La place Dauphine, en 1629. C’est alors que florissait le poète Clidamant,qui, malnourri par les Muses, s’était mis aux gagesd’unarracheur de dents ; le dentiste arrachait, chaque jour une, les dentsdu poète, et le poète proclamait devant lesbadaudsextasiés que l’opérationn’avait paslaissé d’avoir quelque chosed’agréable : letrente-troisième jour, n’ayant plus de dents, ilse pendit. Aux volets des maisons sont accrochés des tableaux que desamateurs observent avec minutie. Origine de nos Salons annuels. Mais la singularité principale de la place Dauphine,c’estla baraque de Tabarin. Pour les besoins du drame qui va êtrereprésenté devant vous, elle estdisposée commesuit : le tréteau sur lequel l’illustre farceurdébite les drogues au profit du sieur Mondor se prolonge debiais, à sept ou huit coudées du pavéde la place.Un éclatant rideau, rouge et vert,agrémenté defigures tabariniques, sert de toile de fond à cethéâtre en plein vent ; à droite, plusbas, auniveau du sol, l’intérieur même de labaraque estvisible. Des loques multicolores pendent du plafond, le long de laporte basse, recouverte d’une toile peinte, qui est commel’entrée des artistes. Des pots de fard et desbrosses surla planchette d’un dressoir, garni de vaissellesébréchées. Le lieu ressembleà la foisà une cuisine et à une loge decomédien. Unescalier en bois vermoulu, de quelques marches, conduit de cettecoulisse au tréteau extérieur. Il y a sur unfourneau unemarmite pleine de soupe, dont la fumée monte comme un encensvers un chapeau de feutre accroché au mur : c’estlechapeau de Fortunatus. Au dehors, devant le tréteau, desbancssont disposés pour les élégants de lacour. Cargrand Tabarin, que Molière, selon Boileau, n’a pasdédaigné d’allier àTérence ; et,dès le matin, les fenêtres sontchèrementlouées. Les machinistes sont priés d’imiter, par tous lesmoyensdont ils disposent, la fraîcheur lumineuse d’unejeunejournée de printemps. SCÈNE Ire
FRANCISQUINE,
aux gros cheveux roux, les bras nus, près dufourneau.
TABARIN,
saoûl. -
Tabarin entre par la petite porte basse.Il est évident qu’il vient du cabaret.
TABARIN,
chantant.
Comme j’étais au banquet,
Bon birolet,
Et qu’on dansait à ma noce,
La mère au cousin Jacquet,
Bon birolet,
Me dit : Votre femme est…
FRANCISQUINE.
Grosse bête ! sac à vin ! pendard ! brute immonde !D’où sors-tu ?
TABARIN.
Holà ! hé ! hi ! oh ! ma petite femme !C’estau cabaret que je suis allé, en compagnie du bon M.Piphagne,qui m’avait dit : « Tabarin, me charo, mi te vogliopregard’una difficultaë. » Nous avons buquelques bouteillesen ton honneur, ma petite Francisquine, ma petite Francis, mon jolipetit quine, gagné à la loterie de ladestinée. Neme mords point, ne me pince point, car tu sais bien quanto iot’amo !
FRANCISQUINE.
Bon ! Tu me contes des fagots pour des cotterets. Va, va, doublejennin, de par le diable ! Va-t’en quérir du vin ;cependant je me disposerai à manger mon potage.
TABARIN.
Point, mignonne de miel ! Je prends des torticolis sous tespetits pieds mal chaussés, comme ce grand cornardd’Herculès, aux pieds de la princesse qui avaitunetête de lion empaillé pour cornette de nuit, et jebecquète tes ongles fripons, ne plus ne moins que lesmoineauxbecquetaient les raisins de Zeuxis, peintred’Héraclée.
FRANCISQUINE.
Tu as appris tous ces beaux discours dans la compagnie du seigneurMondor, et pour moi, je n’y entends goutte.
TABARIN,
un peu dégrisé.
