SAISIE DU TEXTE : Olivier Bogros pour la collection électronique de la Bibliothèque municipale de Lisieux (16.02.1996).ADRESSE : Bibliothèque municipale - B.P. 216 - F 14107 Lisieux cedex. - Tél. : 31.48.66.50. Minitel : 31.48.66.55. E-MAIL : 100346.471@compuserve.com
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Illustrations non reproduites. Orthographe conservée. Les notes sont en fin de texte.
A messieurs les riboteurs.
Messieurs,
J'profitions du biau et nouveau temps pour avouir l'honneur de vous flanquier par la philosomie un plat de not' mequier, qui n'est pas chien, et dont j'nous flattons que vot' çarvelle, qui est subtile comme une botte d'allumettes, sera satisfaite : ce sont les spiritueux rebus de mamselleMargot la mal-peignée, reine de la halle, qui demeure au rez-de-chaussée d'un septième étage, à une maison qui n'a ni devant ni darrière. Alle faitune fille accomplie ; tous les hommes en sont amoureux comme les chiens d'coups d'bâton : c'est une grande-petite parsonne de la hauteur de la seringle d'un apothicuflaire, blanche comme la bouteille à l'encre, la tête faite en pain d'suc, les cheveux fins et doux comme un viel balai de jonc,le front carré comme une cuillière à pot, les yeux à fleurs de tête et grands comme des noyaux de cerise dans une bouteille à eau-de-vie, l'nezcomme l'éperon d'une botte, les joues vermeilles comme une betterave, les lèvres rouges et petites comme les bords d'un vieux pot-de-chambre égueulé,les dents petites comme des touches d'épinette, l'haleine douce comme celle d'une boue, le menton comme une corne à bouquin, la peau tendre comme unedécrotoire, d'la gorge comme une lentille dans un plat, la taille menue comme un tambour, les en serpents, les pieds en truelles de maçons, des gracescomme une tortue, la voix harmonieuse comme un corbeau, le caractère gracieux comme la porte d'une prison ; en un mot, de l'esprit comme tous les dindonsde l'univers.
Voyez, messieurs, si, avec de tels dons, vous n'devez pas espérer d'être contents de l'éloquence de mamselle Margot la mal-peignée, dont l'ambitionest de captiver vos coeurs, comme j'suis jaloux d'vous divertir un moment.
J'ai l'honneur d'être, messieurs, mon très-humble serviteur,
D.S.S.
Le Farau : Bonjour, mamselle Margot.
Margot : Bonjour, monsieu l'Farau.Le Farau : Combien vos oranges ?Margot : Faut-il vous l'dire au juste ? Six sous pour vous.Le Farau : Oh ! c'est trop.Margot : Et vous !Le Farau : C'est trop, vous dis-je.Margot : Vous n'les aurez pas pour ce que vous en dites.Le Farau : Six yards.Margot : Parle donc, Maré-Jeanne ! as-tu des oranges à six yards à bailler à monsieu ? Où demeurez vous, monsieu, j'vais vous les envoyer par le cousin d'mon chien.Le Farau : Tais-toi, beugueule.Margot : Ecoute, Jérôme, r'garde don ce monsieu manqué, qui m'appellebeugueule.Jérôme : Qui ? c'chien-là, faut l'y tourner la tête sans devant darrière.Margot : N'ty joue pas, car il a un p'tit morciau d'fer au cul.Le Farau : Vante-t'en, que j'en ons un, même pour faire la barbe à Jérôme.Jérôme : Qui, toi, carcasse embeurrée ? J'te cloûrai l'ame entre deux pavés.Le Farau : Nous serions deux.Jérôme : Quien, crois-moi, retire-toi ; car j'te donnerons un rayon susl'oeil, qu'tu n'en verras goutte d'six semaines.Le Farau : Si nous étions bien épeuré, tu nous f'rais quasiment peur, enfantde choeur de Marseille !Jérôme : Veux-tu te r'tirer ? moule de gueux ! car j'sommes d'ces chiensd'sus le port ; si je n'nous r'lichons avec l'un, j'nous r'lichons avec l'autre.Le Farau : Nous serions deux, te dis-je ; n'téchaufle pas, car les pleurésiessont dangereuses st'année.Jérôme : Veux-tu voir ?Le Farau : Quoi voir ? qu't'aboiras beaucoup et qu'tu n'mordras pas. Jérôme : Attends, chien ! attends que j'ayons mis notre habit bas, tu vasvoir beau jeu !Le Farau : Finissez, vous dis-je ; vous n'êtes pas michant.Jérôme : Je crois que ce gratte-pavé-là a envie de se faire rire.Le Farau : Pourquoi pas, puisque j'avons l'tems.Jérôme : Laisse m'y passer, Maré-Jeanne ; que j'plaque