à leurs travaux, c'est par leur variété ; leur cerveaun'échappait à la fatigue de tant de méditations que par la diversitédes choses qui en étaient l'objet. Ne semblerait-il donc pas qu'il y adans le cerveau différons centres de sensibilité, différensdépartemens, et que chaque point de cet organe a des offices différens? Cela expliquerait aussi pourquoi ceux qui s'occupent continuellementde l'idée de leurs malheurs, qui tournent dans leur sein le poignardque la main des hommes ou l'arrêt du sort y a enfoncé, sont souventattaqués de l'espèce de maladie qu'on appelle mélancolie ; la mêmepartie du cerveau, continuellement irritée par les mêmes objets, doitdevenir un centre d'irritation où le sang affluera en plus grandequantité ; l'inflammation va s'en emparer, et cette inflammation doittroubler les mouvemens de cet organe, dont elle désorganise une partie.On voit alors clairement pourquoi ils ne déraisonnent que sur un objet.Ces mêmes passions, par leur continuité, influent aussi sur lacirculation. Les soupirs dont s'accompagne une douleur concentrée, ensignalant l'embarras de la circulation pulmonaire, indiquent aussi lacause de ces anévrismes frequens dont on a vu tant d'exemples pendantles orages dévastateurs et les calmes non moins terribles de larévolution. En analysant les effets généraux des passions lorsqu'elles sontmodérées, on verra qu'elles ont une action opposée ; que les passionsgaies animent modérément le cerveau, la circulation, la digestion, et,par conséquent, sont toniques et stimulantes, à peu près comme .... un vin vieuxqui rajeunit les sens. VOLT. Les passions tristes, au contraire, exercent une action débilitante surtoute l'économie ; elles donnent lieu aux fièvres ataxiques, enaffaiblissant le cerveau ; aux anévrismes, à l’hémophtbysie, entroublant la circulation thoracique ; aux engorgemens des organesabdominaux, en accumulant le sang dans leur système circulatoireaffaibli, en privant ces organes de l'exercice qui pourrait lesdésopiler. Mais lorsque ces passions exercent une action vive et subite, gaies outristes, elles produisent les mêmes effets. On a vu qu'elles troublentla circulation, en excitant une contraction spasmodique dans lediaphragme ; et les soupirs fréquens, les sanglots qui accompagnentaussi bien une joie vive et subite qu'une douleur imprévue, le prouventassez. On a vu aussi qu'elles agissent souvent sur le centre de lasensibilité, de manière à détruire son action, en l'excitant tropviolemment. Après avoir considéré généralement les effets des passions, il faudraitanalyser successivement chaque passion rangée sous les deux classes quenous avons établies : des propositions générales sont une esquisseinanimée ; des applications particulières lui donnent ce colorisenchanteur qui retrace vivement à nos yeux les objets dont elle nerendait que les contours. Mais on manque d'exemples précis pour fonderune analyse de l'action qu'exerce chacun des individus composant lesdeux grandes familles que nous avons établies. Cependant on sait déjà que le rire est l'expression de la joieenfantine ; on sait que l'amour exprime également par des soupirs lavolupté de la jouissance, les désirs qui l'appellent, et les regretsqui la poursuivent. L'amour maternel se signale par des impressionsdans la gorge, et la joie que fait éprouver à sa mère un filsrespectueux et soumis, ou les chagrins que lui cause un enfant indocileet pervers, se fait souvent sentir, chez quelques femmes, dans lesmamelles qui l'ont allaité. On a vu la colère donner la jaunisse ; unepeur vive ou de longs chagrins faire blanchir les cheveux de quelquesindividus violemment comprimés entre la douleur et la dissimulation. Mais ce qui rend plus difficile la détermination des effets de chaquepassion, c'est qu'ils varient suivant les tempéramens. La colère, cettepassion qui n'est que la réaction de la sensibilité opprimée, prend lateinte du caractère qu'elle stimule momentanément ; tandis qu'encolorant le visage, en augmentant l'énergie cérébrale et les forcesmusculaires, elle annonce un individu vigoureux ; elle décèle, en lesfaisant pâlir, les individus faibles, leur caractère débile et leurfaible organisation. Il en est de même de l'amour de la gloire ; ildevient émulation chez ceux qui sentent en eux-mêmes la force et lecourage de surpasser leurs rivaux ; il devient basse envie, hainecachée, chez ceux qui, dans le sentiment de leur impuissance, cherchentà nuire à ceux qu'ils ne peuvent égaler. L'action des passions sur les différens systèmes et les différensappareils de l'économie animale est assez difficile à déterminer : ilfaut pourtant en dire quelque chose. Les passions gaies animent et colorent la peau. Les passions tristes ladécolorent, la rendent froide, excitent sa contractilité insensible, etfont venir, comme on le dit, la chair de poule, enfaisant faire saillie aux bulbes des poils et aux papilles nerveusesdont elle est criblée. Par la même raison qu'elle diminue la transpiration cutanée, latristesse doit augmenter l'exhalation et la sécrétion des membranesmuqueuses. J'ai vu une femme à qui la nouvelle de la mort de son maridonna une diarrhée violente, et une autre femme à qui la moindre peinedonnait des flueurs blanches. Les passions agissent sur les muscles et sur les nerfs ; mais, commeles seconds agissent sur les premiers, l'action isolée des passions surchacun de ces deux systèmes est difficile à déterminer avec précision.D'un autre côté, l'action des passions sur les nerfs se confond avecleur action sur le cerveau ; c'est-à-dire, avec la sensation primitive, et concourt à obscurcir la question. Les passions gaies, mais surtout les tristes, agissent sur les nerfs ;et voilà tout ce que nous savons. Qui n'a pas connu ces femmesvaporeuses, et ces hypocondriaques, malheureux, pour ainsi dire, detrop de bonheur, à qui le moindre bruit, le moindre chagrin donne desconvulsions. Il semble que la nature nous ait donné à tous une certaineportion de sensibilité à dépenser, pour m'exprimer ainsi. Cettesensibilité, accumulée chez les personnes qui font leur étude d'évitertout ce qui pourrait l'affecter désagréablement, s'irrite par lemoindre frottement, et, comprimée par le plus léger obstacle, elle faitces explosions tumultueuses qui leur rendent la vie si douloureuse etsi pénible. Les passions gaies s'expriment par des contractions musculaires,faciles et réitérées : c'est le langage le plus expressif de la joie del'enfance ; et ce langage nous est commun avec les animaux. Le chienqui retrouve son maître après une longue absence, témoigne, par sessauts, par le mouvement de sa queue, sa joie et son amitié. La tristesse est suivie, au contraire, d'une grande faiblesse decontractilité musculaire. Les bras lui tombent du corps de surprise etde chagrin, dit le peuple ; et la terreur, en nous imprimant unsentiment terrible du danger qui nous menace, nous ôte le plus souventle courage de fuir. La tristesse ne diminue pas seulement la contractilité des muscles dela vie animale ; elle influe aussi sur ceux de la vie organique. Unepeur violente est accompagnée du relâchement du sphincter de l'anus ;cependant cet effet-là n'est pas constant ; elle produit quelquefois uneffet opposé. Soit que cet effet soit dû au sphincter, soit qu'ilappartienne aux muscles voisins, on a vu la peur déterminer unecontraction spasmodique des parties molles environnant inférieurementle bassin. Mais il est une partie du corps où ces contractions musculaires sedessinent énergiquement. Les passions influent spécialement sur lesmuscles de la face. Elle est la toile où se peignent les tempêtesqu'elles ont élevées dans notre coeur. On a remarqué que la joie dilatetransversalement tous nos traits ; pendant que la tristesse les alongeperpendiculairement. Dans le premier cas, les muscles sont actifs.Tandis que le zigomatique et le buccinateur tirent en dehors