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Laplus belle femme de Belgique. Album officiel du concours debeauté organisé par « LaDernière Heure ».-Bruxelles : La Dernière Heure ; Paris : Comoediaillustré, 1921.- 6 p : 22 portr ; 32 x 25 cm.

Numérisationet relecture: Olivier Bogros pour la collection électronique de laMédiathèque André Malraux (04.IV.2005).
Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex
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Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros]obogros@ville-lisieux.fr
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Diffusionlibre et gratuite(freeware)

Texteétabli surl'exemplaire d'une collection privée.


La plus belle femme de Belgique

La plus belle femme de Belgique

Pourquoi et commentfut élue la plus belle femme deBelgique

AL’ÉTRANGERà Londres ou à Paris, lecaractère de labeauté belge est peu connu. Quand on en parle, on remonteà la Flamande destableaux de Rubens, à Hélène Fourment,opulentefleur de chair, grasse et rose.Cependant Hélène Fourment, épouseRubens,florissait il y a trois cents ans. Entrois siècles, une race évolue. Il serait tempsqu'uneeffigie plus moderne etplus exacte se substituât à un type devenuconventionnel.Le mystérieux idéalque chacun de nous porte en soi n'a plus rien de commun avecl'idéal destruculents peintres de la Renaissance flamande.

Quelleque soit l'impérissable gloire de ceux-ci, laBelgique a continué de vivre, et vivre, c'est setransformer. LaParisienne denos jours ne ressemble aucunement à Diane De Poitiers ou auxlongues nymphescharnues de Jean Goujon. La beauté anglaise est fort loind’Anne Boleyn et desrobustes commères d'Henri VIII. Ni l'Italie d'Annunzio nes'incarnerait dansune femme du Titien, ni l'Espagne d'Alphonse XIII dans une infante deVélasquez. La race belge n'a aucune raison pourêtre plusstationnaire que lesnations voisines.

Seulement,avouons-le ! nous-mêmes n'entrevoyons pasencore bien nettement le type national qui se dégage dessilhouettesmultipliées autour de nous dans les salons et dans les rues.Demandez à vospeintres de vous le fixer, ils seront tout aussiembarrassés, ouplutôt chacunle dessinera à sa fantaisie ! Où est la vraieBelge :Est-ce Jef Lambeaux quil'a entrevue, est-ce Vinçotte ou Samuel ? VictorRousseaula voitextatique et émaciée, alors que ConstantinMeunier lavoyait osseuse ethommasse. Fernand Khnopff ou Rassenfosse ne peignent pas lamêmeBelge queFirmin Baes.

Certes, on neréduira jamais plusieurs millions de femmesà un modèle ; il en faut pour tous lesgoûts.Mais le génie de l'espèce -pour parler un peu pédantesquement comme Schopenhauer -ayantpour but suprêmela reproduction de celle-ci, vise sans cesse à ramener leproduit des types extrêmesvers un type moyen, qui sera le mieux adapté aux conditionsdetelle époque etde tel milieu. Quel est le nôtre ? Nous ne pouvons le savoirqu'en interrogeantun très grand nombre de gens, et en prenantl'idéal de lamajorité.

De làl'idée du concours des cinémas, dont cet albuméternisera le souvenir.

On areproché à de pareils concoursd'éveiller lacoquetterie. Mais la coquetterie est-elle undéfaut ? Lanature a sesraisons pour mettre au fond du coeur féminin ledésir deplaire. La beautémasculine s'entretient par l'émulation des sports violents.Labeauté fémininen'a pas cette émulation. Il lui en faut une autre. Elle latrouve dans latoilette et la parure.

Cependant cetterivalité de rubans et de colifichets,toute superficielle, peut abriter des corps malingres oudéguiser des traitsinharmonieux. Les seuls concours valables et probants ne seraient-ilspas lesconcours de beauté nue ?

Non. D'abord ilssont inadmissibles. Ensuite, ils sontanachroniques. La femme moderne n'est jamais nue. La robe fait partiede soncharme. La beauté de l'animal ou de l'oiseau ne secomprendraitpas sans sonpelage ou son plumage.

