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VESLY,Léon de (1854-1927) : Légendes, superstitions etvieilles coutumes.- Rouen : Imprimerie Cagniard (Léon Gy,succr.), 1895.- 9 p. ; 21 cm.- (Extrait duBulletin de la Société libre d'Emulation du Commerce et del'Industrie de la Seine-Inférieure, 1894-1895). Saisiedu texte : S.Pestel pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (20.I.2007) Texte relu par : A. Guézou Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros]obogros@ville-lisieux.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusionlibre et gratuite (freeware) Orthographe etgraphieconservées. Texte établi sur l'exemplaire de laMédiathèque (Bm Lx : Norm br 925). Légendes, superstitions etvieilles coutumes par Léon de Vesly ~*~QUELQUES SUPERSTITIONS DE NOËL I.Les mégalithes tournants. - II. Le pain bénit. - III. Les souterrainsde la reine blanche de Gisors. I. - LES MÉGALITHES TOURNANTS C'estaujourd'hui la veillée de Noël. De tous les clochers de la villes'échappent de joyeux carillons, et de ma fenêtre j'aperçois lesvitraux de Saint-Ouen s'éclairer. Les mailles des plombs sertissent denoir les auréoles des saints et les robes des lévites. Les feux dugaz font flamber la rosace que traça le compas de Berneval, tandis qued'une haute cheminée s'échappe la fumée du calorifère étendant sa lèprenoirâtre sur les moines, les évêques et sur tout ce peuple de statuesfixé au sommet des pinacles par le génie de nos pères. Adieu,saints prélats, dont le givre recouvrait les dalmatiques et festonnaitles ornements des mitres : la suie recouvre maintenant vos manteaux; etvous, gargouilles à la gueule béante, désormais vous ne lancerez plusque les résidus de la houille. Remisée aux vieux clichés, lalueur pâle et tremblante des cierges. Déposés dans les musées, leschauffemains de nos aïeules, chefs-d'oeuvre de nos faïenciersrouennais. Le gaz, l'électricité, le calorifère vous ont remplacés, et les poètes seuls pourront encore évoquer vosimages troublantes..... Pendant que je laissais ainsi errer mapensée, la foule des fidèles se rendait à la vieille abbatiale pourredire le « Gloria », ce chant d'allégresse qu'entonnèrent les anges,il y a près de 2,000 ans, aux cieux de Bethléem, car seule la liturgieconserve les vieilles traditions, quoiqu'elles se modifient chaque jourau contact de la musique profane. Et, cependant, comme ilsétaient beaux en leur simple et lente mélopée ces chants religieux, cesNoëls naïfs qui bercèrent et réjouirent nos aïeux. Un poète, MauriceBouchor et de patients érudits, MM. Christophe Allard et Noury,s'efforcent de les recueillir pour nous faire goûter le charme de leurpoésie et la saveur de leur rusticité. Etces vieilleslégendes contées sous la vaste cheminée pendant que la bûche de Noëlcrépitait dans l'âtre, elles ne sont pas complètement oubliées.Hâtons-nous donc de les recueillir pendant qu'il en est temps encore. Lenarrateur est devenu vieux, il a bien la tête branlante et le récit unpeu languissant, mais les superstitions, quoique altérées, sont encoreconservées par les populations des villages, ignorantes des inventionsde la science moderne. Noël est non seulement, pour le peuple,la nuit où naquit l'Enfant-Dieu, c'est aussi celle où parut dans lescieux l'étoile miraculeuse : l'astre des mages chaldéens. Est-ceun lointain souvenir de l'enseignement des druides, ces prêtresastrologues qui célébraient le solstice d'hiver ? Est-ce un souvenirplus lointain encore ? - Je ne saurais préciser, mais ce que je sais,c'est que j'ai retrouvé dans plusieurs légendes la trace de pratiquesastrologiques. Et cependant le peuple ignore les pyramides àétages et les tablettes d'argile chargées de caractères cunéiformes ;mais comme il est logique, il reconnaît dans les mages, les pères del'astrologie. Avec son bon sens, il les revoit, les yeux fixés tour àtour sur des lignes cabalistiques et sur la voûte du firmament, où, lespremiers, ils découvrent l'astre qui doit