TISSOT, Amédée (1816-1887) : Note sur labiographie et les travaux de Victor Leroy, botaniste et horticulteur,né à Lisieux, introducteur en Europe d'un grand nombre d'arbres,arbustes et végétaux d'origine américaine : Lecture faite à la séancede la SOCIETE LINNEENNE DE NORMANDIE, tenue à Lisieux le 24 juin 1877.- Lisieux : Typ. Lajoye-Tissot, [1877].- 12 p. ; 24 cm. Saisie du texte et relecture: M. Dubosc pour la collection électronique de la Bibliothèque Municipale deLisieux (15.I.2001) Adresse : Bibliothèque municipale, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.66.50.- Minitel : 02.31.48.66.55. - Fax : 02.31.48.66.56 Mél : bmlisieux@mail.cpod.fr, [Olivier Bogros] bib_lisieux@compuserve.com http://www.bmlisieux.com/ Diffusion libre et gratuite (freeware) Orthographe et graphie conservées. Texte établi sur l'exemplaire de la bibliothèque (BmLx : br norm 110). NOTE Sur la Biographie et les travaux de Victor LEROY BOTANISTE et HORTICULTEUR, né à LISIEUX Introducteur en Europe d'un grand nombre d'Arbres, Arbustes et Végétaux d'origine américaine Lecture faite à la séance de la SOCIETE LINNEENNE DE NORMANDIE, tenue à Lisieux le 24 juin 1877 par M. Amédée TISSOT Secrétaire général de la Société de botanique et d'horticulture du centre de la Normandie, bibliothécaire de la Ville de Lisieux, officier d'Académie, etc., etc. ~~~~Messieurs, Ceconcitoyen s'appelle Michel-Victor Leroy. Son nom, à peine connu,mérite non-seulement d'occuper une place distinguée parmi lesillustrations de la cité, mais aussi de prendre rang parmi les savantsbotanistes et horticulteurs dont la France est fière, et dontquelques-uns même lui doivent une partie de leur célébrité. -Eternellehistoire du sic vos, non vobis. Œuvrede justice et de réparation, ai-je dit ; c'est qu'en effet, Messieurs,il est juste, il est équitable de rendre au savant obscur et ignoré letribut d'estime et de reconnaissance auquel il a un droit légitime.Rétablir les omissions, rectifier les erreurs commises à leur insu parles générations éteintes, c'est le devoir des générations quisurvivent. - C'est ce devoir que j'entends accomplir en revendiquantpubliquement pour Victor Leroy, devant une société aussi distinguée etaussi compétente que la Société Linnéenne de Normandie, la part decollaboration qu'il a prise, sans ostentation comme sans calcul, àl'impulsion collective donnée à la botanique et à l'horticulture aucommencement de ce siècle. J'ajoute,Messieurs, qu'en divulguant le nom de Victor Leroy, je remplis aussiune promesse faite, j'acquitte une parole donnée par un autre de nosconcitoyens, - un horticulteur également distingué, - par M. JulesOudin qui fut le confident du respectable vieillard et qui est resté ledépositaire de sa correspondance et de ses notes. C'est à lacommunication de cette correspondance et de ces notes, jointe à mespropres souvenirs et à ceux aussi de notre savant ami Arthème Pannier -que nous avons tous le regret de ne pas voir parmi nous - qu'il m'a étépossible d'écrire cette notice et la biographie complète qui ne tarderapas à être publiée. De cette biographie, je détacherai seulement les traits principaux avant d'arriver aux travaux de notre concitoyen. Michel-VictorLeroy est né à Lisieux, paroisse Saint-Jacques, le 7 octobre 1754. Ilétait l'aîné de deux fils appartenant à une ancienne et honorablefamille dont les branches collatérales, encore représentées de nosjours, ont donné à la magistrature un juge éclairé dans la personne defeu M. Leroy-Desclozages, et un notable commerçant dans la personne deM. Thorel, que la mort a récemment enlevé à l'affection de tous. Elève du Collège de Lisieux,Victor Leroy puisa dans les doctes leçons de professeurs zélés, quisemblent avoir transmis à leurs dignes successeurs le patrimoine deleur savoir et de leur dévouement, une instruction solide qui devintpour lui une ressource féconde au cours d'une carrière fertile encatastrophes, un capital