Ontrouvera ici les vingt et une candidates qui furentpartagées, pour le vote, en trois séries : Lapremière afficha des noms de dentelles: C'est entre l'Alençon, le Venise, la Malines, leBruges, leChantilly, l'Argentan et la Valenciennes que l'électeur futinvité à choisir.La seconde semaine vit défiler la série deshéroïnes d'Opéra : Mireille,Salambô, Louise, Salomé, Hérodiade,Lakmé etGwendoline. Enfin les figurantesdu troisième tournoi portèrent, comme dans les Mystèresdu Moyen âge, lesnoms symboliques de Modestie, Gaîté, Franchise,Probité, Tendresse, Amabilitéet Douceur. Ce fut la série dite des Qualités.Je mehâte de spécifier que,chacune des candidates étant supposéepossédertoutes ces vertus réunies, nousn'avions point l'outrecuidance de décerner ici un brevet demodestie ou dedouceur à l'une plutôt qu'à l'autre.Dieu nous engarde ! Nous faisions unconcours de beauté physique, non de beautémorale. Cellequi arbora Gaîtélefut peut-être bien une mélancolique ; et celle quiarbora Tendressen'étaitpas nécessairement plus tendre que ses rivales. Demême,la Louisede notresérie des héroïnes d'Opéran'est pas, dansnotre pensée, plus ingénue que Saloméou Hérodiade.Ce furent là desétiquettes conventionnelles, pouréviter la sécheresse d'un numérod'ordre.

Oncompte quatre millions de femmes belges, dont on peutcalculer qu'une sur cinq, environ, est dans cette primaverade la vieoù lecorps humain donne sa fleur. Les huit cents candidates qui ontspontanémentcomparu devant notre jury, représentaient donc unepremière sélection aumillième. Les vingt et une qui furent retenues pourl'écran, seconde sélectionau quarante millième, n'étaient pas toujours etd'unemanière absolue les plusbelles. Nous obéissions au désir deprésenter aupublic toute la gamme destypes possibles. A voir comme les votes se partagèrent onsaisira mieux la nécessitéde ce large éclectisme.

Mais,à partir de cet étage de la pyramideoùsiègent lesvingt et une, aucune autre considération n'entrait plus enjeu,que la beautépure ! Ni les petites admirations familiales, ni le respect de lavariété destypes ne pesaient plus dans la balance. L'instinct de la race allabrutalementvers son idéal, et l'on comprend l'immense et enivranteflatterie qu'un pareilhommage peut représenter pour les trois Elues. II y alàun triomphe quidépasse démesurément tous lessuccès desalon.

Aussi,ne vous cèlerai-je pas que durant les élections,plus d'une en maigrit d'émotion. Une Liégeoise -qui dirajamais si c'était laplus orgueilleuse, ou au contraire la plus tremblante - nous l'avouaitsanshypocrisie :

-Endeux mois, j'ai maigri de cinq kilos... Je ne mangeplus  !

Labeauté a ses martyrs. Elle a aussi sespersécuteurs.Si étrange que cela paraisse, il y a, en Belgique, defarouchesennemis de labeauté. Une de nos candidates les plus radieuses, quiappartientà une famillebourgeoise très honorable et aspirait à entrerdans unedes grandesadministrations de l'État, se vit mander - au lendemain dujouroù saphotographie parut dans les colonnes du journal - par un hautfonctionnaire decette administration :

-C'estvotre portrait ?

-Oui,monsieur.

- Alors,mademoiselle, il faut choisir. L'administrationne saurait tolérer qu'une de ses fonctionnaires participeà un tournoi debeauté. Si vous n'envoyez sur-le-champ votre lettre dedésistement à ce concours,j'aurai le regret de vous rayer du nombre de nos postulantes.

Lepère de la jeune candidate,très ému, vint plaiderauprès de ce sauvage la cause de sa fille, expliquer autroglodyte la parfaitedécence de notre tournoi. Rien n'y fit. Le haut mandarinmaintint son veto :Une petite fonctionnaire n'a pas le droit d'être belle. C'estprobablement uneinsulte à la hiérarchie.

Lafamille de la persécutée dût choisir.Elle a choisileconcours. Et elle eut raison, puisque Mlle Rose Printemps futl'élue de sasérie.

