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FIGUIER, Louis (1819-1894) : L'Éléphant(1882).
Saisie du texte : S. Pestel pour la collectionélectronique de la Médiathèque André Malraux deLisieux (05.II.2009)
Texte relu par : A. Guézou
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Texte établi sur un exemplaire (BmLx :nc) de l'ouvrage Les Animaux chez eux illustré par AugusteLançon (1836-1887) paru chez L. Baschet àParis en 1882.
 
L'Éléphant
par
Louis Figuier

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On a dit, avecraison, que l’homme est le maître de la nature. Il a soumis tous lesanimaux à son empire ; il a transformé suivant ses désirs la végétationqui couvre la terre ; il a percé des montagnes, comblé des vallons,creusé des voies dans l’épaisseur des collines, changé les isthmes envoie maritime, et noyé des continents. Il est, en un mot, à la tête dela création inanimée ou vivante. Mais on peut bien admettre un momentcette hypothèse que l’homme aurait pu ne point exister, ou bien encorequ’il aurait pu disparaître, par un des cataclysmes dont notre globe aété plusieurs fois le théâtre. L’homme aurait pu périr pendant lapériode glaciaire, alors qu’un refroidissement subit se manifesta surtoute l’étendue de la terre habitée, et que l’abaissement excessif detempérature fit disparaître un certain nombre d’espèces animales, donton ne retrouve aujourd’hui que les vestiges, à l’état fossile, dans lesterrains de cette époque. Il aurait pu être anéanti pendant lespériodes diluviennes, qui ont laissé des traces si profondes de leursravages dans les terrains quaternaires.

En admettant l’hypothèse de la disparition, de la suppression del’espèce humaine, on peut se demander quel est celui des animaux quiaurait remplacé l’homme, dans son rôle de souverain de la nature.

A cette question, nous répondrons, avec assurance, que l’être animé quiaurait pris, en l’absence de l’homme, la direction suprême de lacréation, c’est l’Éléphant. De même que l’homme, parti des plateaux del’Asie orientale, s’est répandu peu à peu dans toutes les contrées duglobe, de même l’Éléphant, parti des rives de l’Indus, ou des bords desfleuves africains, se serait acclimaté dans toutes les contrées del’Europe, de l’Asie et de l’Afrique actuelles. Et de même que l’hommerègne aujourd’hui en tranquille vainqueur sur toutes les tribusanimales, de même l’Éléphant aurait étendu son empire sur toute lacréation zoologique.

Qu’a-t-il fallu à l’homme pour assurer sa victoire sur le reste deshabitants du globe ? La main et l’intelligence. Nous n’examinerons passi l’homme possède la main parce qu’il possède l’intelligence, ou sison intelligence, comme le voulaient les philosophes sceptiques dudernier siècle, n’est que le résultat de l’existence de la main.Prenons les deux éléments tels qu’ils sont, sans rechercher leurdépendance mutuelle, et disons, avec tous les naturalistes, quel’intelligence et la main sont les causes de la suprématie de l’homme.

Or, l’Éléphant est pourvu de l’intelligence et de la main. La main estmême disposée d’une manière plus commode et plus efficace chezl’Éléphant que chez l’homme. Elle est posée à l’extrémité d’une sortede bras extrêmement long et prodigieusement flexible, vulgairementdésigné sous le nom de trompe.

Les Latins se servaient, pour désigner la trompe de l’Éléphant, desmots brachium et manus. En effet, on peut comparer cet organe aubras, pour sa force, et à la main pour sa souplesse. Pline, Végèce,Quinte-Curce, Solin, Silius Italicus, le désignent par l’expression de manus. L’expression nasutamanus, dont se sert Cassiodore (1)désigne très bien le double service auquel cet organe est destiné.L’épithète anguimanos, que Lucrèce applique aux Éléphants, peintaussi très bien l’extrême flexibilité de leur trompe, qui peuts’allonger, se raccourcir, et se plier, comme le corps d’un serpent.

Les Grecs ont aussi quelquefois donné le nom de χείφ à la trompede l’Éléphant. Ce mot est employé dans ce sens par Diodore, Élien etPhilostrate.  « La nature a donné la trompe à ce quadrupède,en place de la main », dit un poète d’une époque plus récente (2).

