Le premier des trois portraits de femmes qui sont ici rassemblés a parudans un vieux numéro du
Divan, celui du mois d'octobre 1912. Iln'était pas inutile de rappeler son ancienneté, puisque l'on a imitédepuis le ton et la coupe de ces compositions. Le lecteur devra sesouvenir que l'homme ainsi peint dans les monologues de l'amour est unpersonnage fictif, un héros de roman, et ne point détester l'auteur,qui n'en peut mais.
E. M.
Le Nouvel Amour
V
OUS êtes vraiment majestueuse, comme il faut, bien vêtue. Aurez-vousjamais du chic?
PARLÉ. - Votre chapeau, tendresse, a sa coiffe trop étroite, et votrejupe, n'est-elle pas trop longue ?
Allez, boudeuse! Pourquoi cette moue qu'il est sûr que vous faites ?Moquez-vous donc de moi vous êtes assez belle !
Pour enlever ses bottines, elle aime décidément à s'asseoir par terre.Je ne sais pas si elle a raison, elle est trop grande… Seulement, elleest toujours charmante parce qu'elle ne fait rien exprès.
*
* *
Un instant, j'ai cru que votre bas retomberait, et il me semble(prenez-y garde) que j'aurais détourné les yeux. Vous devriez porteraussi, malgré tout votre système de jarretelles, de bonnes jarretièresrondes, froncées à la vieille. Car vous ôtez votre corset avant vos bas.
Ce que je dis, ce que je pense, et ce que vous comprenez, ne sont pastrois mêmes choses. Si chacun de nous lisait tout à fait dans le cœurdes autres, nous perdrions tous la tête.
PARLÉ. - Ne me dites rien de votre amie Jacquine. Quand une Flamande acet air-là, elle l'a bien.
*
* *
Pourquoi donc, avec cette bouche, avec ces yeux que vous aviez,parlez-vous à présent du ciel étoile ? Quel amour véritable !
J'ai cru que vous alliez crier « Oito oh ! »
Elle entr'ouvrait les lèvres avec l'avidité des carpes deFontainebleau, lorsqu'elles se précipitent sur le pain qui sombre. Jefigurais à ses yeux de métaphysicienne l'Amour en soi; mais pour lesfibrilles de son être (
caro, carnis), j'étais l'ange ou l'animal quelui désigne mon prénom.
Elle a d'ailleurs la bouche un peu grande, mais qui m'a plu et meplaira.
*
* *
Quel bruit ! Elle va casser toute cette porcelaine.
Vous avez les hanches les plus fortes que j'aie vues à une femmesvelte, l'épaule grasse, la nuque un peu bombée, autant de délices, etde beaux yeux gris ou bleus.
Mais je crois que je recommence à vous préférer cette Romaine - unsouvenir - tournée pour paraître dans un Giorgione, et qui était donccuivrée ou dorée, plutôt que brune.
Elle et moi, nous nous nourrissions de jambon de Parme, de broussefraîche et de muscats, dans une soupente, au dernier étage d'un palais.Nous nous régalions d'une eau froide, dont la seule buée sur le cristaldésaltérait. Tous ces plaisirs ensoleillés me suivent. C'est où va monregard, vous savez, alors qu'il vous inquiète.
Ne croyez pas cependant que je méprise nos plaisirs septentrionaux lesmiracles de ce feu dans la grotte rectiligne, ni toute la neige qui estsur vous, ni le reflet de la flamme sur cette neige, ô Galsvinte !
*
* *
Que j'aime à vous voir debout ! Ne croyez pas, belle fille, que votrevrai nom vous aille mieux que celui que je vous ai donné, la premièrefois, pour narguer un peu tout ce nord qui régnait tout à coup dans mespensées surprises, dans mes pensées charmées.
*
* *
Lorsque je vous taquine, ne vous égarez pas, ne vous agitez pas. Tout àl'heure, votre flanc droit a soulevé le rideau. Les passants vousauraient vue, beaucoup plus belle que vous ne naquîtes, si je vousavais rappelée brusquement.