Lepublic vota en foule. Quel est le Belge, en effet, quecette élection pouvait laisser indifférent ? Nousneparlons pas des prix enargent récompensant le bulletin qui s'accorderait le mieuxavecle classementgénéral. Il y eut l'ambition plus haute decollaborerà ce classement,d'orienter le verdict du suffrage universel vers la perfection quiincarnait lemieux notre idéal personnel. Chacun devait se dire :

-Voicila mienne, voici la forme de mes rêves, l'effigiehumaine à qui je voudrais confier la perpétuationde marace à travers lessiècles !

 Ainsiraisonnèrent les hommes. Cependant, les femmesaussi votèrent. Les unes, les humbles et lesrésignées, dans l'illusion des'identifier un instant à la triomphatrice,votèrent pourla beauté qu'ellesauraient voulu avoir elles-mêmes. L'écran leurrenvoyaitl'image qu'ellescherchent dans leur miroir avec un soupir de regret :

- Si je pouvais memodeler à ma guise, voilà comment jeme serais créée. Ce nez, cette bouche, cettecarrure etcette cambrure, cetteépaule et cette gorge, si je les avais, je me trouverais laplusbelle femme dumonde. Il est juste que je les admire chez autrui.

Mais d'autres, quis'estiment davantage, qui se comparent in pettoaux candidates et qui lisent dans les yeux d'un mari ou d'unfiancéla certitude énivrante de leur propre séduction,votèrent pour l'élue qui leurressemblait afin de pourvoir dire négligemment au mari ou aufiancé :

-Tu netrouves pas que la plus belle femme de Belgique aquelque chose de moi ?

De tous cescalculs secrets, s'est formé l'idéalnational. Le visage collectif de la Belgique, ce visagemystérieux qu'aucunpeintre, qu'aucun sculpteur n'a jamais traduit, il sort de lacollaboration deces milliers de cerveaux ! L'artiste muet que chacun de nous porte ensoi,incapable de créer, mais capable de reconnaître laformevivante de son rêvequand elle vient au-devant de lui, a parlé. Aprèscommeavant l'élection, nousgardons chacun nos préférences intimes,ça va desoi, mais la patrie a priscorps.

Dès que cesadmirables photographies eurent paru dans lescolonnes de la Dernière Heure,je puis dire aux Belges, moiqui habite Paris,que leur perfection ébahit les Parisiens. C'est plus qu'uneglorification de larace, c'est une révélation !

- Comment ?me disait hier un peintre français, vousavez des beautés pareilles en Belgique ? Cetéclat, ceschevelures royales, cesyeux splendides, ces nez fins, ces ovales     aristocratiques ? Jene m'en doutais pas...

Non.L'étranger ne s'en doutait pas. On ne classait pointla Belgique parmi les races laides, certes ! C'était pire :lepeuple dont onne dit rien. Quelques touristes, ayant voyagé dans nosFlandresou dans nosArdennes, m'avaient bien concédénégligemment :

- Il y a de joliesfilles en Belgique...

Mais «jolies », sans plus ! Personne ne se serait aviséde placer la femme belge sur le rang des Parisiennes, des Anglaises,desAméricaines, des Espagnoles ou des Italiennes. Dans cedomaine,comme autrefoisdans le domaine politique, la Belgique était neutre.

Si elle fitsagement de sortir de sa neutralitépolitique, l'avenir le lui apprendra. Mais elle peut dire adieuà sa neutralitéesthétique. Après ce concours, il y aura quelquechose dechangé dans le domainede l'art : Une race nouvelle, éblouissante, sera venues'asseoirdans l'Olympe,au milieu des déesses consacrées. La beautébelgeson entrée !L'albumdes vingt et une concurrentes est assuré de rivaliser avecl'album français,pourtant fort beau, et peut-être de l'éclipser.

Mais,quoi qu'il fasse, l'oeil humain ne peut s'égarersur une variété de types. D'instinct, ilsimplifie.Toutes les saintes del'Église, pour l'oeil des catholiques, sont sans visage.Seulela Madoneirradie, attirant sur elle toute la lumière du Paradis. Demême, dans unesphère plus humblement réaliste, nous ne pouvonsimploserà l'oeil des artistesétrangers vingt et une personnifications de la race belge.L'élue du referendumdes Cinémas portera seule la bannière nationaledans ces« Olympiades » dela beauté, auxquelles la Côte d’azur,l'hiverprochain veut inviter leschampionnes de toutes les nations dans un espèce de tournoi.