Cette assimilation de la trompe de l’Éléphant à une main est trèsjuste, car cet animal s’en sert à peu près comme nous nous servons dela main, pour défaire un noeud, tourner une clef, déboucher unebouteille ; ramasser des pièces de monnaie, etc. ; mais il l’emploiesurtout d’une manière utile pour arracher et porter à sa bouche l’herbeet les feuilles dont il fait sa nourriture. C’est pour cela que lesGrecs ont aussi donné à cet organe le nom de proboscis, c’est-à-dire pour paître (à pascendo).

Quant à l’intelligence, l’Éléphant la possède à un tel degré quebeaucoup d’hommes, on peut le dire, sont bien au-dessous de l’Éléphantsous le rapport intellectuel.

Quelques exemples vont prouver à quel degré l’Éléphant est doué desqualités de l’esprit.

L’Éléphant comprend la justice, c’est-à-dire rend le bien pour le bien,et le mal pour le mal. C’est ce que l’homme ne fait pas ; car il rendtrop souvent le mal pour le bien : il déchire la main qui l’a nourri ;il maltraite ou massacre son bienfaiteur ou son frère.

De cet esprit de justice qui anime l’Éléphant on peut fournir plusd’une preuve.

Le cornac d’un Éléphant de Madagascar avait, un jour, brisé, parméchanceté, une noix de coco sur la tête de son animal. Le lendemain,l’Éléphant, en traversant une rue, aperçoit des noix de coco exposéesdans une boutique. Il en prend une avec sa trompe, et en frappe sirudement le front de son cornac, que l’homme reste mort sur la place.

Un jeune homme avait, plusieurs fois, offert et retiré un morceau desucre à un Éléphant ; puis il avait fini par le donner à un autreÉléphant. Offensé de cette taquinerie, l’Éléphant saisit le jeune hommeavec sa trompe, lui meurtrit la figure et met ses vêtements en pièces.

Un Éléphant était dans l’usage d’allonger sa trompe aux fenêtres desmaisons d’Achem (île de Sumatra), pour demander des fruits ou desracines, et les habitants se faisaient un plaisir de lui en donner. Unmatin, il présente l’extrémité de sa trompe aux fenêtres d’un tailleur.Mais celui-ci, au lieu de donner à l’Éléphant ce qu’il désire, pique latrompe avec son aiguille. L’animal parut supporter cette insulte avecindifférence. Il continua sa route, et se rendit tranquillement à larivière, où le cornac le conduisait chaque matin, pour le laver.Seulement, il remua le limon avec un de ses pieds de devant, et aspiradans sa trompe une quantité de cette eau fangeuse. Lorsqu’il repassadans la rue où se trouvait la boutique du tailleur, il s’avança vers lafenêtre et y lança une énorme masse d’eau, avec une telle force que letailleur et ses ouvriers furent renversés et frappés de terreur.

On lit dans la Décade philosophique qu’un Éléphant aspergea de lamême façon un factionnaire qui voulait empêcher le public de lui donnerà manger. Bien plus, la femelle du même Éléphant, partageant la colèredu mâle, s’empara du fusil du soldat, le fit tourner dans sa trompe, lebrisa sous ses pieds, et ne le rendit qu’après l’avoir tordu comme untire-bouchon.

L’Éléphant a, beaucoup plus que certains hommes, le sentiment de sadignité personnelle. Il a le respect de soi-même, sentiment qui estétranger à bien des membres de l’espèce humaine.

Le maître d’une ancienne ménagerie d’Angleterre, nommé Pidcock, avaitdepuis quelques années l’habitude d’offrir tous les soirs à sonÉléphant un verre de liqueur spiritueuse. L’animal paraissait tenirparticulièrement à cette faveur ; car il buvait la goutte avec unecertaine sensualité. Pidcock versait toujours à l’Éléphant le premierverre, et s’administrait le second. Un soir, il changea d’idée etapostropha l’animal en lui disant : « Tu as été assez longtemps servile premier, c’est maintenant à mon tour de boire avant toi ! » Lecompère Éléphant prit mal la chose ; il refusa d’être servi le second,et ne fit plus raison à son maître dans ses libations quotidiennes. Ilfaut que chacun tienne son rang !