et en hautl'angle des lèvres, le carré, l'incisif, le canin et la houppe dumenton donnent à la bouche la douce inflexion qui caractérise lesouris. Dans la tristesse, au contraire, il paraît qu'excepté letriangulaire du menton, tous les muscles sont inactifs. La même causequi nous fait tomber les bras du corps alonge de mêmeperpendiculairement toutes les parties de la physionomie. De même, cependant, que toutes les passions violentes, gaies outristes, ont un effet apparent semblable sur notre économie, de mêmeaussi elles ont une expression semblable sur notre visage : dans lalésion du diaphragme, on voit le ris sardonique ; on voit la douleurcreuser sur tous nos traits les mêmes sillons qu'y avait tracés unejoie excessive : on voit, au Muséum du Louvre, l'expression du rire surle visage du juge prévaricateur écorché. Ne sait-on pas qu'Annibal, à la ruinede sa patrie, riait lorsque ses concitoyens pleuraient. Mais le plussouvent elles ont une expression propre qu'il est impossible de ne pasremarquer. Ainsi, dans la colère, les mâchoires sont fermées l'une contre l'autre,tandis que les lèvres sont légèrement ouvertes ; les ailes du nez sontdilatées ; les paupières sont très-ouvertes, les yeux fixes etquelquefois étincelans ; ce dernier effet n'a pas été assez remarqué,et l'on n'a pas cherché à l'expliquer, pas plus que la lueurphosphorique des yeux du chat. Ainsi, l'admiration s'exprime par une forte ouverture des yeux, dueprobablement au releveur de la paupière supérieure ; par un sourcilélevé, mais également arqué, dû à une contraction du muscle frontal ;par une ouverture disproportionnée de la bouche, due au relâchement desmuscles qui meuvent cette partie de la figure. Si l'on voulait analyser les passions par l'expression qu'elles donnentà la physionomie, on trouverait dans celle de l'admiration, celle desdeux passions qui concourent à la former. La bouche béante indique lasurprise, et l'oeil fortement ouvert indique l'attention soutenue :deux élémens de l'admiration. La terreur montrerait de même, dans son expression, celles des passionsélémentaires qui la composent. L'ouverture des yeux indique la forteattention ; le sourcil plus élevé vers l'angle externe, la crainte ; labouche béante et les plis qui se forment à ses deux angles, l'attentionforte, qui sont, pour ainsi dire, les élémens de la terreur. L'horreur, qui n'est que la terreur accompagnée de dégoût, annonce cedégoût par une légère proéminence des lèvres en avant, ajoutée auxautres indices physionomiques de la terreur. On voit par-là combien le D. Gall s'est trompé, en plaçant dans le cerveau les organesde plusieurs passions. La forme du crâne ne peut exprimer que le degrédes facultés intellectuelles, que la physionomie de l'esprit : encoreil faut supposer que les différens sinus creusés dans cette boîteosseuse ne dérobent pas à la main de l'observateur la forme de l'organeimportant qu'elle renferme ; il faut supposer que les organes dont laproportion indique celles des différentes facultés qui leur sontattachés, se trouvent à la voûte du cerveau ; ce qui est contraire auxfaits, par lesquels la physiologie nous apprend que c'est à la base ducerveau qu'il faut chercher ses parties essentielles. Mais si laphysionomie de l'esprit est tracée sur la périphérie du cerveau, laphysionomie du caractère et des différentes passions qui lecaractérisent se trouve sur la figure. C'est sur elle que se peignentnos vices, nos vertus et nos affections. Les sillons que nos passionsont tracés sur notre visage indiquent les orages qu'elles ont élevésdans notre coeur (3). Que les passions agissent sur le système capillaire sanguin, c'est cedont on ne peut douter. Pendant que les passions tristes ralentissentla circulation dans ce système, les passions gaies augmentent sonactivité. On a vu des peines concentrées produire le scorbut ; et l'onsait que cette maladie se caractérise par de légères hémorrhagies, quela