Corps
DEMESSE, Henri (18..-18..): Le lion(1882). Saisie du texte : S. Pestel pour la collectionélectronique de la Médiathèque André Malraux deLisieux (30.I.2009) Texte relu par : A. Guézou Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Mél : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros]100346.471@compuserve.com http://www.bmlisieux.com/ Diffusion libre et gratuite (freeware) Texte établi sur un exemplaire (BmLx :nc) de l'ouvrage Les Animaux chez eux illustré par AugusteLançon (1836-1887) paru chez L. Baschet àParis en 1882. Lelion par H. Demesse ~~~~L’une desmerveilles de la création parmi les animaux, c’est le Lion, dont laroyauté est fort dûment établie, bien que nombre de naturalistes aiententrepris de la lui discuter. Ce fauve a reçu en partage la force et labeauté. Rien de plus majestueux que sa démarche, rien de plusabsolument beau que sa forme, rien de plus terrible que sonrugissement..... Les naturalistes ont classé le Lion parmi les onguiculés, ordre descarnassiers, famille des félins. Les Lions étaient autrefois plus répandus qu’ils ne le sontaujourd’hui. On en trouvait d’une très grande taille dans les contréesqui sont actuellement connues sous le nom de Turquie d’Europe et ilsétaient fort communs dans l’Asie Mineure. On n’en rencontre plus guèreque dans quelques parties de la Perse et de l’Inde et dans l’Arabie. Leur véritable patrie est aujourd’hui l’Afrique. Ils y sont abondammentrépandus depuis l’Atlas jusqu’au cap de Bonne-Espérance, et depuis leSénégal et la Guinée jusqu’aux côtes de l’Abyssinie et du Mozambique. Les différences que l’on a cru reconnaître dans les Lions des diversescontrées ont fait admettre plusieurs races ou variétés locales dont leLion de Barbarie serait la souche. Le Lion de Barbarie a la taille forte et ramassée, la poitrine large etles reins faibles. Sa grosse tête, presque carrée, s’allonge en unmuseau large et camus ; il a les oreilles rondes, les yeux de grosseurmoyenne, mais vifs et étincelants ; la queue longue et terminée par unepointe courte, entourée d’un gros flocon de poils ; des membres trapusd’une force extraordinaire et des pattes plus grandes que celles desautres animaux, même comparativement aux membres. La tête et le cou sont entourés d’une crinière longue et touffue,composée de longs poils tombant par tresses jusque sur les pattes dedevant et se prolongeant jusqu’à moitié du dos et des flancs. La partieinférieure du corps sur toute sa longueur, les coudes et la partieantérieure des cuisses sont aussi garnis de touffes de poils. On le rencontre encore en Algérie et au Maroc, et il n’est pas raredans la régence de Tunis et dans le Fezzan. En Algérie, il est beaucoupmoins commun depuis nos guerres avec les Arabes, et nos chasseurs deLions, Jules Gérard en tête, ont considérablement contribué à endiminuer le nombre. C’est cette race à crinière crépue que les anciensreprésentaient de préférence dans leurs statues et leurs bas-reliefs,qu’on peut voir au musée du Louvre. Parmi les variétés issues de cette souche, on distingue : le Lion duSénégal, dont la crinière est épaisse et de teinte claire ; le Lion duCap, dont la crinière est très forte et foncée en couleur ; le Lion dePerse, à taille plus petite et à crinière mélangée de poils bruns etnoirs, et enfin le Lion du Guzerat, dont la crinière, faiblementindiquée, mérite à peine d’être mentionnée ; aussi l’a-t-on nomméquelquefois Lionsans crinière. C’est sans doute de cette espèce queparlent Solin et Oppien, qui croyaient que cet animal provenait del’accouplement du Lion et du Léopard. La taille du Lion du Guzerat est un peu moins grande que celle du Liond’Afrique, et sa couleur est uniformément d’un jaune roux fauve surtout le corps ; la touffe épaisse qui termine la queue est seuleblanche. A l’extrémité de la queue du Lion se trouve dissimulé par une touffe depoils qui termine cet organe, un ongle corné déjà observé par Aristote,mais dont beaucoup de naturalistes ont nié l’existence. La découvertede cette particularité était réservée à Didyme, d’Alexandrie. Iltrouva, à l’extrémité de la queue et caché au milieu des poils, unergot corné, une sorte d’ongle pointu, et il supposa que c’était làl’organe qui, lorsque le Lion, au moment du danger, agitait violemmentsa queue, lui piquait les flancs à la manière d’un éperon