Aller au contenu principal
Corps
TURENNE, Colonel-comte Pierre Josephde (17..-18..) : Résumé de laquestions des haras et des remontes,suivi de quelques expériences et d'un nouveau système d'éducation deschevaux.- Paris : J. Dumaine, 1844.- VII-107 p. ; 22,5 cm.
Numérisation : O. Bogros pour la collection électronique delaMédiathèque André Malraux de Lisieux (11.IV.2016)
[Ces textes n'ayant pas fait l'objet d'uneseconde lecture contiennent immanquablement des fautes non corrigées].
Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque@lintercom.fr, [Olivier Bogros]obogros@lintercom.fr
http://www.bmlisieux.com/

Diffusionlibre et gratuite (freeware)
Orthographe etgraphieconservées.
Texteétabli sur l'exemplaire de la Médiathèque (Bm Lx : br726) 

RESUMÉ
DE LA
QUESTION DES HARAS
ET DES
REMONTES,
SUIVI
De quelques Expériences et d'un nouveau Système
D'ÉDUCATION DES CHEVAUX.
PAR LE
COMTE JOSEPH DE TURENNE,
Ancien Officier supérieur d'état-major.
____________________________

DEUXIÈME PARTIE.

Polémique. - Objections des Haras.

L'écrit de M. le marquis Oudinot est simple et précis. Il ne dissertepas, il ne fait pas de doctrines. Il expose des faits et en déduit unpetit nombre de conséquences naturelles.

Après quelques considérations générales sur l'infériorité de la France,comparativement aux autres puissances, quant à la remonte de sacavalerie, et sur le péril qui résulte de cette infériorité, il décritles divers modes employés jusqu'à ce jour pour opérer la remonte de nostroupes à cheval ; l'achat direct par les corps, les marchés générauxet enfin les dépôts de remonte, créés dans le but d'affranchir laFrance des importations. Il prend ceux-ci à leur origine, les suit dansleurs développements successifs, et il les montre s'efforçant desurmonter tous les obstacles, et ne s'arrêtant que devantl'insuffisance de la production. Mais le bienfait des dépôts nedescendant pas jusque aux petits cultivateurs, qui ne peuvent acheverune éducation et ne gardent leurs poulains qu'un an ou quinze mois, uncomplément à cette création est devenu nécessaire. De là, la formationde dépôts de poulains, pour recueillir ces jeunes animaux, qui sontensuite élevés aux frais de l'Etat, sur de grands domaines, à un prixconvenu avec les propriétaires.

L'administration des haras n'entretient que 900 étalons. Le départementde la guerre peut facilement lui venir en aide, par des étalonsattachés aux dépôts de remonte et avec les ressources d'un harascommencé à l'école de Saumur. Cette mesure procurera un renfort de 300étalons.

Enfin, le corollaire obligé de ce système est le passage del'administration des haras dans les attributions du ministre de laguerre et sa réunion au service des remontes ; parce que « cetteadministration, en ne subordonnant pas ses efforts aux nécessités de laguerre, a manqué sa mission » ; et parce que « le département quiconsomme peut seul agir d'une manière efficace sur la production. » Telest le système simple et logique de l'habile général, système admis enprincipe par le département de la guerre, déjà en voie d'exécution, etqui résume parfaitement les opinions compétentes ; disons mieux, lapensée publique. Ce système a pourtant soulevé tant d'objections, qu'ilserait difficile de s'en rendre compte, si on ne savait avec quellefacilité les convenances personnelles prennent pied dans certainsesprits, même aux dépens de leurs lumières. Ce n'est pas que nousveuillions attribuer à tout le corps des haras royaux un sentimentétroit de personnalité ; nous sommes convaincus, loin de là, que lagrande majorité déplore la stérilité radicale attachée à leurs effortset à leur zèle. Mais outre que la zone excentrique où les haras sontrelégués, ne permet guère d'apprécier l'étendue de la question, il estné de cette excentricité même des positions sans dépendance et sansresponsabilité, si agréables, qu'il est tout naturel de les voir sedéfendre. Ce sont ces positions qui combattent dans les objections quenous allons examiner, sans en oublier aucune.

Nous aurions désiré être plus concis dans cet examen. Mais cesobjections mêmes prouvent à quel point des esprits éclairés ethonorables peuvent se laisser donner le change, pour ne s'être pointplacés à un point de vue politique et dominant. Il nous a donc parunécessaire d'étendre et d'approfondir, pour certains lecteurs, unediscussion, qu'il eût suffi d'indiquer pour beaucoup d'autres.

PREMIÈRE OBJECTION.

La France produit assez de chevaux.

1° Un recensement fait en 1840 a donné pour résultat une existencede 68.000 chevaux de 5 à 9 ans, propres à la cavalerie ;

2° La France possède 2,800,000 têtes de chevaux ; les naissancesannuelles s'élèvent de 235 à 250 mille, et on se refuse à croire quedes besoins relativement si minimes ne puissent être satisfaits par uneproduction si considérable ;

3° La moyenne des chevaux fournis à l'armée a été, depuis 10 ans, de4,791. Le commerce a exporté, pendant le même temps, une quantitémoyenne de 4,469 chevaux. Les remontes paraissent donc assurées danstous les cas. Cependant le comice hippique, tout en assurant que lesremontes ordinaires sont faciles, reconnaît « qu'il y a insuffisancepour les besoins extraordinaires de l'armée et la défense du aterritoire en temps de guerre », page 14.

Nous pourrions nous en tenir à cette déclaration, qui décidecomplètement le litige. Car, l'armée n'existe que dans des prévisionsde guerre ; et dès le moment qu'elle ne trouve pas dans le pays sesbesoins de guerre, dès lors qu'elle ne peut espérer de les compléter audehors, ainsi que l'a démontré l'expérience faite en 1840, il y apénurie, il y a péril, il y a nécessité absolue et disons mieux, il y adevoir de changer une situation compromettante. Aussi, ne doutons-nouspas d'obtenir du comice hippique mieux informé, la plénitude des aveuxque sa loyauté et son patriotisme lui ont dictés à demi.

Observons d'abord que le chiffre annuel des remontes à faire, tant pourles troupes à cheval, que pour la gendarmerie et les corps d'officiersde toutes armes, s'élève à 10,000 environ ; et que, lors même que leschevaux exportés seraient tous propres au service, leur nombre, joint àcelui des remontes livrées, n'atteindrait pas le chiffre des besoins.Etablissons bien, en outre, que, d'après nos adversaires eux- mêmes, lecheval de trait est, en France, le cheval normal, tandis que le cheval de selle est l'exception,et que le contraire a lieu chez nos voisins ; qu'ainsi, nousn'exportons point de chevaux de selle, et que nous n'importons pas dechevaux de trait.

Or, en décomposant la masse des exportations, la disette devient bienplus manifeste. En effet, ces exportations se composent en partie depoulains, espérance de nos espèces, qui nous sont achetés pour lePiémont, la Lombardie, les provinces Rhénanes et l'Espagne, et quiemportent avec eux toutes les améliorations déjà obtenues (1), en sorteque le travail est toujours à recommencer. Le reste des chevauxexportés consiste en chevaux de trait, les seuls que nous ayons àvendre, les seuls que les étrangers nous achètent, puisqu'ilsproduisent des chevaux de selle en bien plus grande quantité que nouset à meilleur marché. Les 4,469 chevaux exportés ne peuvent donc, enaucun cas, entrer dans l'évaluation des ressources affectables à laremonte.

Ce n'est pas tout. Par une distraction, involontaire, sans doute, nosadversaires ont oublié de porter en ligne de compte une importationannuelle de 18,613 chevaux, tous de selle, puisque les étrangers n'enfont pas d'autres. Loin donc que la France possède des ressourcessuffisantes pour ses remontes, elle n'a pas même de quoi subvenir à sesservices civils ; et ces services exigent, après le remplacement deschevaux livrés à le remonte, un surcroît de plus de 9,000 chevaux qu'ilfont encore importer.

Voici maintenant une autre preuve. La gendarmerie couvre la Francecomme un réseau. Elle explore toute l'année jusque aux plus petitshameaux. Il n'existe pas un cheval qu'elle ne connaisse et qu'ellen'achète, quand il est propre à son service. Eh bien ! la gendarmerieest remontée en chevaux étrangers pour les DIX-NEUF VINGTIÈMES.

Enfin, comme si ce n'était point assez de toutes ces preuves,l'administration des haras nous en fournit elle-même qu'elle ne peutrécuser. Ainsi nous voyons, tome 34, pag 189 de son Journal, undocument émané d'un de ses chefs de dépôts, qui déclare, que la Francene produit pas les chevaux réclamés par ses remontes même en temps depaix. Conçoit-on, après cet aveu, la persistance et la légèreté aveclesquelles certains membres de cette administration s'efforcentd'égarer l'opinion et d'endormir la France dans une situation si pleinede péril ?

Aussi les réalités, plus éloquentes que les allégations, viennent-ellescorrober tout ce qui précède. Qu'on le sache donc, malgrél'exhaussement rapide des prix alloués, malgré le zèle et les effortsdes officiers de remonte, les remontes ordinaires ne sont pas fournies, faute d'existences.Cette année 1843 présente un déficit de 2,000 chevaux ; et ledépartement de la guerre se trouvera avant peu dans l'alternative, oude diminuer, dans une proportion réprouvée par les régies de laprudence, l'effectif déjà trop faible de la cavalerie, ou de recourir àl'importation étrangère pour maintenir ses cadres.

