MONTÉGUT, Maurice (1855-1911) : Trois Filles et Trois Garçons, (1899). Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (23.III.2004) Texte relu par : A. Guézou Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros] obogros@ville-lisieux.fr http://www.bmlisieux.com/
Diffusion libre et gratuite (freeware) Orthographe et graphie conservées. Texte établi sur un exemplaire (coll. part.) des Huit Contes à Mariani publiés à Paris en 1900. Trois Filles et Trois Garçons par Maurice Montégut ~~~~ A ANGELO MARIANI Est naturellement dédié ce poème De bonne humeur et de santé ; Ce poème où lon chante, où lon rit, où lon aime, Où lon boit sans satiété !
Certes, tous les héros sont fous jusquà lextrême ; Chacun, amant incontesté, Accomplit des hauts faits que lHercule lui-même Eût taxés de témérité
Mais, cher Mariani, cest petite merveille Que ce récit dexploits joyeux, Pour qui sait que durant ce fameux soir de veille,
Où la Muse tomba des cieux, Son auteur avait bu noblement sa bouteille De ton Coca prodigieux !
M. M.*
 I Elles étaient trois, - comme dans La chanson, - trois aux belles dents, Aux yeux gais, à la jambe ronde. La première, qui sappelait Blanche, létait comme du lait Et blonde, adorablement blonde, Des lys et des roses au sein
Rose, ce mot vient à dessein, Cétait le nom de la seconde. II Doux nom quelle ne volait pas, Malgré quelle eût, de haut en bas, La peau du corps brune et dorée. - La troisième (vous devinez) Était rousse ; une bouche, un nez
. Chose vue ou chose ignorée, Les mains, les pieds, - plus bas, plus haut, - Elle était pure, sans défaut, Et bien se nommait : Désirée. III Or, ces trois filles du printemps, Seize ans, dix-sept ans, dix-huit ans, La Rousse, la Blonde, la Brune, Ne mirent pas longtemps à voir Quen unissant tout leur avoir Elles possédaient pour fortune : Leur espérance, leur gaîté, Leur beau sourire, leur santé. Quatre richesses plutôt quune, IV Mais pas un écu, pas un sou ! Un sage en fût devenu fou ; Elles en rirent toute une heure, Ce qui, certes, valait bien mieux Que de rougir son nez, ses yeux, Comme lon fait lorsque lon pleure. Puis, pour voir le temps quil faisait, En jupon court et sans corset, Elles quittèrent leur demeure. V Mais à peine en route, ma foi, Elles causaient un tel émoi Que la foule encombrait les rues. - « Cest Vénus, Minerve et Junon ! » Disaient les uns ; les autres : « Non ! » Mais, pour ces Reines apparues, De tout son coeur, chaque passant Eût donné trois verres de sang, Tant les âmes étaient férues ! VI - Cétait par un beau jour de Mai, Où chacun rêvait dêtre aimé, Où le vent soufflait des caresses
Où les vieilles gens regrettaient, Où les jeunes gens souhaitaient Les tièdes baisers des maîtresses !... Triomphe des soleils nouveaux, Sur la mer, par monts et par vaux, La vie éclatait de tendresses ! VII Amour ! Amour ! Seule raison Dêtre, - gardien de la maison, Frisson des bois, chaleur des plaines
Dernier des Dieux resté debout, Jeune Éternel dont le sang bout, Faiseur de nids, mêleur dhaleines,
Semeur des mondes qui naîtront, Toi qui marches, la joie au front, En prodiguant les deux mains pleines, VIII Cétait bien toi qui les poussais, Ces belles filles, sans corsets, Pour affirmer encor ta gloire ! Elles séchappaient de tes mains Pour affoler les coeurs humains, Pour donner soif à qui peut boire ! Derrière elles, le peuple, accru, Marchait, soufflant davoir couru, Aussi pressé quun jour de foire. IX - Survinrent, se donnant le bras, Trois bons garçons, un maigre, un gras, Un autre encor, moyen de taille, Qui sen allaient dansant tous trois, Joyeux comme de petits rois, Rêvant damour et de ripaille. - « Pouf ! dit le gros, regardez-les ! Reines, nous sommes vos valets, Nous vous suivons, si loin quon aille ! » X - « Nous vous suivons !! clamait aussi Le maigre, - et sans dautre souci Que daspirer lair de vos bouches ! » - « Nous vous suivons !!!» criait encor Le troisième, en montrant de lor, Divin appât pour les farouches. Et de ce coup, nos trois beautés Reluquaient nos gens, de côtés, Avec des yeux devenus louches. XI Le gros reprit : «Mes beaux oiseaux, A vos amants je romps les os, Je suis vaillant et capitaine ! » Le maigre dit : « Je fais, ce soir, Trois beaux sonnets : blond, rouge et noir, Sur votre Trinité hautaine ! » Le dernier dit, toujours profond : - « Le ciel est bien haut de plafond, Dici lauberge est peu lointaine