Les Éléphants qui sont exhibés, en divers pays, dans desreprésentations théâtrales, donnent des preuves d’une intelligence trèsvariée. Ils se mettent en mouvement, sur les planches, avec unesingulière légèreté. Sur une scène encombrée d’acteurs, ils évitenttout choc contraire au bon ordre et à la mise en scène. Ils avancent encadence, et d’un pas mesuré, qui s’accorde avec les sons de la musique.Ils distinguent un acteur d’un autre. S’il s’agit, par exemple, deplacer la couronne sur la tête d’un roi légitime, ils n’iront pasl’égarer sur le front d’un usurpateur. On a vu à Paris, en 1867, unÉléphant, qui donnait des représentations au Cirque du boulevard duPrince Eugène, se livrer à des exercices de gymnastique et à des toursd’adresse qui inspiraient une haute idée de sa docilité et de sonintelligence. L’Éléphant ascensionniste allait jusqu’à faire tenir sapesante masse sur une corde raide. C’est un tour d’adresse que neferaient pas beaucoup d’hommes.

L’Éléphant semble posséder certaines facultés musicales. En 1813, desmusiciens de Paris se réunirent pour donner un concert à l’Éléphant quiexistait alors au Jardin des Plantes. L’animal manifesta un vraiplaisir à entendre chanter : O ma tendre musette ! L’air de Charmante Gabrielle lui plut tellement, qu’il marquait la mesure enfaisant osciller sa trompe de droite à gauche, et en balançant sonénorme masse. Il poussait même quelques sons, plus ou moins d’accordavec ceux des musiciens. Les grandes symphonies étaient moins de songoût. Il paraissait comprendre plus aisément la mélodie que l’harmoniesavante. Je sais plus d’un homme qui est Éléphant sous ce rapport.Quand le concert fut terminé, le sensible Pachyderme s’approcha de l’undes musiciens, qui, en donnant du cor, l’avait particulièrement ému. Ils’agenouilla devant lui, le caressa de sa trompe, et lui exprima, partoutes sortes de gentillesses, le plaisir qu’il avait eu à l’entendre.

Un jeune seigneur birman avait un Éléphant plein d’intelligence. Ceseigneur s’étant marié, notre Pachyderme se promenait, sous lasurveillance de son cornac, dans un enclos palissadé, au centre duquelétait située l’habitation. Ayant remarqué la présence des femmes, quefit notre Éléphant ? Il s’appuya délicatement contre une barrière debambous destinée à enclore un jardin d’agrément, cueillit avec satrompe les fleurs les plus belles et les plus fraîches, puis, relevantla tête et arrondissant sa trompe avec grâce, il tendit la fleur auniveau de la balustrade..... Une des femmes allongea le bras ;l’Éléphant retira sa trompe. Le même manège s’étant renouvelé àplusieurs reprises, le maître voulut prendre la fleur ; mais l’Éléphantne lâcha pas son bouquet. Alors la jeune épouse avança la main, nonsans quelque crainte, et le galant Pachyderme lui remit la fleur, commel’hommage qu’il réservait à la jeunesse et à la beauté !

L’intelligence et la main auraient donc, selon nous, assuré àl’Éléphant la domination de la nature. Remarquez, en effet, qu’aucunautre animal ne réunit à un tel degré ces deux attributs. Un petitnombre d’espèces de Singes sont, il est vrai, munies d’une main ; maisen ce qui concerne l’intelligence, les Singes ne sont pas de beaucoupsupérieurs aux autres mammifères.

A l’exemple de l’homme, l’Éléphant aurait pu s’acclimater, vivre et serépandre en tribus innombrables dans toute l’étendue du globe. Ce quile démontre, c’est que l’on trouve les débris fossiles de cet animaldans presque tous les pays. Sans doute l’Éléphant est aujourd’huiconfiné en Asie et en Afrique, mais, aux temps géologiques il vivaitdans les climats les plus divers. En France, en Allemagne, en Italie,on trouve de véritables cimetières de Mastodontes et de Mammouths,simples espèces fossiles du genre Éléphant.