et l’excitaità se jeter sur ses ennemis. Cette observation fut traitée avec le plus profond mépris par lesnaturalistes modernes et ils ne la jugèrent même pas digne d’uneréfutation. Personne n’y songeait plus, lorsque Blumembach fut conduit,par hasard, à reconnaître l’exactitude de ce fait. A une époquepostérieure, M. Deshayes a retrouvé l’ergot sur un Lion et une Lionne,morts tous deux à la ménagerie du Muséum de Paris. Cet ongle est fortpetit, ayant à peine 3 lignes de hauteur ; il est adhérent seulement àla peau, et il s’en détache sans beaucoup d’efforts ; aussi on ne letrouve pas d’ordinaire sur les Lions empaillés que l’on conserve dansles Muséums. Un des traits caractéristiques du Lion est la manière dont il porte latête ; il la tient généralement élevée ; ce qui donne à sa physionomiequelque chose d’ouvert, de franc, qu’on ne remarque point sur laphysionomie des autres chats. Mais ce port de tête particulier n’a pasd’autre cause que l’épaisse crinière de son cou. La femelle, qui a lecou nu, tient la tête presque au niveau de son dos, et le jeune Lionressemble en ce point tout à fait à sa mère. Les anciens parlent de Lions noirs et de Lions de plusieurs couleurs.... Selon Elien, il y aurait eu des Lions noirs aux Indes ; en Syrie, selonPline ; en Éthiopie, selon Oppien.... « Il nous paraît, dit Lacépède,qu’il y a dans tous les pays des Lions beaucoup plus bruns les uns queles autres, et dont plusieurs peuvent tirer sur le noirâtre.... » Le nombre des Lions est supérieur à celui des Lionnes. Cela tient à ceque beaucoup de femelles périssent pendant la dentition, périodecritique que supportent mieux les jeunes mâles. Lacépède croit que leLion vit en monogamie. C’est au printemps que Lion et Lionnes’accouplent. Plusieurs mâles recherchent à la fois la même femelle etse livrent entre eux de formidables combats. D’après le commandantGarnier, le résultat de ces combats serait que, contrairement à ce quenous disons plus haut, le nombre des lionnes est supérieur à celui desLions. Quand la femelle a choisi son mâle, les autres s’éloignent etdésormais le couple vit fidèlement uni. Lorsque les Lionceaux viennent au monde après une gestation de centhuit à cent dix jours, leur taille est celle d’un chat qui auraitatteint la moitié de son développement. Seuls de tous les carnassiers,les Lions naissent les yeux ouverts. Comme la Lionne pendantl’allaitement ne quitte guère ses petits, si ce n’est pour aller sedésaltérer, elle établit son repaire près d’une source ou d’unerivière. Elle s’assure ainsi une proie abondante et facile lorsque lesanimaux de la contrée sont attirés par le besoin de l’eau. Après les fortes chaleurs du jour, aux premières fraîcheurs de la nuit,l’Antilope et la Girafe, le Zèbre et le Buffle recherchent lessources.... Le guide de la troupe d’Antilopes s’avance lentement, enflairant et en écoutant sans cesse ; il cherche à percer de ses yeuxles ténèbres de la nuit. Après chaque pas, il s’assure que tout estcalme et silencieux. Les Antilopes sont assez intelligentes pouravancer contre le vent, et presque toujours le guide du troupeauperçoit à temps le danger. Il s’arrête, écoute, regarde, flaire, etaussitôt, rebroussant chemin, se livre à une fuite rapide, qui entraînetoute la troupe et la dérobe au danger. Le Zèbre s’approche avec la même prudence ainsi que la Girafe, maissoudain le Lion fait un bond, saute sur le cou de sa victime et luienfonce les dents dans la nuque. C’est cette façon de chasser indigne du grand carnassier qui a faitdire à Barrow : « Cet animal est traître, il est rare qu’il attaqueouvertement, il s’embusque jusqu’à ce qu’il puisse sauter sur sa proie.» Nous lisons dans le Dictionnairepittoresque d’histoire naturelle ce détail que nousn’avons trouvé reproduit nulle part : on croit que pour cette chasse oùsa force est le plus souvent inutile, mais où la ruse devientnécessaire, le Lion sait s’associer le Caracal, petit Lynx qui, d’unetaille plus semblable à la leur, peut facilement approcher ses victimessans leur inspirer d’épouvante et sans déterminer leur fuite. On ditqu’il s’en sert comme d’un pourvoyeur et qu’il partage ensuite avec luisa proie. Il est peut-être plus probable que si le Caracal suit leLion, c’est afin de profiter des restes de ce puissant carnassier. Ilne serait cependant pas