*
* *
Il est vrai que je vous aurai appris bien des choses. Notamment qu'ilest vilain de geindre, et plus décent de se moquer, lorsqu'on esttriste. Cependant, je vous dois réciproquement beaucoup. Comme il estinstructif d'aimer !
*
* *
Oh ! ne me rompez pas la tête, avec votre
Lilienmilch ! C'est uneaffreuse chimie. Je préfère mille fois mon savon de Marseille, avectrois gouttes d'essence.
Avant de rire, essayez. Vous ne savez pas ce que c'est, lorsqu'il esttrès bon, lisse et blanc, doux comme l'amande nouvelle.
Lilienmilch, lait de lys. Ce mot finira par me capter. Je vous enferai un autre nom, pour vous nommer quand nous sommes tous les deuxseuls, tout seuls au monde comme à présent.
Ce village de la Grèce, dont on m'a parlé, qui s'appelle Méligala,c'est à peu près la même idée. Mais le mot est plus noble. L'autre,pour un savon, que de poésie ! Vous avouerez que l'allemande est unelangue nigaude.
*
* *
Oui, voyons. Oui ! Je le sais très bien, que vous n'êtes pas Allemande,mais d'une espèce de contrée exigüe bien que souveraine, dont lesmanuels pour le baccalauréat méconnaissent l'histoire.
*
* *
Je ne suis point du tout fâché. Jamais vous ne fûtes si tendrementchérie. Je vous dis seulement « Ne soyez pas agaçante! » Dans mes yeux,vous pouvez connaître le reste, et combien je vous aime. Je vousdemande seulement de ne pas repartir dans vos nuages. Votre ingénuitéme plaît surtout lorsqu'elle est un peu terre à terre.
*
* *
Mains froides, cœur chaud, ou bien c'est la joue qui brûle.
*
* *
Si tu avais un enfant, et qu'il fût de moi, je te l'enlèverais, Jel'enlèverais, je partirais, je m'en irais avec notre enfant, je ne saisoù... en Albanie.
Peut-être ne voudrais-tu pas d'un parti si romanesque. Tu voudrasgarder l'enfant avec toi, et te réconcilier à temps, et mentir. Mais ilme suffirait de connaître ton mari, il me suffirait de l'apercevoir, jecrois j'aurais peine à t'aimer. Ainsi, quoi que tu ne l'aimes plus, tudépends encore de ton ancien serment. Même refusée, ta personne n'estplus libre. Tu vois que je suis gentil je n'imagine pas que tu me soisinfidèle, et je t'ai mis des larmes dans les yeux parce que je te l'aidit. Attention. Ne nous risquons pas, ou pas encore, ne nous risquonspas trop loin sur cette voie des confidences à perte de vue. Ellesenchantent d'abord le cœur, puis le navrent, le laissent vide ou tropnu, mal content, comme dévalisé.
Toi et moi, si nous sommes deux fous, je ne suis peut-être pas lemoindre. Battons-nous à coups de poètes, qui permettent de voiler. Tuverras que mes livres sont les meilleurs.
Mais ce que tu appelles mon prosaïsme, ce goût du vrai, cette cruelleet pitoyable curiosité (sans compromission), ce n'est pas toi qui letireras au clair.
*
* *
Dieu n'est pas bon tu vois bien qu'il pleut à verse.
*
* *
Ces gens qui marchent dans la rue, dont tu entends le pas, et que tu neconnais pas. L'un de ces inconnus deviendra peut-être ton ami sans quetu saches jamais, ni lui, qu'un certain jour, comme tu étais très émue,il a passé sous ta fenêtre.
*
* *
Ne crois pas que je devienne imbécile.
Sans moi vous alliez oublier votre fourrure.
Tu avais plus perdu l'esprit que moi, grande sotte !
Vous n'êtes pas dehors, et vous êtes redevenue timide. Je la connais,votre timidité d'apparat, je sais les grandes déterminations qu'ellecache ou plutôt qui la rompent soudainement.
*
* *
Encore un peu de Xérès, pour vous donner l'idée du soleil qu'il fait enAndalousie. Un peu de Xérès, un dernier baiser, sans défaire votrerouge. Je voudrais vous aimer toujours.