On peut donc conclure de tout ce qui précède, que malgré les 250,000naissances annuelles, nous ne faisons pas plus de 5 à 6,000 chevauxpropres à la remonte ; ou, en d'autres termes, que notre production estimmense, mais de si mauvaise qualité, qu'elle n'est propre à rien. Onnous dispensera sans doute de parler après cela de cette prétendueressource de 68,000 chevaux établie par le recensement de 1840. Cesrecensements, faits par l'autorité civile, où l'on comprend les animauxde tout âge, de tout prix, de toute nature, disponibles ou non, sonttrop fautifs, pour qu'on puisse tabler sur eux en matière aussi grave.


DEUXIÈME OBJECTION.

Si effectivement notre cavalerie ne pouvait pas se remonter en France,la faute en serait au ministère de la guerre et à l'instabilité de sonsystème de remontes.

Comme nous n'imputons pas à l'administration des haras les fautes quiont été commises avant son rétablissement en 1806, comme nousreconnaissons même qu'elle a rempli l'attente du pays jusqu'en 1814, onsent que nous ne pouvons pas lui accorder ses plaintes sur les systèmesde remonte en vigueur en 1791, sous la république et jusqu'à cette mêmeannée 1814, parce que ces systèmes n'ont pu exercer aucune influencesur ses actes subséquents. Or, que voyons-nous depuis cette époque ?Les marchés généraux jusqu'en 1818 ; en 1818, l'essai des dépôts deremonte ; ce nouveau système, apprécié, développé, perfectionné sansinterruption, et finissant par prévaloir à cause de ses avantages. Nousne pouvons trouver ici les caractères de l'instabilité ; mais, aucontraire, l'esprit de sagesse, qui sait apprécier le bien, et depersévérance, qui le poursuit et le fait fructifier. Nous nerépondrons, en conséquence, qu'à ce qui touche dans ces reproches àl'inégalité des achats de la guerre et aux attaques contre les dépôtsde remonte.

Il fut une certaine année 1834 surtout, où la guerre n'a acheté que 79chevaux. « Si l'agriculture avait compté sur une remonte de 8,000chevaux en 1834, s'écrient Messieurs des haras, cette remonte généralede 79 chevaux ne devait pas l'encourager à produire les 9,000 chevauxdont l'armée a eu besoin en 1838, et qu'elle a trouvés cependant ».

Admettons, pour un moment, que la guerre puisse être blâmée d'avoirréduit ses achats une année où les chambres avaient réduit soneffectif, et qu'elle puisse être tenue de commander ses chevaux commeon commande des habits ou des souliers, cinq ou six ans d'avance, oud'en acheter toujours le même nombre. La guerre a donc manqué en 1834,c'est un point convenu. Mais pour conclure que cette irrégularité dansses demandes a été cause de la gêne de l'agriculture et a entraîné laréduction des éducations, il faudrait que les 4 ou 5000 chevaux que laguerre n'a pas achetés en 1834, fussent restés à la charge de noséleveurs ; que ceux-ci n'eussent su où les placer, et qu'ils eussentéprouvé un dommage considérable de cette mévente. Sans doute, aussi,l'agriculture chargée de ces 5,000 chevaux les aura donnés à bas prix,pour s'en défaire ; et le pays étant surchargé d'un trop plein siembarrassant, l'importation aura cessé tout à fait. Point du tout. Nousvoyons, au contraire, quoiqu'on ne nous le dise pas, que le commerce aencore introduit, en cette même année 1834, 10,076 chevaux étrangers.Encore une distraction de Messieurs des haras qui modifie un peu leurscalculs.


TROISIÈME OBJECTION.

« Les dépôts de remonte ne sont pas nécessaires. L'achat direct par lescorps est le système le plus naturel et le moins dispendieux. Lesdépôts n'offrent pas les avantages, qu'on leur suppose. Lespropriétaires n'apprécient pas le bienfait des dépôts. Le conseilgénéral d'agriculture et les éleveurs du Calvados en ont demandé la suppression. »

Les dépôts de remonte doivent leur création à des considérations d'unordre supérieur. Aucun des modes employés jusqu'à eux pour lesremontes, n'avait pu empêcher les livraisons de chevaux étrangers. Lesmaquignons exerçaient sur les éleveurs un pouvoir tyrannique etdésastreux. Le découragement gagnait ; et l'administration des harasétait réduite à dénoncer au ministre de la guerre les intrigues de deuxmarchands de chevaux, qu'elle accusait de la détérioration des races deNormandie. Les dépôts furent institués pour mettre le départementconsommateur en rapport direct avec les producteurs, et délivrer l'unet les autres de l'intermédiaire coûteux et malfaisant des courtiers.Les premiers essais firent juger favorablement de la mesure. Les abus,les obstacles furent combattus et écartés, à mesure qu'on lesreconnaissait; l'institution fut amenée successivement au point où elleest aujourd'hui.

Dans leur état actuel, les dépôts de remonte, leurs succursales etleurs annexes forment vingt-deux établissements, ayant chacun leurcirconscription particulière. Les officiers qui les commandent setiennent, autant que possible, en rapport avec les propriétaires, à quiils achètent les élèves propres à toutes les armes, chevaux de troupeet chevaux d'officiers. Ils achètent en tout temps ; et on a fixé lechiffre annuel de la remonte au septième de l'effectif, afin d'ôtertout prétexte à des plaintes de l'espèce de celles auxquelles nousavons répondu tout à l'heure. On peut donc affirmer que les dépôts deremonte ont atteint le plus haut degré de perfectionnement et d'utilitéqu'ils puissent obtenir dans les données actuelles.

Aussi le comice hippique ne peut-il s'empêcher de dire : « Jamais, dansles temps antérieurs, on n'avait autant fait pour l'industrie chevaline; jamais on ne s'en était occupé avec une bienveillance aussiprévoyante. » Cependant on propose aujourd'hui de les supprimer et deles remplacer par l'achat direct.

Il y a contre l'achat direct par les corps une présomption fâcheuse ;c'est que, mis en pratique dans des moments de presse et de crise,comme à l'approche d'une guerre, on s'est hâté de le proscrire danstoutes les périodes d'ordre et de régularité. C'est le fer rouge quesaisit un homme qui se noie.

L'achat direct présente dans l'exécution des inconvénients quisuffiraient seuls pour le faire rejeter. Toutes nos provinces, étantloin de s'égaler quant à la production chevaline, ce mode introduiraitdans les corps des différences telles, qu'on ne pourrait plus enattendre les mêmes services, ni leur donner une égale destination.

Enverrait-on des officiers pour acheter dans les lieux de production ?Ici les inconvénients deviennent monstrueux. Les officiers acheteurs,étrangers au pays où ils doivent opérer , ignorants des hommes et deschoses, feront-ils des achats aussi avantageux que les officiers desdépôts, établis à poste fixe et vivant en relations avec les éleveurs ?Et puis on verrait dans le même lieu des officiers de corps différentsse faire une concurrence, ruineuse pour l'Etat et préjudiciable auxcorps ; les uns achetant tout, les autres n'achetant rien.

Sous le rapport financier , qu'on juge de ce qu'il en coûterait pourfaire ainsi voyager un grand nombre d'officiers de ville en ville, defoire en foire, avec les détachements nécessaires pour ramener leschevaux achetés aux divers corps.

Qu'on juge de ce qu'auraient à souffrir la discipline et laconsidération de l'épaulette, à cette transformation périodiqued'officiers en marchands de chevaux. Certes, ce n'est pas nous quidonnerons jamais l'exemple de douter de la délicatesse et dudésintéressement des hommes qui ont l'honneur d'appartenir à un corpsd'officiers, mais nous pensons qu'un officier ne doit jamais être placésans nécessité entre l'honneur et l'intérêt ; car il ne suffit pasqu'il soit pur, il faut que, comme la femme de César , il ne puisse pasêtre soupçonné : et ce sont les mauvaises institutions qui provoquentles mauvaises mœurs.

L'achat direct par les corps n'est donc pas praticable. Le premierrésultat d'un retour à ce système justement réprouvé serait de remettreles maquignons en possession du monopole des fournitures. Pense-t-onque les colonels se soumettraient à courir le pays de village envillage, de ferme en ferme, pour acheter des chevaux aux éleveurs ? Ilstraiteraient avec des marchands, qui, pour le prix sur-haussé de laremonte, leur fourniraient des chevaux allemands ayant plus de figureque les nôtres. Car les chevaux n'ont pas augmenté de prix en Allemagne(2), et le taux de nos remontes a été élevé de 140 à 250 fr. depuis1825, selon les armes. Les marchands le savent bien. Aussi ont-ilstoujours travaillé contre les dépôts de remonte, qui déconcertenttoutes leurs combinaisons.

C'est là le secret de toutes les attaques dirigées contre cesétablissements ; et on peut être assuré, que la fameuse et heureusementunique, pétition des éleveurs du Calvadoset les lettres adressées aux journaux dont on fait tant d'état, ne sontautre chose que l'expression directe ou insinuée de leurs calculscupides. Eleveurs ou non, les signataires d'une telle pétition sont oumaquignons ou leurs dupes. Aussi, nous l'avouerons, rien n'égalel'étonnement que nous avons éprouvé en voyant des hommes considérables,décorés du titre de membres du conseil général d'agriculture, selaisser prendre à cette grossière amorce et montrer en ceci une candeurplus qu'édifiante.