Tu veux que je te parle autrement ? Ecoute-moi, chérie. Lebouffon, l’ivrogne, n’est plus ; regardel’homme, etsois bonne pour lui. Je t’aime ardemment, j’aicette folie.Je t’ai rencontrée un jour, endormie latêteprès du trottoir, avec tes grands cheveux rouxdéfaits ;il m’a semblé que le soleil étaittombé dansle ruisseau. Je t’aime. Tu fais de moi ce que tu veux. Commejesuis célèbre, il y a des femmes,peut-être, et desplus riches, qui auraient bien voulu de moi. Mais je t’aime.Tesgrands yeux ronds, ton nez qui se retrousse et qui a l’aird’un oiseau posé sur ton visage la queue enl’air,ta bouche qui s’ouvre toute grande et qui baise meslèvrescomme on avale une cuillerée de soupe, tout cela, et, tiens,tesbras nus, trop gras, me charme. Je suis un paysan, au fond. Masouquenille, vois-tu, c’est une blouse. La parade, le fard,lechapeau de Fortunatus, c’est pour les autres que mabêtisefait rire ; pour toi, je suis un niais, sans le faireexprès.Ote ma perruque, caresse mes cheveux. Veux-tu des pendantsd’oreilles en or ? Je t’en donnerai, et un collierdeperles aussi. Quand nous aurons gagné beaucoupd’argent,nous partirons. J’achèterai une terre, comme unhonnête homme. Nous aurons des voisins qui seront jaloux.Quandtu passeras, ils diront : « Voilà la femme de M.Tabarini! » Car j’aurai quitté le nom deTabarin. Jen’aurai plus d’or aux galons de monhaut-de-chausses, maistu en auras dans ta poche. Parce que je t’aime. Laisse-moit’embrasser le cou. Tu n’as pas repriséta chemise,là, devant ; tu as bien fait, c’est plus joli.Mais toi,tu ne m’aimes pas. Sais-tu bien que souvent, lorsque nousjouonsla farce où Tabarin, qui revient de la campagne, trouve ungalant auprès de sa femme, sais-tu bien que souvent je croisquece malheur pourrait m’arriver un jour, en effet ? Il y a ungardede monseigneur le cardinal qui rôde quelquefois par ici. Ilmesemble que je l’ai vu l’autre soir entrer par cettepetiteporte. Mais non, j’avais bu, j’avaisété aucabaret, avec Piphagne. Tu as un bon coeur, tu ne voudrais pasmerendre malheureux. Ta chemise, comme cela, c’esttrès-joli; tu as engraissé, chérie !
FRANCISQUINE.
Dis que je suis une nourrice, tout de suite ! Allons, mange ta soupe.
TABARIN.
Oui, si tu veux.
(
Il la baise sur les lèvres, pendant qu’ellemange elle-même.)
Oh ! la bonne soupe ! la bonne soupe ! C’est comme du sucrebrûlé.
SCÈNE II
(Sur la place.)
TELAMIRE,
se retournant et repoussant du talon sa jupe.
Mais voyez donc quelle équipée ! Etn’est-ce pointun grand fou que ce Polyandre qui nous conduit parmi les petites gens,pour entendre les Questions d’il signor Tabarini ?
LA PRINCESSE PHILOXÈNE.
Il est tout à fait certain, que si je n’avaispoint sur levisage ce touret qui me dérobe aux curiosités dupopulaire, je ne manquerais pas de rougirétrangement…
THÉODAMAS.
De sorte que le jardin de votre visage se fleurirait,Philoxène, de quelques roses de plus.
POLYANDRE.
Vous moquez-vous, mesdames ? Les plus honnêtes gensnedédaignent point de s’encanailler quelquefois, etlesdéesses peuvent avoir le caprice de descendre sur la terre.
AMALTHÉE.
Eh ! vous ne voyez pas ce petit homme qui porte un singe sur son dos ?Ne vous paraît-il pas que le singe ressemble àmonseigneurle cardinal ?
THÉODAMAS.
De tout point. Mais si nous ne nous hâtons de prendre place,lesbadauds auront bientôt envahi les bancs et chaises quevoilà.
TÉLAMIRE.
Est-il vrai que quelquefois le seigneur Tabarin offensel’honnêteté dans ses propos burlesques,et que nouspuissions avoir lieu de nous plaindre de latémérité de ses folâteries ?