précieux qu'il sut augmenter sans cesse etdont il disposa généreusement au grand profit de la science horticole. Vers1775 ou 1778, alors qu'il avait 20 ou 23 ans, Victor Leroy partit avecson jeune frère pour l'île de Saint-Domingue (Haïti), dont on vantait,non sans raison, la merveilleuse fertilité, et sur laquelle la Franceindustrielle et commerçante fixait alors des regards attentifs, tandisque la France politique suivait avec un intérêt passionné les grandsévénements qui s'accomplissaient sur le continent américain. Lesdeux frères, en s'embarquant au Havre, avaient emporté une cargaisoncomposée de divers produits de notre sol normand, et notamment unequantité considérable de poires dites de Bon Chrétien, dont lavente devait couvrir les frais de passage, alors fort élevés. Mais àl'arrivée, pour opérer cette vente, il fallut aux deux jeunesétrangers, inexpérimentés d'ailleurs, recourir à un intermédiaire. Leurchoix ne fut pas heureux il s'arrêta sur un homme dont le double titrede français et de normand devait leur inspirer toute confiance, maisqui n'était autre - je suis confus de le dire - qu'un de ces madrésaventuriers qu'on rencontre toujours dans les grands centres depopulation, un de ces entremetteurs sans cesse à la piste des nouveauxarrivants pour les circonvenir, les exploiter et les duper. Lacargaison fut vendue par cet homme, mais les frères Leroy n'entouchèrent jamais le prix. Ainsi dépouillésdes ressources sur lesquelles ils avaient compté, ils exposèrent leurfâcheuse situation à un riche colon de l'île, M. Allègre, qui lesaccueillit cordialement et leur donna des emplois dans ses vastesexploitations. Leur intelligence, leur activité, leur aptitude, lesfirent bientôt distinguer de leur patron qui leur confia une certaineétendue de terrain à cultiver pour leur propre compte et leur fournitmême l'argent nécessaire à l'achat d'un lot d'esclaves, d'un atelier ,comme on disait alors, dont le concours était indispensable pourl'exploitation. Quelques années plus tard, lesdeux frères Leroy se trouvèrent en possession d'une vaste propriété,située sur la côte septentrionale du golfe des Gonaïves, à peu dedistance de la ville de ce nom, l'une des principales deSaint-Domingue. A leurs plantations de cannes à sucre, ils avaientajouté des distilleries pour l'extraction du tafia et la fabrication durhum. L'entreprise, dirigée avec intelligence,était en pleine prospérité et les frères Leroy avaient acquis unefortune déjà importante, lorsqu'en 1791 éclata la révolution deSaint-Domingue, qui fut le contre-coup de la révolution française, etqui, après avoir duré douze ans et coûté à la France une centaine demille hommes, se termina par la perte de la colonie. Lesesclaves insurgés incendièrent les habitations de leurs maîtres danstoute l'étendue de la colonie, qui devint ainsi le théâtre sanglantd'atrocités et de pillages sans nombre, l'épouvantable foyer d'unincendie toujours renaissant. L'établissementdes frères Leroy n'échappa point au cyclone révolutionnaire : il futlivré aux flammes ; les plantations furent ravagées, et, ce qui estplus navrant encore, le plus jeune des frères fut massacré sous lesyeux de l'aîné, qui n'échappa lui-même au fer des révoltés que grâce audévouement d'une vieille négresse, la cuisinière de l'habitation. Desa fortune laborieusement acquise, il ne resta rien à Victor Leroysurvivant à ce désastre. Il ne put même pas prendre part à larépartition des cent vingt-cinq millions que le gouvernement de CharlesX obtint du gouvernement haïtien en 1825. Echappécomme par miracle à ce naufrage sanglant de la colonie française,Victor Leroy se réfugia sur le continent américain, à Boston, d'abord,où il se fit professeur, enseignant non-seulement les languesfrançaise, grecque et latine, parlant en outre les langues espagnole etportugaise, qu'il avait apprises à Saint-Domingue et dans le cours deses voyages, pour le compte de sa maison de commerce, sur