rupture ou l'inactivité du système papillaire a produites. Ce qui prouve cette influence, c'est que, pendant que, par l'effet dela crainte, on voit pâlir la figure, partie du corps où le systèmecapillaire, plus superficiel et couvert seulement d'un épidermedélicat, montre plus à nu les différens flux et reflux sanguins qu'yproduit l'influence des passions ; pendant, dis-je, que la crainte faitpâlir le visage, la colère l'enflamme, la joie l'anime et le colore. Lapudeur, en semant des roses sur le visage d'une jeune fille, indiqueles nouveaux désirs qui l'agitent et la timidité qui les accompagne ;et tandis que l'homme ne sait exprimer son amour qu'avec des mots, labeauté qui rougit fait le plus doux des aveux. Il serait assez difficile de déterminer l'action des passions sur lesautres systèmes de l'économie : leur peu de sensibilité, leurspropriétés vitales peu marquées se laissent difficilement modifier parleur action. Si nous interrogions les organes à présent, nous verrions les passionstristes affecter le cerveau et donner lieu aux fièvres nerveuses quiparaissent avoir leur siège dans cet organe important ; affecter lefoie et produire des jaunisses opiniâtres ou des engorgemens incurables; produire des hémophthysies et des phthisies, en influençant lespoumons. Nous verrions surtout les passions affecter les appareils tout entiers; le chagrin faire verser des larmes ; l'aspect d'un bon mets augmenterla sécrétion salivaire ; un accès de colère augmenter la sécrétion dela bile, et des désirs voluptueux à l'aspect d'une femme charmantestimuler vivement toutes les parties de l'appareil générateur. Nousverrions, chez ce sexe aimable, à qui la nature a donné le soin decréer l'homme, celui de l'élever, et enfin celui de le rendre heureux,éprouver dans l'organe générateur qui l'a porté, et dans l'organe quilui a fourni ses premiers alimens, la joie dont l'enfant enivre soncoeur maternel, et toutes les peines qu'il lui fait éprouver. Après avoir parlé de l'influence de nos passions sur notre économie, ilfaudrait parler de l'influence des passions de nos semblables sur cettemême économie. L'expression d'une passion excite souvent une passionsemblable chez le spectateur désintéressé. Nous avons chez nous uninstinct d'imitation qui nous rend communs, et les sentimens et lesactions de ceux dont nous sommes entourés. Et sans parler des enfans,le professeur Dumasparle d'un homme qu'une force irrésistible portait à imiter tous lesmouvemens qu'il voyait faire devant lui, et qui, pour converser avecses amis, était obligé de leur tourner le dos. On pourrait encore citerl'observation de Boerhaavesur la contagion des maladies nerveuses et sur leur facile communication. On sait aussi que Condillaca prouvé que c'était à cet instinct imitatif que nous devions notresupériorité sur les animaux. Si tout homme, en effet, était commechaque animal, obligé de parcourir la même carrière parcourue parl'homme qui l'a précédé, il n'irait pas plus loin que lui ; ce seraittoujours à recommencer : nous n'aurions pas l'avantage de posséder lamasse de connaissances mises, pour ainsi dire, bout-à-bout de tous ceuxqui nous ont ouvert le chemin si pénible de la vie. Mais on ne sait peut-être pas que c'est à ce même instinct imitatif quenous devons nos vertus. Si, en effet, nous souffrons quand nous voyonssouffrir ; si nous partageons le bonheur de nos amis ; si l'expressionde la joie sur leur visage fait éclore une joie pareille dans notrecoeur ; n'est-ce pas la source de ce sentiment invincible qui nousporte à secourir le malheur et à faire des heureux ? N'est-ce pas-là legerme de cette passion généreuse qu'on appelle humanité ? Il faudrait à présent parler de l'art de vaincre les passions, ou enagissant sur le physique pour agir sur le moral, ou en les combattantl'une par l'autre, et comme les marins, en faisant route par les ventsles plus opposés. On sent bien d'abord qu'en employant chez