Aucun pays n’est aussi riche en restes fossiles d’Éléphants que le nordde la Sibérie. Le sol des rivages de la mer Glaciale est presqueentièrement composé de ces ossements, cimentés par de la glace et dusable.

Les défenses fossiles d’Éléphant sont très largement exploitéesaujourd’hui dans l’extrême nord de la Sibérie. Chaque année,d’innombrables caravanes se dirigent vers ces rivages glacés, et enrapportent de véritables cargaisons d’ivoire, que l’industrie del’Europe emploie aux mêmes usages que l’ivoire des défenses desÉléphants actuellement vivants.

On a beaucoup discuté et l’on discute encore pour s’expliquer laprésence, sous ces froides latitudes, d’animaux qui ne viventaujourd’hui que dans les régions brûlantes de l’Afrique et de l’Asie.On se demande si les animaux auxquels ils ont appartenu vivaient sousl’équateur, comme leurs congénères d’aujourd’hui, et auraient étéapportés vers le nord par quelque cataclysme géologique, ou s’ilsexistaient dans les lieux mêmes où l’on trouve aujourd’hui leurs débris.

Cette dernière hypothèse a été reconnue vraie, par suite d’unedécouverte étonnante qui prouve que l’Éléphant fossile, connu dessavants sous le nom de Mammouth, vivait sous les zones du nord.

Voici la découverte dont il s’agit ; En 1799, un cadavre de Mammouthfut retrouvé sous les glaces de la Sibérie. L’Éléphant, déjà fortendommagé, fut examiné, en 1806, par le professeur Adams, de Moscou.Les Jakoutes l’avaient dépecé et s’étaient servis de sa chair pournourrir leurs chiens. Les Ours et autres carnassiers en avaientconsommé aussi une grande partie. Mais une portion de la peau et uneoreille étaient encore intactes ; on distinguait même la prunelle del’oeil, et le cerveau se reconnaissait également. Le squelette étaitencore entier, à l’exception d’un pied de devant. Le cou était encorecouvert d’une épaisse crinière, et la peau était encore revêtue decrins noirâtres et d’une espèce de laine rougeâtre si abondante que cequi en restait ne put être transporté que difficilement par dix hommes.On retira, en outre, plus de trente livres de poils et de crins, queles Ours blancs avaient enfoncés dans le sol humide, en dévorant leschairs. Les restes de cet animal, rendu au jour après plus d’un millierd’années, sont conservés au musée de l’Académie de Saint-Pétersbourg.

Le Muséum d’histoire naturelle de Paris possède un morceau de peau etdes mèches de crin, avec des flocons de laine, d’un autre Mammouth, quifut trouvé tout entier et parfaitement conservé sous les glaces, auxbords de la mer Glaciale, en 1806.

Après ces considérations générales sur l’importance extrême del’Éléphant, parmi les êtres de la création vivante, nous devons aborderl’histoire naturelle proprement dite de ce grand Pachyderme.

L’Éléphant est le plus grand des mammifères terrestres. Si la taille,jointe à la force, donnait droit à la domination, l’Éléphant aurait étéle roi de la terre.

Les proportions de l’Éléphant sont lourdes et massives, mais saphysionomie est noble et même imposante. Ce géant de la création a reçuen partage, et ceci le rapproche encore de l’homme, un crâne énorme,bien que les dimensions du cerveau ne répondent pas à l’excessifdéveloppement de la boîte crânienne.

La tête de l’Éléphant est entourée de deux immenses et minces oreilles,qui s’étendent en haut, en arrière et même en bas. Elles lui serventd’éventail contre la chaleur. L’oeil est très petit, car il n’a pas letiers de la grosseur du globe de l’oeil du boeuf, si l’on compare lagrandeur de ces deux animaux. La bouche est également petite et presqueentièrement cachée derrière les défenses et la base de la trompe.

Cette trompe n’est autre chose que le nez prolongé d’une façondémesurée, en forme de tube, et qui se termine par les ouvertures desnarines.