les côtes del'Amérique méridionale et de l'Afrique. Appelé à l'Université deBoston, il s'y fit bientôt remarquer, et certaines lettres de cesanciens élèves, devenus de hauts personnages, des dédicaces d'ouvrages,témoignent non-seulement d'une profonde reconnaissance, mais aussi d'unattachement véritablement filial, et le recommandent à tous nosrespects, comme ses travaux le signalent à notre estime. C'està cette époque, sans nul doute, qu'il fit la connaissance du botanisteAndré Michaux, que le gouvernement avait chargé, en 1803, d'explorerles forêts de l'Amérique septentrionale, et qui, devenu en 1806, membrecorrespondant de l'Académie des sciences, entretint avec Victor Leroyune correspondance scientifique et affectueuse, qui ne cessa qu'à lamort de ce dernier. Quelques années plus tard,Victor Leroy se retira à Baltimore, où il acquit une propriété et selivra entièrement à la botanique, à l'horticulture, n'interrompant sescultures que pour parcourir les forêts du Tennessee, les bords des lacsErié et Ontario, les monts Alleghanys, d'où il rapportait ces graines,ces plantes, ces arbustes qu'il expédiait ensuite à Paris ou à Londres,d'où elles se répandaient dans les autres Etats européens. Avantde revenir se fixer définitivement à Lisieux, en 1831, Victor Leroyavait fait en France quelques voyages, notamment en 1811, en 1817 et1818, pendant lesquels il avait noué des relations avec les botanistesles plus distingués de cette époque, avec Noisette, avec Grandidier,avec Cels, dont la pépinière de Montrouge était célèbre et quiparticipa à la rédaction du Code rural ; avec les frères Thouin, avecBonpland, qui fit, en compagnie de Humbold, un voyage scientifique decinq ans en Amérique ; avec Descemet, qui devint directeur du Jardinbotanique d'Odessa ; avec Desfontaines, de l'Académie des sciences ;avec Lechevallier, professeur d'Histoire naturelle ; avec Delarue,Secrétaire de la Société de médecine, chirurgie et pharmacie dudépartement de l'Eure, qui lui remit, le 8 octobre 1918, le diplôme demembre correspondant de cette Société ; avec André Michaux, enfin, quichercha à le détourner de son désir de venir habiter Lisieux et àl'attirer près de lui à Paris. " J'ai surtout à cœur, lui écrivait cedernier, le 25 février 1831, une chose dans laquelle j'espère réussir,qui peut-être vous surprendra : c'est de vous prouver que vous nepouvez pas vous fixer à Lisieux. C'est à Paris seul, où vous jouirezpleinement du bonheur de la vie, considérée sous le rapport de lascience et des arts. Votre temps sera bienemployé à assister ou mieux encore à coopérer aux travaux de la Sociétéroyale et centrale d'Agriculture, de la Société d'Horticulture, decelle d'Encouragement pour l'Industrie et même aux séances del'Académie des Sciences. Je vous présenterai, et, de suite, vous serezadmis partout. " Ces relations suivies,cette insistance d'André Michaux à attirer à Paris notre concitoyen, aumoment où il songeait à revenir au pays natal, indiquent clairement queVictor Leroy était tenu en haute estime par nos savants botanistes ethorticulteurs, et que son savoir et ses travaux étaient grandementappréciés. C'est qu'en effet, Victor Leroyétait un esprit distingué. Très- lettré, doué d'une mémoireprodigieuse, qui lui permettait, à quatre-vingt-quatre ans, de réciterencore des pages entières d'Homère et de Virgile, de Corneille et deRacine, il s'exprimait avec une lucidité parfaite et racontait sesvoyages et ses aventures avec une bonhomie charmante, dont le souvenirn'est point effacé de la mémoire du petit nombre de ceux qui l'ontconnu. Aussi, Messieurs, serez-vous surpris,comme moi, comme M Jules Oudin, que le nom de cet homme instruit, de cesavant, aussi distingué que laborieux, non-seulement ne soit pas connude ses concitoyens, mais n'ait jamais été prononcé dans les ouvrages oules mémoires des botanistes et des horticulteurs avec lesquels ilentretenait des relations très-actives et