*
* *
Si je vous l'avouais à présent, que je vous aime bien, vous mecroiriez. Et il y a un certain amour dont je suis peut-être incapable,un amour d'entière donaison.
Le désir et l'amitié m'enchantent pourtant. Et que les deux agrémentsse joignent, ou que l'amitié naisse du désir comblé, deux créaturesauront mis la main sur un grand bonheur.
« Cette espèce bizarre de créatures qu'on appelle le genre humain. Jecite Fontenelle, dans la
Pluralité des Mondes.
*
* *
Je voudrais t'avoir connue il y a longtemps, je voudrais que nouseussions l'un de l'autre des souvenirs d'enfance, petite fille, lesmêmes souvenirs.
La Méchante
J
E ne vous ai jamais demandé, je crois : « A quoi penses-tu ? » Je vousai toujours caché un grand nombre de mes pensées, toutes celles quipouvaient nourrir la faim de l'âme.
C'est pourquoi nous fumons tant decigarettes.
*
* *
J'en suis toujours à me demander comment vous avez fait pour que jevous surprisse une fois.
Jamais, dans le même moment, je n'ai tant vu de votre personne que cepremier jour, lorsque vous ne m'étiez rien encore, et que je vous étaissi peu.
Pauvre petite chose ! Vous n'avez guère d'appâts visibles, mais vousconnaissez l'empire de vos imperfections mêmes, celui de votre lignemince et de son acuité.
Vous étiez capable d'avoir choisi comme une héroïne de Bourgetl'heuredu jour, vous aviez mesuré l'élévation de la lampe, vous aviezpréparé jusqu'à la couleur, jusqu'au parfum de la chambre, etcontrefaisiez pourtant la petite fille étonnée.
La grande pièce était sombre. Elle était claire en deux endroits,claire près de vous, et claire sur la longue fourrure blanche où vousaviez probablement médité de tomber, devant les flammes rosissantes.
Aux fenêtres, la nuit était aussi noire que le fer de l'âtre, où lesbûches mourantes donnaient la réplique aux feux lointains de lacampagne.
Il avait plu sur les vitres.
Quel silence, ah comédienne!
Comme vous avez bien su prononcer à mi-voix mon nom. De manière àmarquer tout ensemble la surprise, le contentement, et que vous cédiezsans aimer au sourd instinct irrésistible. A quelle flatteuse Vénus !
*
* *
Lorsque vous avez tué votre mari, il était en passe de devenir ministred'Etat, et vous avez rendu un si grand service à ses rivaux qu'ils vousl'ont peut-être payé. Il a suffi qu'ils fussent adroits.
Vous ne l'avez point assassiné. Il n'est mort que de peine.
On m'a dit que vous étiez allée jusqu'à séduire un jour, séancetenante, votre déménageur. Je voudrais savoir comment vous vous y êtesprise, et ce que vous avez pu lui dire, pour commencer. Comment nel'avez-vous pas intimidé ? Quel usage du monde il vous aura fallu !
Je ne suis pas curieux de l'entre-deux. Pas curieux de vos sensationsavec un autre. Et que ce fût celui-là! En y repensant, je crois quej'aimerais à apprendre surtout combien vous avez tremblé de peur,ensuite.
*
* *
Je vous ferai voir un jour, dans un récit très bien conduit, de quelvisage Mérimée éclata de rire au nez de George Sand.
Je vous ai déjà touché un mot de cette scène, légèrement et parallusion. Vous me dîtes brusquement que je n'étais pas Mérimée. Mais,ni vous Sand, chérie, bien que vous soyez, à coup sûr, plus redoutable.
Je vous ai seulement répliqué que ce n'était pas la question, et par unraisonnement général sur la logique féminine. Je rompais, je merepliais, je cachais mes armes. Il me semble que, contre vous, presquetout est licite. Je n'avais pas encore le courage de me priver de toi.
*
* *
Ils auraient pu fonder une société, les amis de ton mari, un cercle, etla livrée à tes couleurs.
*
* *
Je meurs d'envie d'en discourir devant toi à bouche ouverte, maispeut-être suffit-il que je me rappelle tout ce que j'ai su, et que tule lises dans mes yeux, sans en être tout à fait certaine.