Indépendamment des autres avantages, les dépôts de remontes en offrentde très grands sous le rapport de l'économie. Les officiers, choisisparmi les plus instruits et les plus capables des régiments et leshommes formant avec eux le personnel des dépôts, sont détachéstemporairement et ne coûtent rien à l'Etat, parce qu'ils comptent àl'effectif. On a dit qu'ils perdent les habitudes militaires. Nousn'avons qu'une réponse à faire à cette assertion : c'est qu'elle dénotechez ses auteurs trop de sollicitude ; et qu'ils doivent se reposer dece soin sur ceux que la loi en a investis, sur les chefs légitimes del'armée.

M. le marquis de Torcy a dit que les dépôts n'offrent pas tous lesavantages qu'on leur suppose ; et la preuve qu'il en donne, c'est qu'iln'a jamais vu d'officiers chez lui. C'est selon nous conclure un peutrop largement, du particulier au général. Le fait cité prouveseulement que les officiers du dépôt d'Alençon auront connu M. de Torcyplutôt comme spéculant sur l'engraissement des bœufs, que surl'éducation des chevaux ; et nous aurions fait la même erreur. Aureste, il n'est pas de règle absolue que les officiers de remontevoient tous les éleveurs de leur circonscription chez eux.Le but est atteint, quand ceux-ci savent qu'ils ont à leur portée unacquéreur qui payera leur élève à sa valeur, le jour où ils voudront levendre. Et la preuve en ressort éloquemment du tableau publié par lacommission des remontes, où l'on voit que 16,971 propriétaires ontparticipé à une vente de 27,673 chevaux. Nous nous étayons de cedocument avec d'autant plus de confiance, que M. de Torcy n'a pasprétendu le détruire, en disant depuis, que les marchands faisaientprésenter leurs chevaux par des amis. Le cas peut s'être présenté. Mais16,971 amis ! Les maquignons n'en ont pas autant, même en Normandie.


SYSTÈME DE M. LENFANT.
Remontes de la Gendarmerie.

Jusqu'ici, l'achat direct avait été recommandé par Messieurs des haras, comme le mode de remonte le plus naturel, le plus simple dans l'application et le moins dispendieux. Mais voici que M. Lenfant a eu une idée heureuse,celle de faire opérer la remonte par la gendarmerie ; et le comicehippique se hâte de recommander ce nouveau système. Ce mode nouveauconsisterait à faire acheter les chevaux par la gendarmerie, qui seremonterait, chaque année, par moitié, en chevaux de trois ans etdemi  à quatre ans. Ces chevaux resteraient entre ses mainspendant deux ans. Passé ce terme, elle les livrerait à l'armée, quiserait ainsi remontée avec des chevaux dans les meilleures conditionspossibles. Ce système appartient-il en propre à M. Lenfant ? Nous nesavons. Mais peu importe. Examinons-le toutefois, pour la satisfactionde Messieurs du comice hippique.

Il y a bien une difficulté à ce système, c'est que la gendarmerie,quoique parfaitement placée pour se monter en chevaux français, s'il yen avait, est presqu'en totalité pourvue de chevaux allemands. Maispassons là-dessus.

Le gendarme est un vieux soldat. Ses fonctions exigent qu'il le soit,et que son cheval soit également, sinon vieux, au moins rassis, sage,calme et bien dressé. M. Lenfant le monte avec un poulain qui craindrale bruit, la musique, les étalages des foires. Avec un mouchoir blanc,un écolier mettra en déroute toute une brigade. Le gendarme instituépour le maintien de l'ordre, apportera le désordre partout, estropiera,tuera, et se fera tuer.

Le gendarme n'est plus dans l'âge de la vigueur et de la souplesse, etvous le condamnez à faire perpétuellement le métier qui en exige leplus. Quoi ! à son âge ! toujours lutter contre un poulain, qu'il luifaut dresser, et que vous lui prenez quand il commence à en êtremaître, pour lui en faire dresser un autre ! Vous n'auriez pas le droitd'exiger cela d'un jeune homme. C'est un métier qui doit êtrevolontaire et qu'on doit rétribuer largement. Vous ne trouverez pas degendarme qui s'y soumette.

Le gendarme est propriétaire de son cheval et le soigne comme on soignesa propriété. Il l'achète de ses deniers, à ses risques et périls. Ille dresse une fois, mais pour s'en servir longtemps, ou pour en tirerdu bénéfice, s'il juge à propos de le vendre. Mais vous, vous voudriezl'obliger, aux risques de sa bourse et de sa vie, à acheter tous lesdeux ans un nouveau poulain, à le garder tout le temps critique, toutle temps des gourmes, tout le temps des grands dangers ; et lorsque cesdangers seraient passés, vous viendriez le lui prendre d'après un tarif! Nous avons connu nombre de gendarmes qui ont refusé 12 et 1300 francsde leur cheval. Il y a encore à Guise, un cheval qu'un gendarme avaitramené du Limousin et dont un officier général lui a offert 1,500francs : et vous exigeriez que ce cheval vous fût remis pour 750 ! Cecimodifie un peu, comme on voit, le droit de propriété, et conséquemmentl'affection de l'homme pour le cheval, dont vous avez fait la base devotre système. Mais le droit de prendre le cheval qui tourne bien,entraîne l'obligation de prendre aussi le cheval qui tourne mal. Ilvous faudra donc tout payer au tarif, les morts, les vicieux, lesestropiés et les manqués ; et vous en aurez beaucoup ; car le gendarmene fera pas la même dépense et ne se donnera pas, en travaillant pourvous, la peine qu'il prend, quand il sait travailler pour lui-même.

En vérité, le comice hippique, lorsqu'il a consenti à patronner desemblables idées, a été dupe de sa complaisance. Nous avons trop deconsidération pour les personnages distingués qui en font partie, pourne pas croire qu'on lui aura joué le même tour qu'à ce célèbre avocat,qui signa, sans le lire, un mémoire à consulter pour les poulardes de la Flèche contre les poulets du Mans.Nous désirons que ce petit désagrément mette bien en lumière le dangerde blâmer, sans étude et sans réflexion, sur la foi d'un intérêtmesquin, des établissements recommandés par les lumières de leurscréateurs et par la sanction d'une longue expérience.

Pour en finir sur l'article des dépôts de remonte, nous rappelleronsqu'ils ont été établis à la demande des députés et des populations denos provinces à chevaux, et sur les instances de l'administration desharas elle-même. M. Sirieys de Mayrinhac, dans l'apologie de cetteadministration déjà citée, fondait sur eux le brillant avenir qu'ilpromettait à l'industrie chevaline. « Depuis deux ans, dit-il (p.70),l'armée a trouvé sur le sol national, GRACE A L'INSTITUTION DES DÉPÔTS DE REMONTES,les chevaux qui lui sont nécessaires.» Les dépôts n'ayant subi, depuisl'époque de 1828, que des perfectionnements, ce témoignage subsistedans toute sa force ; et il vaut bien celui des prétendus éleveurs duCalvados.


QUATRIÈME OBJECTION.

Dépôts de Poulains.

Si les haras ont blâmé si hautement les dépôts de remonte, ils nepouvaient manquer de blâmer les dépôts de poulains. « Ce système esttellement étrange, dit M. de Torcy, que  nous sommes à nousdemander s'il mérite d'être combattu (3). » Nous examinerons le systèmedes dépôts de poulains sous le point de vue de la production en généralet dans ses rapports avec l'application qui en a été faite par leministre de la guerre.

Commençons d'abord par nous éloigner de Paris et de la Normandie,province riche, avancée, puissante, qui fait exception parmi noscontrées à chevaux, et dont la prospérité égare M. de Torcy, quisuppose, sans doute, que le reste de la France lui ressemble.

Dans nos pays de production, dans les pays du Centre et du Midi, où laterre est exploitée par des métayers ou colons partiaires, le petitcultivateur est obligé, pour sa culture et pour la gestion de sesaffaires, d'entretenir une cavale, qui, n'ayant à fournir qu'un travailmodéré et accidentel, est tout naturellement vouée à la production.

Le poulain se garde jusqu'à un an ou dix-huit mois au plus. Passé cetemps, il devient une charge fort lourde pour son propriétaire, parceque la petite exploitation ne suffit pas à le nourrir avec la mère, etparce qu'il gâte plus qu'il ne consomme et exige des frais de garde etde clôture, trop pesants, quand ils ne sont pas répartis sur plusieurssujets. Si vous laissez ce poulain sur les bras de son maître, vous lemettez dans une gêne extrême ; il n'en fait pas d'autre, et lafécondité de la mère n'est pas mise à profit. Si au contraire il en ale placement, il en fait un tous les ans ; et au lieu d'un mauvaischeval, vous avez quatre bons poulains. Ceci est immanquable, si vouslui donnez le saut gratis.

Il peut y avoir de grandes différences de valeur entre poulains etpoulains. Nous en avons vu vendre deux à 1700 fr. la pièce, il y en aqui ne se vendent pas 30 fr. Les beaux poulains, s'il s'en fait encorede tels, appartiennent d'ordinaire à des propriétaires riches qui neles vendent pas. Mais on peut être assuré, dans tous les cas, qu'unpoulain vendu 150 fr. à dix-huit mois, donne plus de profit net, quedeux chevaux vendus 500 fr. pièce à 5 ans.