très-importantes au point devue de la science ? Un seul botaniste a parléde lui, et ce botaniste n'est pas un Français. C'est un savantétranger, et c'est avec une vive satisfaction que je constate que cetétranger est un Italien, M. Bonafous, directeur du Jardin botanique deTurin. Il a cité avec éloges le nom de Victor Leroy dans son rapport àl'Académie des Sciences de cette ville sur le Maclura aurantiaca, dont je vais avoir bientôt l'occasion de vous parler. Quoiqu'il en soit, l'insistance d'André Michaux ne parvint point à amenerVictor Leroy à Paris. Atteint par la maladie, en 1831, alors qu'ilavait soixante-seize ans, notre concitoyen, croyant entrevoir sa finprochaine, et voulant mourir sur le sol natal, réalisa en toute hâte samodeste fortune et revint à Lisieux, chez Mme Leroy-Desclozages, sacousine. Grâce aux bons soins qu'il trouva dans cette honorablefamille, et aussi dans sa vigoureuse constitution, sa santé se rétablitpromptement et il vécut encore dix années, pendant lesquelles sapassion pour l'horticulture ne cessa de se manifester. Il ne se passaitguère de jours, dans la belle saison, qu'il n'allât visiterl'établissement horticole de M. Oudin père, situé alors sur leboulevard Sainte-Anne, donnant à M. Jules Oudin des conseils, desencouragements, des leçons instructives, qui n'ont pas peu contribué àdévelopper chez l'habile horticulteur de la Pommeraye l'amour passionnéde la science horticole. Victor Leroy mourut le 7 juillet 1842. * ** Aprèsavoir retracé à grands traits la biographie de notre concitoyen, il mereste à vous entretenir de ses travaux scientifiques et à le signalerainsi au respect et à la reconnaissance de tous les amis de labotanique et de l'horticulture. Très-nombreusessont les importations de graines, de plantes, d'arbustes et d'arbreseffectuées par Victor Leroy ; elles se chiffrent par plusieurscentaines. Le peu d'instants que vous pouvez,à notre grand regret, nous consacrer, ne me permet pas de dresser icicette longue nomenclature. Je la reproduirai complète à la fin de labiographie. Je me bornerai à vous signaler quelques-unes de cesimportations, celles qui ont été les plus fécondes en résultats utileset qui désignent plus particulièrement l'importateur à notre attention: 1° OEsculus rubicunda . (marronnier à fleurs rouges.) - L'une des premières introductions de plantes exotiques faites en France par Victor Leroy, fut celle de l'OEsculus rubicunda,le marronnier à fleurs rouges, qui fait aujourd'hui l'un des plus beauxornements de nos parcs et de nos promenades. Elle date de 1812.L'OEsculus rubicunda n'est mentionné dans aucun des ouvrages debotanique ou d'horticulture antérieurs à cette date. L'Almanach du Bon Jardinier,rédigé par une société d'horticulteurs, aussi instruits qu'habiles, ditque cet arbre provient de graines données au Jardin-des-Plantes deParis en 1812, par M. Michaux, qui les avait reçues d'Amérique. Celaest vrai ; mais il aurait dû ajouter que Michaux les tenait de VictorLeroy, qui les avait apportées lui-même à Paris, lors du voyage qu'ilfit en France en 1811. 2° Styrax levigata. (L'Aliboufier.)- Dans un envoi fait à Michaux au commencement de 1820, Victor Leroy lui adressait des plants du Styrax levigata, décrit par Aiton, directeur du jardin botanique de Kew (Angleterre), et qu'on désigne plus vulgairement sous le nom d'Aliboufier. 3° Jeffersonia.- Au commencement d'avril1822, il adressait à Paris sept caisses qui parvinrent en bon état, -détail qui semble indiquer qu'il n'en était pas toujours ainsi. - Danscet envoi se trouvaient des pieds de Jeffersonia, plante de la familledes Podophyllées, très-rare, et ainsi nommée parce qu'elle fut dédiée àJefferson, président des Etats-Unis de 1801 à 1809. 4° Malus coronaria. (Pommier odoriférant.) Crab-Apples.