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DOUIN, Gilberte (18..-19..) : La Langue Internationale (1910).

Saisie du texte : S. Pestel pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (19.VI.2013)
Texte relu par A. Guézou.
Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex
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Texteétabli sur l'exemplaire de la Médiathèque (Bm Lx : Norm31bis) de la Revue illustrée du Calvados, 4eannée n°9 - septembre 1910.

La Langue Internationale
par
Gilberte Douin
Secrétaire du GroupeEsperantiste de Caen

~*~

Un des traits caractéristiques de notre époque est le souci de sedébarrasser des servitudes et de gagner du temps. L’aéroplane vient àson heure pour nous conduire... à vol d’oiseau.

La langue internationale se trouve être le complément naturel de notreétat présent : économique et social. La diversité des langages est leplus grand obstacle aux voyages, aux échanges, à la fusion desintelligences et des cœurs ; le problème de la langue auxiliaire,utopique tant qu’il a été superflu, se pose et se résout de lui-même.

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De nombreux essais ont paru, et il n’est pas déplaisant d’observer quel’idée préoccupa les plus grands esprits depuis Leibnitz. Ces essaisétaient tous inutilisables.

L’un d’eux pourtant eut son heure de célébrité : le Volapuk, qui, en1888, comprenait 300 sociétés et 1 million de partisans dans toutes lesparties du monde, avec 300 ouvrages et 25 journaux. Il eut plusieurscongrès, dont celui de Paris (1889) où l’on parla exclusivement enVolapuk et qui semblait consacrer le triomphe définitif de la langue.Puis la même année connut le déclin, et bientôt la chute. Le succèss’était attaché à l’idée, mais l’instrument imparfait n’était pas apteà l’emploi et ne s’était soutenu que par l’artifice d’une discipline...toujours courte par quelque endroit.

C’est cette époque qui marque les débuts de l’Esperanto.

L’Esperanto créé par le Dr Zamenhof, médecin à Varsovie, est mieuxqu’un nouveau système, il apporte la base même de la langue-type, dansson double principe dit « du maximum d’internationalité et dedérivation ». Par un ingénieux mécanisme, l’Esperanto fait dériverl’infinie variété des idées d’un petit nombre de mots primitifs.Ceux-ci sont choisis dans les langues nationales et représentés sousune forme moyenne entre les diverses formes composantes.

On conçoit que pour un langage dont la condition même d’existence estd’être simple et riche à la fois, logique et facile, on ne pouvaittrouver mieux. Aussi quand M. de Beaufront – linguiste aussi érudit quemodeste – connut l’Esperanto, il se consacra à sa diffusion avec uneactivité telle que si Zamenhof en reste l’auteur incontesté, M. deBeaufront est l’apôtre à qui nous devons la popularité dont il jouit.

Les principes fondamentaux de l’Esperanto constituent la solution duproblème, c’est la conclusion de MM. Couturat et Leau après l’étude detous les projets de la langue auxiliaire dans leur remarquable ouvrage; “ L’Histoire de la Langue Universelle ”.

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Mais dans la réalisation, l’Esperanto, tel que l’a créé Zamenhof,contient encore une notable proportion d’empirisme et ses principesessentiels semblent ne l’avoir assujetti qu’au gré d’un hasardcapricieux. Il présente en effet des lacunes, des bizarreries et dessuperfluités, de sorte qu’après avoir séduit, il ne répond plus bientôtà ce qu’on avait espéré. Ceci explique comment la langue, sous sa formeprimitive, ayant atteint certain degré de diffusion, décroîtmaintenant, en dépit d’une activité factice que la situation desgroupes dément de plus en plus.

Il serait puéril - et nul n’y songe - d’attribuer à la langue laperfection originelle. Ce n’est qu’après une expérimentationsuffisante, et des retouches et souvent la collaboration étrangère queles découvertes de l’esprit humain prennent d’ordinaire leur forme fixeet définitive.

L’Esperanto a, un peu, suivi la marche opposée. Etabli avec uneperfection relative à laquelle on doit rendre hommage, il se propaged’abord et l’usage en montre les défauts. Zamenhof propose lui-même en1894 une série de retouches, mais on était en pleine propagation et laréforme fut ajournée. Plus la langue se répand, plus une réformeapparaît nécessaire et plus aussi difficile. C’est alors qu’on érige lefameux dogme de l’intangibilité : la langue figée et immuable même dansses défauts.

Et si l’on s’étonne, alors qu’on a perfectionné la locomotive sansnuire à Stephenson, et que la situation acquise par le bicycle d’il y atrente ans, ne l’a pas empêché de devenir la bicyclette, stable etfixe, d’aujourd’hui, les Esperantistes irréductibles d’acquiescer d’unair entendu : évidemment il faudra y venir, mais nous réformerons... ànotre heure !