L'achat des poulains est donc l'encouragement le plus réel, le pluspuissant qu'on puisse offrir à la production. C'est un immense bienfaitpour les petits producteurs, qui sont les plus nombreux ; et si lamesure adoptée par le Ministre de la guerre avait pour résultat, par lapuissance de l'exemple , la division de l'élevage en deux industriesséparées : la production des poulains, dans les pays pauvres où on lesfait excellents, mais où on ne peut pas faire un bon cheval, etl'éducation des chevaux , dans les pays riches, elle aurait, à elleseule, ouvert les voies les plus sûres , pour arriver à unerégénération complète de nos races de chevaux, Nous reviendrons sur cetobjet important dans notre 3e partie.

Examinons maintenant les dépôts de poulains, sous le point de vue de l'application faite par la guerre.

Nous commencerons par avouer, qu'autant nous approuvons la mesure des dépôts de poulains comme spécimen,comme exemple à donner à l'industrie (qui saura bien démêler leséconomies qu'elle peut faire sur les dépenses supportées par legouvernement), autant nous la croyons mauvaise, en tant quespéculation, et comme moyen de se procurer, en temps réguliers, leschevaux nécessaires à l'armée. M. le général Oudinot se flatte, selonnous, lorsqu'il pense que les chevaux nourris par la guerrecompenseront, par la durée de leurs services, l'excédant de dépensecausé par leur éducation. La longévité du cheval dépend de sa race etde la qualité de ses aliments. Ce n'est pas dans la prairie, que leschevaux puiseront cette dureté et cette vigueur de tempérament, c'estau régime sec et à l'engrainage; et les choses restant ce qu'elles sont aujourd'hui, les chevaux ne dureront pas davantage.

Après cette concession à Messieurs des haras, il nous sera bien permisde dire, qu'indépendamment des bons effets de l'exemple donné parl'administration de la guerre , on devrait voir, avec plusd'indulgence, ses efforts pour créer en France les chevaux qu'ils n'ontpas su y faire.

M. de Torcy s'effraye de la dépense ; et il établit ainsi le revient des poulains.

Achat du poulain.
300 fr
4 ans d'herbagement à Saint-Maurice. 600 »
Frais d'administration, soins et médicaments, 4 ans. 80 »
Mortalité, réformes à raison de 4/10. 200 »
Portion d'herbagement des poulains morts afférente aux poulains vivants.
250 »
TOTAL.
1430 »

Nous referons ce compte comme il suit :

Le poulain à 18 mois coûtera au plus.
200 fr.
30 mois d'herbagement, car le poulain vautà quatre ans ce qu'il vaudrait à six en restant sur l'herbage.
375  »
 Pour la somme de 1500 fr., on fera parfaitement soigner, surveiller,et médicamenter 150 poulains, pour chaque 10 fr. par an.
25  »
TOTAL.
600  »
Mortalité, réformes à raison de 4/10.
240  »
TOTAL.
840  »
A déduire 2110 poulains réformés, vendus à 100 fr.. ci.... 20 fr.
Pour la portion d'herbagement des morts et réformés,laissée parceux-ci aux poulains vivants, pendant 18 mois,
 la plus grande partiedes morts ayant lieu la première année,
à cause du changement d'état,ci.... 96
116  »
RESTE
724 fr.

Chaque cheval coûtera donc à la guerre 724 fr. C'est 200 francs detrop. Et cependant nous mettons le plus habile au défi de faire sur cecompte de revient, une économie de 20 francs, que le gouvernement nepuisse faire lui-même, les conditions premières restant identiques.Mais, dit-on, le gouvernement achète ce même cheval 500 fr. Cela estvrai ; et cela prouve seulement que le gouvernement paie à l'éleveur lepoulain et l'herbagement plus cher, que celui-ci ne se les vend àlui-même. Si donc, il y a surcroît de dépense, il y a aussiencouragement à l'agriculture ; il y a surtout excitation à laproduction des poulains; et c'est un point essentiel à obtenir.

« Si vous faites vos chevaux, dit encore M. le marquis de Torcy, vousfaites concurrence directe à l'agriculture. L'agriculture se passera devous. Vous aurez remplacé la production nationale par une productionmilitaire. A qui recourrez-vous au moment du danger ; à l'agriculture ?Vous lui aurez appris à se passer de vous….  vous vous manquerez àvous-mêmes et vous manquerez au pays…  On pourra dire plusjustement que vous ne le faites aujourd'hui, que son honneur est compromis. »

Plus justement, non. Aussi justement, voyons.

En premier lieu, nous ne pensons pas que le dernier mot del'administration de la guerre soit de faire la totalité, ni même unefraction considérable de ses remontes. Nous ne voyons jusqu'ici qu'unencouragement, une aide qu'elle apporte à l'agriculture, en provoquantla production des poulains. Jusque-là, point de mal.

D'une autre part, lors même que la guerre ferait la totalité de sesremontes, qu'en résulterait-il ? Que l'agriculture livrerait aucommerce les chevaux qu'elle vend à la guerre. Et comme le commerce enimporte aujourd'hui 18 à 20,000 chaque année, ce débouché pourvoirait àtout. Seulement, on en importerait 8 ou 9,000 de moins. Nous ne voyonsque les agricultures étrangères qui eussent à se plaindre.

Ce n'est pas tout. Qu'on nous permette une question. Le propriétaire deSaint-Maurice faisait-il, sur ce domaine, des chevaux, ou n'enfaisait-il pas, avant de recevoir les poulains de la guerre ? S'il yfaisait des chevaux, la guerre les fait à sa place. Partant, rien dechangé ; et pas de dommage. S'il n'en faisait pas, nous avouons que, leprojet réussissant, on aura 50 ou 60 chevaux de plus par an. Eh bien,dites ! Est-ce un malheur public ? Expliquez-vous une fois ! qu'onsache quelles proportions vous réservez à la production française !Faisons-nous assez de chevaux ? Sommes-nous inféodés à une importationannuelle de 20,000 chevaux étrangers, et n'en rabattrez-vous pas uneoreille ? Ne peut-on essayer d'en diminuer le chiffre, sans faire uneconcurrence coupable aux éleveurs du Calvados ? Peut-être lepermettriez-vous à d'autres, mais pas à la guerre ! Et pourquoi? Laguerre ne peut-elle pas prétendre aux mêmes droits qu'un particulier ?Mais puisque vous ne voulez pas qu'elle les fasse, et puisque personnene veut les faire, faites-les donc vous-mêmes ! Vous y travaillez,direz-vous, depuis trente-huit ans. Il est vrai ; et chaque année il yen a moins ; ils coûtent de plus en plus cher, et vous proposezmaintenant de les payer 1,000 et 1,100 fr., c'est-à-dire 120 pour centplus cher que les chevaux étrangers ; et après avoir demandé une telleprime au profit de l'importation, vous poursuivez la destruction duseul système de remonte qui permette d'écarter les chevaux étrangers !

Autre énormité ! La guerre, dit le conseil d'agriculture, entretient auBec-Hellouin 158 têtes, tant juments que poulains. Le chiffre estprécieux à noter. Le Bec-Hellouin vous a appartenu autrefois. Vous yaviez un dépôt d'étalons que vous avez supprimé par économie. Or, nousvoyons dans la brochure de M. Sirieys de Mayrinhac, que vous achetieztous les ans dix poulains d'un à deux ans pour les placer au Bec et àLangonnet. Comme vous ne les gardiez vraisemblablement que jusqu'à cinqou six ans, c'était pour les deux établissements 40 poulains ; partantvingt pour le Bec. Si vous n'aviez pas là 138 étalons, vous nous devez la différence (4).


CINQUIÈME OBJECTION.

Etalons militaires.

Nous voici parvenus au péché capital du département de la guerre. Onlui aurait pardonné ses dépôts de remonte, ses dépôts de poulains ;mais il s'avise aussi d'avoir ses étalons. Ceci est plus grave ; car ilveut des chevaux à tout prix ; les haras n'en font pas ; et si laguerre, avec ses 300 étalons et quelques mille francs, réussissait àfaire ce que les haras ne font pas avec 900 étalons et 2 millions, ilse trouverait des gens capables de dire : « Va, pour les haras, à laguerre ! » Inde iræ.

Voici en deux mots quel est le système adopté par la guerre, d'après le travail de la commission de remonte :

Donner plus d'extension au haras établi, dès 1827, près de l'école decavalerie ; attacher des étalons aux dépôts de remonte ; donner lasaillie gratuitement et acquérir ainsi le droit de régler lesaccouplements, qui n'ont rien de raisonné et de méthodique, lorsque lespropriétaires achètent, avec le saut, le droit de choisir les étalons.

Il faut que ce plan n'ait rien de trop étrange, car il règne un embarras manifeste dans l'énoncé des objections.

La commission du conseil d'agriculture « s'est demandé si des efforts divisés pourraient atteindre le but : et sans entrer dans la critique des actes et des systèmes plus ou moins heureux de la guerre,elle croit devoir demander que tous les fonds destinés à la productiondes races de chevaux et à leur amélioration, soient mis à ladisposition d'un seul ministre, celui de l'agriculture et du commerce.Elle vous propose de déclarer que l'administration des haras doit êtreet rester à toujours dans les attributions de ce ministre, et devenir, de jour en jour, plus agricole. »

M. le marquis de Torcy dit que le système de la guerre coûtera desmillions et des millions. Enfin on se plaint de la saillie gratuite quifait une concurrence dangereuse aux étalons de l'administration desharas.