conte el mur ce grindiot, ce grin coup-jarret-là.Margot : Et y allez vous-en aussi, quand on vous l'deist.Le Farau : Eh ! v'là ma commère la possédée ressuscitée ! Et comment teportes-tu, d'pis que tu ne l'as vu ?Margot : Rind don compte à Malbrou, cet échappé de pilori, ce morciau d'viande mal accroché.Le Farau : Bon pour toi, pilier d'hôpital, confidente à soldats aux gardes,beauté manquée, dix fois vilaine, tapisserie de la Grève, morceau d'chiendégoutant ramassé dans un tas de boue, reste de mon souper d'hier au soir !Margot : Regarde-don, Maré-Jeanne, v'là ti pas un homme bien chié, pour nousaplé morceau de viande dégoûtant ? Va, s'il étoit là, y t'fairoit rintrer les paroles dans l'ventre, idole de bois flotté ! Queu peste de chevalier deparade !Le Farau : Qui, ton gueurluchon ?Margot : Bon pour toi, pilier de Montfaucon, avec ta mine à Calot, capable defaire rindre le dijeûner à note chat ; varin, te dis-je, avec ton cadavrepestiféré ! Quien ! que nous veut ce grind landale-là ? Veux-tu t'en aller ?vilain magot d'la Chine ! veux-tu courir ? te dis-je.Le Farau : Mamselle la guenon, en as-tu assez dégoisé, avec ton nez propre àgratter min cul ?Margot : Sois-tu qu'c'est qu'ine guenon ? enfant de dix-sept pères, diseu d'bonne aventure, espion d'orphelins de murailles !Le Farau : Y a long-temps que je l'savons pour la première fois, car c'estqui as fait la fortune à Simonne (1) : tu dois ben t'en souvenir, puisquetout le monde disoit que tu avais le visage fait comme un sabot, et les yeuxà fleur de tête comme un gros sou dans la poche d'un aveugle. Ai-je menti ?vilaine !Margot : Faudroit être sorti de ta bohémienne de famille pour être un monstrede nature comme toi, l'houreur du genre humain.Le Farau : Tais toi donc, poison d'la Halle, crême de laideur, honnête fillemanquée, grouin de cochon ! Va, va, ne fais pas tant la fiarre ; car si t'asun tabier sur l'cul, c'est ton soldat aux gardes qui t'l'a donné.Margot : Eh ! quoi t'embarrasses-tu, hai ? n'ya qu'ça et les pommes cuitesqui nous font vivre.Le Farau : Quien, r'garde donc cette belle et bonne chienne ! la v'la rougecomme un rubis, belle comme un oignon ; on n'sauroit la r'garder sanspleurer : alle est propre comme une pelle à boueux, grave comme un pot-de-chambre égueulé.Margot : Eh ben ! est-ce là tout ? double de magot dessalé dans l'déboir d'une gueuse, coeur de citrouille fricassé dans la neige, récureux d'puitsoù l'on chie ! T'as la gueule morte, avec ta mine de papier maché, tonpeste de nez épaté, qui ressemble au cul à la jument de maître Jean.Le Farau : Pourquoi veux-tu qu'j'ayons la gueule morte ? va, va, j'avonsmangé d'lail, j'l'avons forte ; et je dirons en deux paroles et uneberdouille, que t'es une charogne échappée de la boucherie à Giroux (2).Margot : Va-t-en donc à la Grève, où ton père a été pendu, où tu s'ras rompu,vilain ! avec tes yeux chassieuxLe Farau : Si j'y sommes rompu, t'y prendras les bains dans un cent d'fagotsavec toute ta clique et ton Jérôme.Margot : Jérôme, entends-tu c'visage antique, qui deist que s'rons brûlés ?Jérôme : Tu n'saurais l'y répondre que c'est jeudi son tour, que ses billetsd'entirment sont sous la presse ?Le Farau : Tu badines, te dis-je ; car c'est demain que Charlot f'ra unharicot de ton corps, comme étant sorti des culottes à Cartouche.Jérôme : Attends-m'y là, j'sommes à toi dans le quart-d'heure.Le Farau : Arrêtez donc cette henneton, qui a d'la paille au cul !Jérôme : N'bouge donc pas, chien ! reste donc là.Jérôme va chercher un bâton et s'en revient, le Farau, en le voyant venir,met la flamberge au vent. Margot et Maré-Jeanne saisissent le Farau par derrière ; Jérôme profite de cela, saboule mon Farau, lui casse son épée.La garde vient, on met les manchettes à Jérôme et Farau ; Margot et Maré-Jeanne vont aussi chez le commissaire. Jérôme et le Farau vont auChâtelet ; Margot et Maré-Jeanne sont renvoyées, mais menacées de l'Hôpital. Chemin faisant, Maré-Jeanne rencontre la Jacquelaine, qui lui demande trois yards qu'elle lui doit.