impossible qu’il y eût du vrai dans ce récit. Lorsque les animaux se sont accouplés, le pays qu’ils habitent est dansla désolation. Le Lion consomme énormément ; on en jugera par ceschiffres donnés par Jules Gérard. En 1855, dit-il, les trente Lions quise trouvaient dans la province de Constantine coûtaient annuellement180000 francs. « Dans les contrées où je chasse d’habitude, écrit-il, l’Arabe qui paye5 francs d’impôt à l’État paye 50 francs au Lion. Un seul Lion tue ouconsomme une valeur annuelle de 6000 francs en chevaux, mulets, boeufs,chameaux et moutons ; en prenant la moyenne de sa vie, qui est detrente-cinq ans, chaque Lion coûte donc aux Arabes 210000 francs. » De 1856 à 1857, toujours d’après Jules Gérard, 60 Lions ont enlevé dansla seule province de Bône 10000 pièces de bétail, grandes etpetites.... En captivité le Lion absorbe par jour, en moyenne, de 6 à 7kilos de viande. En général, le Lion ne mange que des animaux tués par lui ; ce n’estque si la faim le presse qu’il se contente des cadavres qu’il rencontre; encore choisit-il le plus souvent la proie que repu l’animal adélaissée la veille. Il préfère les grands animaux aux petits ;cependant il ne dédaigne pas ceux-ci lorsqu’ils se présentent sur sonpassage. On affirme que parfois même il se contente de sauterelles ;mais ce fait est douteux. La force du Lion est telle que lorsque sa proie est abattue, il peutsans effort l’emporter dans sa gueule et sauter sans inconvénient unfossé de 2m,60 et 3m,25 de hauteur. Le Lion n’est pas toujours le plus fort si l’on en croit Livingstone.Dans son Voyagedans l’Afrique australe, le célèbre explorateur dit qu’ila vu « un troupeau de Buffles se défendre contre un certain nombre deLions en leur présentant les cornes. Les mâles étaient en avant, lesfemelles et les jeunes formaient l’arrière-garde ». « Je tiens de bonne source, dit Sparrmann, qu’un Lion a été heurté,blessé et foulé aux pieds jusqu’à la mort par un troupeau de bétailque, pressé par la faim, il avait osé attaquer en plein jour. » La vie du Lion est nocturne ; pendant le jour il ne quitte son repaireque s’il est forcé par les chasseurs. Quand le Lion rugit, tous les animaux de la création frissonnent. Le rugissement du Lion est le cri le plus puissant qui jaillisse de lapoitrine d’un animal. C’est d’abord un roulement sourd, entrecoupé. Ilressemble à un tonnerre lointain dont le ton s’élève, s’enfle, roule etarrive à un éclat formidable ; voix menaçante et solennelle qui imposele respect, fait courir des frissons sous la peau des plus braves etsème la terreur dans l’espace. Le Lion rugit ordinairement au lever del’aurore, après avoir mangé et lorsque le temps est à l’orage. On ne peut se faire une idée de la tendresse de la Lionne pour sespetits. Elle passe ses journées à les caresser, à les lécher ; elle seprête à leurs jeux, joue même avec eux et ne les quitte jamais sans leslaisser sous la garde du mâle qui lutte au besoin pour eux jusqu’à lamort. Très maladroits, très lourds dans leurs mouvements, les Lionceaux nemarchent guère que le deuxième mois ; après quoi ils commencent àsuivre leurs parents à la chasse. Le sixième mois la Lionne les sèvre,et vers le dixième mois ils sont presque de la taille d’un petit âne. Jusqu’à quinze à dix-huit mois, Lion et Lionne se distinguent peu parleur forme extérieure. Alors qu’ils ont atteint cet âge, les formes dumâle s’affirment, deviennent plus fortes et plus puissantes et lacrinière apparaît. Ces animaux n’atteignent leur complet développement que vers laseptième année. Nous avons vu plus haut que Jules Gérard écrit que lamoyenne ordinaire de la vie des Lions est de trente-cinq ans. Il doitêtre dans le vrai, bien que Buffon pense que cet animal ne peut vivreplus de vingt-cinq ans. D’autres fixent le terme de sa vie à quaranteou cinquante ans, et Shaw parle de deux Lions qui auraient vécu à laTour de Londres, l’un soixante-trois et l’autre soixante-dix ans, cequi absolument est invraisemblable, surtout puisqu’il s’agit de Lionsen captivité. Le Lion, dit Scheitlin, s’apprivoise comme le chien, dont il a lamémoire. Après de longues années, il reconnaît instantanément sonancien gardien ; s’il a perdu le souvenir de sa physionomie, ilreconnaît toujours le son de sa voix aimée, de même que l’hommereconnaît plus longtemps les personnes