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DALIVOY,Henri : Lebuffle(1882). Saisie du texte : S. Pestel pour la collectionélectronique de la Médiathèque André Malraux deLisieux (11.II.2009) Texte relu par : A. Guézou Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Mél : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros]100346.471@compuserve.com http://www.bmlisieux.com/ Diffusion libre et gratuite (freeware) Texte établi sur un exemplaire (BmLx :nc) de l'ouvrage Les Animaux chez eux illustré par AugusteLançon (1836-1887) paru chez L. Baschet àParis en 1882. Le buffle par Henri Dalivoy ~~~~Je dois au lecteurun aveu pénible mais loyal : je n’ai jamais vu d’autres Buffles queceux du Jardin des plantes et du Jardin d’acclimatation. J’ajouterai,pour achever ma confession, que l’étude sur place de ces animaux asuffi largement à mon bonheur et ne m’a pas inspiré la moindre velléitéd’aller, un jour, faire avec eux plus ample connaissance en Roumanie,en Égypte, en Perse, aux Indes ou au Cap de Bonne-Espérance. Purequestion de goût. Ce n’est point ma faute si je n’ai pas l’humeurvagabonde et si je considère comme une calamité un simple déplacementde Paris à Carcassonne ou à Quimper-Corentin. Je ne me vante ni ne m’excuse de cette horreur des pérégrinationslointaines ; je me borne à constater, non sans une satisfactionsecrète, que j’ai, du moins, cela de commun avec d’illustresnaturalistes, voire même de fameux auteurs de récits de voyages, quin’ont, de la vie, quitté leur cabinet. Il n’a jamais manqué, et, ànotre époque surtout, il ne manque pas d’explorateurs infatigables,d’audacieux chercheurs d’inconnu, pour aller recueillir, dans lesrégions les plus inaccessibles de l’ancien et du nouveau monde, toutesles données, tous les renseignements propres à combler les lacunes dela science. Je m’incline respectueusement devant ces modestes etintrépides approvisionneurs de MM. les savants en chambre ; cependantma déférence et mon admiration ne vont pas jusqu’à suivre leur exemple.Si la fatalité voulait que j’eusse à opter entre les deux destinées, jepréfèrerais, à coup sûr, le rôle sédentaire ; il exige moins d’héroïsmeet conduit plus rapidement à l’Institut. Mais revenons au Buffle. J’ai lu et noté ce qui a été écrit, que je sache, sur ce ruminant ; jeme suis passé la fantaisie, bien inoffensive, de compulser, à sonsujet, la Bible, les classiques grecs et latins, Aristote, Pline, etc.,les « bestiaires » du moyen âge, les encyclopédies d’Albert le Grand,de Vincent de Beauvais, etc., l’interminable série des voyageurs, desnaturalistes et des compilateurs des seizième, dix-septième etdix-huitième siècles, les grands ouvrages de Buffon, Cuvier, Flourens,d’Orbigny, etc., et, enfin, tous les travaux récents de zoologie. Ehbien ! je n’ai guère été, après, plus instruit qu’avant, et l’on ne mereprendra certainement pas à une pareille débauche de bouquins. Que defables, que d’incertitudes, que de contradictions, que de desiderata,non seulement chez les écrivains de l’antiquité, du moyen âge et de larenaissance – ce qui s’explique de reste – mais aussi – et cela m’aenlevé une chère illusion – chez les plus célèbres naturalistesmodernes et contemporains. Il m’a fallu une foi robuste pour ne pasdouter de la science et désespérer du progrès. On n’attend pas de moi, d’ailleurs, un de ces longs et doctes mémoiresque peut seul se permettre un membre de l’Académie des sciences ou unprofesseur au Muséum ; ma tâche, heureusement, est plus modeste: les Animauxchez eux ne sont ni une revue d’érudition ni un traitécomplet d’histoire naturelle, et, pour ne parler que du Buffle et de cequi me concerne, les superbes dessins de M. Lançon se passeraient fortbien de toute espèce de texte ; ma vile prose n’a pas d’autre but quede servir de repoussoir aux planches. Le lecteur, si lecteur il y a,est prévenu : il n’aura pas à me reprocher sa déception. Quelques notions historiques vont me servir d’entrée en