desadolescens des alimens peu stimulans, peu assaisonnés ; en lesemployant continuellement ; en exerçant continuellement ces jeunes genspar un travail modéré qui appelle les forces vitales vers d'autrespoints, et empêche par-là les organes de la génération de devenir uncentre d'irritation, on diminuera sur leur jeune âge la premièreinfluence de ces organes rapidement développés, et de la passionimpétueuse qui se développe avec eux. On sent bien aussi que lesexercices agréables et les voyages vaincront facilement ces passionstristes et concentrées qui ont leur siège dans les viscères del'abdomen, en diminuant les engorgemens qui les ont envahis. J'auraispu en dire davantage, mais les bornes de ma dissertation ne mepermettent pas de m'étendre sur une matière peu éclairée et réservéepour les maîtres de l'art. L'on pourrait enfin considérer les passions comme moyen thérapeutique.Il faudrait dire qu'on employe la peur ; c'est-à-dire, cette passionqui diminue les forces musculaires, en diminuant l'énergie cérébrale,dans ces manies furieuses où les muscles acquièrent une forceincalculable de contractilité ; que cette même passion de la peur, enexcitant une contraction spasmodique du diaphragme, a guéri des hoquetsconvulsifs, des fièvres intermittentes, des épilepsies imitatives.Cependant le médecin doit employer généralement les passions gaies ; ildoit apporter à ses malades aussi bien les consolations du coeur queles remèdes du corps ; la main de l'amitié est aussi douce à une âmeulcérée, que la main du chirurgien instruit pour les plaiesdouloureuses qu'elle fomente et qu'elle guérit. La gaîté calme est uncordial aussi restaurant pour un coeur abattu, que les aromates des deuxIndes pour ce corps affaibli par de longs chagrins, de longuesmaladies, de longs travaux, ou rongé par les besoins multipliés et lesprivations continuelles d'une longue et dure pauvreté. Au reste, on verra facilement que ce reflux continuel de lacirconférence au centre, et du centre à la circonférence, produit parcette série continuelle et alternative de passions mélancoliques ougaies, est utile à la santé de l'individu, en établissant uneoscillation continuelle des solides, et un mouvement continuel desfluides qu'ils contiennent, et sur lesquels ils réagissent. On verraque cette série n'est pas moins utile à ces grands corps politiquesqu'on appelle des sociétés, en faisant naître la vie et l'abondance duchoc de toutes ces passions, de tous ces intérêts opposés. Ces passionsne deviennent dangereuses que par leur excès : c'est un vin généreuxqui rajeunit les forces lorsqu'il est pris en petite quantité ; maisqui les anéantit quand l'ivrognerie le reçoit des mains de laprodigalité. NOTES : (1) En supprimant le mot primitivement,on en ferait une proposition erronée : Le contact de l'air estdouloureux pour l'enfant nouveau-né ; cette douleur détermine lepremier acte d'expiration et d'inspiration ; l'expiration doit précéderpour expulser les mucosités des fosses nasales ; c'est un éternuement :mais un aliment, d'abord sapide, devient bientôt insipide ; une plaie,d'abord douloureuse, devient insensible : on aurait tort d'arguer del'insipidité actuelle de nos sensations, pour en conclure l'insipiditéprimitive. (2) Le mot passion vient du latin pati, patior : souffrir, être affecté passivement ; dansnotre langue, il signifie : affection habituelle, comme l'amour, l'ambition, l'avarice ; aucontraire, lajoie, ladouleur, lacrainte, l'espérancesont des mouvemens passionnés ; ainsi, l'amour vit de crainte,d'espérance, de mélancolie, de joie ; et cette distinction utilen'avait pas été établie avec précision. (3) La division des facultés affectives par le docteur Gall n'est pascomplète ; cela tient peut-être aux raisons énoncées dans cet alinéa ;nous ignorerons toujours les affections dont les organes se trouvent àla base du crâne, et, par conséquent, la division ne formera jamais unsystème complet. |