guider rois et bergers versl'étable où est né Jésus. Aussi, dans cette nuit de Noël, toutprend un air de mystère, voire même de sorcellerie. Les roches quibordent notre beau fleuve, les monuments mégalithiques qui se dressentencore au milieu des champs voient leurs grosses pierres tournerplusieurs fois sur elles-mêmes pendant la généalogie de la Messe deminuit. A Gerponville (canton de Valmont), un mégalithe situéaux Clos-Blancs, hameau de Veauville, s'agite au fond de la fosse où ilrepose depuis des siècles et tourne trois fois sur lui-même. Quesi l'énorme pierre exécute ce mouvement, c'est sans endommager son beaumanteau de lichens et de mousses, et sans fouler les ronces quil'enveloppent. C'est du moins ce que j'ai constaté ; mais à Gerponvilleon croit au surnaturel et une pierre du bois voisin de celui duPivallet préserve de la foudre (1). Une autre pierre tournanteest celle connue sous le nom de « Mademoiselle de Mallemains ». Elleest située au Boscgouet, commune du canton de Routot (Eure), sur lebord d'un bois voisin de celui du Perret et de la forêt de La Londe. Encet endroit s'élève un tertre de peu de hauteur, légèrement incurvé enson milieu et qu'abritent des sapins. Au fond de la cavité une grossepierre de deux mètres delongueur sur soixante-dix centimètres de largeur est couchée à terre.C'est là le mégalithe valseur qui tourne sur lui-même pendant la nuitde Noël. Mlle Amélie Bosquet, qui rapporte aussi cette légende, ajouteque les habitants du pays prétendent qu'un ancien propriétaire ayantenlevé la pierre de l'emplacement qu'elle occupe, à l'aide de troiscents chevaux, elle y revint elle-même de son propre mouvement la nuitsuivante (2). A une lieue à peine au-dessous de Caudebec, sur leterritoire de Villequier et non loin du château de la Martinière, sevoit une roche que le peuple désigne sous le nom du Pain Bénit. Cetteroche ne se distingue des roches voisines que par sa forme conique unpeu aplatie au sommet. Mais combien elle est vénérée dans toute lacontrée. Ses flancs recèlent des trésors que gardent des monstres etdes dames blanches ; et, chaque année, cette roche tourne sept fois surelle-même pendant la gènéalogie de la Messe dé Minuit (3). II. -LE PAIN BÉNIT Le nom de Pain Bénit donné au rocher deVillequier me remet en mémoire certaines superstitions auxquelless'attache le symbole de la fraternité chrétienne. Le jour deNoël, le pain bénit est généralement offert par les garçons desvillages normands et la part donnée à chaque paroissien surpasse envolume la petite bouchée des distributions dominicales. Aussi, aprèss'être signées dévotement avec le gâteau bénit, les bonnes femmes le gardent-ellesprécieusement dans leur chaumière, pour l'employer à des pratiquessuperstitieuses. Dans les environs de Gournay ainsi que dansplusieurs communes riveraines de l'Epte, il est déposé dans l'armoiresur les piles de linge, orgueil des ménagères normandes, et là, àl'abri des causes de détérioration, il révèle l'état de santé desabsents ; car s'il vient à se couvrir de moisissures, le fils militaire,la fille placée en service sont menacés de maladie et peut-être de mort. Dansquelques contrées, c'est le gâteau des rois qui remplace le pain bénitde Noël. Après que le morceau appelé « part à Dieu » a été tiré par leplus jeune enfant, auquel l'usage attribue les fonctions dedistributeur, le morceau de l'absent est aussitôt désigné et placé dansl'armoire. Les braves gens qui ne connaissent ni les bacciles, ni lesvégétations des levains, tremblent en voyant les microscopiquescryptogames tracer leurs petits cercles verdâtres sur la part de gâteaudu cher absent. Un autre emploi du pain bénit de Noël est dansl'usage suivi par les habitants de la presqu'île de Tourville (cantond'Elbeuf), pour retrouver le corps d'un noyé. Les parents etles amis chargés de faire des recherches se rendent à l'endroit oùl'accident ou le suicide a eu lieu. Ils placent alors sur le fleuvetrois jattes en bois dans