Et je t'enlace pourtant, voici sur ta bouche la mienne. Sale bête !Moque-toi donc de moi un instant, sans rire, ou donne-toi cetteillusion, tandis que tes brasme serreront comme malgré toi.
*
* *
Je commence à le savoir, qu'il y a des défauts pour créer de toutespièces un charme. J'en ai adoré une autre, petite aussi et blonde, quiétait brèche-dent. Mais rassurante. La grâce imprévue de sa bouches'accordait aux enfances qu'elle faisait. Au lieu que toi, dans tonapparente débilité, on ne sait quelle terrible folie te mène. Nijusqu'où.
*
* *
J'aurais parié que tu avais la jambe trop maigre et la poitrine nulle.Mais, après tout, c'est à peine si je le sais encore.
Si tu n'es pas laide, tu n'es pas jolie, assurément, avec ton étrangepetit nez oblique et tout cet embrouillamini de ta face. Un miracle quele dieu Paris renouvelle tous les matins.
Je ne méconnais pas ce profond coussin de tes cheveux, où tu joues àfaire t'endormie, ni tes yeux violets, quand filtre ce long regard, nitant de grâces bien apprises, ô Perfide !
Tu vois, l'on te parlerait en style de tragédie.
Il n'y a pas d'horreur que tu doives prendre la peine de te refuser,n'ayant que tes paupières à relever pour rattraper l'innocence.
*
* *
Je te compare à un oiseau - laisse-moi dire - à un oiseau des Iles. Lachair n'y est rien, tout est plume.
*
* *
Qu'il y ait encore des gens pour se figurer une vie moderne,disent-ils, toute privée de romanesque. Ils n'ont pas prévu la guerrede cinq ans, qu'il ne faut pas nommer des deux mondes, pour garder unnom à celle qui pourra suivre, et ils ne t'ont pas vue.
Assise sur ton divan, sage, réservée, lustrée, polie.
Et tant d'affreux secrets dans ta brillante petite tête. Tant d'affreuxsecrets dans ce cœur méchant, à peine voluptueux, mais avide,tyrannique, mais facile et égoïste à plaisir, et tout gâté, comme unfruit.
Il te fallait des perles. C'est de quoi est mort l’infortuné.
*
* *
Votre mine de grande dame, comme elle tombe vite, quand vous vousmettez à couper un sou en quatre, en certains cas ! Alors, tout charmes'efface : l'enfantin regard lance des lames de couteaux, et cette voixque vous tenez si douce, d'habitude, quelle pitié, si vous saviez, del'entendre, altérée par l'avarice ! Il m'est arrivé de vous ysurprendre, et si vite que vous ayez recomposé votre visage, vousn'avez pas su vous empêcher de rougir.
C'est-à-dire que vous redeveniez soudain jolie.
Quels philtres remêlez-vous ? Je me défierai de votre thé.
*
* *
Vous me rendrez cette justice, que j'ai toujours tout craint de vous,qu'il n'y a pas de honte que je n'eusse redoutée, si vous m'aviez mieuxtenu. Par bonheur, vous m'avez toujours senti libre, frémissant, prêt àéchapper. L'ambition de m'asservir vous a rendue prudente. Je vous aivue quelquefois qui m'observiez entre vos cils.
*
* *
La mémoire de certains moments, où j'espère n'avoir pas entièrementrévélé tout le plaisir que vous me donniez, me ramenait toujours.
Tourments du désir que la défiance traverse, et de la volupté, pourdouce qu'elle soit, ou déchirante, qui ne' s'élève pas jusqu'au bonheur.
je vous aurais nommée mon enfant et ma sœur, si je l'avais pu sansremords.
*
* *
Vous laissez le beau linge blanc aux belles femmes. Vous ne mettez survous que des toiles d'araignée, bleues, vertes, roses, si bizarrementcoupées que votre pantalon ne ressemble à rien.
L'on vous verrait trop bien au travers, s'il n'y en avait tant que voussuperposez, sachant que votre forme a moins de pouvoir que leurlégèreté et leur chaleur.