L’Esperanto : langue auxiliaire de l’avenir. C’est là l’important.Quant aux détails à retoucher, l’expérience de trente années – de tropd’années – les a précisés (voir : “ Etude de la Dérivation enEsperanto, par Couturat ”).

Aussi, quand la “ délégation ” chargée par 310 sociétés savantes defaire choix d’une langue auxiliaire, acheva ses travaux en 1907, cetaréopage d’une indiscutable compétence, conforma les prévisions et, àl’unanimité, adopta en principe l’Esperanto sous réserve des réformesde détails résumées par les travaux de M. Couturat et le projet que Ido(Alias : de Beaufront) avait préparé pour assurer le triomphe de lalangue de Zamenhof.

Il ne faut pas perdre de vue que la langue auxiliaire doit absolumentêtre simple, régulière et réunir à un fini évident, une extrêmefacilité. Elle est un moyen de gagner du temps, elle se doit d’enexiger infiniment peu pour elle-même et cela d’autant plus que sonutilisation n’est souvent qu’éventuelle.

L’Esperanto réformé, ou simplifié (ou simplement Ido) se distingueprécisément du dialecte primitif par cette plus grande simplicité etrégularité. Suivant la formule du célèbre linguiste Jespersen(Université de Kopenhague) “ L’Ido est la meilleure langueInternationale pare que c’est elle qui présente la plus grande facilitépour le plus grand nombre d’hommes ”. Et comme elle n’a plus à êtreréformée, elle est à l’abri de changements nouveaux.

L’Esperanto simplifié a gagné depuis 1907 de nombreux adeptes et déjà150 Sociétés locales l’enseignent exclusivement, constituant une vasteunion universelle : « L’Union des Amis de la Langue internationale »,sous la présidence d’honneur de l’éminent professeur Ostwald(Université de Leipzig. Prix Nobel, chimie, 1910).

Il doit à ses qualités cette particularité remarquable que tous sesadeptes connaissent la langue, alors que les essais précédents et mêmel’Esperanto primitif avaient surtout des partisans amateurs, simplesapprobateurs de l’idée. Par suite, seul encore de tous ses devanciersil a pu avoir un Comité de direction et une Académie régulièrementconstitués et élus.

Détail important : Bien que les retouches apportées à l’Esperanto luidonnent une supériorité considérable, la physionomie des deux dialectesn’en reste pas moins extrêmement voisine, d’où : intercompréhensionabsolue. L’expérience a été faite mille fois.

Il y a huit jours encore, je passais la soirée avec quelques amis, cheznotre distingué président : M. Gustave Lepesqueur, en compagnie de MissFl. Wickelgren, esperantiste anglaise, de passage, ne connaissant del’Ido que le nom. Conversation sur les sujets communs, puis, à fond,sur la question linguistique : Miss Wickelgren parlant en Esperanto etM. Lepesqueur en Ido ; puis, prenant le thé, la conversation devinttrès gaie et générale. L’intercompréhension était demeurée parfaite etsans la moindre gêne, si bien que l’aimable étrangère reconnutgentiment dans la presque similitude des deux dialectes, le symbole dela bonne amitié qui règne... parfois, entre les membres des deuxbranches de la famille esperantiste.

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Actuellement, l’Esperanto simplifié a remplacé l’Esperanto primitifdans presque tous les groupes de Suisse (Président : M. Schneeberger,organisateur du deuxième Congrès d’Esperanto, Genève 1906, etactuellement membre de l’Académie Idiste). En Belgique, en Allemagne,en France, en Suède, ses progrès sont considérables ; l’Espagne etl’Italie même, où l’Esperanto ne pénétra que péniblement, l’accueillentavec faveur.

De puissantes Sociétés s’en servent. Je citerai seulement :

Les Organisations ouvrières, guidées par H. Peus, député au Reischtag,avec un journal : « Internaciona Socialisto ».

L’Union sacerdotale Idiste, qui comprend un grand nombre de prêtres etplusieurs évêques, soutenue entre autres par la « Revue du ClergéFrançais ».

Une organisation de Délégués dans tous les centres commerciaux etindustriels, qui va fonctionner d’ici quelques semaines, à l’usage ducommerce, du tourisme, etc.

Enfin la langue s’est prêtée à l’établissement d’ouvrages techniques etsa bibliographie comporte une série d’ouvrages entre lesquels je citeet recommande : « La Langue internationale et la Science », encollaboration par les professeurs Couturat, Jespersen, Lorenz, Ostwaldet Pfaundler, appartenant à 5 nationalités différentes (librairieDelagrave, 15, rue Soufflot, Paris Ier).

J’ajoute que dans cette progression de la langue internationale notrerégion tient une des premières places, tant en raison de l’organisationde la propagande que de l’accord entre les groupes et due à M. GustaveLepesqueur, président de la Fédération des groupes du Nord-Ouest.

G. D.

Gilberte Douin - Esperanto - Caen - 1910G. Lepesqueur - Esperanto - Caen - 1910