Rappelons d'abord que l'administration des haras se prétend instituéepour procurer à l'industrie les moyens de se passer d'elle.

Or, nous avons au delà de 200,000 naissances. L'administration desharas avec ses 900 étalons concourt à ce chiffre pour 27,000. Elle neprétend pas à une plus forte part, car elle avait 1300 étalons, il y aquinze ans ; elle n'en a plus que 900 ; et cette réduction, volontaireou forcée, n'est pas la voie d'un accroissement. Ainsi, elle abandonneà l'industrie le soin de pourvoir aux 175,000 naissances restantes.

L'industrie, elle, n'accepte point dans son entier la place qu'on luifait. Elle se borne à opérer, avec 350 étalons de trait, sur 10,500naissances. 165,000 naissances sont donc abandonnées au premier venu.C'est sur cette masse, délaissée et dévolue aux rouleurs et auxmaillets de moulin, que la guerre s'est proposé d'agir. Et lorsqu'elleapporte à l'administration des haras le puissant renfort de 300étalons, celle-ci va sans doute témoigner sa satisfaction et sareconnaissance. Non, elle refuse l'offre qui lui est faite ; ellesollicite des chambres une interdiction ; elle crie à la concurrence.

Cela se confond, en vérité ! L'administration des haras ne considèredonc pas la production comme son premier devoir et son premier besoin.Il y a donc chez elle des hommes qui ne font pas des chevaux pour fairedes chevaux, pour satisfaire au besoin le plus impérieux du pays, maispour faire leur position. Nous le savions ; mais ce sont eux qui ledisent.

On nous fera concurrence, dites-vous, concurrence d'autant plusdangereuse, qu'on donne la saillie et que nous la vendons. Mais soyezdonc conséquents avec vous-mêmes. Vous dites, et l'on devait bien s'yattendre, que les étalons de la guerre ne valent rien, et vousplaisantez agréablement sur l'étalon militaire.Vous dites encore : « Nous avons des poulinières de race et de taille,non-seulement dans les haras, mais chez les particuliers ; nos étalonssont sains, libres dans leurs mouvements et astreints à un régimeconvenable (M. de Torcy, p. 20). » Vous dites encore (p. 77) : « Jamaiséleveur, sachant trouver un bénéfice à élever, ne sera arrêté par leprix de saillie ; puisque ce prix est gradué selon le mérite desétalons, et approprié aux moyens des différentes classes d'éleveurs. »Que craignez-vous donc ? Avec vos 900 étalons, vous ne vous adressezqu'aux éleveurs sachant élever,et vous les avez nécessairement tous pour vous. Vous avez la bonnerenommée et le chaland ; pouvez-vous redouter une concurrence ?

La guerre fera concurrence aux particuliers. Vous savez bien lecontraire. Vous savez bien que les particuliers ne tiennent pas dechevaux de selle, et que la guerre ne tiendra pas de chevaux de trait.D'ailleurs, on n'a pas les étalons, pour les étalons, mais pour leurfaire faire des chevaux. Or, que ce soit la guerre ou les particuliersqui les fassent ; peu importe, dès qu'on les fait. Il y a de la margepour tout le monde. Ceux qui tiennent à avoir des étalons, auront desétalons ; les autres auront des juments et tout n'en ira que mieux.

Mais, dites-vous encore, les étalons de la guerre coûteront fort cher.D'achat, oui ; pas plus cher que les vôtres pourtant. Quant àl'entretien, la guerre fera bien quelques économies ; car vos 900étalons coûtent, en définitive, 2 millions, ou 2,300 francs passéschacun. Or, la guerre, ayant à sa disposition la ressource de sescadres, peut faire soigner autant d'étalons qu'elle en aura, sans qu'illui en coûte rien que les rations qu'ils consommeront.

Enfin, on a dit (M. Ad. Dittmer, p. 47) : « Les étalons de la guerre nechangeront rien à l'état des choses, quel que soit leur nombre. Lecheval de trait est le cheval français. Tant que les choses seronttelles qu'elles sont, on ne produira pas plus de chevaux de sellequ'aujourd'hui. » Ici, encore, cette omission accoutumée, et sans douteinnocente, des chevaux de selle importés. Rectifions donc cesprévisions, et rappelons qu'on nous amène chaque année 20,000 chevauxde selle ; et, qu'ainsi, il y a marge suffisante pour une productiondouble de celle que réalisent les haras. Au reste, si on s'enrapportait seulement au nombre, il ne serait pas exact de dire que lecheval de trait est le cheval français. Le cheval français serait le porte-chou.Vous ne pouvez pas vous occuper de l'amélioration de ces espèces ;l'industrie ne le veut pas. Laissez donc la guerre l'entreprendre. Cen'est que lorsque ces races misérables seront entrées, par uneamélioration préliminaire, dans la masse des éléments réguliers de laproduction, que l'industrie consentira à s'en occuper. Jusque-là,l'intervention de la guerre est nécessaire ; et elle aura pour résultatde quadrupler notre richesse chevaline, en quadruplant les forces et letravail, et de pourvoir amplement à tous les besoins du pays.


SIXIÈME OBJECTION.

Réunion des haras aux remontes, les haras à la guerre.

Nous arrivons enfin à la question capitale de cette discussion ; car onse doute bien que, si la réunion des haras à la guerre n'eût pas été laconclusion naturelle d'une approbation des actes de la guerre, on eûtpassé facile condamnation sur tous les griefs reprochés aux dépôts deremontes, aux dépôts de poulains, aux dépôts d'étalons, etc. C'est doncici la question principale qu'on a dérobée aux yeux par une stratégied'objections et de retours offensifs contre la guerre. C'est réellementlà le corps de place dont, jusqu'ici, nous n'avons vu que les dehors.Mais, il en est ici comme de ces positions faibles, qu'on masqueadroitement, de crainte d'y attirer les feux de l'ennemi : et ladéfense, vive et habituellement agressive, est devenue tout à couplanguissante et molle.

Est-ce, en effet, une objection sérieuse, que l'incapacité, opposée auxhommes de l'armée, par M. Ad. Dittmer, et fondée sur les grandes pertesde chevaux éprouvées par les régiments en 1840. M. le général Oudinot adéjà repoussé ce reproche dans sa brochure, et nous pourrions nousdispenser de rien ajouter. Nous avouerons cependant, puisqu'on le veutainsi, que les régiments ne disposent, jusqu'ici, d'aucun moyend'empêcher que la santé des jeunes chevaux, lorsqu'ils passent, sanstransition, de l'herbage ou des mains des marchands, à la vierégimentaire, dans l'âge des gourmes et des grandes mortalités, ne soitprofondément ébranlée ; et que cette cause générale de perturbation nesoit démesurément augmentée, par une forte introduction de chevauxétrangers, mal constitués et soumis par les maquignons à un régimesurexcitant, germe d'une foule de maladies (5). L'administration desharas seule aurait pu combattre ces causes de pertes, en introduisantde sages améliorations dans le système vicieux des éducations. C'étaitson devoir : et nous ne sachons pas qu'elle ait rien tenté pour leremplir. Quand on adresse de tels reproches à l'armée, on devait dumoins lui offrir un point de comparaison. La mise en lumière des étatsde situation et de mortalité de l'administration des haras, serait sansdoute fort instructive. On y verrait comment le chiffre des étalons esttombé de 1300 à 900 ; et comment les 900 d'aujourd'hui coûtent lesmêmes frais d'entretien que les 1300 d'hier. Mais, trêve là-dessus ;nous ne récriminons pas. Nous aimons mieux constater que la réforme ducasernement, si longtemps réclamée par la guerre et enfin accordée parles chambres, produit déjà les effets qu'on en avait attendus; et quela mortalité de 1843 est moindre de moitié que celle des annéesprécédentes.

Nous ne reconnaissons pas non plus un acte d'opposition, nil'expression de l'opinion particulière du conseil générald'agriculture, dans cette déclaration, que l'administration des haras est et DOIT RESTER A TOUJOURS une dépendance du ministère du commerce.Le conseil général est trop sage, pour préjuger ainsi les formes et lesattributions à venir de l'administration publique. Il prend soinlui-même de caractériser cette déclaration par ces mots : « Sans entrerdans la critique des actes et des systèmes plus ou moins heureux de laguerre.» On ne peut, sans injure, supposer à des hommes considérableset sensés, qui ont accepté, à titre contestable, il est vrai, maispourtant réel à leurs propres yeux, la mission de défendre les intérêtsterritoriaux de la France, et de représenter les 27 et 28 millionsd'individus de la classe agricole, on ne peut, disons-nous, leursupposer l'intention de trancher sans examen la question économique etpolitique la plus ardue peut-être et la plus complexe. Décider unetelle question sans examen, sans discussion, ce serait parler et agirsans savoir ce qu'on fait et ce qu'on dit et les hommes sérieux quicomposent le conseil général, n'agissent pas ainsi. Il est donc évidentque le conseil, interrogé à l'improviste et sans préparation, presséd'émettre une opinion qu'il n'avait pas le temps d'étudier et de mûrir,a pris le parti de reproduire dans sa forme et sa teneur, l'opinion, ouplutôt le désir arrêté et formulé d'avance de l'administration desharas, sans prétendre, ni l'accepter, ni le cautionner. Nous voyonsdonc ici un acte de complaisance, de confiance, si l'on veut, maisnullement l'opinion, évidemment réservée du conseil d'agriculture. Et,s'il fallait d'autres preuves, nous les trouverions dans le soin deceux de ses membres, qui partageaient cette opinion, de la reproduirepour leur propre compte.