Vous ne découvrez pas beaucoup plus que vos bras et votre épaule, maisl'on ne sait plus jusqu'où monte la soie de vos deux bas. La vôtrerivalise. Si vous versez une mortelle douceur dans toutes les veines,une à une, votre tête n'est pourtant rien. Qu'une ombre. La gouached'un éventail.
*
* *
Vous voulez m'entendre et que je contente votre malice, puisque c'estencore du jeune Raoul que vous me parlez. Je l'ai rencontré tout seul,l'autre jour, chez Mme X. la joue en feu. Il m'a dit qu'elle l'avaitd'abord baisé sur la bouche et qu'il s'était brusquement détourné pourlui tendre la joue, parce qu'elle a de fausses dents et qu'il craignaitd'en être mordu.
Si vous souriez, ne croyez pas que je sois tombé dans un piège ni queje te fasse l'honneur d'être jaloux. Je sais que vous savez à présenttout ce que vous vouliez savoir, tant sur la dame que sur l'adolescent.
Vous souriez en outre, parce que vous songez que je ne serais pas plusfort entre vos mains, s'il vous plaisait, que cet innocent. Quandaurez-vous fini de vous trahir ?
*
* *
Tout le monde a su que vous aimez à faire souffrir.
Savoir si mon tour viendra.
Ronronnez, ronronnez. Le temps que vous allongiez la patte, je serailoin.
Vous m'enseignez des plaisirs psychologiques qui me sont nouveaux.
Quand vous me menacerez bien, je vous imposerai un traité. Vous ne melivrerez pas à la calomnie, et je tairai que vous avez la jambe torte.
*
* *
Ce sont des fluides, dont vous avez la disposition. Il vous suffit debouger, sorcière, il vous suffit de ciller.
*
* *
Il faut bien que je me convainque que vous m'aimez, au moins un peu, dumoins à votre façon, puisqu'en signe de ce désir que vous n'avouezjamais en clair, votre regard vacille.
A peine si vous souriez, avec un air de faiblesse, dans l'amas de vosmousses, qui sont roses aujourd'hui. Dans l'amas de vos mousses,pareille à un sorbet.
*
* *
Vous êtes tout à fait comme ces glaces aux myrtilles de l'été dernier,rouge et douce-amère. Je les détestais et ne cessais d'en reprendre.Vous laissez le même arrière-goût.
*
* *
Votre main immobile est d'une beauté qui effraye, mince et veinée.
*
* *
Pâle et léger bijou, ivoire, corail, est-ce que vous respirez encore ?Je voudrais voir un souffle traverser votre linge, ô poupée, petitepoupée !
Si je vous le disais pourtant... Si je vous disais que je n'ai pourvous ni tendresse, ni faiblesse, nulle amitié, que je suis sansconfiance, que je ne sens pas même cette obscure sympathie qu'il arrivede donner à une passante. Jamais ne m'abandonnerai. Jamais nem'apitoierai. Le misérable destin de l'humanité, ce n'est pas toi, ouc'est bien toi, de la tête aux pieds. Nulle autre que toi.
*
* *
Est-ce que tant de fragilité finira par m'émouvoir ? Est-ce que j'auraibesoin d'imaginer ce que j'aurais souffert, quand tu m'aurais trompé,si je t'avais aimée.
*
* *
Blonde, ce n'est rien dire. Tu es comme les blés à l'instant qu'ils ontcessé d'être verts. Comme une jeune pousse. Comme une boîte de poudrede riz ouverte dans un rayon de soleil.
*
* *
Tu peux bien pleurer, à présent, tu peux bien pleurer à te rompre lesveines.
Tu sens à cette heure sans lumière quelle solitude est la tienne, quedans toutes les maisons du monde vivent des cœurs amis, et nul quibatte pour toi, non certes le mien, tu dois pourtant le deviner. Tuécoutes chanter la petite fille qui saute à la corde sous le réverbère.Tu te souviens de ta propre enfance et que tu te croyais assez bonne.Tu penses qu'un jour tu seras vieille, une laide vieille, à peine cettefleur de ta joue sera-t-elle fanée.
