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DRUMONT, Édouard (1844-1917) : L'Ane (1882).
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux deLisieux (17.VII.2002)
Texte relu par : A. Guézou
Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex
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Texte établi sur un exemplaire (BmLx : nc) de l'ouvrage Les Animaux chez eux illustré par Auguste Lançon (1836-1887) paru chez L. Baschet à Paris en 1882.
 
L'Ane
par
Édouard Drumont

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Ane, je te salue, éternel porteur de bât, Aneutile, Ane patient, Ane toujours raillé, Ane à l'échine meurtrie, Aneaux longues oreilles, Ane, je te salue…

L'Ane, vous dira Buffon, est de la famille duCheval. Sans doute, mais c'est un cadet ; semblable à ces déshéritésdont les parents occupent de brillantes positions, il est voué d'avanceà la vie humiliée et douloureuse, condamné au labeur sans trêve,destiné aux coups. Dans l'ordre équestre, l'Ane d'ailleurs n'entreguère que par surprise, comme certains plébéiens n'entrent dans lamaison de quelque grand seigneur que par la porte bâtarde.

Le Cheval, lui est un animal héroïque ; ilfait figure dans l'histoire, il a sa place dans l'art, il orne lesbas-reliefs monumentaux, il est attelé au quadrige des triomphateurs ;il s'élance du ciseau de Phidias pour courir sur le fronton duParthénon. Il est, selon Lamartine, le piédestal des rois ; il est le coursier fougueux que César éperonne,de Victor Hugo, et pour lui le Richard III de Shakespeare offre unroyaume un soir de défaite. Acteur dans les ardents combats, ilparticipe de l'enthousiasme que l'Humanité éprouve pour ceux qui tuent.A Epsom ou à Longchamp, il tient cent mille hommes haletants au bout deson sabot. Il a des noms : il se nomme Incitatus et on le proclame consul, et devant lui marchent les faisceaux des Scipion et des Métellus ; il s'appelle Bucéphale ou Veillantif, et il porte Alexandre ou Roland ; il est inscrit au Stud-book sous le nom de Gladiateur ou de Monarque,et il gagne des millions à son maître avec ses jambes ; il est chantésous le nom de Pégase et il emporte les poètes à l'hôpital sur sesailes. Il a une généalogie comme un gentilhomme et des journaux commele peuple souverain.

L'Ane ne sait ce que c'est qu'une généalogie,le sang d'âne court les prés comme le sang de peuple court les rues etles ruisseaux. Fécond comme les pauvres, l'Ane enfante au hasard desmilliers d'ânons qui travailleront comme lui et, comme lui, souffrirontles mauvais traitements. En fait de nom, il n'a qu'un sobriquet, il estAliboron. Pour lui, le livre d'or de Clio ne s'ouvre pas, et s'il va àla bataille, pour laquelle les fabulistes lui reprochent unanimement den'avoir qu'un goût modéré, c'est pour s'exposer aux coups sans pouvoiracquérir de gloire. A travers les ornières qu'ont faites les canons, iltraîne la cantine qui versera une goutte de cordial à quelque agonisant; il est dans les ambulances…

Être utile, voilà quel est le rôle de l'Aneici-bas. Sous la pluie et sous le soleil, il transporte au marché leslégumes et les fruits, il va chaque jour au moulin, pliant sous lepoids de sacs de farine, il sert aux femmes et aux enfants, et siparfois il rechigne un peu devant quelque fardeau trop lourd, il serésigne vite et, soutenu par cette philosophie qui le caractérise, ilse remet bien vite en route.

Prolifique comme le prolétaire, accommodantd'humeur et facile à vivre comme lui, l'Ane n'est-il point l'image duvilain toujours peinant, toujours écrasé sous l'impôt, toujoursproduisant plus qu'il ne consomme et toujours conspué par ceux quiconsomment plus qu'ils ne produisent ?