- Victor Leroy introduisit également, vers 1823, le Malus coronaria, de Linné, autrement dit le Pommier odoriférant que les américains désignent sous le nom de Crab-Apples.Et au sujet de cet arbre, André Michaux lui écrivait, le 12 mars 1824 :" Dès que je pourrai obtenir quelques greffes, je les grefferai sur desparadis, en fente, de sorte que j'aurai de jolis pommiers nainsodorants, car je n'ai pas oublié l'odeur délicieuse que répandent lesfleurs de ce pommier sauvage. Je vous serai, ajoute-t-il en terminant, redevable de cette douce jouissance. " 5° Epigoea repens.- C'est encore à Victor Leroy que nous devons l'introduction de l'Epigoea repens,décrit par Linné ; petit arbrisseau, dont les fleurs sont blanches, lesfeuilles rugueuses et toujours vertes. Il en envoya trois ou quatrepieds en 1824 à Cels, qui les planta et les cultiva avec grand soin. Lecélèbre horticulteur de Montrouge appréciait assez vivement cetarbrisseau, pour supplier Michaux de prier Victor Leroy de lui en adresser encore, pour 1825, 150 pieds que se disputeraient les amateurs. 6° Maclura aurantiaca. - L'horticulture est aussi redevable à Victor Leroy de l'introduction du Maclura aurantiaca, Maclure orangé ou doré, dont le bois servait aux Indiens et aux Osages à confectionner leurs arcs, ce qui lui a fait donner le nom vulgaire de Bois d'arc. Le Bois d'arc fut rapporté des bords duMissouri par le capitaine Lewis, que le président Jefferson avaitenvoyé en excursion dans cette contrée. Le capitaine en donna quelquesgraines à Victor Leroy, ainsi qu'au botaniste américain Micran, aveclequel Victor Leroy était en relations d'amitié et d'étudesscientifiques. Victor Leroy cultiva ces graines dans sa propriétéde Baltimore, et vers 1815, après s'être assuré que cet arbre n'étaitni classé, ni connu en Europe, il le dédia au botaniste Maclur et lui donna son nom. Dès le commencement de 1820, il envoya des fruits duMaclura à Noisette et à Grandidier, en même temps qu'il expédiait desgraines d'autres plantes à Cels et à M. Delarue, d'Evreux. " J'ai retardé jusqu'à ce moment à vous écrire - luidisait Michaux dans une lettre du 5 mai 1820 - afin de vous informer del'emploi définitif du bel envoi que vous m'avez adressé. Cetenvoi est arrivé le 22 mars au Havre et à Paris le 7 avril. Lelendemain du 7 avril que ces caisses furent en ma possession, j'écrivisaux personnes auxquelles les petites caisses étaient destinées enprésent, et elles s'empressèrent de les retirer. J'envoyais de suite àM. Delarue, à Evreux, celle qui était pour lui. Bien certainement dansles deux caisses pour Cels il n'y avait point de fruits de Bois d'arc, Maclura.Ceux de ces fruits qui étaient dans les caisses de Noisette et deGrandidier étaient aussi frais que le jour où vous les avez encaissés;mais le grand chagrin a été que ces fruits étaient loin d'avoir atteintleur maturité, ce qui a été reconnu aprés la plus scrupuleuseinvestigation. J'ai fait voir ces fruits à nos grands docteurs enbotanique qui ont bien reconnu en eux un nouveau genre, New-Genus.Enfin les beaux fruits font vivement désirer cet arbre. Ce sera unebonne fortune le jour où il nous en parviendra soit quelques pieds,soit des fruits bien en maturité." Le désir des docteurs en botanique fut réalisé deux ans plus tard, en 1822. Des quelques graines que Victor Leroy avait seméesen 1806, trois seulement avaient germé. Les jeunes pieds sedéveloppèrent promptement et devinrent très-vigoureux; mais ils nefructifièrent que la huitième année, c'est-à-dire vers 1814, et lesgraines n'atteignirent pas la maturité nécessaire pour la germination.Pour multiplier l'espèce et la répandre, Victor Leroy fit développerdes jets sur les racines en ouvrant en automne une tranchéerelativement profonde autour du seul pied qui lui était resté. Lesracines fendues par la bêche et dont la section se trouvait mise à nu,poussèrent de jeunes tiges au printemps suivant. Victor Leroy lestransporta après la chute des feuilles, les soigna pendant quelquesannées en pépinière et les envoya ensuite à Paris et à Londres. C'est de 1823 que date cet envoi important, ainsi