Malheureuse, à quoi penses-tu ? A quoi penses-tu donc, malheureuse,qu'un homme a plaisir à oublier ?
La Déesse Raison
V
OUS avez beau dire. Vous êtes une sorte de pieuse femme, dont ladévotion est à rebours.
Si vous étiez païenne vraie, vous compteriez douze grands dieux, ou dumoins une foule de petits dieux d'humeur variable.
Il y en aurait un que vous chéririez par dessus tout celui qui nous aconduits, vous et moi, jusqu'au même lit sombre. Vous rappelez-vous quenous avons tout à coup cessé de nous bien voir ? Il avait mis sonbandeau sur nos yeux.
Il s'est enfui, lorsqu'il a vu que vous étiez plus près de pleurer,ingrate, que de rire.
Vous dites que c'était votre conscience. O ma pauvre amie !
*
* *
Nous nous connaissions à peine, oui. Le premier enchantement passé,vous vous apercevez que vous ne me connaissez pas du tout. Il étaitbien temps ! Si vous aviez été bonne catholique.
Je sais (ne grincez pas des dents) que, si vous aviez été bonnecatholique, vous pouviez pécher de même. Sans doute, auriez-vous étéplus curieuse de mon âme, bonne précaution plus curieuse de moncaractère, et vous seriez tourmentée, peut-être désespérée vousn'auriez pas un tel dépit.
*
* *
Nous ne disputerions pas comme nous faisons, au travers de nos baisers.Quel sera le dernier ? Nous ne croiserions pas méchamment nos paroles,nos regards, nos silences.
*
* *
Votre belle bouche, je me demande si vous ne la frottez pas quelquefoisde ce piment qu'on nomme en espagnol diablotin. C'est du feu.
*
* *
A chaque nouvel amant, George Sand croyait avoir reçu un ordre d'EnHaut. Vous n'avez pas fait tant d'expériences qu'elle, mais plusavancée dans la contre-église, vous n'avez pas la ressource de vouscroire en communication avec l'Etre Suprême.
Vous ne croyez pas au dieu des bonnes gens. Votre dieu est une espèced'Américain qui ne s'est dérangé qu'une seule fois, au commencement deschoses. Depuis, pour rien au monde ! Si vous saviez comme il m'agace,cet hérétique, vous vous tairiez sur cela, comme j'ai la politesse defaire, moi qui ne vous en dis presque rien.
Vous me laisseriez adorer en paix votre personne.
*
* *
Décidément, si j'avais vécu du temps de George Sand, je me serais éprisd'elle à force de la détester.
*
* *
Vous me laisseriez vous adorer. Connaissez-vous l'étymologie de ceverbe ?
Tais-toi, ferme ta bouche, que je l'embrasse une fois, dix fois voilàl'étymologie demandée, celle que je préfère (
os,
oris, la bouche, etnon pas
orare, parler).
Quant à
embrasser, c'est prendre dans ses bras. Comme l'un ne vaguère sans l'autre, le sens dérivé a prévalu.
*
* *
Vous m'avez dit un jour que vous désiriez voter, que c'était votredroit.
Vous ne m'avez pas encore pardonné mon rire. Vous avez excommunié commeil faut ce clérical et cet athée. Mais il avait vos bras sur lui lachaleur de votre forme passait par eux, comme si votre sang s'étaitrépandu dans ses propres veines. Il n'a pas ri longtemps.
*
* *
Par surcroît, vos parents anarchistes vous ont nommée Liberté ! Bigre !Il n'y a pas de nom de sainte qui ne soit plus aimable.
*
* *
Vous êtes capable de vous imaginer que je vous méprise. Enfermée quevous êtes dans vos idées comme dans une bouderie, vous devinez mal latendresse, la sympathie, la charité humaine.
Eve bien renfrognée.
Chacun de nous est si seul au monde ! Il n'y a bonheur que de refermerses bras sur une autre ombre. L'on imagine un instant que le cercle estfranchi. Ce sont les âmes qui se veulent marier, et il est dur depenser que les corps y réussissent à peine.