Par un illogisme qui s'explique par le désird'être dispensé même de la reconnaissance, on s'est efforcé, en effet,de rendre ridicule ce paria. Ce n'est point seulement une victime qu'onexploite, c'est une cible à toute plaisanterie. Les privilégiés quireprochent à l'homme du peuple son ignorance au lieu de s'occuper de lafaire cesser, ont personnifié l'ignare dans un animal qui sait ce quetrès peu de docteurs savent : supporter patiemment la souffrance…

Par un symbolisme plus profond qu'on ne croit,l'Ane n'apparaît dans la vie publique qu'en des manifestations quisemblent compléter encore la ressemblance de sa destinée avec celle duplébéien. Monté par Silène, il est mêlé aux fêtes orgiaques, il estflanqué à droite et à gauche d'outres remplies de ce vin dans lequell'ouvrier cherche si souvent l'oubli de ses maux. Uni à son gravecamarade le Boeuf dans l'étable de Béthléem, il réchauffe de sonhaleine ce divin nouveau-né qui vient dire au monde : "Heureux lespauvres, car le royaume du ciel leur appartient !"

Le jour de l'entrée triomphale à Jérusalem,c'est lui qui porte le Sauveur. Aux vainqueurs altiers, aux manieurs deglaive farouches, à ceux que la Victoire précède en sonnant dans sonclairon et que la Mort accompagne avec des cris d'oiseau de proie, leCheval qui piaffe et qui hennit. Au doux conquérant, à l'ami deshumbles, l'Ane modeste et résigné. L'esclave, bête de somme humaine ;l'Ane, esclave de l'ordre animal, sont réhabilités le même jour. Lacroix infâme qui sert au supplice de l'un devient un signe sacré pourtoute la terre, le dos pelé de l'autre sert de monture à Celui auquelles firmaments obéissent…

L'Église s'en souvient et le moyen âge célèbre ces fêtes de l'âne qui finissent par dégénérer en saturnales. Messire Ane pénètre dans le sanctuaire au bruit des hi-hanjoyeux de l'assistance en ce jour où tout est interverti ; où les serfss'habillent en seigneurs, où les frères lais siègent au choeur.

Sous toutes les latitudes le sort de l'Ane estle même. Sans doute on lui témoigne en Orient des égards qu'il nerencontre pas en Europe et, si un ambassadeur turc a écrit que "Parisétait le paradis des femmes et l'enfer des Chevaux", un voyageurparadoxal a pu soutenir "que Constantinople était le paradis des Aneset l'enfer des femmes".

Il n'est point rare de trouver là-bas quelquesAnes qui, bien nourris, ménagés, ignorants des brutalités,personnifient, en quelque sorte, l'aristocratie de la race asine. Quine connaît les Anes d'Orient de Decamps, la meilleure toilepeut-être du maître ? Près d'une muraille blanche qui s'effrite, un Anesemble attendre le moment de se remettre en marche ; un autre, encorecouché, a l'air de faire la sieste. Au premier plan un jeune Arabe à laphysionomie rêveuse, paraît plus préoccupé de contempler la campagneinondée de soleil, que de tourmenter les animaux dont il a la garde.

Hélas ! les peintres sont menteurs comme les poètes, ut poesis pictura, et dans ses Croquis algériensM. Charles Jourdan nous a décrit un coin de la vie des Anes en Algérie,qui n'a rien de particulièrement gai. De l'autre côté de laMéditerranée tous les matériaux de construction sont transportés pardes Anes qui seuls ont le pied assez sûr pour se risquer sur le pavéétroit et glissant. C'est une corporation rigoureusement fermée à toutprofane, celle des Mzabites, qui a monopolisé l'exploitation des Anes.

Suivant leurs ressources, ils achètentquatorze, vingt-huit ou quarante-deux bourriquets ; plus parfois, maistoujours un multiple de quatorze, car l'escouade réglementaire, capablede transporter un mètre cube de matériaux quelconques : sable, chaux oupierres, s'élève à ce chiffre. Cette escouade est conduite par quatrehommes qui sont chargés du soin, non seulement d'entretenir leurs Anes,mais de mettre constamment en état le bât et le double coussin quiconstituent le harnachement de chaque bête.