Ainsi, faute d'objections sérieuses à lever, nous allons développer lesmotifs qui militent en faveur de la réunion des haras à la guerre.

La situation respective des ministres de la guerre et de l'agriculture,attachés tous les deux, devant les chambres et le pays, au char de laproduction chevaline, offre, ce nous semble, quelque chose d'anormal etde passablement ridicule. Le ministre de la guerre, fatigué de protégeret de soutenir un collègue qui ne peut ni se tenir debout ni avancer,demande qu'on lui permette de marcher seul, se faisant fort de faire,sans lui, ce qu'il désespère de faire avec lui. Le ministre del'agriculture soutient, de son côté, que lui seul est ingambe et dispos; et, pour le prouver, il déclare que toutes ses chutes viennent de soncollègue qui ne le soutient pas assez, et que tout est perdu si onpermet à celui-ci de marcher pour son compte. Quel motif donne-t-onpour prolonger cette situation absurde ? Un seul, « la production ducheval, dit-on, étant une opération agricole, les haras doivent releverdu ministre de l'agriculture. »

Cette proposition que beaucoup de gens répètent, est, selon nous,l'idée la plus creuse du monde. C'est un reflet, un fantôme d'idée,réfléchi par des mots. Mais fouillons au fond des choses, on verra quetout s'évanouit et qu'il n'en reste absolument rien.

Que dit, en effet, le simple bon sens ? Que celui pour qui la chose estfaite, à qui seul il importe qu'elle soit bien faite, qui, par l'usagequ'il en fait, engage sa responsabilité, doit en commander et endiriger la confection. Le ministre de la guerre n'est point agriculteur! nous le savons. Mais le ministre de l'agriculture l'est-il davantage? Les ministères sont des accidents produits par les évolutions deschambres. La majorité qui nomme le ministre dirigeant, nomme en mêmetemps les ministres secondaires, comme appoint des combinaisonspolitiques. Et nous ne sachons pas que les portefeuilles del'agriculture et des travaux publics emportent un brevet de capacitécomme cultivateur et comme architecte (6).

Le ministre de l'agriculture et du commerce n'a et ne peut avoir aucuneimportance comme spécialité, et précisément à cause de sa spécialité.Il ne compte que par la voix qu'il apportera au conseil. Il est quelquechose comme homme politique, il n'est rien comme homme spécial ; car ilne trouve jamais une voix pour l'appuyer et on ne l'écoute pas, quandil vient défendre un intérêt agricole. A-t-il rien obtenu pourl'agriculture, a-t-il même tenté d'obtenir le redressement de sesgriefs nombreux, au sujet des laines, des lins et des chanvres, desgraines oléagineuses, des bestiaux et des chevaux étrangers, dessucres, des vins ? Lui a-t-il donné ces chambres consultatives, siunanimement réclamées et si nécessaires dans sa lutte contre l'actionhostile et continuelle de l'industrie et du commerce ? A-t-il mêmeapporté dans la discussion sur la police du roulage quelques idéesfavorables à l'agriculture, tendant au but annoncé de la loi, lasubstitution du cheval léger au cheval de gros trait ? Non. Il a laisséstatuer l'obligation d'un conducteur pour chaque voiture à deuxchevaux, disposition qui rend impossible l'adoption, dans la culture,des deux excellents petits charriots de Roville, attelés de deuxchevaux légers, et qui maintient le règne de la charrette, attelée d'unénorme cheval. Le ministre de l'agriculture, avocat ou marchand, tientson portefeuille, sous la condition d'appuyer le ministre dirigeant. Acette condition, on lui permet de rendre à l'agriculture 800,000 fr. enmédailles, gratifications, encouragements à des amis, sur les 1100millions de subsides, prélevés sur elle ; et cela fait, il a charge den'en parler jamais.

La direction du ministre de l'agriculture, quant à l'industriechevaline, c'est la production d'une cinquantaine de chevaux de course.La direction du ministre de la guerre, c'est la production du cheval deguerre qui doit passer avant tout : car les moyens de défensel'emportent sur tout dans un état indépendant. Dirigée dans un senspurement agricole, elle ne satisfait pas aux intérêts militaires etpolitiques, aux intérêts de sécurité et de puissance, aux intérêtsdominants du pays. Dirigée dans un but militaire, elle satisfaitégalement à tous les intérêts agricoles.

La direction du ministre de l'agriculture n'a rien de fixe, rien desubstantiel. C'est une action toute platonique, toute d'excitationssans portée, parce qu'elles sont sans avenir, sans conclusionapplicable, sans rémunération, sans débouchés. Le ministre del'agriculture ne peut placer un seul des chevaux qu'il cherche àproduire. La production entre ses mains est une chose purementabstraite sans corrélation possible avec les réalités. Il ne sait pas,il ne peut pas savoir le but à atteindre ; il est obligé de l'apprendrede son collègue de la guerre : et si les vanités s'en mêlent, commecela ne peut manquer d'arriver, il marche au hasard, à tâtons, au granddétriment du pays. Peu lui importe au fond qu'on produise peu oubeaucoup de chevaux, qu'on les fasse bons ou mauvais, dans telles outelles conditions, propres à telle ou à telle autre destination. Unefois sortis de ses mains, il ne les connaît plus, il ne les connaîtrajamais. Manquent-ils ? Il dira qu'on ne sait pas les chercher. Sont-ilsdéfectueux ? Il soutiendra qu'ils sont excellents. Sont-ils rejetés àcause de leur incapacité et de leur inappropriation ? Il s'épuisera enclameurs contre l'armée, contre son ignorance ou son mauvais vouloir ;et il demandera gravement qu'elle soit contrainte par la loi dehasarder la vie des hommes et les destinées de la patrie pour l'honneurdes chevaux qu'il aura cautionnés.

La direction du ministre de la guerre, au contraire, est sérieuse,effective, puissante, parce qu'elle résume les plus graves nécessitésdu pays. A une impulsion molle, hésitante, désarmée, se substitueraitune action ferme par l'autorité du commandement ; hardie, par laprécision et la netteté du but ; intelligente, par le concours detoutes les capacités ; éclairée par une expérience vaste etcontinuelle. Le ministre de l'agriculture n'est point écouté, quand ilréclame pour les haras, parce que ses réclamations ne représentent quel'opinion contestable de quelques personnes. Mais le gouvernement oules chambres oseraient-ils jamais prendre sur eux d'écarter, d'ajournerdes propositions, résumant les rapports de tous les corps de l'armée,étudiées, méditées, élaborées par des comités et des commissionsd'officiers généraux, quand le ministre de la guerre viendrait dire,qu'à ces propositions sont attachées la sûreté et l'indépendance dupays ? Ils ne l'oseraient pas : on n'assume pas sur soi une telleresponsabilité. Les haras, nous en sommes convaincu, possèdent desspécialités précieuses ; mais elles y sont isolées, ignorées et sanscrédit. Placez les haras sous la tutelle de la guerre, et cesspécialités se font jour et se fortifient de tout ce que le vastethéâtre où elles montent réunit lui-même de juges et de lumières.

Sous le point de vue financier, la nécessité de cette réunion devientplus frappante encore. La puissance d'action des haras est circonscritepar les limites d'un budget spécial. Avec un revenu de plus de deuxmillions, ils n'entretiennent que 900 étalons. Ils ne disconviennentpas que ce nombre ne soit insuffisant : mais ils répondent, nousn'avons pas plus de fonds ; et la réponse est sans réplique.

La guerre, elle, dispose d'un personnel immense, impérieusementnécessité par la constitution de ses cadres permanents, et dont ellepeut attacher une partie à tel ou tel service spécial, sans troubler enrien l'économie et l'existence des corps. Ce personnel lui permet dedoubler, de tripler le nombre des étalons, sans autres frais que leprix d'achat et un supplément de ration pour les étalons ; en sorte quel'étalon, qui coûtera aux haras plus de 2,000 fr. par an, coûtera moinsde 400 fr. à la guerre.

Le système des stations adopté par les haras et que leur constitutionactuelle ne permet pas de changer, est vicieux de tous points. Lesétalons y sont abandonnés à des palfreniers ignorants et souventinfidèles, sous la surveillance d'un propriétaire rarement instruit,toujours indifférent, ne portant au succès de la station qu'un intérêtborné à celui de ses juments, donnant à qui les lui demande, les cartesde saillies, signées en blanc par le chef du dépôt, et rarement bonjuge des accouplements, dont il se montre soucieux plus rarement encore.

Les ressources de la guerre lui permettent de substituer, à cedétestable système, celui des tournées dans une circonscription donnéeet d'après un itinéraire arrêté et publié d'avance, de façon qu'aucunobstacle n'empêche les juments vues et agrééesd'être servies sans déplacement pour elles, et toujours sous les yeuxdes officiers, exerçant le droit de choix avec d'autant plusd'autorité, que le saut serait gratuit.

