Il y avait une fois, au Condroz, une fort vieille ferme.
C'était au milieu de la campagne, un grand bâtiment rougequi semblait s'étirer au soleil pour réchaufferses toits et ses murs tout plaqués de mousse.
Dans la cour de la ferme, s'élevait un fumier oùles poules, les canes, les oies et encore treize sortes debêtes, chantaient, courraient et piaillaient au plus fort,tout heureuses de vivre et d'avoir chaque jour à boire et à mangersans se donner aucune peine.
Au coin de l'étable des vaches, Champagne, un gros chiennoir, passait son temps à songer.
Il était toujours bien tranquille. Mais quand un mendiantentrait dans la cour, ou le facteur, Champagne se démenaitcomme un beau diable afin de rompre sa chaîne et de luisauter à la gorge.
Mais c'est sur le fumier qu'il faisait plaisant !
Il y avait là des canes, toutes fières de savoir nager.Elles restaient toujours ensemble à parler de bains et de plongeons.
Bref, c'était des gens à éviter. Ellesdemandaient sans cesse de la pluie et elles se fâchaient tout de suitequand on les regardait marcher, l'une derrière l'autre,comme des femmes qui vont à l'offrande. Puis il y avait levieux dindon, qui ne disait jamais un mot, et que tout le monderespectait, justement à cause de cela.
On disait qu'il avait énormémentétudié pendant sa jeunesse.
Ce qu'il y a de sûr, c'est que deux trois fois le jour, satête devenait toute bleue, tant il se fâchait, toutseul, sans nulle raison.
Un qui n'était pas fier, c'était Cadet, le grandcoq de combat, borgne et pelé sur la tête.
Il ne parlait jamais que des rencontres auxquelles il avait pris part, des coups ramassés, des coqsjetés bas.
Il était toujours prêt à raconter quelui, le premier, avait battu Napoléon, le plus fameuxcoq de la Hesbaye. C'était à Fexhe, un jour defête. Lui en était revenu avec un oeil pendant,mais Napoléon avait poussé d'horribles cris ensautant de l'enceinte, tout ensanglanté....
Il était heureux, le grand Cadet, de raconter cette batailleet de dire que ce jour-là, le fermier, tout hors de lui,l'avait embrassé parce qu'il avait gagnéprès de cent écus en paris !
Mais Cadet se tourmentait, de voir que les coqs d'aujourd'hui, au lieude se battre, passaient leur temps à des concours de chant. « Faut-il "assotir" ! disait Cadet, ce qu'on estobligé de voir ! des coqs faire comme des pinsons !... Faut-ilassotir, vraiment !... » - Mais il ne trouvait personne à quiparler de tout cela, parce qu'il voulait toujours avoir raison etqu'il ne pouvait parler longtemps sans se fâcher et grommeler.
Du reste, il n'avait jamais eu qu'un camarade, un canard gris, boiteuxet sourd.
Les poules, et les autres bêtes,préféraient le coq roux italien, qui était si gentil et qui chantaitsi bien.
Celui-là, au moins, c'était un coq desociété et connaissant son monde.
Pour le caquetage, il était encore pire qu'une vieillecouveuse. Et, dans les concours, il avait, avec sa belle voix,remporté quantité de prix.
Puis, il avait si bien le tour, da, mon Dieu, avec les jeunes poules !Il disait si bien : « Bonjour fifille, bonjour mon poussin »que les poulettes sentaient leurs petits coeurs tout remués !
Quand l'Italien sautait sur le timon d'un char pour chanter un morceau,elles ne pouvaient se lasser de l'entendre. Et pour leur faire plaisir,il aurait fallu qu'il chantât la journée entièresans se reposer. Toutes les poules étaient folles de lui.L'une d'elles se mêla même de chanter, aussi, pourse faire remarquer. Mais le fermier qui l'entendit, et qui avait peurde sa femme, tordit le cou à la pauvre poule et la mangea pourdîner le dimanche d'après. (1)
Tous les jours se passaient ainsi sur le fumier de la vieilleferme.
On se levait tout tôt, et l'Italien chantaitdéjà, les canes se lançaient des injures que le diable n'avait pas encore mis son bonnet.
*
**
Un jour, on apprit une grande nouvelle.
Cadet, le combattant, et lechanteur italien étaient tous deux tombésamoureux de la jeune poule de Chine, si fière d'avoir desplumes sur les pattes.
Pour le chanteur, tout le monde comprenait cela.
Mais pour Cadet ? Vieux sot, va !.... Les canes ne firent plus que semoquer de lui et se mettre à rire tout haut quand il passaitprès d'elles.
La jeune poule ne disait ni oui ni non à aucun des deux ; elle avaitpromis de leur donner réponse devant toutes les autresbêtes le dimanche suivant.
On n'entendait plus parler que de cela dans la cour. On disait que lapoule faisait bien des manières pour se décider, qu'elle avaittoutes les chances, et que pourtant elle ne valait pas mieux qu'uneautre, et patati, et patata... Enfin, des propos de jalousie que lesautres colportaient, étant sûres d'avance que lechanteur serait choisi, lui qui avait si bien le tour de dire : « Bonjour mon poussin ! »
Le dimanche suivant, il faisait un bon petit soleil bien joyeux, ettoutes les poules, les canes et les autres bêtesétaient sur le fumier, sauf une vieille poule griserestée au poulailler pour pleurer à son aiseparce que l'Italien n'avait pas voulu l'épouser.
Elles étaient toutes rassemblées, et la poule deChine allait dire qui elle choisissait. L'Italien, sûrd'être l'élu, se redressait fièrementet chantait à s'user la langue.
Le vieux Cadet, lui, s'était mis a l'écart, pourne pas être tenté de jeter son rival, le croupionen l'air, son rival qui faisait tant de son bec.
Tout à coup, au moment où la poule allait parler, onentendit des gloussements affolés. Toutes lesbêtes se réfugiaient dans les étables,le poulailler, la maison, de tous côtés, pour semettre à l'abri.
C'était un busard qui venait de selaisser tomber sur le dos de la poule de Chine et qui essayait de latuer en hâte, avant de l'emporter.
Mais, soudain, Cadet se précipita sur lui, prompt comme lafoudre. Et avec son bec et ses éperons, pendant que lapoulette se sauvait près de Champagne, le combattant tinttête à l'oiseau de proie qui fut bienobligé de s'enfuir les serres vides, tout honteux de se voirbattu par un coq.
*
**
Une demi-heure après, quand les bêtes eurent lecourage de se risquer dans la cour, on retrouva le chanteur italienmalade de peur, et le vieux Cadet qui caressait la petite poule deChine qui s'était décidée pour lui.
Et le plus beau du jeu, c'est qu'il n'y eut plus de poule quivoulût épouser le chanteur, - malgréqu'il sût si bien dire « Bonjour poussin !... »
Le pauvre coq chanteur fut obligé de rester célibataire toute sa vie. Et comme un jour il seplaignait à Champagne de son malheur, celui-ci luirépondit :
- « Houe ! houe ! C'est bien fait : tu faisais trop d'embarrasavec ta musique !... »
(1) Dictonwallon :
Poule qui chante,
Vache qui « torèle », [qui imite le taureau]
Femme qui siffle
Signe de querelle !