*
* *
Lorsque je m'éloigne de vous, avant de me rapprocher encore, et quevous percevez les deux temps de cette action d'admirateur, vousrougissez, avec un petit sourire d'orgueil. C'est un mélange que j'aime.
Ce qui émeut en votre visage, avec le regard, c'est la lèvre pourpre etgonflée, le menton un peu gras, moins parfait, plus humain.Sentirez-vous combien me séduit ce corps glorieux, la belle hanche, cetarc de la taille et ce port, qui donne envie de vous invoquer ?
Je vous ai montré l'image des trois Grâces de Regnault.
Celle de gauche, la tête un peu lourde, serait encore plus tristequ'elle ne plairait pas moins. Sous le bel œil rêveur, le menton estmalheureux, l'épaule un peu serve ou vieillie. Le torse, un beau vase.Son visage, doucement incliné sur l'épaule, au-dessus du bras quil'enlace, celle de droite a un air de candeur ; et, dans le profil deson jeune corps, une légère courbe à rendre fou. Mais la plus belle,n'est-ce pas cette blonde, entre elles, qui les tient chastementembrassées, et dont nul ne verra jamais le visage ?
Elles ne ressemblent pas l'une à l'autre, ni vous à elles. Vous êtespourtant du même style.
*
* *
Ah ! Romaine. Ah Guerrière. Minerve aux sourcils rejoints.
Je mettrai devant votre portrait une branche de myrte dans un vieuxvase d'église, blanc et or, 1830.
*
* *
Vous souvenez-vous ? Vous, ne vous donniez pas alors la peine dem'étudier. Vous me regardiez, ô raisonneuse Amour vous possédait. Vousbaissiez de temps en temps les yeux.
Au loin, les gamins arabes s'évertuaient
Le Cri d'Altjé ! LesNoubielles ! (1)
Votre maison était à la frontière des deux empires. Elle regardait leboulevard, la poste et l'école (laïque) de l'autre côté, l'allée sousles palmes, les escaliers, les terrasses, le ciel cet autre monde quevous n'aimez guère, où j'allais trop souvent écouter les chants deYamina ou voir danser les Andalouses. Je vous apportais des dattes, desmassepains espagnols, des loucoumes. Et je crois, à présent, que vousauriez préféré des petits beurres -
L.U. - J'ai cherché aussi, maisvainement, ces laitages italiens, frais dans leurs claies ou sur lelinge, et qui ont la forme d'une tresse ou d'un fruit, ces fromages, sil'on ose dire, dont les bergers de Virgile nourrissaient déjà leursamours.
La lumière vous gêna soudain comme un tiers.
Vous avez déroulé le rideau de toile. Dans l'ombre, miroita toute l'eaurépandue sur les dalles blanches et noires. Le jour mettait à la hautefenêtre aveuglée un cadre d'or. La brise troublait votre robe.
Vous avez laissé tomber la hachette de votre éventail.
*
* *
Vous avez la coquetterie de ne porter que du linge blanc, serré,éblouissant. Ainsi paraissez-vous deux fois comme un marbre carrare etpentélique.
Chère, vous avez eu peur que je me méprisse, et j'étais seulementtouché de votre enivrement.
*
* *
Puis, vous avez voulu me prouver que vous étiez, sans religion, unehonnête femme. Vous prononciez des mots abstraits à n'en plus finir, àdormir sans vous, dont votre éloquence emphatique ciselait lesmajuscules. Vous aviez entrepris, notamment, de me démontrer que lesinfirmières laïques diplômées ont plus de vertu que les petites sœurs.
Et moi, je me rappelais la longue prière matinale des femmes de marace. L'une d'elles, tant elle fut malheureuse, ne pouvait plus priersans voir paraître sur son cher visage en oraison des larmes qui laconsolaient. Et elle prononçait, mais avec douceur, le même mot magiqueque vous répétez désespérément « Justice ! » Elle mettait avec sagessedans un autre lieu que la terre la source d'un si grand bien.
*
* *
Votre bouche, remuée par les petits mouvements de la parole, restaitbien belle. Je ne disais mot. Quel nuage a passé sur mes traits ou dansmes yeux, qui soudain déconcerta la douce pédante ?