Le saut gratuit, le service sans déplacement ni dépense pour lepropriétaire, permettront d'imposer, comme condition, la représentationà la saillie des pouliches à naître, et assureront ainsi plusieursdegrés successifs d'amélioration ; tandis que les pouliches, un peuaméliorées, étant vendues aujourd'hui, il faut sans cesse recommencer ànouveaux frais un édifice, renversé à mesure qu'il s'élève.

Mais, l'acte de la production accompli, toute puissance d'améliorationcesse aujourd'hui de la part des haras. Ils conviennent que le pluspuissant encouragement se résume dans le placement des produits, et ilss'avouent impuissants à faire vendre un seul cheval. De là leursplaintes contre le ministre de la guerre, qui, disent-ils, se refuse àles acheter.

Or, c'est ici que réside l'efficacité toute-puissante de l'interventionde la guerre. Que les haras passent dans les attributions de cedépartement et tout est changé. Les dépôts d'étalons deviennent en mêmetemps dépôts de remontes ; les dépôts de remonte, dépôts d'étalons. Ledébouché s'ouvre partout à côté de la production. L'officier qui aprésidé à la production reçoit de l'Etat la mission, plus importanteencore, d'acheter les produits qu'il a fait naître, et de répandre surles éleveurs le seul encouragement efficace pour eux, le seul capablede soutenir et de rétribuer leurs efforts. De là naît pour lui undouble devoir : envers l'armée, à la bonne composition de laquelle ilconcourt puissamment : envers l'agriculture, qu'il vivifie et encouragepar les moyens que l'intérêt public confie à sa sollicitude. Or, cettemission est aussi facile pour lui qu'elle est agréable. N'ignorant riende ce qui concerne les étalons, les juments, les circonstances locales,les usages et les méthodes du pays, en rapport de confiance et debienveillance mutuelles avec les propriétaires, rien ne lui échappe detout ce qui peut faciliter de bons choix ; et s'il était vrai que, dansla pratique, quelque circonstance eût paralysé le bienfait des dépôtsde remonte, de cette institution qui a fait dire : « Jamais on n'avaittant fait pour l'industrie chevaline ; jamais on ne s'en était occupéavec une bienveillance plus prévoyante, » ces circonstances auraientdisparu sans retour.

Mais ce n'est pas seulement le cheval de remonte, dont cetteintervention du ministre de la guerre assurera le débouché avantageux,le bienfait de cette intervention s'étendra également au cheval de luxe; car on peut être assuré qu'il ne partira jamais d'officier decavalerie, chargé de ramener des remontes à son corps, qu'il ne soitchargé en même temps d'acheter tous les chevaux d'officiers nécessairesau régiment. La certitude de rencontrer de la bienveillance et del'empressement chez le chef du dépôt de remontes réunies à uneconnaissance parfaite de sa circonscription, ne permet pas d'en douter.Les propriétaires, avertis par lui, amèneront leurs chevaux de luxe ;et il se rendra d'autant plus volontiers arbitre officieux de lanégociation, qu'il connaîtra mieux les races, les qualités des chevaux,le système suivi dans leur éducation, et qu'il pourra, avec plus decertitude, préjuger de leur avenir.

Ainsi renaîtra, sous l'heureuse influence du ministre de la guerre,l'élève du cheval de luxe que nous avons démontré être le plus puissantvéhicule, et le seul vraiment efficace de l'industrie chevaline.

Et quels motifs seraient donc assez puissants pour retarder pluslongtemps la réalisation de tant d'heureux résultats également certainset faciles à obtenir. Il y a 16 ou 17 ans que nous soutenions cettemême thèse, contre M. Sirieys de Mayrinhac, dans une polémique animée ;mais les idées n'étaient pas encore faites, et notre propre convictionétait plutôt un pressentiment qu'une certitude. On nous opposaitl'intérêt des races de trait, que le ministre de la guerre pourrait nepas prendre avec le même soin que le ministre de l'intérieur. Maisaujourd'hui que ces races sont prospères sans aucun appui ; aujourd'huiqu'on sent même la nécessité de les modifier, en les rapprochant desespèces légères, quel prétexte peut-il rester pour s'enfoncer toujoursdavantage dans la voie fausse et fertile en désastres où l'on estengagé ? Nous le déclarons hautement, au nom de l'estime que nousavions pour l'honorable adversaire que nous citions tout à l'heure, aunom de la vénération que nous conservons à sa mémoire, sa loyauté luiaurait fait accepter aujourd'hui ce qu'il repoussait alors Il n'yaurait donc que le soin de quelques positions, qu'il n'est pas questiond'attaquer cependant, que l'amour de l'indépendance qu'elles procurent,que la crainte de changer un petit horizon sans nuages contre unthéâtre plus vaste et d'y rencontrer des juges, au lieu de bénévolesapprobateurs, qui pourraient retarder cette amélioration si désirable.Mais, non ! il n'en sera pas ainsi. En faisant un retour surl'impuissance radicale qui a frappé toutes leurs tentatives depuisvingt-huit ans, et annihilé, avec les sommes énormes qu'ils ontabsorbées, les éléments mêmes sur lesquels ils ont eu à opérer, leschefs de l'administration des haras ne voudront pas achever leurcarrière comme ces bons propriétaires qui ne vendent pas, nedémolissent pas, ne détruisent pas, mais aussi qui ne réparent pas,n'améliorent pas, ne plantent pas et qui finissent par laisser à leursenfants un bien obéré et en décret. Il nous aideront eux-mêmes àchanger une situation compromettante ; ou leur refus serait unenégation des services qu'ils sont appelés à rendre au pays.


Ecole des haras au Pin.

Cet espoir que nous nourrissons avec bonheur devrait nous dispenser deparler de la création baroque d'une école spéciale des haras établie au Pin, département de l'Orne. Mais nous avons promis de ne rien laisserderrière nous, et nous devons achever de remplir notre tâche.

Le goût du cheval est inné dans l'homme. C'est le premier qui semanifeste chez les enfants. Mais il passe après la première jeunesse,et il survit rarement aux distractions du monde et des affaires. Cegoût est dans toute sa chaleur, lorsque les jeunes officiers decavalerie quittent l'école militaire pour entrer dans les régiments.Là, l'équitation est la grande, la principale affaire. On monte àcheval du matin au soir et toujours avec une satisfaction plus vive. Onest envoyé à l'école de cavalerie ; et dans cette nouvelle phase de lacarrière, on est entièrement absorbé par la science du cheval danstoutes ses parties. Enfin, on rentre au régiment ; on sert dix ans,vingt ans, davantage. Eh bien ! demandez aux inspecteurs généraux decavalerie, dont la profession est de voir sans cesse et d'étudier lestroupes à cheval, en quelle proportion se trouvent, dans les régiments,les hommes qu'on peut réellement appeler hommes de cheval,c'est-à-dire les hommes chez qui le goût dominant, qui a présidé auchoix de leur carrière, n'a pas cédé aux plaisirs et aux distractionsdu monde, et s'est, au contraire, nourri et fortifié par une pratiquecontinuelle. Ils vous diront : deux, trois, quatre au plus parrégiment. Le reste des officiers de cavalerie monte bien à cheval etpossède tout ce qu'il faut savoir pour remplir parfaitement leur état.Mais entre savoir cela et être un véritable homme de cheval,c'est-à-dire, être écuyer avant tout et par-dessus tout, il y a uneextrême différence. La science hippique exige beaucoup d'études et deplus une aptitude particulière, une organisation toute spéciale. Ilfaut qu'une passion décidée soutienne le cavalier dans ces études, lesféconde et lui en incorpore en quelque sorte les fruits. C'est un artqui exige qu'on soit né artiste, et non qu'on le soit devenu.

Ceci posé, qu'est-ce que l'école des haras établie au Pin ? C'est uneécole que des jeunes gens sans antécédents, sans initiation, sansvocation et sans épreuve fréquenteront pendant trois ans, comme on va àl'école de médecine ou à l'école de droit. Ils y apprendront lamédecine vétérinaire, la science agricole, et s'ils le peuvent,l'équitation, comme on apprend tout cela en trois ans. Ils neconnaîtront qu'un seul pays, qu'une seule race de chevaux, qu'un seulsystème d'éducation. Ils ignoreront profondément tout ce qui, dans lanature, influe sur les espèces, les modifie, les améliore ou les faitdégénérer. Ils seront pauvres de science, riches de suffisance et defatuité ; et c'en sera assez pour écrire, et pour annoncer avec unecandeur juvénile, que la lumière s'est faite avec eux, qu'ils vontdébrouiller le cahos, et créer de nouvelles espèces, plus fortes et plus utiles.Après trois ans d'école, avec le secours d'une vingtaine de motsbarbares, on sera, par brevet, passé maître ès-science hippique etdéclaré seul apte à gouverner un haras royal, à diriger la production,par préférence surtout aux officiers de cavalerie, eussent-ils passétoute leur vie à cheval, et fussent-ils devenus des d'Abzac, desNestier et des Boisseul.

