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VENANCOURT,Daniel de : La réforme de l'orthographe,(1901).
Saisie du texte et relecture : J.F. Lefebure pour lacollectionélectronique de la Médiathèque AndréMalraux de Lisieux (29.IX.2004)
Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216,14107 Lisieux cedex
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Diffusion libre et gratuite (freeware)
Orthographe et graphie conservées.
Texte établi sur un exemplaire (BM Lisieux :nc) du numéro 9  de la Revue Le Penseur, 1èreannée, septembre 1901.
 
La réforme de l'orthographe
par
Daniel de Venancourt

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On lit dans les Mémoires d'Alexandre Dumasqu'en 1825 « il existait de par le monde un homme qui s'yprésentait avec une singulière prétention :c'était celle de renverser toutes les règles del'orthographe, pour leur substituer une orthographe sans aucunerègle.

« A son avis, chaque mot devait s'écrire comme il seprononçait. De la racine grecque, de la racine celtique, de laracine romaine, de la racine arabe et de la racine espagnole (Dumas enoublie !) il ne s'inquiétait aucunement. Ainsi, ilécrivait le dernier adverbe que vient de laisser échappernotre plume oqunemen.C'était assez difficile à lire, mais il parait quec'était plus facile à écrire.

« Cet homme s'appelait M. Marle.

« M. Marle cherchait partout des partisans à sonorthographe ; il comprenait qu'il ne pouvait faire de révolutionque comme Attila, c'est-à-dire à la tête d'unmillion d'hommes. Or, ayant jugé sans doute que les hommes delettres, et en particulier les vaudevillistes, étaient ceux quidevaient le moins tenir à l'orthographe, il avait surtoutessayé de faire ses embauchements parmi nous.

« Ce brave M. Marle publiait un journal écrit dans cetteétrange langue que nous venons de dire. Ce journal, il lepubliait chez un imprimeur qui demeurait cour des Fontaines, et quis'appelait Setier. »

Aujourd'hui M. Marle, l'imprimeur Setier et la cour des Fontaineselle-même ne sont plus. Mais la réforme de l'orthographeest devenue la grosse question qui préoccupe nos linguistes. Ontrouve des « simplificateurs » jusque dans le Conseil del'Instruction publique ; et, voilà quelques mois, desconcessions ont été faites à l'esprit nouveau parle Gouvernement et l'Académie.

Il ne s'agit plus, du reste, d'établir dans la languefrançaise cette orthographe phonétique que raillaitDumas. Vouloir adapter strictement l'orthographe à laprononciation, n'était-ce pas une chimère ? Laprononciation de beaucoup de mots varie singulièrement suivantles provinces. On ne s'entend déjà que trop mal entre leNord et le Midi, entre l'Est et l'Ouest.

Plus rationnellement conçue, la simplification orthographiqueoffre un pressant intérêt. Selon l'idéalrépublicain, une langue vraiment nationale doitprésenter, dans son expression écrite, plusprécise et plus subtile que l'orale, le moins possible de cescomplications byzantines qui désespèrent lesintelligences populaires. Un langage comme le françaismérite de dépasser les cénacles. Il a le droitd'être connu et compris de tout le pays qui est censé leparler. Sa vulgarisation totale n'aura lieu sérieusementqu'après une sorte de purification littéraire en vue dela netteté.

Il arrive qu'on abandonne une langue trop savante. La renaissance desdialectes locaux est un signe assez fâcheux de ceséparatisme. Aussi, de même qu'il faut rêver pourl'avenir un volapük ouun espéranto quipermettrait à l'esprit de s'universaliser, de même, dansle temps présent, c'est un devoir d'unifier la langue du pays enla rendant plus accessible, plus raisonnable.
    