que nous l'apprend une lettre de Michaux, datée de Paris 12 mars 1824 : " Le Bois d'arc, Maclura,dit-il, que vous avez envoyé l'an passé, fait merveille. Certainsindividus ont poussé l'été dernier (l'été de 1823) de cinq pieds. Ilspassent l'hiver à peine couverts. " Et il ajoute ce trait significatif et précieux pour nous : " Cette précieuse acquisition vous est due " Ces détails, M. Jacques, jardinier en chef du roiLouis-Philippe, au château de Neuilly, les ignorait évidemmentlorsqu'il écrivait dans les Annales de Flore et Pomone (1832-1833) que le Maclurasignalé par Michaux, et dont il avait vu un individu chez Noisette, "paraissait avoir été introduit d'abord en Angleterre en 1824 et quelquetemps après en France. " La vérité est que le Maclura a été importésimultanément en France et en Angleterre en 1823 par Victor Leroyl'individu que M. Jacques avait vu chez Noisette provenait de l'envoidont parle la lettre d'André Michaux. Aujourd'hui, cet arbre vigoureux, dont les rameauxpeuvent croître de deux ou trois mètres dans une seule année, sertd'ornement à nos grands parcs, où ses fruits, de la grosseur et de lacouleur d'une orange, produisent le plus bel effet. Mais ce n'est pas là son unique mérite ; il n'estpas seulement agréable : il est encore utile. Ses feuilles sontexcellentes pour la nourriture de vers à soie, et ses rameaux, armésd'épines longues de deux ou trois centimètres, très-aiguës ettrès-fortes tout à la fois, sont employées dans le Midi à faire desclôtures qui deviennent impénétrables au bout de quelque temps. 7° Vigne Isabelle. - Mentionnons encore parmi les importations dues à Victor Leroy, la Vigne américaine, dite aussi Vigne Isabellequi s'élève à cent et même cent cinquante pieds de hauteur, et dontMichaux, dans une lettre, datée du 10 mars 1838, dit : " L'intéressanteespèce de vigne que vous rapportâtes de Baltimore, et que j'ai multipliée. " 8° Wisteria chinensis, (Glycine de la chine).- Et la Wisteria chinensis,variété de Glycine à fleurs double que peu d'établissements horticolesrenferment encore, et dont Michaux possédait en 1837, dans sa propriétéde Veauréal, près Pontoise, un exemplaire que Victor Leroy lui avaitrapporté à son retour en France en 1831. 9° Chênes. -Mais l'importation la plusconsidérable au point de vue de la sylviculture et la plus importantecomme utilité publique, fut celle de nombreuses variétés de Chênes,d'Ormes et de Végétaux ligneux. André Michaux avait bien vu ces multiples espècesdans son voyage en Amérique, et il en avait bien donné la descriptiondans son Histoire des arbres forestiers de l'Amérique septentrionale, publiée de 1810 à 1813, mais il n'avait rapporté aucun sujet. Il était réservé à Victor Leroy de faire cette introduction Au commencement de 1820, il adressa au Gouvernementsept caisses qui ne comptaient pas moins de vingt-quatre variétés deChênes, parmi lesquelles le Quercus tinctoria, dont l'écorce sert à teindre en jaune ; le Quercus ferruginea,arbre buissonneux qui doit son nom à la couleur rouille de sa feuilled'aspect ferrugineux, et au sujet duquel, le 16 février 1832, Michauxlui écrivait : " Je vous dirai que c'est vous QUI ETES LE PERE DU Quercus ferruginea(Black Jack, en anglais) si remarquable par son singulier feuillage ;le bois de Boulogne est le seul endroit où il existe en Europe. " Le Quercus palustris,qui croît dans les terrains souvent submergés en Amérique, ce qui lui avalu son nom, et qui pousse à peu près partout en Normandie, avecautant de rapidité que le peuplier, témoins les quelques sujets qui setrouvent dans le parc du château de Mailloc ; le Quercus falcata, le Quercus rubra, le Quercus coccinea, dont les feuilles se teintent d'un rouge vif sous l'influence des premiers froids de l'automne. Et encore le Quercusdiscolor,- Prinus, - castoefolia, - lyrata, - imbricata, - macrocarpa,- nigra, - aquatica, - tomentosa, - laurifolia, - obtusifolia, -Phellos, - Catesboei, - alba, - Banisteri, - vivens, etc., etc. Ces