La trompe de l’Éléphant est, à la fois, un organe de tact, d’odorat, depréhension, et en même temps une arme redoutable. Par contre,l’extrémité de cet organe qui se termine par une sorte de doigt, saisitles objets avec tant de délicatesse qu’elle peut ramasser un grain deblé, une mouche, un fétu.

Les défenses de l’Éléphant ne sont autre chose que les dentsincisives prodigieusement allongées. Dirigées obliquement en bas, enavant et en dehors, elles se recourbent en haut. Leur longueur peutdépasser deux mètres et demi, et elles peuvent peser jusqu’à cinquanteou soixante kilogrammes. Chez les femelles, elles sont quelquefois peutallongées et ne font pas saillie hors des lèvres.

Les défenses servent à l’Éléphant d’arme offensive et défensive. Ellesprotègent la trompe, qui se replie dans leur courbure, lorsque l’animaltraverse des bois épineux et fourrés ; elles lui servent encore àécarter et à maintenir les branches d’arbres, lorsque la trompe vacueillir les sommités de rameaux feuillus.

L’énorme tête dont nous venons d’examiner les différentes partiess’unit à un cou tellement court que les mouvements en sont trèscirconscrits et très difficiles. Le dos est voûté et la croupe ravalée; la queue est courte et mince. Les jambes antérieures manquent declavicules, et ne paraissent être que de massifs piliers placés sous lecorps pour en soutenir la pesante masse. Comme ceux des membrespostérieurs, les os en sont placés dans une position perpendiculaire aucorps et au sol : ce qui donne à l’animal un air lourd et gêné ; lesjambes antérieures sont d’ailleurs plus longues que celles de derrière,qui sont très courtes. Sous les pieds se trouve une espèce de semellecalleuse, assez épaisse pour empêcher les sabots de toucher à terre.

Ce corps informe, colossal et pesant, est revêtu d’une peau calleuse,épaisse, crevassée et d’un gris sale et noirâtre, munie de poils rareset qui ne sont guère apparents que sur la trompe, sur les paupières etsur la queue, terminée par un bouquet de crins.

Les Éléphants vivent dans les contrées les plus chaudes de l’Afrique etde l’Asie. Recherchant les forêts et les lieux marécageux, ils setiennent par troupes, plus ou moins nombreuses, qui sont toujoursconduites par un vieux mâle. Leur nourriture consiste en herbes, enracines et en graines. Ils vont souvent chercher cette nourriture dansles champs cultivés, où ils occasionnent des ravages considérables.

La marche des Éléphants est beaucoup plus rapide que ne le pourraitfaire croire la lourdeur de leur allure. Ces animaux pourraient, seloncertains auteurs, faire de vingt à vingt-cinq lieues par jour. Ilsnagent aussi très bien.

On a longtemps prétendu que les Éléphants ne peuvent pas se coucher, etqu’ils dorment constamment debout. Il est vrai qu’on trouve chez lesÉléphants, comme chez les chevaux, des individus qui peuvent dormirdebout et ne se couchent que rarement ; mais d’ordinaire ils dormentcouchés sur le côté, comme la plupart des quadrupèdes.

La mère Éléphant porte vingt mois son petit. En venant au monde, lejeune Pachyderme est haut d’un mètre environ. Il jouit de l’usage detous ses organes, et est assez fort pour suivre ses parents. Quand ilveut téter, il renverse sa trompe en arrière, et il prend le lait à lamamelle maternelle avec sa bouche, non avec sa trompe, comme certainsauteurs l’ont dit. La durée de l’allaitement est d’environ deux ans.

La taille ordinaire des Éléphants d’Asie est de 3 mètres ; les femellessont, en proportion, plus petites. Quant à ceux d’Afrique, il est rarequ’ils excèdent 2m,50. Les anciens voyageurs et quelques modernes font,il est vrai, mention d’Éléphants d’une taille démesurée, mais ce sontlà des exagérations. M. Corse, qui a été directeur de la ménageried’Éléphants de la Compagnie des Indes, assure que la taille moyenne deces animaux est de 3 mètres au plus. Buckingham, qui a fait un longséjour dans le même pays, dit que le plus grand Éléphant qu’il y aitjamais vu avait 3m,25 de haut ; enfin le major Forbes, qui a demeuréonze ans à Ceylan, n’en a vu qu’un seul dont la taille excédât 3m,25,et il affirme que ceux de 3 mètres n’y sont pas communs.