par leur voix que par leurstraits. Sa mémoire conserve précieusement le souvenir des bienfaits.L’histoire d’Androclès et de son Lion, que raconte Célius, n’a riend’invraisemblable, quoi qu’on en ait dit. C’est surtout lorsqu’ils sont pris jeunes que les Lions s’apprivoisentparfaitement à l’aide de bons soins. Ils reconnaissent dans l’hommeleur bienfaiteur, et l’aiment d’autant plus qu’il s’occupe davantaged’eux. Il est impossible de se figurer rien de plus aimable qu’un Lionainsi dompté et qui, au bout de quelque temps a oublié sa liberté, etpresque sa nature de Lion, pour se donner corps et âme à son maître. «J’ai soigné pendant deux ans une lionne, dit Brehm. Bachida avaitautrefois appartenu à Latif-Pacha, gouverneur égyptien de la partieorientale du Soudan, et avait été donnée en présent à l’un de mes amis.Elle s’habitua rapidement à notre ferme, où on la laissa circulerlibrement. Bientôt elle me suivit comme un chien, me caressa à chaqueoccasion et se rendit même importune, parce que l’envie lui prenaitparfois de me rechercher la nuit jusque dans mon lit et de me réveillerpar ses cajoleries. Au bout de peu de semaines elle s’était arrogé undroit absolu sur tout ce qui vivait dans la ferme ; néanmoins c’étaitplutôt pour jouer avec les animaux que pour leur faire du mal. Sa façond’agir à notre égard était toujours aimable et loyale. La fausseté luiétait inconnue ; même après une correction, je l’ai vue revenirquelques minutes après et me caresser avec la même confiance que par lepassé. Sa colère s’en allait instantanément et la moindre cajoleriesuffisait pour l’adoucir. Pendant le voyage de Charthum au Caire, quenous fîmes en descendant le Nil, on la tenait enfermée dans une cageaussi longtemps que le bateau était en mouvement ; mais dès que nousjetions l’ancre on lui donnait sa liberté. C’étaient alors des gambadesà n’en pas finir ; elle en profitait chaque fois pour satisfaire sesbesoins, car elle aimait tellement la propreté que pendant tout letrajet elle n’a jamais sali sa cage.... On la conduisit à Berlin et jene la revis plus pendant deux ans. Lorsque j’allai la visiter elle mereconnut immédiatement. » Un de nos amis nous contait le fait suivant, qui est une preuvenouvelle à l’appui de tout ce que racontent divers écrivains, au sujetde la mémoire du Lion et de sa reconnaissance. Des spahis en garnison au Sénégal avaient apprivoisé un jeune Lionqu’ils nommaient Pataud.... Pataud se promenait en liberté dans lescours et dans les écuries, voire dans la campagne. Jamais le Lionn’avait fait de mal à aucun des animaux qui foisonnaient dans lacaserne, chevaux, mulets, ânes, bêtes à cornes, etc. Au contraire, illes connaissait tous, et, très connu d’eux, il circulait librementpartout et jouait même avec quelques-uns de ces animaux. Dans les écuries, les chevaux accoutumés à le voir, ne ressentaient pasce sentiment d’effroi que tous les animaux éprouvent en présence duLion. Un jour, le colonel ayant acheté un cheval qu’il avait faitmettre à l’écurie, Pataud, surpris de voir une nouvelle bête,s’approche pour faire connaissance avec elle ; mais le cheval, fou deterreur, se cabre, son oeil étincelle, ses poils se hérissent, ilhennit de frayeur, et comme Pataud s’avançait plus près, le cheval luienvoie une ruade qui atteint le Lion en plein mufle. Pataud n’hésitepas, il bondit sur la bête et l’étrangle net... Le colonel prit alors la résolution d’envoyer Pataud à Paris, au Jardindes Plantes. Un spahis, vieux grognard, fut chargé de conduire la bête.Pendant la traversée, le spahis et Pataud faisaient très bon ménage. Lespahis avait toujours en poche quelque friandise pour le Lion, il luiprodiguait des caresses, le Lion y répondait. Bref, en arrivant àParis, homme et bête étaient les meilleurs amis du monde. Pataud fut mis en cage, le spahis regagna le Sénégal. Ce fut un grandchagrin pour ces deux camarades. Deux ans après, le Lion dans sa cage reposait, son gardien causait avecnotre ami devant la loge du fauve. Tout à coup l’animal s’éveilla, seleva, secoua sa crinière, rugit, fit mille bonds et se dressa sur sespattes contre les barreaux. Que se passait-il donc ? Soudain un homme arriva comme un fou devant la cage, et passa ses deuxbras à travers les barreaux, et le Lion le léchait, ronronnait, sedressait et bondissait de plus belle. C’était