lesquelles on a mis, au préalable, unebouchée de pain bénit et un petit cierge. Les légers esquifs ainsilestés s'en vont au courant de l'eau voguant au gré du flux et dureflux, s'arrêtant aux branches des saules ou aux obstacles semés surles rives. Après deux marées consécutives on s'enquiert de la position des écuelles, et c'est dans le triangle dont elles fixent lessommets que le corps doit être retrouvé. Les habitants de lapresqu'île Gémétrique suivent une pratiqueà peu près semblable : lorsqu'un individu se noie, on fait bénir uncierge que l'on fixe sur une planche ou sur un morceau de liège. Aprèscette préparation, on allume le cierge, on le lance au gré du courantet il doit immanquablement s'arrêter à l'endroit où le corps a disparusous les flots (4). Ces dernières superstitions, sans avoir unebase absolument scientifique, reposent au moins sur l'observation durégime de la Seine, faite par les populations du littoral. On sait queles hydrauliciens, pour fixer la vitesse d'un cours d'eau et parvenir àle jauger, relient ensemble de petites boules de densité différente,qui, pour cette raison, plongent à des profondeurs variables dans lamasse liquide. Les flotteurs des riverains de la Seine sont d'unetechnique moins savante que celle enseignée par MM. de Prony et deSaint-Venant, mais qui tend vers le même but : établir la position d'uncorps flottant au gré d'un courant. Pourquoi, dira-t-on, lemorceau de pain et le cierge bénits ? D'abord, pour assurer lastabilité du flotteur, ensuite pour donner du surnaturel à uneexpérience trop simple en elle-même. Et le nombre trois fixé pour lesécuelles ? C'est un nombre impair et favori des Dieux. - Deus imparegaudet. - Il se trouve à la base de toutes les pratiques cabalistiques,vestiges du paganisme, et il suffira pour perpétuer encore longtemps lanaïve superstition des riverains de notre beau fleuve. III. -LE SOUTERRAIN DE LA REINE BLANCHE L'imagination populaire s'esttoujours complue à rêver le mystérieux au milieu des ruines des ancienschâteaux-forts. Les trésors gardés par desmonstres ; les tours démantelées où demeurent et habitent les Damesblanches ; les souterrains impénétrables que la Folle du logis peutseule parcourir sont ordinairement le thème favori de toutes leslégendes. La forteresse de Gisors n'a rien à envier auxantiques tours et aux vieux donjons qui bastionnent les rives de laSeine, du Rhin ou de la Gascogne. La tradition veut, en effet, qu'unsouterrain dénommé de la reine Blanche, aujourd'hui bouché, ait servi àrelier les donjons de Neaufles (5) et de Gisors. Ce souterrainmystérieux, dont tout le monde parle mais que personne n'a jamaisparcouru, recèle, en un endroit défendu par des grilles formidables, untrésor immense. Il n'y a qu'un jour, qu'une heure, qu'un moment dansl'année où il soit possible de pénétrer dans cette obscure demeure,mais à des conditions qui font frémir la cupidité la plus insatiable.Le jour de Noël, à l'instant où le célébrant lit la généalogie de lamesse de minuit, les obstacles qui s'opposent aux efforts de ceux quiauraient voulu s'enfoncer dans la mystérieuse caverne se dissipent toutà coup. Les flammes diaboliques s'éteignent, le gardien du magnifiquetrésor s'endort et toutes les richesses sur lesquelles il veillepeuvent devenir la proie de l'audacieux qui aura osé s'aventurer dansle labyrinthe infernal. Mais malheur à l'explorateur qui aura perdu sontemps en tâtonnements inutiles. La généalogie achevée, le démon seréveille et celui qui se trouve alors dans le souterrain de la reineBlanche ne reverra jamais la lumière du jour. Rouen, 24décembre 1894. Notes : (2) La Normandie romanesque et merveilleuse, p. 183. (3) Abbé Cochetet Mlle A. Bosquet, op. cit. (4) C.-A. Deshayes, Histoire de l'Abbaye de Jumièges, p. 257,et Mlle A. Bosquet, op. cit. (5) Neaufles village de l'Eure, à 4 kilomètres deGisors. On y voit. les curieux vestiges d'une vieille tour sur un descaps dominant la Levrière.- Pobin de la Mairie |