Le harnais est des plus primitifs : une cordeenroulée autour du cou de l'animal et formant collier. Veut-on mettrela bête en position pour être chargée ou déchargée, c'est par là qu'onla saisit ; quand elle résiste à la traction, le conducteur s'en prendsans façon aux oreilles ou à la queue, moyen de persuasion irrésistible.

"C'est un rude métier, écrit M. CharlesJourdan, que de pousser devant soi le troupeau aux longues oreilles,non qu'il soit indiscipliné, grand Dieu ! car les pauvres animaux quile composent sont l'image vivante de la docilité et de la crainte, maisil faut charger les matériaux, les conduire sous un soleil brûlant ousous des averses diluviennes, dans des endroits escarpés, que lescharrettes ne peuvent aborder.

La bête souffre, mais l'homme non plus neménage pas sa peine. Si âpre que soit cependant la besogne, celan'enlève rien à la gaieté, ni à l'insouciance du conducteur.

Tantôt à pied dans la poussière, stimulant ses bourriquotsqui trébuchent sous leur fardeau, tantôt perché sur la croupe de l'und'eux, et les ramenant à vide, il chante à tue-tête un air monotonequ'il interrompt souvent pour lancer le cri : Arri ! au bruit duquel détale toute la bande.

Le bourriquotier n'a pas l'âme tendre ; arméd'un bâton à peine flexible, il frappe à coups redoublés sur lesretardataires de la troupe et ne tarde pas à marbrer leurs cuissesmaigres de blessures sanguinolentes. C'est toute l'amélioration que laSociété protectrice des animaux a pu obtenir après des démarches et desplaintes sans nombre.

Autrefois les Mzabites ne frappaient jamais ; ils piquaient.

Un bâton plus court, à l'extrémité duquelétait enchâssée une pointe de fer, leur servait d'aiguillon, et cetinstrument barbare labourait sans cesse la croupe de leurs victimes.L'instrument de torture a changé, mais le traitement est toujours aussicruel.

Cependant la physionomie de celui quil'applique respire tout autre chose que la férocité. Sous sa peauhâlée, presque noire, s'étale un bon sourire et perce un franc regard.Il va gaiement son chemin, la tête enveloppée dans un haillon decotonnade, le corps enfermé dans un sarrau de toile ou de laine taillécomme un sac, battant de ses jambes nues les flancs de sa grêlemonture."

Qu'il transporte des pierres à Alger ou qu'ilporte des enfants et des jeunes filles à travers la forêt deMontmorency, dans ces joyeuses parties qu'a racontées Paul de Kock,l'Ane, on le voit, est partout victime des mêmes procédés ; partout ilest digne de cette pitié que nous sommes heureux de lui témoignerpubliquement ici…

L'Ane est-il donc irréprochable ? Quel quesoit mon désir de rendre justice à ce grand méconnu, je ne voudrais pasaller jusqu'à soutenir cette thèse. La Fontaine, qui, selon moi, a étédur pour l'Ane, a bien vu cependant quelques traits de son caractère.L'Ane est un loustic, il aime les mauvaises plaisanteries et les toursd'un atticisme douteux : il s'amuse comme un fou à ces grosses malicesau risque de les expier sous le bâton.

C'est un sournois. On est en droit de luireprocher un entêtement bizarre, particulier aux gens qui n'ont pas devolonté. Vous les connaissez, ces obstinations incompréhensibles delunatiques qui se butent à un rien après avoir tout supporté et quidéploient alors cette force d'inertie contre laquelle tous lesarguments, même les plus frappants, viennent se briser. L'Ane estainsi. Quelle idée traverse sa cervelle à certains moments ? Le vaseest-il trop plein et déborde-t-il ? Est-il à bout et ne peut-il rienaccepter après avoir tout subi ? Est-il révolté du peu de raison del'homme qui lui demande plus qu'il ne saurait fournir ? On n'en saitrien. L'Anesse de Balaam n'a parlé qu'une fois et encore c'était dansle désert…

L'Ane est malencontreux, je vous l'accordeencore, ce qui tient à son défaut d'usage du monde. Les caresses que,dans son désir de rivaliser avec le petit Chien, il prodigue à sonmaître avec son pied, en accompagnant d'un chant gracieux cette actionhardie, démontrent qu'il n'est point organisé pour la vie des cours. Ilest naïvement vaniteux ; il prend pour lui les hommages qu'on rend auxreliques dont il est chargé ; tantôt il s'affuble de la peau du Lionpour épouvanter le voisinage ; tantôt il se fait honneur d'une victoireà laquelle il n'a contribué que par ses braiments.