le spahis. De retour en France, sa première visite avait étépour son ami, pour Pataud. Et ce n’est pas seulement à l’homme que le Lion s’attache avecconstance. Toscan nous cite ce cas d’un Lion du Muséum, qui s’était sibien habitué à un jeune chien vivant dans cage, qu’il parut souffrirbeaucoup lorsque son compagnon mourut. Lacépède, Cuvier et Geoffroy Saint-Hilaire ont été témoins del’affection d’une Lionne pour un chien. « Elle se plaît à ses jeux,disent-ils, s’amuse de ses caprices, est sensible à ses caresses,attentive à ses besoins, satisfaite quand elle le voit auprès d’elle,triste lorsqu’on le lui ôte pendant quelques moments ; c’est bien plusau sentiment mutuel que les deux prisonniers se sont inspiré qu’à sadouceur particulière qu’elle doit la tranquillité avec laquelle ellesupporte la perte de son indépendance. » Élien parle, d’après Eudemius, d’une amitié semblable entre Lion etChien. « Un Lion, dit-il, un Chien et un Ours vivaient ensemble dansl’union la plus intime, chez un homme qui apprivoisait des animaux. Lesdeux premiers surtout avaient l’un pour l’autre l’attachement le plustendre ; mais le Chien ayant blessé l’Ours en jouant, celui-ci repritsubitement son naturel féroce et déchira son faible compagnon. Le Lionirrité se hâta de venger son ami, et fit périr l’Ours par des blessuressemblables à celles qu’avaient reçues le Chien. » Aujourd’hui encore, on peut voir à la ménagerie du Muséum, un Chienvivant dans la cage d’une Lionne, et les gardiens affirment que si l’onretirait ce Chien, la Lionne en éprouverait un véritable chagrin. On a de très fréquents exemples de reproduction de Lion en captivité etsous des climats différents. Des produits ont été obtenus à Naples, àGrenoble, à Paris, à Florence, en Angleterre. Brehm dit que ce n’estqu’exceptionnellement qu’on a pu élever de jeunes lionceaux nés encaptivité, car ils meurent généralement à l’époque de la dentition.Nous avons pu nous convaincre du contraire. Presque dans toutes lesménageries ambulantes, les dompteurs exhibent des lions nés encaptivité. Plusieurs individus, tant Européens qu’indigènes, se sont fait uneréputation comme chasseurs de Lions. Nous citerons Ahmed-Ben-Amar deSong Ahras (subdivision de Bone). Ce mulâtre musulman, surnommé leNègre, aurait tué trente-neuf Lions en chassant seul d’abord et ensuiteavec son kif-kif(en français, son semblable), Beglas-Ben-Kassem, appelé d’ordinaireBel-Kassem tout court. Nous citerons aussi Chassaing, qui aurait tué trente Lions, et JulesGérard, vingt-cinq ; puis l’Écossais Gordon Cumming, qui a chassé leLion pendant cinq ans, dans le sud de l’Afrique. Dans l’Atlas, on chasse le Lion de différentes manières, soit àl’affût, sur un arbre, soit en creusant des fosses ou trappes sur lechemin que parcourt ordinairement l’animal. Les Arabes se réunissentparfois en troupes pour poursuivre un Lion qui a jeté la désolationdans la contrée. Les Cafres des frontières de la colonie du cap de Bonne-Espérance,vulgairement nommés Kaal-Kaffers(Cafres chauves), ont, d’après Delegorgue, une singulière manièred’attaquer le Lion, qu’ils chassent. « L’un d’eux, dit-il, porteur d’unvaste bouclier de buffle épais et dur, auquel a été donnée une formeconcave, s’approche le premier de l’animal, et lui lance une assagaye.Le Lion bondit vers son agresseur ; mais l’homme s’est laissé tomber àplat sur la terre, et son bouclier le recouvre, de même que les cônesmarins (patelles) qui adhèrent aux rochers. L’animal essaye alors sesgriffes et ses dents sur la partie supérieure du bouclier, qui les voitglisser sans effet produit. Il redouble ; mais bientôt, cerné par labande d’hommes armés, son corps est tour à tour percé de vingt, de centcoups d’assagaye qu’il s’imagine recevoir de l’homme qu’il tient souslui. » Nous extrayons du Voyageen Abyssinie exécuté pendant les années 1839, 1840, 1841,1842, 1843, par MM. Théophile Lefebvre, lieutenant de vaisseau, H.Petit et Quantin Dellon, docteurs-médecins, naturalistes du Muséum, etVignaud, dessinateur, le passage suivant, relatif à la chasse au Lionet qui semble débarrassé des exagérations ordinairement entassées dansleurs récits par des chasseurs moins sérieux. « Lorsque le Lion est attaqué, il a pour habitude constante des’élancer d’abord sur celui qui l’a touché le premier, soit avec lefusil, soit