La Jacquelaine : Et mes trois yards, quand me les bailleras-tu ?Maré-Jeanne : Quand les poules marcheront avec des béquilles (Elle luimontre des cornes).La Jacquelaine : Et ben, pisque c'est comme ça, je n'te quitt'rons pas que je les ayons, ou j'atarracherai ton bonnet.Maré-Jeanne : Quien, v'la toujours pour toi. (Ce sont encore des cornesqu'elle lui montre).La Jacquelaine : J'veux que l'diable emporte l'ame d'mon chien, si tu ne m'les donne tout-à-l'heure.Maré-Jeanne : Tu n'les auras pas, car t'es une affronteuse.La Jacquelaine : Et toi, qué que t'est ? une laronesse, une pucelle de la rue Maubuée, une coureuse de garçons.Maré-Jeanne : Dis donc, toi, vilaine empoisonneuse d'hommes ! car n'en as-tu pas attrapé plusieurs, et tous enfans du carquier.La Jacquelaine : Va, va, j'avons toujours eu plus d'honneur que toi ; j'n'avons pas paru à la police trois fois comme toi.Maré-Jeanne : Si j'y avons paru, c'n'est pas pour nos mal faits.La Jacquelaine : tu nous en coules, ma mignonne ; va, j'te connaissons d'pislong-temps.Maré-Jeanne : Quand tu nous connitrais, je ne sommes pas une effrontée commetoi, un reste de pâte à tout l'monde, j'n'allons pas, de porte en porte,pleurer et dire j'nons pas d'pain.La Jacquelaine : M'y as-tu vu, mangeuse de tout bien, pilier d'cabaret ; quien, tais-toi, car t'es encore saoule. Maré-Jeanne : Faudrait être une gueule à tout grain comme toi.La Jacquelaine : Apprends qu'y n'y a qu'un chien qu'a une gueule, et quej'avons reçu l'barême.Maré-Jeanne : T'en es pas meilleure pour ça.La Jacquelaine : J'valons ben note dernière marraine.Maré-Jeanne : Qui ? toi ! ça n's'ra jamais ton tour. Qu'est-ce qui voudraitd'toi ? car tu n'vaux pas un chien mort.La Jacquelaine : Et toi, la corde pour te pendre. La pourriture ! lapourriture !Maré-Jeanne : Ne crie point la pourriture ; j'nos pas encore vendu mi hardescomme t'as fait, pour nous faire blanchir.La Jacquelaine : J'aimons mieux être toute nue que d'avoir empoisonné toutParis comme t'as fait. Quien, crois moi, rind m'y mes trois yards, carj'allons nous tourcher.Maré-Jeanne : J'sommes pour toi.La Jacquelaine : Dépêche-toi, te dis je, de m'les rindre.Maré-Jeanne : Les dépêchés sont pendus.La Jacquelaine : Tu n'veux donc pas ? Foi de Jacquelaine, j'vas t'prindreton bonnet.La Jacquelaine se met en devoir d'ôter le bonnet à Maré-Jeanne, qui luibaille une giroflée à cinq feuilles : elles se battent en relais ; lesbonnets sont saucés dans le ruisseau. Maré-Jeanne est cependant la plusforte ; elle dit à la Jacquelaine qui a les yeux pochés au beurre noir :
En as-tu assez pour tes trois yards ?
La Jacquelaine : J'sommes contente, j'les aurons toujours ben.Maré-Jeanne : Ouin ! quand j't'aurons encore donné le bal.La Jacquelaine : Tu n'oserais venir avec moi ? Maré-Jeanne : Pourquoi pas ? j'vons par-tout la tête levée ; toujours faisant bien, rien n'craignons.Les voilà parties chez Clapain, où elles demandent un demi-septier desacré chien ; et la fin de ma comédie leur entre dans le ventre.
FIN
Notes :(1) Simonne étoit une charlatanne, qui a long-temps rodé dans Paris, et quiavoit toujours une guenon avec elle.(2) Giroux est l'écorcheur des chevaux de Paris.
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