LA PRINCESSE PHILOXÈNE.
Il ne serait que prudent peut-être de le faireprévenirqu’il aura affaire à des personnes dequalité, afinqu’il ne dépasse point, devant nous, les bornes delabienséance. Pour moi, il est des syllabes dont je ne sauraisendurer l’incongruité.
ARTABAN.
Par mon épée ! Il ferait beau voir que ce vilains’émancipât outre mesure, et sehasardât, moiprésent, à user de discours grossiers et propresàétonner, mesdames, la pudicité de vos oreilles.Maisvoici que le rideau s’entr’ouvre, et il signorTabarinilui-même se montre à vos yeux, coifféde sonillustre chapeau.
(
Les précieux et les précieuses sont assis. Unegrandefoule de populaire, bourgeois, filles, tire-laine, parmi lesquels desgardes et des mousquetaires, occupe tous les coins de la place. Descris se font entendre : « Tabarin ! Tabarin ! » Lebaladinsalue, la parade va commencer.)
SCÈNE III
LES MÊMES,
TABARIN sur le tréteau,
FRANCISQUINE dans la baraque.
TABARIN,
à part.
Oh ! oh ! voilà, ce me semble, des personnes que jen’aipoint coutume de voir, et de qui les poches ne sont point aussi videsque les miennes, à en juger par la richesse de leurs habits; jevendrai aujourd’hui plus de drogues que je n’envendsd’ordinaire en deux ans.
(
Haut.) Nobles dames, nobles seigneurs, coquettes et cornards ! Etvous, assemblée illustre d’imbéciles,de niais etde filous, ducs de la Samaritaine, courtisans du Roi de Bronze, cen’est point vous que j’amuserai par lesmétamorphoses de mon incomparable chapeau, par des questionssaugrenues, et telles autres facéties.
Paulo majoracanamus,comme dit mon maître Mondor.
La vérité est que je suis férud’amour, etce, pour ma femme Francisquine. O vive l’amour ! Vive lephénix des amants ! Le petit Cupidon est entré siavantdans ma poitrine, que je ne puis plus vivre sans donner quelquesallégements à mes flammes ; et le feu metransporte detelle façon, que je ne sais plus que cracherpoésie.
Mais Francisquine est une petite friquette, et il se pourrait bienqu’elle m’en eût donné pendantquej’étais aux champs. Ah ! cavalières !mousquetaderès ! bombardas ! canonès ! morions !corseletès ! Si quelque veillacos’étaitavisé de lui déranger la jupe, me donne au diablesi jene lui relance le limosin comme il faut !
(
Dès le commencement de la parade, un soldat, un garde duCardinal, est entré par la petite porte dansl’intérieur de la baraque. Francisquine lui asautéau cou ; il s’est assis, d’abord, auprèsd’elle, puis il l’a prise sur ses genoux, etmaintenant iljoue avec la chemisette que la femme de Tabarin a oublié deraccommoder.)
Holà ! Francisquine, holà ! Serait-ce que tu esmorte, mapetite poularde, puisque tu ne réponds pas à tonpetitmari ? M’est avis qu’elle est peut-êtredans lachambre d’à côté, et avecvotre permission,nobles seigneurs, je soulèverai ce rideau, afinqu’ellem’entende plus aisément.
(
Tabarin, continuant la parade, soulève, en effet, lerideau,et tout à coup pousse un grand cri, car le pauvre hommevient devoir sa femme assise, et riant, sur les genoux du garde.L’amantbrusquement s’enfuit. Tabarin laisse retomber la tenture etdemeure sur le tréteau, immobile et blême.)
Miséricorde ! Ce n’est plus un jeu ! Francisquine! Jel’ai vue ! Là, chez moi, sur lachaise…., etcet homme qui l’embrassait… Ah ! mes bonnes dames! mesbons messieurs ? Il n’y a plus de farce, il n’y aplus deTabarin ! Je suis un pauvre homme… Je l’aimaistant… Ah ! ma femme ! ah ! la gueuse ! ah ! mon Dieu, maFrancisquine !
(
Tabarin se laisse tomber sur le bord du tréteau, et pleureà chaudes larmes.)