avec la lance. » Aussi considère-t-on comme l’ayant tué le chasseur qui l’ale premier tiré, quoique plusieurs autres l’aient ensuite abattu, parceque le premier il a eu le courage de s’exposer à sa fureur. Après avoirdéchiré le premier assaillant, il passe au second, et ainsi de suite,avec une espèce d’instinct et de mémoire très remarquable. Si l’un deschasseurs, par ses gestes, sa contenance, son visage, laisse apercevoirla moindre frayeur, sa mort est sûre, car le Lion le reconnaît ets’élance aussitôt sur lui. » Il s’avance vers les combattants en remuant la tête et la queue et enouvrant la gueule d’une manière effroyable. Il ne fait qu’un bond detrente à trente-cinq pieds, puis se dresse à portée, et généralementbrise, en se laissant tomber de son propre poids, l’épine dorsale decelui qu’il a choisi pour victime, en même temps qu’il lui déchire lecorps avec ses griffes et lui broie la tête dans sa gueule. » Il est surtout terrible quand, étant tombé, il semble presque mort.Généralement son agonie coûte la vie à un homme ; car quoique sansmouvement apparent depuis assez longtemps, si l’on ne prend pas degrandes précautions pour l’approcher, il recueille tout ce qui luireste de force pour achever ceux qui sont tombés près de lui ou celuiqui vient lui porter un dernier coup. » Une question a souvent été posée : Le Lion attaque-t-il l’homme ? etrésolue négativement. Ben-Amar affirme que jamais, sinon dans le cas de légitime défense, leLion n’attaque l’homme. Henri Béchade, d’accord avec les récits de Vernet, Bombonnel etChassaing, se prononce en ces termes : « Sur le caractère du Lion on aémis les opinions les plus contradictoires. Les uns en ont fait unanimal clément et magnanime ; les autres, une bête cruelle sansnécessité et possédée de la rage de la destruction. Pour réduire à leurjuste valeur ces assertions exagérées, il suffit de se rappeler que leLion, malgré sa royauté, n’est qu’un animal qui obéit comme les autresà ses instincts. S’il dédaigne une proie facile, ce n’est pas qu’ilsoit clément ; c’est qu’il n’a plus faim. S’il se jette sur l’homme, cen’est pas que la destruction soit pour lui la condition de sonexistence ; le plus souvent, c’est qu’il se défend lui-même contre uneagression. Je définis ainsi le Lion : un animal puissant, terriblequand on l’attaque ; mais qui, le jour comme la nuit, ne se jettera surl’homme inoffensif et résolu qu’autant que la faim l’aura rendu fou derage et que les autres proies lui manqueront. Et Dieu sait si lesproies manquent à ce roi de l’Atlas ! » Chassaing et le docteur Livingstone admettent qu’un Lion hors d’âge,devenu incapable de bondir, pourrait bien s’adonner à la chasse àl’homme, la trouvant plus facile que celle au quadrupède ; mais cela nedurerait guère, et l’animal sera bientôt tué ; et puis, en définitive,on ne devrait voir là qu’une exception à ce qui se passe d’ordinaire. Une autre question a été posée également, mais elle n’est pas résolueencore : Le Lion peut-il grimper aux arbres ? Le commandant Garniersoutient que non, à cause de la grande pesanteur du corps de ce fauve.Lacépède croit que les Lions peuvent monter sur des tiges élevées, aumoins aussi facilement que le Tigre et autres grands carnassiers. Malgré les réfutations constantes des savants, une multitude delégendes plus ou moins extraordinaires courent le monde à propos de ceroi des mammifères. Des récits fabuleux ou tout au moins exagérés sesont répandus dans la foule. La science et le bon sens allié auraisonnement ont détruit bon nombre de ces contes. Cependant certainescroyances se sont si bien perpétuées à travers les âges, qu’ellessubsistent toujours. Il se trouve encore des gens dont la convictionest que la Lionne ne met bas qu’un petit dans toute son existence ;car, disent-ils, de même que les petits de la Vipère, le Lionceaudétruit l’organe qui le porte. La vérité est que le nombre des petits mis bas à chaque portée par laLionne varie entre deux et six. Si parfois les félins ne font qu’unpetit, c’est un cas tout à fait isolé. Certains naturalistes nous énoncent plusieurs de ces récits fabuleuxqui se sont accrédités un peu partout à propos du Lion. Cet animal,dit-on, serait toujours dominé par la fièvre ; il dort les yeux ouverts; telle ou telle partie de son corps a des vertus merveilleuses enmédecine ; ses os sont tellement durs qu’ils donnent des étincelles auchoc, etc. Les Arabes, dont la nature est essentiellement incline à lasuperstition la plus exagérée, n’ont pas peu contribué à répandre cescroyances. Ils prétendent que, vers le milieu du jour, le Lion souffrehorriblement de la fièvre froide, ce qui le rend paresseux ; ilsallèguent encore que, si on veut le mettre en mouvement, il fautl’exciter à coups de pierre, car il ne se déplace pas de lui-même. Enréalité, il n’en est pas tout à fait ainsi, quoiqu’on ne puisse nierqu’il soit très paresseux tant que le soleil est au-dessus del’horizon. Dans mon dernier voyage en Abyssinie, dit Brehm, j’ai pum’assurer qu’il se glisse quelquefois, pendant le jour, dans le fourréou se tient tranquillement sur un point culminant pour observer lesanimaux du canton qu’il habite. Ainsi, l’un de mes domestiques a vu unLion assis en plein midi, dans la vallée qui conduit de Mensa àAïn-Saba. Ce Lion regarda avec beaucoup d’intérêt le chameau et sonmaître, mais les laissa tranquillement passer. On a considéré commefausses les assertions de Le Vaillant et d’autres naturalistes, surl’habitude qu’a le Lion d’examiner ainsi tout son domaine ; cependantj’ai eu occasion de vérifier le fait par moi-même. Nous avons vu unlion couché sur une colline aride et rocheuse, où il ne pouvaitévidemment être qu’en explorateur, afin de s’assurer dans quelle partiedes environs il trouverait le plus facilement du gibier, la nuit venue. C’est en vain que, si loin que l’on puisse remonter, Aristote avaitreconnu l’absurdité de ces fables ; qu’il en avait même expressémentréfuté une partie ; le merveilleux a tellement de charmes pour l’esprithumain, qu’on ne peut se décider à abandonner la fantaisie pour laréalité ; les contes populaires étaient toujours acceptés etfinissaient, à force d’être répétés, par se glisser non seulement dansles livres des poètes, mais même dans ceux des naturalistes. Le nombre des fables, légendes et récits merveilleux, auxquels le Lions’est trouvé mêlé est considérable. Tout le monde connaît l’histoire duLion d’Androclès, dont nous avons déjà parlé plus haut. Cette anecdoteest attribuée presque dans les mêmes termes à Mentor de Syracuse, àHelpis de Samos, à l’abbé Sérasimos, à saint Gérôme et (avec cettevariante qu’il s’agit d’un Lion aveugle à qui la vue a été rendue) àMacaire le confesseur. L’épine dans la patte du Lion est une formezoologique, dit Angelo de Gubernatis (1) correspondant au hérosvulnérable par les pieds. On affirme que le roi des animaux est d’une galanterie à désespérer unpetit maître : car s’il se montre cruel envers les hommes, il se gardebien, assure-t-on, de faire du mal aux femmes ; pas plus d’ailleursqu’aux petits enfants, ce qui démontre suffisamment, disent les bonnesgens, sa générosité. Nous nous souvenons d’avoir lu dans un ouvrage ancien qu’une captiveayant été attaquée par des Lions, elle les apaisa en leur tenant lediscours suivant : « O Lions, vous qui êtes beaux, nobles et forts,vous ne me ferez pas de mal quand vous saurez ce que je suis : unepauvre femme bien chétive et bien faible, une mère après laquelleattend son enfant. Ayez pitié de moi, ô Lions ; n’abusez pas de votreforce contre moi... », etc. etc. Et l’auteur de cette fable, que retiennent facilement et répètent lesamis du merveilleux, ajoute que les Lions, vraisemblablement touchéspar de si belles paroles, laissèrent partir sans lui faire de mal,cette femme si humble et si éplorée. Dans le sixième des contes siciliens publiés par Mme Gonzenbach, lepetit Giuseppe arrache une épine de la patte d’un Lion ; le Lionreconnaissant lui donne un de ses poils ; à l’aide de ce poil, le jeunehomme peut, en cas de nécessité, devenir un Lion terrible, et souscette forme il dévore la tête du roi des dragons. Et c’est en partant de l’idée du Lion monstrueux que les anciens ontété unanimes à croire qu’entre tous les animaux, le Lion craint le Coqet particulièrement sa crête d’un rouge ardent. Dans une fabled’Achille Tatius, le Lion se plaint que Prométhée ait permis au Coq del’effrayer ; mais il se console bientôt en apprenant que l’Éléphant esttourmenté par le Moucheron qui lui bourdonne dans les oreilles. Les anciens attribuaient au Lion une antipathie particulière pour lesodeurs fortes. Mais cette opinion doit