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DEVILLE,Etienne(1878-1944) : Introductionau sixième volume du Catalogue[général] des livres de laBibliothèque de Etienne Deville (1942). Saisie dutexte : O. Bogros pour lacollectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (27.II.2006) Relecture : A. Guézou. Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros]obogros@ville-lisieux.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusion libre et gratuite (freeware) Orthographe et graphie conservées. Texte établi sur l' exemplairemanuscrit de la Médiathèque. Introductions au sixième volume (Suppléments 5 à 8) du Catalogue[général] des livres de la Bibliothèquede Etienne Deville ~ * ~Aujourd’huiDimanche, 20 Décembre 1942,j’écris l’Introduction de cesixième volume qui servira de préface auxprochains suppléments s’il y en a. Les sentiments qui m’anime ne sont guèreenthousiastes pour une telle besogne. La vie, de plus en plus difficile, rendue odieuse et insupportable parsuite de l’occupation de notre malheureux pays par unesoldatesque arrogante et exigeante, fait qu’on sedésintéresse absolument de ce qui, autrefois,était pour moi un charme et un enchantement. Mes pauvres livres s’entassent les uns sur les autres, fautede place, et c’est à peine si je les ouvre, detemps à autre, sans jamais m’arrêterà quelque chose de définitif. Je ne lis plus, je ne travaille plus, je n’ai plus degoût pour les choses de l’esprit et mêmeun beau livre ne provoque plus chez moi l’emballement dejadis. La cause de ce brusque changement, je la connais, mais àquoi bon en parler. Peut-être, quelque jour, lorsque les choses seront remises aupoint, je reviendrai vers mes livres, les vrais seuls amisconsolateurs, toujours disposés à vousêtre agréable, toujours disposésà vous faire oublier les ennuis, les déboiresd’une vie si troublée par desévènements inattendus et auxquels on voudrait nepas songer. Je sais fort bien que je ne devrais pas me laisser aller audécouragement, que je devrais, au contraire,m’efforcer de réagir, mais je ne le peux pas. Tout, autour de moi, les choses et les gens,m’éloignent au contraire de ce qui fut toujourspour moi une satisfaction morale, un délassement spirituelet un oubli salutaire des mesquinerie de laSociété actuelle. Quand je me retrouve au milieu de tous ces vieux amisdélaissés, mes livres,j’éprouve comme une vague tristesse ; un sentimentde commisération et de regret s’empare de moi etje regrette sincèrement d’agir de la sorte enverseux qui ne m’ont rien fait, au contraire. Je voudrais pouvoir chasser loin de moi les tristes penséesqui m’assaillent, mais la réalité estlà, inexorable, pour me rappeler que la vie estbrève et qu’un jour il me faudra tout abandonnerpour retourner dans le néant d’où noussommes tous sortis. Et alors que deviendront toutes ces choses si patiemment recueillies ? Quel sera le sort de tous ces souvenirs qui m’entourent etqui ont tant de prix pour moi ? Qui le recueillera ? Qui les comprendra et les aimera mieux que moi ? Autant de questions qu’il faut bien se poser quand onn’a personne pour recueillir le fruit de longues et duresannées de recherches. De tout ce labeur, il ne restera à peu près rien,peut-être pas même ces Catalogues quej’ai rédigés et transcris de mon mieux. Peut-être un ami les recueillera-t-il à titre desouvenir ? Je ne le crois pas ? Par ces temps d’égoïsme,d’individualisme, de lutte pour la vie matérielle.Les sentiments spirituels sont disparus pour faire place àun odieux matérialisme qui ne laisse pressentir rien de bon. Tels sont les sentiments qui se manifestent chez moi au momentoù je commence ce volume, dont je ne verraipeut-être pas la fin ? C’et bien triste d’en arriver à esconsidérations, et pourtant il le faut bien. Je ne suis plus jeune, dans quelques jours j’entrerai dans ma70me année, je n’ai donc aucune illusionà me faire. Ma vie est à peu près parvenue à sonterme, sans avoir eu la possibilité de réaliserce que j’avais rêvé jadis. La destinée en a décidé autrement etm’a conduit, à travers milledifficultés, à un résultat que jen’escomptais certainement pas. Je voudrais pouvoir assurer un sort à tout ce qui me fut sicher, je ne sais pas si cela sera possible. Une partie de ma Bibliothèque est déjàplacée, mais le reste ? Et toutes mes autres collections ? Et tous ces souvenirs, qui paraîtront des vétillesà ceux qui ne sauront les comprendre ? Mais je m’aperçois que j’aiplutôt l’air d’écrire untestament que l’Introduction à un Catalogue, aussije m’arrête et pose bien placidement ma plume quipourrait cependant dire encore beaucoup de choses, mais je trouvequ’elle en déjà trop dit. Mieux vaut garder pour soi ses joies et ses peines, inutiled’essayer de les faire partager à des gens qui neles comprendraient pas ou qui traduiraient leur pseudo indulgence parun sourire qui en dirait encore beaucoup plus ! Etienne Deville (Cette Introduction , terminée de rédiger à midi, a ététranscrite sur ce volume, le même jour, Dimanche 20 Décembre 1942, entre 15 et16 heures.) Choixde notices - Descriptiongénérale du Catalogue |