XII Allons souper ! Le voulez-vous ? » - Alors, Blanche fit les yeux doux, Et Rose rosit dallégresses ; Et Désirée, à ce galant, Coula le regard défaillant Dune vertu bien en détresses. Ils entrèrent au cabaret, Tous songeant : à ce quil paraît, Il pleut aujourdhui des maîtresses ! XIII Le capitaine présenta : - « Mon nom est : Tarabiscota, Voici Langouroux et sa lyre
Puis Louis dAur, lhomme dargent, Nom tentateur, homme engageant Pour qui la canaille délire. Banquier, poète ou soldat fort, Nous vous aimons ! Soupons dabord
Après, vos coeurs pourront élire ! » XIV On soupa donc et de façons Que bientôt filles et garçons Étaient mêlés, garçons et filles ; A tour de rôle on sépousait. Et les trois filles sans corset Jouaient aux boules, puis aux quilles, Enfin, quant chacun fut lamant De chacune, un petit moment, On put causer, comme en familles. XV - « Cest convenu, cest entendu ! Nous rattrapons le temps perdu, Nous vivons désormais ensemble ! Nous ne nous quittons plus jamais
Vous le jurez ? Je le promets
Et si je mens, que le ciel tremble ! Donc chacun, selon ses moyens, Apportera son bien aux biens Des cinq autres
Que vous en semble ? » XVI Ainsi déclamait Langouroux. - « Bravo ! cria le soldat roux. Je suis de ton avis, compère ! » Mais le financier répliquait : - « Que chacun montre son paquet, Messieurs, avant dentrer en guerre ! Quapportez-vous, guerriers ardents ? La faim, la soif, toutes vos dents Et votre épieu prêt à bien faire ! XVII Pourtant, jaccepte en vérité ; Jentretiens la Communauté Dargent, de vins, de repas larges
Mais, Capitaine, si, dhasard, Des mécréants, voire un pochard, Nous cherchent noise, - tu ten charges
- Toi, poète, tu rimeras, Tu bâtiras des opéras, Augmentés de soupirs en marges ! XVIII Et quand morts seront les flacons, Tu chanteras sous nos balcons Dans la douceur de la soirée
Cest dit ? Cest dit ! Vivons ainsi ! Que Dieu nous tienne en sa merci Pour une vieillesse assurée
Cela vous va, nos trois amours ? Vivons ensemble et pour toujours, O Blanche, Rose et Désirée !!! » XIX En consentant, yeux éblouis, Toutes ne voyaient que Louis ; Chacune le voulait pour elle ; Et lui, de son côté brûlait, Certes, pour Blanche au teint de lait, Mais aussi pour Rose au pied frêle, Et, bien encore, était jaloux De Désirée aux cheveux roux, Et la chose est fort naturelle. XX Or, comme sétendait la nuit Et que des gueux menaient grand bruit A travers la ruelle obscure : - « A toi, soldat ! tire lacier ! Beugla soudain le Financier, Cest lennemi. Lattaque est sûre !» Le Capitaine se rua Sur un truand qui le troua
, Du vin coulait de la blessure. XXI Il en mourut. Et Louis dAur Dit : « Bon poète aux rimes dor, Descends chanter la sérénade ! » Langouroux obéit. Pourtant Il pleuvait dur à cet instant Et triste était la promenade. Il chanta, malgré tout, très bien, Puis rentra, mouillé comme un chien, Disant quil se sentait malade. XXII Quatre jours plus tard, il crevait, Et sans personne à son chevet. Le Docteur dit : « Cest la pituite ! » - Alors, ses amis au linceul, Le financier resta tout seul Pour trois filles, comme un Jésuite
- Sur ce, soyez tous convaincus Que rien nest vrai, hors les écus, Et faites fortune de suite ! ENVOI Mariani ! Mon financier, Nétant ni de roc, ni dacier, Mais de fragile chair humaine, Fût mort, vivement, à son tour, Devant sa trinité damour, - Car trop de joie est grande peine ; - Mais, comme il se croyait fini, Il but ton vin, Mariani ! Et, sur-le-champ, reprit
haleine !
M. M. |
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