Malgré tout, l'Ane sort sympathique de cette Comédie animale que La Fontaine nous a donnée avant que Balzac ne nous donnât la Comédie humaine. Il n'a point, comme tant d'autres, de gros méfaits sur la conscience, et la spontanéité de ses aveux dans les Animaux malades de la peste témoigne d'une âme de bête au fond candide et honnête. Qu'il est nature ce cri de Haro sur le baudet !qui retentit contre le faible et l'innocent ! C'est cette iniquitéprécisément qui recommande maître Aliboron à la compassion de tous lescoeurs généreux.

Sévèrement traité par les fabulistes, l'Ane n'a pas eu plus de chance avec les faiseurs d'histoire naturelle.

Buffon, chose curieuse, est le plus courtoisde tous avec ce manant. Il semble, à lire le chapitre que lenaturaliste à manchettes consacre à Aliboron, voir l'écrivain grandseigneur se promener aux environs de son château, s'arrêter enapercevant quelque Ane de meunier, et lui dire : "Approche ici, petit,que je te décrive."

"L'Ane, dit-il, est aussi humble, aussipatient, aussi tranquille que le Cheval est fier, ardent, impétueux ;il souffre avec constance, peut-être avec courage, les châtiments etles coups. Il est sobre et sur la quantité et sur la qualité de lanourriture ; il se contente des herbes les plus dures et les plusdésagréables que le Cheval et les autres animaux lui laissent etdédaignent. Il est fort délicat sur l'eau ; il ne veut boire que de laplus claire et aux ruisseaux qui lui sont connus. Il ne se vautre pas,comme le Cheval, dans la fange et dans l'eau ; il craint même de semouiller les pieds et se détourne pour éviter la boue…

Il est susceptible d'éducation et l'on en a vud'assez bien dressés pour faire curiosité de spectacle. Dans lapremière jeunesse, il est gai et même assez joli : il a de la légèretéet de la gentillesse ; mais il la perd bientôt soit par l'âge, soit parles mauvais traitements, et il devient lent, indocile et têtu ; iln'est ardent que pour le plaisir, ou plutôt il en est furieux, au pointque rien ne peut le retenir et que l'on en a vu s'excéder et mourirquelques heures après. Comme il aime avec une espèce de fureur, il aaussi pour sa progéniture le plus fort attachement. Pline nous assureque lorsqu'on sépare la mère de son petit, elle passe à travers lesflammes pour aller le rejoindre. Il s'attache aussi à son maître,quoiqu'il en soit ordinairement maltraité ; il le sent de loin et ledistingue de tous les autres hommes. Il reconnaît aussi les lieux qu'ila coutume d'habiter, les chemins qu'il a fréquentés."

Toussenel, qui a trouvé souvent de si fines et de si ingénieuses analogies entre l'homme et l'animal, qui a découvert dans sa Zoologie passionnellede si mystérieuses affinités entre l'être humain et la créatureinférieure, n'a pas été indulgent pour l'Ane. Pour lui l'Ane est lapersonnification de l'Auvergnat, rude au travail, mais grossier etétranger à tout sentiment du Beau. Il reproche au pauvre Aliborond'être un rural, conservateur égoïste, routinier, cupide et sec, bornéd'apparence et malin en dessous.

