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NODIER, Charles Emmanuel : Histoire du chien deBrisquet (1844)


SAISIE DU TEXTE : Olivier Bogros pour la collectionélectronique de la bibliothèque municipale de Lisieux(07.05.95) ADRESSE : Bibliothèque municipale - B.P. 216 - F14107 Lisieux cedex.- TEL : 31.48.66.50.-MINITEL :31.48.66.55.-E-MAIL : 100346.471@compuserve.com
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Histoire du chien de Brisquet

En notre forêt de Lions, vers le hameau de laGoupillère, tout près d'un grand puits-fontaine quiappartient à la chapelle Saint-Mathurin, il y avait unbonhomme, bûcheron de son état, qui s'appelait Brisquet,ou autrement le fendeur à la bonne hache, et qui vivaitpauvrement du produit de ses fagots, avec sa femme qui s'appelaitBrisquette. Le bon Dieu leur avait donné deux jolis petitsenfants, un garçon de sept ans qui était brun, et quis'appelait Biscotin, et une blondine de six ans, qui s'appelaitBiscotine. Outre cela, ils avaient un chien bâtard àpoil frisé, noir par tout le corps, si ce n'est au museauqu'il avait couleur de feu ; et c'était bien le meilleur chiendu pays, pour son attachement à ses maîtres.

On l'appelait la Bichonne, parce que c'était unechienne.

Vous vous souvenez du temps où il vint tant de loups dansla forêt de Lions. C'était dans l'année desgrandes neiges, que les pauvres gens eurent si grand'peine àvivre. Ce fut une si terrible désolation dans le pays.

Brisquet, qui allait toujours à sa besogne, et qui necraignait pas les loups, à cause de sa bonne hache, dit unmatin à Brisquette : - Femme, je vous prie de ne laissercourir ni Biscotin ni Biscotine, tant que M. le grand-louvetier nesera pas venu. Il y aurait du danger pour eux. Il ont assez de quoimarcher entre la butte et l'étang, depuis que j'aiplanté des piquets le long de l'étang pour lespréserver de l'accident. Je vous pris aussi, Brisquette, de nepas laisser sortir la Bichonne, qui ne demande qu'à trotter.

Brisquet disait tous les matins la même chose àBrisquette. Un soir il n'arriva pas à l'heure ordinaire.Brisquette venait sur le pas de la porte, rentrait, ressortait, etdisait, en se croisant les mains : - Mon Dieu, qu'il estattardé !...

Et puis elle sortait encore, en criant : -Eh ! Brisquet !

Et la Bichonne lui sautait jusqu'aux épaules, comme pourlui dire :

- N'irais-je pas ?

- Paix ! lui dit Brisquette. - Ecoute, Biscotine, va jusqu'audevers de la butte pour savoir si ton père ne reviens pas. -Et toi, Biscotin, suis le chemin au long de l'étang, enprenant bien garde s'il n'y a pas de piquets qui manquent. - Et criefort, Brisquet ! Brisquet !...

- Paix ! la Bichonne !

Les enfants allèrent, allèrent, et quand ils sefurent rejoints à l'endroit où le sentier del'étang vient couper celui de la butte : - Mordienne, ditBiscotin, je retrouverait notre pauvre père, ou les loups m'ymangeront.

- Pardienne, dit Biscotine, ils m'y mangeront bien aussi.

Pendant ce temps-là, Brisquet était revenu par legrand chemin de Puchay, en passant par la Croix-aux-Anes sur l'abbayede Mortemer, parce qu'il avait une hottée de cotrets àfournir chez Jean Paquier.

- As-tu vu nos enfants ? lui dit Brisquette.

- Nos enfants ? dit Brisquet. Nos enfants ? mon Dieu ! sont-ilssortis ?

- Je les ai envoyés à ta rencontre jusqu'à labutte et à l'étang, mais tu as pris par un autrechemin.

Brisquet ne posa pas sa bonne hache. Il se mit à courir ducôté de la butte.

- Si tu menais la Bichonne ? lui cria Brisquette.

La Bichonne était déjà bien loin.

Elle était si loin que Brisquet la perdit bientôt devue. Et il avait beau crier : - Biscotin, Biscotine ! On ne luirépondait pas.

Alors, il se prit à pleurer, parce qu'il s'imagina que sesenfants était perdus.

Après avoir couru longtemps, longtemps, il lui semblareconnaître la voix de la Bichonne. Il marcha droit dans lefourré, à l'endroit où il l'avait entendue, etil y entra, sa bonne hache levée.

La Bichonne était arrivée là, au momentoù Biscotin et Biscotine allait êtredévorés par un gros loup. Elle s'étaitjetée devant en aboyant, pour que ses abois avertissentBrisquet.

Brisquet d'un coup de sa bonne hache renversa le loup raide mort,mais il était trop tard pour la Bichonne. Elle ne vivaitdéjà plus.

Brisquet, Biscotin et Biscotine rejoignirent Brisquette.C'était une grande joie, et cependant tout le monde pleura. Iln'y avait pas un regard qui ne cherchât la Bichonne.

Brisquet enterra la Bichonne au fond de son petit courtil sous unegrosse pierre sur laquelle le maître d'écoleécrivit en latin :

C'EST ICI QU'EST LA BICHONNE, LE PAUVRE CHIEN DE BRISQUET.

Et c'est depuis ce temps-là qu'on dit en commun proverbe :Malheureux comme le chien à Brisquet, qui n'allit qu'unefois au bois, et que le loup mangit.


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