être rangée avec celle quiconsidère la Lionne comme stérile. Quand les femmes de l’antiquité rencontraient une Lionne, ellesregardaient cette circonstance comme un présage de stérilité. Dans la fable d’Ésope, les Renards se vantent de leur fécondité devantla Lionne, qu’ils tournent en ridicule parce qu’elle ne donne naissancequ’à un seul petit. « Oui, répond-elle ; mais c’est un lion. » Sous lesigne du Lion, la terre aussi devient aride et par conséquentinféconde. Quand le soleil entre dans le signe du Lion, il atteint lemaximum de sa puissance, et la couronne d’or que les Florentinsdéposaient le jour de la Saint-Jean sur le Lion érigé au milieu de laplace publique était un symbole de l’approche de la saison qu’ilsdésignent sous un nom composé de deux mots sol lione, réunisen un seul. La vue du Lion en songe était également un présage heureux chez lesanciens ; quand Agariste et Philippe virent un Lion en rêve, ce rêvefut considéré comme un avertissement, pour le premier, de la naissancede Périclès, et pour le second, de celle d’Alexandre le Grand. Le mythe du Lion et du Tigre est essentiellement asiatique ; néanmoinsune grande partie de ce mythe se développa en Grèce, où le Lion et leTigre finirent par être connus et durent inspirer, comme dans l’Inde,un sentiment analogue à la terreur religieuse causée par les roisorientaux. Le narasinha de l’Inde fut appelé, au moyen âge, le roi par excellence; de même, dans la Grèce, le roi reçut aussi le nom de Léôn. Héraclès, Hector, Achille, parmi les héros grecs ; Wolfdieterich, etplusieurs autres héros de la tradition germanique, avaient l’usage duLion pour signe distinctif ; le coursier du héros Hildebrand est unLion. On voit, par toutes ces légendes, combien le Lion était respecté dansl’antiquité. Le nombre de ces carnassiers devait être jadisconsidérable, si l’on en juge par l’incroyable consommation que lesRomains faisaient jadis de ces animaux, pour leurs jeux. D’après Pline, l’édile Quintus Scævola fut le premier qui en montraplusieurs ensemble dans un cirque. Sylla, pendant sa préture, fitcombattre à la fois cent mâles qui lui avaient été envoyés, nous ditSénèque, par Bocchus, roi de Mauritanie. Pompée ouvrit le cirque à sixcents, dont trois cent quinze mâles, et Jules César à quatre cents.Adrien sacrifiait souvent jusqu’à cent Lions à la fois dans les jeux ducirque, et Marc-Aurèle en fit tuer un pareil nombre à coups de flèche,lorsqu’il triompha des Marcomans. Plus récemment, presque de nos jours, au dernier siècle, on put voirdes Lions combattant dans certaines fêtes asiatiques. Nous trouvons lerécit suivant dans le Voyagede M. le chevalier Chardin en Perse et autres lieux de l’Orient,publié en 1711, chez Jean Louis de Lorme, à Amsterdam. « Encore aujourd’hui, dans les fêtes et dans les spectacles desPersans, on donne des combats au peuple. On met un jeune Taureau aumilieu du cirque. On l’effarouche pour le mettre en fureur, et puis onlui détache le Lion ; mais parce que le Lion est l’emblème de lamonarchie persane, en qualité de roi et du plus noble des animaux, lepeuple, fort superstitieux et attaché aux présages, croirait que ceserait une chose de mauvais augure pour leur pays, si le Lion nedéchirait pas le Taureau : c’est pourquoi ils lâchent toujours le Lionlorsque le Taureau a le dos tourné et qu’il ne court pas. Le maître duLion, le tenant par le collier, lui tourne la tête vers le Taureau,jusqu’à ce qu’il ait les yeux dessus. Dès que le Lion l’aperçoit, ilfait un cri, et s’élance par sauts de huit à dix pas avec tant devitesse, que l’oeil a de la peine à le suivre. Il se jette sur le dosdu Taureau qu’il abat d’ordinaire ; et si, par hasard, il le manque auseptième ou huitième saut, il s’arrête et se rebute, et alors onretient le Taureau. On ramène le Lion à sa vue, et, à cause de l’auguredont j’ai parlé, on fait toujours en sorte que le Lion remporte lavictoire et qu’il renverse le Taureau, qu’on égorge sous lui afin qu’ilen boive le sang. » Le Lion est sans contredit l’un des plus beaux animaux de la création,et tout le monde est d’accord pour lui laisser son ancienne appellationde roi, qui lui sied si merveilleusement. C’est pour cette raison quenous nous sommes occupé d’abord de lui : à tout seigneur tout honneur. HENRI DEMESSE. NOTE : . (1) Traduction de Paul Regnaud. |