J'ai pris votre tête, votre fière tête, votre pauvre tête fanatique, etl'ai reposée sur mon épaule. Tel est le sort. Ni les caresses ni lesilence ne suffisaient plus. Vous aviez besoin d'un mot de ma bouche,que je n'ai pas su dire. Vous faisiez sentir à un libertin le rôle duspirituel.
*
* *
Je vous opposais, dans mon esprit, des historiettes qui vous auraientscandalisée et qui me plaisent, qui m'ont ému.
Je me retrouvais dans une petite ville du sud italien, un soir d'été,entre quatre murs blanchis à la chaux, dans la compagnie d'une femmeétonnée par l'étranger. Je l'avais trouvée assise sur le pas de saporte. Ces logettes n'ont pas d'autre ouverture. Un seuil à franchir,la porte massive à refermer, un être humain à votre discrétion.
C'est la même chose là-haut, où les filles attendent et regardent, lesunes comme des princesses des « Mille et une nuits », la plupart envraies sauvages, et toutes sur leurs talons, leurs mains devant elles.
En pays chrétien, la plus pauvre dispose d'une chaise.
Elle avait une jupe de cotonnade à fleurs, un corsage à grossesmanches, et l'un de ces vastes jupons de toile empesée que l'on mettaitaprès la lessive sur une cage d'osier.
Je lui parlais dans sa langue, lorsqu'elle parut en corset à globes,pareille à une image de
Vertus sœurs dans l'
Illustration, du tempsque j'étais garçonnet.
Nous nous plaisions, ainsi qu'il arrive dans ces rencontres, sans quel'on sache pourquoi, si vite. Je ne me rappelle plus le nom qu'ellem'avoua et qui était peut-être le sien. Elle avait vingt ans. J'ai vudans le même pays de belles figues séchant au soleil qui tournaient encaramel. Elles lui ressemblent, et à vous.
*
* *
Elle gardait sur son épaule un dernier lambeau qui m'importunait. Car,en ce monde physique, certains veulent retrouver le tremblement d'unepassion primitive, ils veulent rencontrer à la fin ils ne savent quelmystère, avancer jusqu'au point où la sensation est épurée en quelquesorte par son excès et par vertige. Mais, plus belle que vous nepensez, en me pressant doucement :
E peccato, disait-elle. C'est un péché.
La Madonna non vuole.
Vos fictions, à vous, n'ont pas cette grâce ni cette douceur, oùl'enfant reparaît dans la femme dans notre ambitieux dénuement, lepassé des cœurs dont nous sommes nés.
*
* *
Et si vous étiez païenne vraie, vous ne vous mettriez en peine que demoi seul. Vous laisseriez vos lubies, dont vous ne me convaincrezjamais. Vous m'agacez, je m'en indigne, vous m'étouffez, je vous nommePaule Bert.
Contre la marine une lame
Vient mourir
Je ne ferai plus rimer âme
Et soupir.
Je vous dirai « Mon doux aimé
Contemplez
La maison de béton armé
S'il vous plaît.
Ou suivez à perte de vue
Le baiser
Que reçoit la perche éperdue
Du trolley.
Comptez les flots, vous ferez bien. »
- O mon cœur,
Ne serait-il en moi plus rien
Que laideur ?
Vous avez ouvert votre fenêtre sur la Méditerranée, et vous regardezl'oscillation indéfinie des vagues. Vous les entendriez clapoter sur lapierre, si nous étions plus près du même mouvement qui berce lesnavires. A cette heure du soir qui tombe, danse une lueur au sommet,tandis que l'ombre flotte dans le creux de chaque lame. Je songe, tusonges, nous songeons. Il règne, sur la vaste nappe des eaux, unemajestueuse indifférence, dont on a le cœur un peu plus serré.
Fumée. Tu songes que tu verras un jour se répandre dans votre ciel lafumée d'un triste paquebot. Et moi, sur l'autre rive, je t'appelleraien vain, en entendant sonner la moitié des heures de la nuit.
_____________________________________________
(1)
Le Cri d'Alger, les Nouvelles, journaux algériens du soir.