glands, nous apprend Michaux, dans une lettre du5 mai 1820, arrivèrent malheureusement trois semaines après le renvoidu ministère de M le comte Decazes, ministre de l'intérieur, grandamateur d'agriculture. " Il a été remplacé, continue Michaux, par M. lecomte Siméon, qui est plutôt un financier et entièrement étranger àl'agriculture. Il est donc résulté de mes démarches qu'on n'a pas vouluaccepter vos sept caisses pour les deux cent francs de frais que j'aidéboursés … La seule chose que j'ai pu obtenir, çà été de faire semertous ces glands dans le bois de Boulogne. " Cette plantation a étéfaite immédiatement à coté de l'endroit où nous avons été ensemble,-vraisemblablement en 1818 pendant le voyage de Victor Leroy en France; quant à l'endroit ainsi désigné, il se trouvait près de la mared'Auteil, célébrée par les romanciers et chantée par les poëtes. - "J'ai reconnu le terrain, poursuit Michaux, comme très-favorable, etj'ose espérer que, malgré les sécheresses, nous aurons un succèscomplet. " …M. l'intendant des domaines n'a mis d'autrecondition à la permission de planter sur le terrain de Sa Majesté quede laisser quelques centaines de pieds de ces espèces exotiques, et quele reste je pourrais en disposer. Enfin, mon bon ami, voilà le résultatde notre dévouement ; mais vous et moi serons heureux de voir prospéreren France ces beaux arbres. Il nous suffit qu'ils y existent sur unepropriété publique. Car les arbres les plus beaux et les plus rares quise trouvent dans les parcs et les jardins des amateurs finissent pardisparaître, coupés ou arrachés par les nouveaux acquéreurs. " Mais le dévouement des deux botanistes ne s'arrêtapas là. Les soins de Michaux furent mis à des épreuves délicates qui seprolongèrent pendant plusieurs années. Ainsi, en 1824, il écrivait àson collaborateur et ami Victor Leroy : " L'intéressante plantation dechênes, résultat de votre envoi il y a trois ans(1821), faiteau bois de Boulogne, dévorée par les lapins l'année d'ensuite (1822), arepoussé du pied, et l'an dernier (1823) et cet hiver (1824), j'ai, àforce de recommandations, obtenu de faire empailler les rejetons, cequi a parfaitement réussi. J'en ferai de même jusqu'à ce que ces arbressoient assez gros pour se préserver eux-même. " L'année suivante, en 1825, il écrivait, de nouveau àVictor Leroy, après une visite faite à ce que les deux amis appelaientplaisamment leur forêt américaine : " Deux hivers où il esttombé de la neige ont fait que les lapins ont épargné les plantes dubois de Boulogne, qui proviennent de vos graines, et j'ai l'extrêmeplaisir de voir croître vigoureusement les Quercus ferruginoea, Quercusprinus palustris, Quercus falcata. Ces espèces ont de trois à six piedset leur végétation et très-belle. Ces variétés étaient bien difficilesà se procurer. Nous vous les devons. " Enfin, le 16 avril 1831, il lui écrivait encore : " J'ai été visiter aujourd'hui mes enfants et les vôtres du bois de Boulogne.Ceux-là en valent bien d'autres, et ils attesteront, sans nul doute,sous quelques centaines d'années, le passage sur la terre de deux bonscitoyens. " Les espérances de Michaux, exprimées d'une façon sidigne et si touchante, ne se sont pas réalisées. Les témoins du passagesur la terre de deux bons citoyens, les enfants des deux laborieuxbotanistes sont disparus du bois de Boulogne : la forêt américainen'existe plus. En 1873, au mois d'avril, alors que je commençais àrecueillir les notes qui m'ont servi à écrire la biographie de VictorLeroy, j'ai voulu voir la forêt américaine. Je suis allé à lamare d'Auteuil : Les chênes, si péniblement collectionnés par VictorLeroy, élevés avec tant de sollicitude par Michaux, avaient, eux aussi,été victimes de la guerre allemande et de la guerre civile ; leurstroncs vénérables avaient été troués, déchirés par des balles, leursrameaux brisées par les obus : on avait dû abatre ces pauvres