Cesinvitations, ces défis plutôt, ontétéacceptés.I,'Amérique du Sud se prépare àdéléguer à Nice l'Argentine au charmehautain,la Brésilienne éclatante et lourde de soleilcomme unefleur de magnolia, laPéruvienne dont la langueur créole estcélèbre ! La Turquie, l'Arabie,l'Inde mystérieuse enverront dans la lice leurschevalières voilées, dont leheaume de mousseline pour la première fois seralevé !

LaFrance, soucieuse de ne pas perdre sa royautéreconnue, ne s'en fie pas au concours parisien, d'où sortitl'élue charmante del'hiver dernier. Elle recommence ce concours sur une échelleplus vaste :quarante-neuf jurys ont fonctionné cetété dansles provinces, des Pyrénées auxVosges, des Alpes aux plages normandes et bretonnes. Ce fut unelevée en massede toutes les Françaises en état de porter lesarmes deVénus. Non plus Vénus-Aphrodite,mais Vénus casquée et fière,souveraine des hommeset des dieux, « Venusgenitrix » aussi, d'où doit sortir unerace humaineplus parfaite que lesraces vivantes d’aujourd’hui !

Leverdict suprême fut proclamé le 30 janvier.


Parunpourcentage de 366 sur mille(contre 355 à «Louise » et 279 à« Franchise »), ilsacra la reine des Dentelles, Mlle Anny Duny,née à Roulers le 7 mai 1902, jeunebeautéflorissante aux larges yeuxcouleurs de nos mers du Nord, et blonde !

Blondes, ellesl'étaient d'ailleurs toutes trois, commetoutes trois avaient de dix-huit à dix-neuf ans. Mais entreuneLimbourgeoiseaux veux bleus (Mlle Dolly) et une Bruxelloise aux yeux bruns (MlleRosePrintemps), la préférence de la foule estalléeà une Flamande aux yeux gris.De même entre la beauté mignonne (1 m60) et ladéesse sculpturale (1 m80), lafaveur populaire a choisi la femme de stature intermédiaire: 1m70.

Electiondisputée, où chacune faillit, comme vous voyezse partager le tiers des voix, ce qui semblerait donner raisonàceux quiprétendent que la beauté est affaireindividuelle. Lesélecteurs qui préfèrentMlle Printemps, et ceux qui préféraient MlleDolly,restent évidemment libresde maintenir que la mutine Minerve de Hasselt ou l'imposante Junon deBruxelles, continuent à leur paraître plus bellesque laVénus de Roulers.Ainsi, moi, je puis l'avouer aujourd'hui sans inconvénient,j'avais voté pourla beauté majestueuse d'un mètre quatre-vingts.Jesouhaitais secrètement quela petite Belgique se symbolisât aux yeux del’Europe, dansune magnifiquecréature. A charme égal, j’admirais lagrandeur.Mais, comme ceux qui votaient,au contraire, pour la plus mignonne, nous devons tous nous inclinerdevantcelle qui, ayant charmé la majorité de sescontemporains,incarne mieux l'idéalnational.

Nous remercionsici les vaillantes jeunes tilles qui sontentrées en lice tout en sachant que l'écran duCinéma, quand on l’affronte sansfard et sans les artifices qu'emploient les professionnelles du film,est uneépreuve et non une coquetterie. L’album leurapportera larécompense d'uncourage, où la vanité n'avait aucune part - cesont, aucontraires lesvaniteuses qui s'abstenaient ! - mais le patriotisme le plusnobleet plusélevé ! Elles ont mérité defigurer danscette galerie durable où la raceapparaît avec un tel éclat. Autour de Mlle AnnyDuny, dontl’album couronnel'éblouissante royauté, vingt sourires nousrévèlent les vingt manières dontune femme belge peut être gracieuse et enchanteresse.Souhaitons-leur, commedans les contes de fées, qu'après avoirépousé le prince charmant de leursrêves, elles soient heureuses et aient beaucoup d'enfants !Cardes graines deces fleurs -si l'on apportaità lasélection des races humaines le même scrupule,hélas ! qu'à celle des plantes -pourrait naître le plus beau peuple de la terre!

Maurice de WALEFFE.