TÉLAMIRE,
sur la place.
A vrai dire, les facéties de ce bouffon ne sont point aussigrossières qu’il était permis de leredouter ; etil a eu, surtout dans la dernière partie de son monologue,dessanglots qui ne laisseraient point que de faire honneur au plusindustrieux comédien de l’Hôtel deBourgogne.
THÉODAMAS.
Je ne serais point éloigner d’imaginer que,surexcité par la présence d’un publicnouveau pourlui, il a voulu s’en rendre digne par des effortsjusqu’alors inaccoutumés, et se hausser del’état de bouffon jusqu’àcelui devéritable acteur.
LA PRINCESSE PHILOXÈNE.
Il y a quelque apparence de vrai dans le soupçon qui vousestvenu. Mais prêtons l’oreille, s’il vousplaît,à la parade, car voici que le seigneur Tabarin arelevéla tête.
(
Pendant ce temps, dans la baraque, dont les spectateurs ne peuventvoir l’intérieur, Francisquine se tient,terrifiée,près du fourneau, car elle a entendu le cri terrible de sonmari.)
TABARIN,
arpentant le tréteau à grands pas.
Mais cette femme, pour moi, c’était tout !Savez-vous pourqui je vendais des drogues, pour qui je recevais des coups de pied auderrière ? C’était pour elle, pour elleseule. Pourqu’elle fût une femme heureuse, j’avaispresquecessé d’être un homme : et, toutàl’heure encore, je le lui disais. Ah !l’infâme !Maintenant, pendant que je suis là, histrion stupide, elleembrasse cet homme et se fait embrasser. Oh ! je les tuerai tous deux,je les tuerai. A vous, quand on vous prend votre femme, il vous restetant de choses ! A moi, sans elle, que me reste-t-il ? Rien. Ah ! lepaysan, l’homme du peuple, la brute, si l’on veut,sort dubaladin ! Je veux les tuer, vous dis-je, et après je leurmangerai le corps.
TÉLAMIRE.
Bien que cette douleur s’exprime en termes un peu grossiers,onne saurait dissimuler qu’elle a quelque chosed’émouvant et qu’elle serait de natureàplaire aux plus gens de goût, si elle étaittraduite enstrophes tragiques, ornées de pointes concordantes.
TABARIN,
toujours sur le tréteau, les yeux hors de latête, effrayant.
Mais une épée, une arme quelconque, est-ce quej’enai ? On n’assassine pas avec une batte d’arlequin,et ilfaut que je tue, pourtant. Si j’avais un pistolet, il seraitdepaille, comme dans la chanson. Miséricorde du ciel ! Est-cequ’il faudra que je les tue avec les ongles et les dents ?
ARTABAN,
sur place Il y a quelque chose de superbe dans son air, et le drôle,après quelques leçons, figurerait àmiracle unhéros de tragédie.
TABARIN.
Vous qui parlez, oui, vous ! là-bas, donnez-moi votreépée, Mordieu ! donnez-la moi, où jem’envas la prendre.
TÉLAMIRE.
Vous ne nous aviez point prévenus, Polyandre,qu’il nousserait donné un rôle dans la parade. Mais,puisqu’ille faut, allons, Artaban, prêtez à ce farceurvotre glaiveinvaincu. Sa comédie, à ne vous riencéder,commence à me divertir singulièrement.
(
Artaban se lève, s’approche dutréteau, tire son épée et la remetà Tabarin.)
TABARIN.
Ah ! vous, monsieur, merci.
(
D’un geste, il écarte le rideau, et bondit dansl’intérieur de la baraque, se précipitesur safemme, qui veut fuir et qui crie, lui enfoncel’épée dans la gorge, la retiresanglante, remonteépouvanté, à reculons,l’escalier quiconduit au tréteau, et reparaît devant le public,levantau ciel l’épéed’où tombent desgouttes de sang, et si pâle, si terrifié et siterrifiant,qu’un cri d’admirations’échappe à lafois de toutes les bouches, et que précieux etprécieuses, bourgeois, clercs, filles et tire-laine, toutelafoule, éclatent en un tonnerre d’applaudissements.PuisTabarin laisse choir ses bras, et tombe à genoux,hébêté, pendant qu’onapplaudit de plus enplus.)