mutilés,et on avait défriché le terrain sur lequel ils avaient grandi depuis1821, c'est-à-dire pendant cinquante ans. C'est à peine s'il en restecinq ou six, dont l'un n'a pas moins de cinq mètres de circonférence àhauteur d'homme. Mais si les chênes exotiques n'existent plus au boisde Boulogne, on retrouve leurs semblables, je pourrai même dire leursfrères, dans le parc du château d'Harcourt, département de l'Eure, quiappartient à la Société d'agriculture de France. Devant le murseptentrional du parc réservé et dans la cour qui précède le châteautapissé de lierres de l'effet le plus pittoresque, s'aligne une doublerangée de ces chênes exotiques qui proviennent des premières grainesenvoyées d'Amérique par Victor Leroy, et qui ont toute la vigueurd'arbres en pleine force. Je pourrais, Messieurs, allonger considérablementencore la liste des importations faites par notre concitoyen. Jepourrais citer certaines espèces d'ormes, Ulmus rubra, Hudsoniana, fulva, Canadensis, qui fournissent aussi des bois précieux, -les Juglans, nigra, laciniata, squammosa, Noyers et Faux noyers,dont les bois sont fort précieux et recherchés à cause des colossalesdimensions de leurs troncs, de leur solidité et de leur rare beauté, etdont certaines variétés fournissent un bois nuancé de violet et de brunnoirâtre, non sujet à se fendre et à se gercer, n'ayant pas de retraità la dessiccation, inattaquable aux vers et susceptible d'un très-beaupoli, toutes qualités qui le rendent propre à une multitude d'usages.Je pourrais encore vous signaler les végétaux ligneux ou à souches vivacesdont Victor Leroy fut l'importateur, et qui ne comptent pas moins de 80espèces ; une douzaine d'espèces de Cotoniers, des Céréales, -dont unblé très-productif, le Triticum Sanctoe Helenoe, a été cultivéet répandu par M. Jules Oudin pendant quelques années. Mais jem'arrête. Les introductions que je viens de signaler et qui sont, commecelles que le temps ne me permet pas d'indiquer, constatées dans lacorrespondance des botanistes parisiens, me semblent suffisantes pourjustifier pleinement la revendication de l'importante part decollaboration qui revient à Victor Leroy dans l'impulsion donnée à lascience horticole et à la botanique au commencement de ce siècle. Comme moi, Messieurs, vous serez frappés de la sommede dévouement et d'énergie que notre vénérable concitoyen, aiguillonnépar le noble désir d'être utile à la science, à son pays, à l'humanitémême, a généreusement dépensée en parcourant les immenses solitudes del'Amérique, des bords de l'Hudson aux confins du Mexique ; - comme moi,vous serez touchés des privations de toute nature, des fatigues énormesque dut s'imposer le vaillant voyageur, des dangers auxquels ils'exposait incessamment sous ces diverses latitudes, sous ces climatsvariés ; - comme moi, constatant son savoir, ses services, sesrelations, vous serez surpris que son nom soit demeuré oublié, que cestravaux soient restés ignorés, et, comme moi, vous serez émus de cetétrange oubli, de cette regrettable méconnaissance. Mais, comme moi aussi, - c'est mon espoir et monencouragement, - vous voudrez bien, Messieurs, m'aider à réparerl'oubli, à combler cette lacune dans la biographie des savantsbotanistes et des horticulteurs dévoués ; - vous voudrez bien me prêterle concours de votre influence et de votre notoriété pour proclamer etvulgariser le nom et les travaux de notre honorable concitoyen, denotre vieil ami Victor Leroy. - Avec moi, vous vous associerez àl'hommage, assurément tardif et sans doute insuffisant, maisprofondément respectueux et reconnaissant, que je suis heureux de luirendre publiquement aujourd'hui. Cet hommage, c'est le premier effortentrepris pour l'œuvre de revendication, et ce premier effort, je lefais avec d'autant plus de joie et de confiance, que je tiens comme ungrand honneur de pouvoir l'accomplir en présence et sous les auspicesde l'éminente Société linnéenne de Normandie. |