Ce projet, nous n'hésitons pas à le dire, est un prodiged'outre-cuidance bureaucratique. L'usage immémorial avait consacrél'aptitude et la spécialité, pour cette carrière, des officiers sortisdes pages et des écuries du roi. Napoléon avait lui-même recherché ceshommes pratiques, lorsqu'il reconstitua les haras ; et il avait vouluque les emplois, à l'avenir, fussent donnés aux officiers des troupes à cheval, ayant les connaissances requises.Il n'avait pu faire davantage ; car, jusqu'alors, on s'était toujoursbattu ; et la guerre fait des casse-cous et non des écuyers. Et c'estaprès vingt-huit ans de paix, lorsque l'école de Saumur et les camps decavalerie ont porté très haut l'instruction des officiers des troupes àcheval, lorsqu'il y en a un si grand nombre qui ont acquis de grandsdroits aux récompenses publiques, en sacrifiant leur santé et leuravenir, à remplir avec un zèle admirable le dur métier d'instructeurs,qu'on prélève sur le service que la loi et la raison leur réservaientpour retraite, les fonds qui leur étaient destinés, pour leur en murerl'entrée !

Certes, jamais le génie des hommes de plume n'avait rien inventé depareil. Et qu'invoque-t-on pour motiver cette ridicule création ? « Ilfaut que l'administration y trouve à l'avenir une pépinière de sujetsdistingués qui réunissent, au savoir hippique, les connaissancesagricoles. Ces élèves deviendront d'une grande ressource dansl'administration des domaines des haras ». Comme on voit, ce n'est paspour former des vétérinaires ; il en sort en nombre suffisant desécoles publiques, et nos villages mêmes en sont pourvus. Ce n'est paspour avoir des écuyers, il n'est personne qui ne sache qu'on ne ledevient pas en deux ou trois ans. C'est donc pour administrer lesdomaines des trois haras royaux. M. Sirieys, page 79, estime lesrevenus du Pin en régie à 25,000 fr. Pompadour et Rozières ne valentpas vraisemblablement davantage. S'il ne s'agit que de faire deschevaux comme autrefois, on n'a pas besoin de donner à ces futursadministrateurs une si haute science agricole. L'agriculture d'un haraset d'une pâture est la chose la plus simple du monde et la plus viteapprise. Nous ne supposons pas que pour la plus prompte propagationde l'espèce chevaline, on juge à propos de substituer au régimepastoral des haras, la culture des lins, des colzas, des céréales, desbetteraves et des topinambourgs ; de tenir des moutons et des bêtes àcornes, d'engraisser des porcs, etc.; ce serait trop de besogne pour unhomme de cheval ; et sans créer d'école spéciale, trois économes, filsinoccupés d'habiles cultivateurs, pour 1500 fr. par an, feraient toutcela, avec ou sans brevet de capacité, mieux que tous les élèves desécoles d'agriculture.

Ce n'est donc là qu'un prétexte ; et quelque neufs que nous supposionsles auteurs de ces élucubrations, en fait de science hippique et descience agricole, leur dépaysement ne va pas jusque-là. Ecoutons leconseil d'agriculture : « L'administration des haras, dit-il, avec unecandeur qui ne soupçonne pas le mal, doit être et rester à toujoursdans les attributions du ministre de l'agriculture, et devenir de jouren jour plus agricole. Le moyen le plus efficace pour arriver à cerésultat, est de donner un nouveau développement et une organisationplus complète à l'école des haras ». M. de Torcy ajoute, page 46 : «Cette école doit « devenir la pépinière obligée du personnel administratif ».

Ainsi, chasser les officiers de l'armée, distingués par leur savoir etleurs longs services, des positions que la loi leur assure, et réserverces positions à de jeunes adolescents, fils, neveux ou cousins desfonctionnaires de l'administration et de ses bureaux, voilà le but decette création : car, on peut bien présumer que les juges, choisisparmi les hommes de l'administration, ne trouveront de capables, auxexamens, que la lignée ou la clientelle administrative. Ainsi, un desservices les plus importants de l'Etat, doté d'un budget de deuxmillions, qu'on propose même d'augmenter, jouissant de beaux domaines,de maisons et de châteaux, de prés, terres, étangs, bois et jardinsavec tout le confort à ce attaché, serait inféodé à la petite familleadministrative des haras.

En peu de jours, il eut au fond de l'hermitage
Le vivre et le couvert ; que faut il davantage ?

Qu'on y prenne garde il est temps d'arrêter l'esprit envahisseur de labureaucratie, qui marche à grands pas vers un ordre de choses oùpersonne ne veut aller. Dans toutes les administrations, les filssuccèdent à leurs pères avec une facilité qui n'est pas sans danger. Onmultiplie les formalités dans tous les services, pour embrouiller lesaffaires et multiplier les employés. Les affaires obscurcies et renduesinintelligibles, appellent le secours des hommes spéciaux,c'est-à-dire des auteurs de toutes les obscurités, seuls possesseurs dela clef du grimoire administratif. Et puis, au moyen des écolesspéciales, on concentre les services dans les familles qui lespossèdent. Quelques milliers d'individus, sortis on ne sait d'où, pourla plupart boursiers de collèges et élevés aux frais de l'Etat,envahissent tous les emplois et nous préparent une féodalité nouvelleet héréditaire. La chose est risible, mais elle n'a pas moins son côté sérieux.

De semblables idées n'habitent heureusement qu'un petit nombred'esprits ; et nous sommes loin de croire, que leurs adeptes forment lamajorité des haras. Que ceux donc qui, dans ce corps estimable, ne lespartagent pas, se joignent franchement à nous pour les proscrire.Aujourd'hui, que la France est tenue éveillée par les événements de1840, elle ne saurait vaincre ses alarmes légitimes et sa justerépulsion. L'état d'impuissance où se trouve réduit un de ses plusimportants services, après les sacrifices énormes qu'elle s'estimposés, appelle à grands cris une réforme. Les haras trompaient lepays, lorsqu'ils lui promettaient un brillant avenir ; ils letrompaient, lorsqu'ils assuraient qu'il existait des ressourcessuffisantes pour les besoins militaires, pour le maintien de notreindépendance et de notre dignité; ils le trompaient encore, lorsqu'ilsdéguisaient le vide et l'inanité de nos existences chevalines, sous levoile d'un mauvais-vouloir prétendu de l'armée et de l'administrationde la guerre. Nous accordons que ces illusions ne fussent pasvolontaires, et que les haras les partageassent. L'infirmité d'unesituation excentrique, dépourvue de vues militaires et politiquesexplique leur erreur. Mais aujourd'hui, que l'expérience et ladiscussion ont éclairé les périls de cette situation, que les haras yréfléchissent sérieusement: la culpabilité commence où l'illusion finit.


NOTES :
(1)Si l'élève des chevaux de luxe était soutenue par un placementavantageux, ce commerce de poulains cesserait entièrement ; car lesmâles seraient conservés pour la vente et les pouliches pour laproduction. Les propriétaires ne s'en défont que par la certitude den'en pas tirer plus tard le petit bénéfice qu'ils en tirent à cet âge.
(2) Le comte de S. ayant eu des motifs pour faire un établissement àPrague il y a quatre ans, nous a raconté qu'il avait acheté 10 chevauxhongrois, fort présentables au prix de 250 fr. pièce.
(3) La loyauté de M. de Torcy l'a fait revenir plus tard de cettesévérité. Il dit, en parlant au nom du comice hippique : « Ce système aquel que chose de séduisant pour les propriétaires ou éleveurs ».
(4) On nous signale un fait décisif à l'appui de tout ce qui vientd'être dit. Dans les circonscriptions de Pau et de Tarbes, l'achat despoulains par le département de la guerre avait élevé de 50 pour % lenombre des saillies. Ce nombre est retombé fort au-dessous du chiffreprimitif, depuis que les chambres, à la sollicitation del'administration des haras, ont refusé les fonds destinés à de nouveauxachats.
(5) C'est là précisément ce qui a lieu en 1840.
(6) Beaucoup de personnes, principalement parmi les cultivateurs,prenant les mots, non pour ce qu'ils valent, mais pour ce qu'ilssemblent dire, paraissent disposées à croire : 1° Que l'agriculturetrouverait une protection efficace dans la création d'un ministèrespécial ; 2° que l'intervention du ministre de la guerre amènerait desréquisitions et autres actes arbitraires. Ces deux opinions sontégalement erronées. Le ministre de la guerre, quelque influence qu'onlui suppose dans le conseil, ne peut, pas plus que ses collègues,abuser de la force qui repose entre ses mains ; et si le cas échéaitd'une extrémité telle, qu'il fallût recourir à des réquisitions, quelmoyen le ministre de l'agriculture aurait-il d'empêcher l'exécutiond'une mesure arrêtée en conseil, et à laquelle tous les ministresauraient concouru au même titre ? Quant à la protection espérée d'unministre spécial de l'agriculture, l'illusion n'est pas moins forte. Ceministre comprendrait-il les intérêts agricoles (ce dont il est permisde douter), fût-il animé d'un beau zèle, comment, lui, dixième etdernier en importance politique, réussirait-il à le communiquer à sescollègues, représentants nés des intérêts tout commerciaux, selonlesquels notre société est organisée. L'agriculture possède enelle-même un appui plus solide que l'appui éphémère qu'elle peuttrouver en un homme, quel qu'il soit. Qu'elle se pénètre enfin de lapuissance que lui donnent son nombre, sa richesse, sa part dans letravail général du pays ; et qu'elle se donne, par son union, ce qu'ona refusé jusqu'ici à son état de disséminement.