La force de l’Éléphant excède certainement celle de tout autre animalterrestre ; cependant elle n’est pas aussi grande que pourraient lefaire supposer sa masse et ses proportions. Il peut soulever, avec satrompe, un poids de 100 kilogrammes, et soutenir, sur ses défenses, 500kilogrammes ; mais ce sont là des efforts instantanés, sur lesquels ilne faut pas compter.

Rien n’est aussi violent que la première impulsion de cet animal,lorsqu’il est excité par la colère ou par la frayeur ; mais il résistedifficilement à un travail soutenu. Aussi les fardeaux qu’on lui imposeen voyage ne vont-ils guère au-delà de 1000 kilogrammes. Ainsi chargé,il peut faire de douze à quinze lieues par jour. Si l’on augmente sacharge, il se fatigue promptement, il se rebute, et refuse d’avancer.Sa marche ordinaire n’est guère plus rapide que celle du cheval ; maisquand on le pousse, il prend une sorte de pas d’amble qui, pour lavitesse, équivaut au galop. Il a le pied très sûr, il marche aveccirconspection, et il lui arrive rarement de broncher. Malgré cela,c’est toujours une monture incommode, à cause de son balancementcontinuel et de son allure saccadée.

Nous venons de dire que les Éléphants habitent les immenses plaines del’Asie et de l’Afrique. C’est que deux espèces différentes doivent êtredistinguées dans la famille des Éléphants de la création actuelle :l’Éléphant d’Asie et celui d’Afrique.

 L’Éléphant d’Asie vit aujourd’hui dans tout le continentdes Indes, principalement dans le royaume de Siam, l’empire desBirmans, le Bengale et l’Indoustan proprement dit. On le trouveégalement dans l’île de Ceylan, à Sumatra et dans l’île de Bornéo. Satête est large, aplatie sur le devant du front, renflée sur ses côtés.Ses oreilles sont moins grandes que celles de l’Éléphant d’Afrique,et leurs proportions sont un peu différentes. Sa couleur est d’un gristerreux passant au brun.

Chez quelques individus, atteints d’une sorte d’albinisme, la couleurest d’un blanc rosé. Les peuples des bords du Gange croient que cesÉléphants blancs ou roses donnent asile aux âmes de leurs anciens rois.Les princes de Siam et du Pégu, fiers de les posséder, les logent dansleurs palais, et les font servir magnifiquement par un nombreuxpersonnel d’adorateurs.

Les Éléphants blancs sont en grande vénération dans l’Inde. Imbus dudogme de la métempsycose, les Indous sont persuadés que, dans lanature, l’Éléphant tient après l’homme le premier rang ; et comme, d’unautre côté, la blancheur de la peau est à leurs yeux un symbole de lapureté de l’âme, une distinction que les dieux n’accordent qu’aux êtresparfaits, l’Éléphant blanc est pour les Indiens un animal privilégié,dont le corps ne peut servir d’habitation qu’aux mânes des rois, despontifes et des héros.

Il n’y a aujourd’hui que les Éléphants d’Asie que l’on puisse réduireen domesticité. Il faut même remarquer que les individus que l’onutilise ne sont pas nés en captivité. Ce sont des individus capturéssauvages et ensuite apprivoisés.

La chasse aux Éléphants se fait, dans l’Inde, comme elle se faisait ily a deux mille ans ; car tous les Orientaux restent fidèles à leursanciens usages.

On choisit une vaste étendue de bois, qu’on hérisse de barricades etqu’on entoure de fossés larges et profonds. On y introduit des femellesprivées. C’est un appât auquel les Éléphants sauvages ne résistentjamais, surtout si l’on a eu soin de choisir la saison des amours. Ilsarrivent par troupes dans la nuit, et vont trouver les femelles, enpassant par de larges ouvertures qu’on a eu soin de ménager dansl’enceinte. On ferme ces issues aussitôt qu’il en est entré un nombresuffisant, et l’on introduit, pour les traquer et pour battre le bois,des chasseurs et des Éléphants privés.

