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REBELL, Georges Grassal pseud. Hughes (1867-1905) : Trois poèmes(1909). Saisie du texte et relecture : O. Bogros pour la collectionélectronique de la Médiathèque AndréMalraux de Lisieux (16.X.2004) Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros]obogros@ville-lisieux.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusion libre et gratuite (freeware) Texte établi sur un exemplaire (Bm Lx : n.c.)de Vers et prose, Revue trimestrielle delittérature, tome 18, Juillet-août-septembre 1909. Trois poèmes par Hugues Rebell ~~~~I Le Retour des Dieux Que la foule seprosterne devant les dieux nouveaux : ilss'avancent en triomphe prendre possession des églisespurifiées ; les hommes enfin ont détruit les anciennesidoles et rendent un culte à leurs vrais Protecteurs. Par les portes ouvertes et les larges verrières, lesoleil entre à flots dans les vieilles basiliques : les laidsépouvantails ne savent où se cacher, maintenant que lanuit n'est plus complice de leurs mensonges. Sainte-Humilité, c'est à toi de partir lapremière, tourne ton dos servile, meurtri par les flagellations,baisse les yeux modestement et quitte la chapelle où l'ont'admirait : déjà, au dehors, éclatent lesfanfares joyeuses de l'Orgueil ; le dieu arrive, escorté desconquérants et des poètes qui forcèrent l'Histoireà inscrire leur nom. Je vole à ta rencontre, toute-puissante déesse del'or, Avarice! Les villes t'acclament, que créa ton bienfaisantgénie : Carthage, Corinthe, Venise, et toi, Londres immense,coeur du monde ! forge de toute l'activité moderne ! ... Ce sont les musiques gaies des dieux du Sourire,ô bois qui virent les danses des bacchantes, fêtes antiquesfolles et charmantes ! les beaux jours sont revenus de l'ivresse et duplaisir ! J'entends déjà les flûtes et lestympanons des femmes en rut qui louent Dionysos parmi les amphoresrenversées, Vénus parait, annoncée par lescolombes ; elle vient pour féconder et réjouir, tandisqu'Eros poursuit de légers coups de verges cetteVirginité pâle aux yeux funèbres, dont la robe sentle moisi. Et je vois passer, froide et le regard fixe, la déesse duDésir, celle qui, par un constant effort, développe notreêtre et renouvelle la terre ; je contemple respectueusement cettemaîtresse de tous les grands hommes et je salue la belliqueuse,la conquérante, l'insatiable Envie! Douce souveraine des festins qui nous rends lagaîté et nous prépares à de nouvellesluttes, célébrons d'un rire plein de franchise tonaimable lourdeur ; viens, appuie-toi sur nos épaules, et quenous te portions en triomphe ! Chère Gourmandise, ton corps auxformes grasses nous pèse délicieusement. Je te louerai aussi, amazone audacieuse, ôColère ! je louerai ta course précipitée, tongeste brusque, révélateur d'une vie abondante quis'affirme, d'un sang riche. Mais je réserverai mon encens pour lavoluptueuse et la langoureuse, pour celle à qui chaque artistes'est voué tout d'abord, pour la Paresse, car c'est toi,déesse, qui nous a permis de goûter la Beauté en delentes promenades ; soeur de la Fantaisie, tu nous inspiras lesrêveries capricieuses ; tu nous révélas le charmedes crépuscules et la magnificence de la mer. O dieux délivrés ! Instinctséternels qu'on mauditautrefois ! L'humanité désabusée n'est plus malade; elle vous accueille comme le soleil et la santé ; elle selève du lit où elle a gémi des siècles ; etdétruisant les fétiches barbares, dispersant les haillonsqui couvraient les autels, elle reconnaît ses Dominateurs, etelle adore dans un pieux cantique, l'âme du Monde que vous portezen vous. II J'entonne le chantd'indépendance J'entonne pour lesnobles d'esprit le chantd'indépendance, le chant de liberté. Quelqu'un voudra-t-il jamais nous soumettre, ô nous,amoureux du vent ; de la montagne et de la mer ! Petit être chétif, chétive assembléed'êtres, prétendez-vous par de fugitives apparences nousabsorber ! Les plus beaux yeux, les plus belles paroles ne nousdomineront pas. Car nous n'avons jamais eu ni patrie, ni famille, nimaîtresse, et notre seule amie, c est la fière solitude. Nous irons par tous les chemins et sous tous les ciels,cueillant des fleurs et des baisers selon notre caprice ; que nullefemme, que nul homme ne nous arrête : nous sommes les Vagabonds ! Monde ! Monde ! Ce n'est pas une parcelle de toi que je veuxc'est toute ton âme ; j'ai soif de toi, Immense ! Je prendrai tous les sourires, je volerai toutes les paroles etj'irai sans cesse vers de nouveaux sourires, vers de nouvelles paroles.Ah! Monde ! Comment pourrais-je m'oublier dans un être, moi quisuis un désir d'Infini ! III C'était une ville detombeaux... C'était une villede tombeaux et de souvenirs,voilée de l'ombre bleue des soirs lunaires. Au loin, des fleuves, sous des verdures funèbres,coulaient, avec des scintillements pâles, dans la grande douceurnocturne. Au milieu de ses rues bordées de ruines, toute unemultitude de fête passait en chantant et des jeunes filless'entrelaçaient pour la danse. Mais parmi ce peuple il y avait de longs vieillards quis'arrêtaient pour interroger les ténèbres, jetantde temps à autre une phrase solennelle. Les yeux auxétoiles, ils commençaient leurs incantations, cherchaientà évoquer les morts, puis ils criaient en levant lesmains : - Ah ! qui de la tombe nous apportera la Vérité ! Alors une voix forte s'éleva des profondeurs de la terreet leur lança ces paroles : - Soyez avec ceux qui dansent sur les tombes, avec ceux qui nevoient pas les tombes. Les morts ne savent rien, et si un miracle lesfaisait parler, ils ne pourraient vous dire que comment ils ontvécu. |