matière. Qu’onse tranquillise, je ne remonterai pas tout à fait au déluge. L’antiquité grecque et romaine ne paraît pas avoir connu le Buffle ; unsavant prélat italien, correspondant de Buffon, monsignor Caëtani, asignalé, il est vrai, un fragment de sculpture représentant la tête decet animal, découvert, au siècle dernier, dans des fouillesarchéologiques faites à Rome ; mais on n’en citerait pas, je crois,d’autres spécimens, à supposer encore que celui-ci ne donnât pas lieu àcontestation. Quoi qu’il en soit, rien de plus incertain si le bubalus de laBible, le boubalosou le bonassosd’Aristote, le bubalusde Pline et de Martial, désigne le Buffle ou l’Aurochs, le Bison ou laVache de Barbarie, le Zèbre ou l’Antilope, etc. : on n’a que l’embarrasdu choix. L’identification du bubalus etdu bugledes auteurs du moyen âge n’est pas non plus rigoureusement déterminée.L’origine asiatique de ce bovidé prête moins à la controverse : ilprovient de la zône torride de l’ancien continent, des régions chaudeset marécageuses de l’Inde. Son apparition en Europe date, selonl’opinion admise, de la fin du sixième siècle, époque à laquelle,d’après le chroniqueur Paul Diacre, il fut introduit en Italie ;toutefois, il est probable que son acclimatation sur le littoral duDanube est bien antérieure. Plusieurs siècles auparavant, on le trouvedéjà en Perse, en Syrie et en Égypte. Aujourd’hui, il existe à l’étatsauvage en Asie (principalement aux Indes) et en Afrique (Cafrerie, leCap, Congo, pays du centre) ; à l’état domestique, en Asie (Chine,Indes, Afghanistan, Perse, Arménie, Syrie, Palestine, bords de la merCaspienne et de la mer Noire), en Afrique (Égypte) et en Europe (moyenet bas Danube, Turquie, Grèce et Italie) ; à l’état sauvage et à l’étatdomestique dans les îles de la Sonde, à Ceylan, Bornéo, Sumatra, Java,Timor, aux Moluques, aux Philippines, aux Mariannes, etc. Constatonsenfin qu’au commencement du siècle, Napoléon essaya de le naturaliserdans les Landes, et que le Buffalod’Amérique, malgré la ressemblance des noms, n’est autre que le Bison. Le Jardin des plantes possède actuellement deux Buffles du Cap, le mâleet la femelle ; le Jardin d’acclimatation, une famille complète deBuffles d’Europe, le père, la mère et un tout jeune Buffletin. Il estdonc facile, même avec les goûts les plus sédentaires,d’acquérir devisu une idée exacte des deux espèces caractéristiques decet intéressant animal. Intéressant, je ne retire pas le mot. Le moyen, en effet, de ne pointressentir malgré soi, un peu de pitié pour ces pauvres captifs, à lamorne mélancolie, qui vous adressent, comme un reproche, un long regardrésigné, et, parfois, lèvent au ciel des yeux suppliants, où on lit leregret des forêts vierges de l’Afrique ou des immenses steppes dulittoral danubien ? Ému par ce regard, j’oublie que le Buffle à l’étatsauvage n’inspire pas du tout le même intérêt ; si je le plains,prisonnier, libre, je ne serais nullement curieux de le rencontrer surmon chemin. De mon excursion à ces frileux jardins Quimontrent sans dangers aux pâles citadins Les filsdes chauds soleils et des gorges sauvages Usantleur instinct libre aux barreaux de leurs cages. je ne me suis pas borné à rapporter une impression, un souvenir : j’aibel et bien, séance tenante, rédigé d’après nature une descriptionaussi consciencieuse que pittoresque du Buffle du Cap et du Buffled’Europe. Par malheur, je n’avais pas encore vu les planches destinéesà accompagner le texte. Dès que les dessins de M. Lançon m’eurent passésous les yeux, mon devoir me fut tout tracé : je jetai mes feuillets aupanier. Sacrifice douloureux. Mais devant ce terrible crayon, le plussage pour moi est de confesser humblement l’infériorité de malittérature ; la lutte me serait trop désavantageuse, mon amour-propreaurait trop à souffrir de la comparaison. Il ne me reste que laressource d’appeler à mon aide un auxiliaire dont personne ne nieral’autorité. Buffon, immortel Buffon, à la rescousse ! « Le Buffle est d’un naturel plus dur et moins traitable que le boeuf ;il obéit plus difficilement, il est plus violent, il a des fantaisiesplus brusques et plus fréquentes : toutes ses habitudes sont grossièreset brutes ; il est, après le cochon, le plus sale des animauxdomestiques, par la difficulté qu’il met à se laisser nettoyer etpanser. Sa figure est grosse et repoussante, son regard stupidementfarouche ; il avance ignoblement son cou, et porte mal sa tête, presquetoujours penchée vers la terre ; sa voix est un mugissementépouvantable, d’un ton beaucoup plus fort et plus grave que celui d’untaureau ; il a les membres maigres et la queue nue, la mine obscure, laphysionomie noire, comme le poil et la peau : il diffère principale duboeuf à l’extérieur par cette couleur de la peau qu’on aperçoitaisément sous le poil, qui n’est que peu fourni. Il a le corps plusgros et plus court que le boeuf, les jambes plus hautes, la têteproportionnellement beaucoup plus petite, les cornes moins rondes,noires et en partie comprimées, un toupet de poil crépu sur le front :il a aussi la peau plus épaisse et plus dure que le Boeuf ; sa chair,noire et dure, est non seulement désagréable au goût, mais répugnante àl’odorat. Le lait de la femelle Buffle n’est pas si loin que celui dela Vache ; elle en fournit cependant en plus grande quantité », etc.,etc. Comment trouvez-vous le morceau ? Entre nous, il n’est pas éminemmentremarquable : je dirai même tout bas, qu’il ne suffirait point àillustrer son auteur ; l’exactitude, la précision, la couleur, lebrillant de la forme y laissent tant soit peu à désirer. Dût-onm’accuser de fatuité, je regrette mon essai descriptif. Écoutons une autre sommité de la science. « Le Buffle a les membres gros et courts, le corps massif, la têtegrande, le front bombé, le chanfrein droit et étroit, le mufle trèslarge. Ses cornes, bas placées, sont triangulaires et marquées àintervalles réguliers d’empreintes peu profondes ; elles se dirigentd’abord obliquement en dehors et en arrière, puis se relèvent vers lapointe. Elles sont de couleur noire, et cette couleur est aussi celledes sabots, des ergots, des poils et de la peau. Les poils sont raressur le corps et assez épais sur le front où ils forment une sorte detouffe ; les genoux sont aussi d’ordinaire assez velus et le bas desjambes même est quelquefois garni de poils longs et frisés. A la partieinférieure du cou et antérieure de la poitrine, la peau forme un fanonde grandeur variable suivant les races et même suivant les individus.Le port du Buffle est lourd et ses allures sont gauches ; en courant,il allonge le cou et tend le museau comme pour flairer ; il semble eneffet se guider principalement par le sens de l’odorat. Malgré lalenteur de sa marche, il est précieux comme bête de trait, car sa forceest très grande, comparativement même à celle du boeuf. » Tenez-vous à être renseigné par un autre écrivain non moins compétent ? « Le Buffle ordinaire a le corps un peu allongé, arrondi, le cou courtet épais, lissé, mais sans fanons ; la tête plus courte et plus largeque celle du boeuf ; le front grand, le museau court, les jambes demoyenne longueur, fortes, vigoureuses ; la queue assez longue ; legarrot presque élevé en forme de bosse, le dos incliné ; la croupehaute et retombante ; la poitrine assez mince, le ventre gros, lesflancs rentrés ; les yeux petits, à expression sauvage et méchante, lesoreilles longues et larges, les cornes.... » Mais il me semble qu’insister là-dessus serait scabreux : je saute, àregret, la dissertation relative aux cornes. « Les sabots sont bombés, grands, larges. Les poils sont rares, roides,presque soyeux ; ceux des épaules, de la partie antérieure du cou, dufront, de la touffe terminale de la queue sont allongés.L’arrière-train, la croupe, la poitrine, le ventre, les cuisses et laplus grande partie des jambes sont presque entièrement nus. L’animalest d’un gris noir foncé ou noir ; les