On a eu soin de disposer à l’avance, dans l’intérieur de l’enceinte, depetits enclos à une seule entrée ; on cherche à faire engager dans cespetits enclos les Éléphants sauvages, pour les isoler. Dès que lesÉléphants s’aperçoivent qu’ils sont renfermés, ils entrent en fureur,et font, pour recouvrer leur liberté, des efforts désespérés. On leslaisse se débattre un certain temps, et lorsque la faim et la fatigueont épuisé leurs forces, on les fait attaquer par des Éléphants privés,qui les terrassent à coups de trompe et les forcent à se tenirtranquilles. Les chasseurs saisissent ce moment pour leur jeter desnoeuds coulants, et pour les attacher aux arbres, où ils les laissentjusqu’à ce que, domptés par le jeûne et par la lassitude, ilsn’opposent plus de résistance. Alors on les mêle aux Éléphants privés,et on achève de les rendre dociles par des caresses et par des soins.

Diodore de Sicile décrit un moyen, aussi hardi que périlleux, qui étaitemployé de son temps, par les Éthiopiens chasseurs d’Éléphants. Ceshommes, dit Diodore de Sicile, se cachent sur des arbres, pour observerles sentiers que suivent ordinairement les Éléphants. Quand l’un de cesanimaux vient à passer sous l’arbre où le chasseur est aux aguets,celui-ci saute sur l’animal, le saisit par la queue, et de ses jambeslui serre fortement la cuisse gauche ; puis, avec une petite hacheparfaitement effilée, il frappe à coups redoublés ses tendons et sesjarrets de la jambe droite. Tout cela se fait avec une merveilleusevitesse, car il faut ou s’emparer de l’animal ou perdre la vie. Le plussouvent c’est l’Éléphant qui périt ; mais quelquefois aussi il écrasedans sa chute l’Éthiopien, ou il le tue, en le serrant contre desarbres ou contre des rochers.

Ces mêmes particularités sont racontées par Agatharcide, de Gnide, parPline et par Strabon.

Les Abyssins modernes ont conservé le courage traditionnel de leursancêtres. Selon le voyageur Bruce, il y a encore en Abyssinie deshommes auxquels on donne le nom d’agagéers, c’est-à-dire coupe-jarrets, qui chassent les Éléphants, en leur coupant lestendons des jambes à coups de sabre. Ils montent à cheval, et lorsquel’animal court sur eux, ils savent l’esquiver et revenir ensuite à lacharge. Une fois qu’ils l’ont blessé, ils l’achèvent à coups de flècheet de zagaies.

Dans l’état sauvage, l’Éléphant des Indes atteint l’âge de deux centsans ; mais en captivité il ne vit guère que cent vingt ans.

A la guerre, on l’emploie pour transporter les malades, les tentes etles ustensiles. Les Anglais ont essayé de l’atteler à leurs trainsd’artillerie.

Bien plus, les propriétaires des grandes plaines cultivées de certainesparties de l’Inde sont parvenus à lui faire tirer la charrue. Jamaisplus monstrueux laboureur n’avait éventré la terre de son socredoutable. L’Éléphant laboureur fait à lui seul l’ouvrage d’unetrentaine de boeufs.

Il est spécialement utile dans la chasse au tigre, pour porter leschasseurs, et même pour les défendre si leur terrible gibier seretourne contre eux.

Dès la plus haute antiquité l’Éléphant d’Asie a été dressé au servicedomestique et militaire, et cet usage s’est continué jusqu’à nos jours.Dans les combats que se livraient les peuples de l’Asie, on lechargeait de tours, occupées par des hommes armés de flèches, defrondes ou de javelots.