Quand et comment se produira l'amélioration nécessaire ?C'est chose faite déjà pour certains. Il y a, àParis, un journal : LeRéformiste, qui est entièrement imprimédans une orthographe nouvelle. Son excellent directeur, M. Jean-S.Barès, a composé une « Gramaire françaize» où il préconise l'adoption des principes suivants:

1° Représenter chaque son par un caractère et nelaisser à chaque caractère que la représentationd'un unique son ;
                             
2° Établir pour la syntaxe des règles sans exceptionet des formules claires ;

3° Mettre en pratique les propositions orthographiques quiconseillent, d'abord, de supprimer toute lettre ne concourant nià produire un son ni à former les dérivésdu mot dans lequel elle est employée, à moins que cettelettre ne serve à distinguer entre eux les noms des êtreset des choses ou à en déterminer le genre et le nombre ;ensuite, de remplacer par des lettres vraiment étymologiquescelles qui, à tort, sont considérées comme telles.

Dans le détail, les dites propositions tendent à ceci :

Ne plus doubler que r et s ; doubler l seulement quand il a le sonmouillé ou dans les mots commençant par il ; doubler n et m seulement dans les motscommençant par in, en, im, em, qui, de même que il, remplacent presque toujours lepréfixe latin « in ». Si la prononciation exige laduplication du c, comme dans« accès », remplacer le second c par l's dont il a le son. Remplacer parun a l'eprécédant l'm oul'n qu'on supprime.

Substituer f, t, c, r et i aux signes géminés ph, th, ch, rh et à l’y. Si le ch tient lieu du « khi» grec, le remplacer par un k.L'y sera employéseulement pour deux i, ous'il est pronom ou adverbe. Remplacer g, t, s, par j, c, z, quand ils en ont le son.

Unifier par s la formation dupluriel ; remplacer également par s l'x final de divers mots, sauf quandcet x a le son de cs.

Supprimer des lettres inutiles en écrivant « sculter», « aquérir », etc. N'employer le traitd'union que pour remplacer une conjonction ou une préposition.Distinguer par un accent aigu tout efermé terminant une syllabe, à moins qu'il ne soit suivid'une autre syllabe contenant un emuet ; dans ce dernier cas, l'eprendra l'accent grave, s'il n'a pas le son d'a.

Toutes ces modifications, l'orthographe du Réformiste les comprend. Lejournal, à première vue, semble d'une lecture peuaisée ; mais l'usage, comme le temps, est un grand maître,et M. Jean-S. Barès, à l'oeuvre depuis plusieursannées, s'est acquis des concours nombreux.

A côté des grammairiens ou des simples prosateurs, lespoètes devraient prendre voix au chapitre. Il y a certainesréformes qu'on pourrait facilement apporter àl'orthographe du vers français, sans contrarier le mètreni la rime. On y gagnerait de rendre l'harmonie de notre vers plussensible, particulièrement aux étrangers, qui ne lasaisissent guère.

Pourquoi, à l'intérieur d'un vers, ne pas supprimer, parexemple, la terminaison ntdans les verbes à la troisième personne du pluriel ? Onremplacerait ces deux lettres par une sorte de petit s horizontal, semblable au signeque les Espagnols placent au-dessus de l'n pour le transformer en gn.

D'autres élisions seraient également utiles. Notreversification permet la suppression de l'e final dans le mot « encore». Suivant cet exemple, et à l'instar des poètesd'avant Malherbe, il serait possible de supprimer quelquefois, dansdiverses désinences, les lettres dont l'emploi assourdit oudétruit la musique du vers. Partout, on indiqueraitl'élision par une apostrophe.

En vers comme en prose, il faudrait en finir, une fois pour toutes,avec l'e muet de «gaieté » ou de « dévouement ». Dans lebut d'éviter une confusion entre des homonymes, on pourrait userd'un accent aigu marquant la prononciation, comme dans il conviént, du verbe «convenir », qu'il importerait de distinguer de ils me convient, du verbe «convier ». Proposons encore l'emploi d'un point sur l's des mots « Vénus», « Cérès », etc., afin d'indiquerqu'on doit prononcer Vénusse, Céresse.

De telles réformes n'auraient rien d'antiesthétique, eton peut les désirer sans passer pour un barbare. Ledésordre n'est pas une vertu littéraire.