flancs sont roux, le fond de lapeau est noir ; les poils tirent tantôt sur le gris bleu, tantôt sur lebrun ou le roux, » etc., etc. Abrégeons. A moins d’épuiser tout le stock scientifique sur la matière,voilà, je pense, assez de citations pour contenter les exigences lesplus difficiles. Il est présumable, du reste, que ni vous ni moi nenous préoccupons outre mesure de savoir si le Buffle a une côte de plusou de moins que le boeuf, si sa langue est lisse ou rugueuse, s’il a ounon l’haleine fétide, s’il justifie l’observation qu’a fait Aristote àpropos des ruminants : Nullumcornutum animal pedere ; s’il plonge à dix ou douze piedsde profondeur pour arracher avec ses cornes des plantes aquatiquesqu’il mange en continuant à nager ; si les trayons de la femelle sonttransversaux ou parallèles, s’il est vrai que son lait serve àfabriquer le fromage parmesan, et toutes autres questions de ce genre,fort importantes, je suis le premier à le reconnaître, et longuementtraitées dans les ouvrages spéciaux, mais par contre, dénuées de charmeet manquant d’intérêt aux yeux de pauvres ignorants de notre sorte. Enattendant que MM. les naturalistes aient pu résoudre ces gravesproblèmes, dormons tranquilles, et surtout, selon le recommandableprécepte de maître François Rabelais, « beuvons frais ». Le lecteur me saura gré de ne pas m’arrêter non plus aux divisions,subdivisions et variétés de l’espèce Buffle, depuis le bos bubalus vulgariset le Buffle de la Cafrerie ou du Cap jusqu’au Buffle Arni, au BuffleKérabau, au Buffle Bhain, au Buffle brachycère et au Buffle desCélèbes, qui tient le milieu entre le Buffle et l’Antilope. Leszoologues ne sont pas encore parvenus à se mettre parfaitement d’accordà propos de la nomenclature et du classement des divers types connus.Ne soyons pas plus royalistes que les rois de l’Académie des scienceset du Muséum, et bornons-nous à quelques détails inédits sur le Buffledes rives danubiennes. C’est cette variété, comprenant le Buffle communet le Buffle blanc, que M. Lançon a représentée en majeure partie dansses admirables dessins. C’est à lui que nous sommes redevable desrenseignements qui suivent. Ayant vécu pendant plusieurs mois enRoumanie, en Valachie, etc., il a pu étudier à l’aise ces animaux etles croquer, sous de multiples aspects, avec l’exactitude, la fougue etla vive couleur locale qui lui sont familières. Dans toute la basse région danubienne, le Buffle vit sur les bords dufleuve, au milieu des pacages et des steppes, moitié domestique, moitiésauvage, presque en liberté, à la façon des taureaux et des chevaux dela Camargue. Sa rusticité s’y approprie à merveille à la nonchalanceorientale de ses maîtres. Lent, lourd, capricieux parfois, mais fort,robuste, dur à la peine et d’une sobriété sans pareille, il estutilement employé aux travaux de culture et de transport. La manière del’atteler est des plus primitives : en guise de joug, on lui introduitla tête entre deux barres de bois parallèles, reliées verticalementl’une à l’autre et rattachées au timon par de longues chevilles quicomplètent ainsi le collier, ou, pour mieux dire, le carcan. Impossiblede pousser plus loin la simplicité et l’économie. Mais le Buffle n’apas l’habitude d’être gâté et se trouve très bien, paraît-il, de cerude harnais. Il n’est ferré que des pieds de devant. Excellente bête de somme, ilcharrie les plus lourds fardeaux ; une seule paire enlève facilementune grosse pièce d’artillerie, que huit chevaux ou six boeufs auraientpeine à traîner. Aussi un attelage de Buffles est-il considéré commeune richesse et entouré de tous les soins dont sont capables sesindolents et flegmatiques propriétaires. Son pelage peu fourni et laissant presque la peau à nu lui faitredouter surtout les ardeurs du soleil. L’eau semble être son élément.En toute saison, sauf au coeur de l’hiver, on l’y voit nageant,s’ébattant par bandes ou, plus souvent encore, enfoncé jusqu’au coudans les flaques marécageuses où il