Les premières armées qui conduisirent des Éléphants à leur suiteportaient avec eux le gage de la victoire. En effet, la vue seule deces animaux équipés en guerre frappait de terreur les bataillonsennemis. Les Romains furent très effrayés lorsqu’ils virent, pour lapremière fois, dans leurs campagnes contre Pyrrhus, ces machinesvivantes. Ils apprirent pourtant à combattre les Éléphants africains.Avec des haches, ils brisaient leurs jambes colossales ; ils lançaientau milieu de leurs troupes d’énormes pieux, pour entraver leur marche.

Plus tard, les Romains apprirent à conduire eux-mêmes des Éléphants aucombat, et César en fit un usage avantageux dans la campagne desGaules. Les restes des Éléphants amenés par les Romains dans les Gaulesont été retrouvés dans le midi de la France. A Rome, on vit paraîtreles Éléphants dans le Colysée, pour combattre les gladiateurs, etsouvent on les attela au char qui portait les triomphateurs au Capitole.

C’est pour orner la pompe de son triomphe que César fit amener à Romeles Éléphants qu’il avait pris à la bataille de Thapsus. On vit alorsquarante de ces magnifiques animaux disposés sur deux rangs, et portantchacun un flambeau dans sa trompe. L’idée de ce spectacle, quiintéressa beaucoup les Romains, avait été empruntée aux rois d’Égypteet de Syrie, qui se faisaient quelquefois accompagner ainsi par desÉléphants dressés à porter des torches.

Il faut noter, à propos de l’emploi des Éléphants dans les armées, quel’espèce indienne est plus courageuse que l’espèce africaine. LesRomains connaissaient bien cette particularité, car dans les bataillesoù ils n’avaient que des Éléphants d’Afrique à opposer à des Éléphantsindiens, ils avaient soin de les placer, non devant les corps d’armée,mais derrière les soldats. C’est ce que firent les Romains, selonTite-Live, à la bataille de Magnésie.

L’Éléphant d’Afrique a la tête plus arrondie et moins large en dessusque l’Éléphant d’Asie. Son front n’a pas la double bosse latéralequ’on trouve chez ce dernier. Les oreilles sont plus grandes et plusrapprochées par leur bord interne ; ses défenses sont plus fortes.Quelques autres particularités relatives à la forme des os et à celledes dents molaires distinguent encore l’Éléphant d’Afrique de celuid’Asie.

On rencontre les Éléphants d’Afrique depuis le cap de Bonne-Espérancejusque dans la haute Égypte. Ils existent par conséquent en Mozambique,en Abyssinie, en Guinée et au Sénégal.

Les Éléphants africains vivent, comme ceux de l’Inde, en troupes plusou moins nombreuses. On en trouve aussi de solitaires : les Hollandaisles désignent sous le nom de rôdeurs. Ils étaient autrefois beaucoupplus communs qu’aujourd’hui aux environs du cap de Bonne-Espérance. Unvoyageur du siècle dernier, Thumberg, rapporte qu’un chasseur luiaffirma en avoir abattu, dans ces régions, quatre ou cinq par jour, etcela régulièrement. Il ajoutait que le nombre de ses victimes s’étaitélevé plusieurs fois à douze ou treize et même à vingt-deux par jour.C’était peut-être propos de chasseur. Quoi qu’il en soit, on peutaujourd’hui voyager dans l’intérieur de l’Afrique sans rencontrer unseul de ces géants, qui étaient autrefois si abondants dans ces pays.

L’Éléphant d’Afrique diffère beaucoup de l’Éléphant d’Asie en ce quiconcerne ses rapports avec l’homme. Il se prête peu au service, ils’apprivoise plus difficilement. Aussi ne demande-t-on pas à l’Éléphantd’Afrique ce qu’on obtient de celui des Indes. On le chasse pour lanourriture que fournit son abondante chair, et surtout pour l’ivoire deses défenses.

On chasse l’Éléphant d’Afrique avec le fusil et avec des flèchesempoisonnées. D’autres fois on l’attire et on le fait tomber, parsurprise, dans des fosses au fond desquelles il se meurtrit sur despieux effilés.


LOUISFIGUIER

NOTES :
(1) Epist. var., X, 47.
(2) Manuel Philoe, Carmen de Elephante, vers. 52, édition Wernsdorf.
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