TABARIN,
bégayant.
Ah ! misérable ! Tu l’as tuée !Francisquine ? Tapetite Francis ! Ton petit quine ! Ah ! misérable ! (
Ilregardel’épée, et la prend à deuxmains.) Ah !lame de malheur !
(
Il la brise contre son ventre.)
TÉLAMIRE,
à Artaban.
N’ayez point d’inquiétude au sujet devotreépée, monsieur. Les bateleurs ont coutume dechanger lesobjets qu’on leur confie, lorsqu’ils seraient danslanécessité de les gâter de quelquefaçon quece soit.
(
Cependant, dans l’intérieur de la baraque,Francisquinen’est point morte. Saignante, la main sur la plaie, elle setraîne vers le petit escalier, le montepéniblement, et setrouve enfin sur le tréteau, devant toute la foule, pareilleà un animal blessé, haineuse et hagarde. Tabarin,abîmé dans l’horreur, ne l’ani vue nientendue venir. Elle s’imbibe la main de sang dans sablessureet, brusquement, elle en barbouille les lèvres de son mari.Lafoule respire à peine. L’admiration est telle quel’on oublie d’applaudir.)
TABARIN.
Ah ! toi ! toi ! toi ! Oui, ton sang, je veux le boire ! Donne, encore! Je l’aime ! Je suis affreux, je t’ai fait du mal.Nemeurs pas ! Pardon ! Tu comprends, je t’avais vue…avecl’autre… mais ce n’est rien,j’ai eu bientort…. Ne va pas mourir ! Ah ! ma petite colombe,baise-moi… ne t’en vas point ! Dire que tusouffres, etque j’en suis la cause ! Ce n’est pas gravepeut-être, je n’ai pas osé appuyer. Unmédecin ! Allez chercher un médecin ! Mais, tasdemisérables ! vous ne voyez donc pas que c’estvrai, etqu’elle meurt ? Tu me regardes avec des yeux terribles.Veux-tuque j’aille chercher le garde, dis ? Pourvu que tu ne soisplusfâchée, qu’importe à qui tusouries ? Veux-tume tuer, toi aussi ? Il reste encore des morceaux del’épée ; tiens, prends ! Mais, tiens,petitechatte, tiens, vois, c’est très pointu, prendsdonc ! Ah !chérie !
(
Toutes les bouches sont béantes. Quelques yeux pleurent.« Voilà une fort agréablecomédienne, ditTélamire : et ne dirait-on pas que le sang est du sangvéritable ? »
Cependant Francisquine, claquantdes dentset râlant, a saisi le tronçond’épéeque lui tendait Tabarin ; elle rampe, les yeux hors de latête,hideusement pâle, vers son mari, toujoursagenouillé, quidéchire sa souquenille et offre sa poitrine nue. Mais, aumomentoù la main va frapper, la face se contracte dans uneconvulsionsuprême, et Francisquine retombe à plat ventre, latête sur les genoux de l’homme. Elle le mordà lacuisse, puis tout son corps se tend.)
FRANCISQUINE.
Canaille ! (
Elle a rendu l’âme. Des bravos, descris, destrépignements retentissent de toute part. Les gens de coureux-mêmes sont émus et debout ; et toute la gloiretumultueuse qu’un comédien peut envier environnelemisérable histrion.)
ARTABAN.
Ah ! par les dieux immortels ! On ne saurait rien voir de plusparfaitement joué. Daignez agréer,chèreTélamire, que j’offre votre bouquet de roses,moinsfraîches, je le confesse, que celles de votre teint,àcette admirable comédienne.
(
Artaban s’approche, le bouquet à la main. Mais,deprès, il voit le sang qui coule en effet, comprend tout,recule,plein d’une brusque horreur, et son effroi, en un instant, secommunique à toute la foule.)
TABARIN,
debout, avec une voix de tonnerre.
Les exempts ! les exempts ! J’ai tué ma femme !Qu’on me pende !
(Le rideau baisse.)
Catulle Mendès