"Ne nous y trompons pas, écrit l'auteur de l'Esprit des bêtes,l'Ane, comme l'Auvergnat, est plus rusé et plus ignorant que sot, etl'histoire a recueilli de lui une foule de mots mémorables, notammentcelui-ci : Notre ennemi, c'est notre maître. Ce qui prouve quela maligne bête s'exprime aussi en très bon français quand elle veut.La sottise pivotale que je reproche à l'Ane est de ne pas conformer sonvote à cette opinion, et de donner toujours sa voix à celui qui lemalmène le plus brutalement.

Cette contradiction bizarre entre ses bonsmots et ses votes démontre que l'Ane ne fait d'opposition que partempérament, et que cette opposition, chez lui, s'en tient volontiers àl'épigramme et à la rétivité. Je ne compte pas plus sur l'Aneque je n'avais compté sur l'opposition dynastique pour le succès de larévolution dernière. L'Ane, qui fait une guerre d'extermination auchardon, emblème de la presse bonne et mauvaise, a trop de points decontact avec les petits hommes d'État qui inventent les législations deseptembre pour que j'aie foi en ses reliques. Défions-nous,défions-nous des gens qui sont toujours prêts à se rouler par terre etqui attendent que nous soyons endormis pour nous jeter à bas."

S'il me fallait chercher l'analyse la pluscomplète et l'explication la plus profonde de la nature de l'Ane, je lademanderais à Apulée.

Ces mythes grecs, si clairs dans la radieusejeunesse de l'Hellade, tombèrent un peu dans la subtilité au moment dela décadence. Malgré tout, même dans le latin alambiqué de l'AfricainApulée, ils gardent encore je ne sais quel charme pénétrant.

N'est-elle point saisissante cette allégoried'un homme jeune et beau métamorphosé en Ane et condamné à ne reprendresa première forme que lorsqu'il aura mangé des roses ? C'estl'éternelle histoire de l'indigent auquel on ordonne pour se guérir duHaut-Brion et du jus de poulet. C'est le cercle vicieux en un mot ; ilfaut justement à l'Ane ces roses que nul n'aura la pensée de lui offrir.

J'aperçois là, pour ma part, formulée entermes très suffisamment précis, une nouvelle preuve de la similitudeque j'indiquais en commençant entre le travailleur et l'Ane. Pour serelever de la position humiliée qui est la sienne, il faut à l'hommecomme à la bête des roses, c'est-à-dire les parfums, la grâce, lascience, l'art, l'idéal, tout ce qui brille, tout ce qui sent bon, toutce qui poétise et enchante l'existence. Or, précisément, c'est ce quin'est pas à la portée des misérables.

Au milieu d'un sacrifice, l'Ane s'approche duprêtre d'Isis qui porte des roses à la main et il reprend son enveloppepremière. En dépit des détails scabreux auxquels se plaît la fablemilésienne qui a servi de thème premier à Apulée, l'auteur ne s'est-ilpas proposé un enseignement plus haut ? N'a-t-il pas voulu dire à tousque c'est au prêtre qu'appartient la mission d'initier à l'éternellebeauté, de relever et d'affranchir les déshérités de l'univers ?

Que disions-nous ? Que l'Ane était dédaigné dela littérature. Dans le monde antique finissant, il inspire un livre àApulée ; dans notre monde moderne, déjà bien vieux, et qui, avec sestroubles, ses angoisses, ses fantômes hallucinants, ressemble tant ausiècle où vécut l'Africain, Victor Hugo donne à un poème tout entier cetitre : l'Ane.

Ne voilà-t-il pas de quoi consoler le pauvreanimal de la disgrâce qui vient de le frapper ? Jadis, martial du moinsaprès sa mort, il fournissait la peau ronflante à ces tambours sonoressur lesquels on battait la charge ; s'il ne courait pas lui-mêmeau-devant d'un trépas sublime, il avait la satisfaction d'y envoyer lesautres. Hélas ! on a crevé les tambours en même temps qu'on tuaitbeaucoup d'autres choses. L'Ane n'est plus utile à la musique qu'enfournissant avec ses tibias les montures de ces clarinettes queToussenel détestait si cordialement et qui sont de plus en plusnécessaires aux aveugles qui se multiplient dans un pays où les borgnessont rois…

ÉDOUARD DRUMONT.