barbote, broute et s’endorttranquillement, la tête seule hors de l’eau. Quand on l’attelle,pendant les chaleurs, on le couvre d’une épaisse couche de boue qu’ontâche de renouveler ou d’arroser dès que l’argile est devenue sèche.Arrivé au relai, il va se jeter dans la vase avant même d’apaiser sasoif à l’auge du puits. Au pâturage, il vit en bonne intelligence avec les Boeufs, les Anes etles Chevaux. Pour ami, il a l’oiseau des Buffles, le textor erythrorhyncos- traduction littérale : le tisserand à bec rouge – qui, perché sur sondos, le débarrasse de la vermine ; pour ennemi, une espèce de mouchevenimeuse, au nom aussi imagé, probablement, qui, les soirs d’été,s’attaque à la plupart des animaux domestiques, les affole par sespiqûres au mufle et cause quelquefois leur mort. Afin de préserverleurs troupeaux, les gens du pays allument de distance en distance,dans le pacage et la steppe, de grands feux de fumier qui durent toutela nuit. Les bêtes sont accoutumées à recourir elles-mêmes au remède :aussitôt qu’un Buffle ou un Cheval se sent piqué, il se dirige à toutevitesse, aiguillonné par la douleur, vers le feu le plus rapproché,expose à cette fumée âcre la partie du naseau où s’est attachél’insecte et lui fait ainsi lâcher prise, en prévenant par une sorte decautérisation l’effet du virus. On se figure le tableau. Le charme desclaires nuits d’Orient, l’ampleur confuse de l’horizon, les oppositionsd’ombres et de lumières, les silhouettes désordonnées des animauxréfugiés autour de la fournaise, la tête dans le feu, râlant,bondissant, en furie, tout donne à cette scène nocturne un caractèresaisissant, vraiment fantastique ; on peut en croire sur parole M.Lançon : il s’y connaît. Un autre spectacle curieux, dans un genre différent, est celui d’unetroupe de Buffles quand elle traverse à la nage les bras du Danube, lesplus vieux portant, assis sur leur front et les mains appuyées auxcornes, deux ou trois marmots qui trouvent ce véhicule très commodepour passer l’eau sans mouiller leurs guenilles. Quel joli pendantréaliste à la légende d’Arion, sans la lyre, et à la fable du Singe etdu Dauphin, sans la mésaventure finale ! Malgré leur air rébarbatif, les Buffles danubiens ne sont guèrefarouches. De petits bambins à moitié nus, et munis d’une simple gaule,vont les chercher au pâturage ou dans les mares, les arrachent aurepos, les rassemblent et les conduisent à la ferme ou au travail, avecautant d’aisance et de sécurité que s’il s’agissait des plusinoffensifs quadrupèdes. Les indigènes vantent généralement son instinct, sa mémoire, sa finessed’ouïe et d’odorat. Il dépasse en longévité le Boeuf, le Cheval, etatteint, dit-on, jusqu’à quarante ans. Sa chair a bien un fumet un peuprononcé, mais au demeurant, à ce que m’assure M. Lançon, elle n’estpoint désagréable ; sèche, on la conserve longtemps : elle se mangecrue, découpée en longues lanières qui rappellent vaguement lesaucisson d’Arles. On estime sa graisse à l’égal de celle du Cochon ;le lait de la femelle, toujours d’après mon auteur, est très savoureuxet s’emploie surtout à la confection d’une espèce de petit fromage fortapprécié là-bas des connaisseurs. Nous sommes loin, avec l’utile serviteur domestique des populationsroumaines et valaques, du ruminant dangereux, sournois, traître etrageur qui se rencontre, à l’état sauvage, dans d’autres climats ; plusà craindre, en Afrique, que le Lion, l’Éléphant ou le Rhinocéros ;redouté aussi aux Indes, où il est l’adversaire souvent victorieux duTigre, dans les combats de bêtes féroces qui mettent en présence cesdeux ennemis. Pour être absolument complet, j’aurais encore à parler des diversusages de la peau et des cornes de Buffle ; mais la fabrication despeignes et la buffleterie ne sont pas mon affaire. Il suffit designaler que, par une amère dérision du sort, les dépouilles de cesuperbe animal servent également à la coquetterie féminine et aumajestueux uniforme du gendarme. HENRI DALIVOY. |