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DEVILLE,Etienne(1878-1944) : Introductionau deuxième tome du Catalogue des livresantérieurs au XIXe siècle de laBibliothèque de M. Etienne Deville (1909). Saisie dutexte : O. Bogros pour lacollectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (27.II.2006) Relecture : A. Guézou. Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros]obogros@ville-lisieux.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusion libre et gratuite (freeware) Orthographe et graphie conservées. Texte établi sur l' exemplairemanuscrit de la Médiathèque. Introduction au deuxième tome du Catalogue des livresantérieurs au XIXe siècle de la Bibliothèquede M. Etienne Deville ~ * ~Le goûtde la collection toujours croissant, surtout parmi les bibliophiles, avoué une véritable chasse au livre rare etcurieux, si bien qu’aujourd’hui il est biendifficile de faire de ces trouvailles, si communes il y a seulement dixans. Les vieux livres disparaissent, l’étrangerqui nous les envie, les a en quelque sorte drainés, si bienqu’à l’heure actuelle la moindrerareté acquiert une valeur considérable,témoin ce Molière avec les dessins de Moreau quifut tout récemment le gros morceau de la vente du comte deJanzé – un de ces bibliophiles de la vieille roche– dont les héritiers m’ont euqu’à se louer, au point de vue du rapport, desrares et intéressants volumes qu’il avaitrecueillis à l’époque où ilétait encore possible de s’en procurer.Aujourd’hui la curiosité est exploitéecomme le moindre filon ; la pénurie qui se fait [tant]sentir que l’amateur tombe dans la minutie et recueillepieusement ce qu’il dédaignait jadis. Les vieux journaux, les factums, les statuts de corporations etmême les légendaires images d’Epinalmarchent de pair avec les incunables et les merveilleuses estampes dugrand siècle ; on ne saurait s’en plaindre, lecollectionneur y trouve sa satisfaction, le marchand son compte, breftout le monde est content. Je ne voudrais ne pas me souvenir des sentiments quelque peupessimistes, qui m’animaient il y a cinq ans lorsquej’écrivis la préface de mon premiervolume de Catalogue qui ne s’attendait probablement pasà avoir de suite ; mais aujourd’huiqu’il me faut de nouveau élever unefaçade derrière laquelle vont s’abriterquelques morceaux dignes de figurer sur des rayons de premier ordre,j’éprouve un sentiment de légitimefierté à énumérer lesrichesses bibliographiques qui, depuis, sont venues s’ajouterà ce que j’appelais alors « macollection » avec une certaine emphase qui me fait sourire demon indulgente complaisance d’alors. Je suis loin pourtant de dédaigner ces premiers volumes queje décrivis si minutieusement et qui durent êtreétonnés du luxe dont je les entourai ! Quevoulez-vous, on aime toujours ce qui est à soi, on lui donnebien souvent une valeur exagérée qui a sa sourcedans le souvenir évoqué en les circonstances quil’on suscité. Plusieurs de ces volumes sont pourmoi d’un prix inestimable à cause des vicissitudesqu’ils me rappellent, des débuts difficiles, de lalutte incessante dont ils sont les derniers survivants, trop heureux den’avoir été – comme quelquesuns, hélas ! – obligés de reprendre lechemin de la librairie ! Former une bibliothèque, quant il faut lutter sans cessecontre les exigences de la vie matérielle est, je diraipresque une absurdité, et pourtant le résultatobtenu à l’heure présentedépasse de beaucoup mes espérancesd’alors. Tout à l’heure, il vam’être possible de m’étendreavec une complaisance justifiée sur certains morceaux quicomposent ce Catalogue, je vais pouvoir citer des noms illustres,détailler des reliures qui clament bien haut leur originecélèbre, des exemplaires d’ouvrages peucommuns, et que m’envieront assurément plusd’un amateur en quête de bonne fortune ; pourtantsi je le fais, c’est moins par ostentation que pour rendre unjuste hommage à des morceaux qui méritent unecertaine considération. Je voudrais que le moi ne se fassepas trop sentir, et pourtant la pointe d’égotismese fait sans cesse sentir quand on parle de soi, de ce quel’on a, trop heureux quand on ne parle pas de ce quel’on a pas et que beaucoup d’amateurs veulent quandmême se persuader posséder. Ne dirait-on pas, enlisant les lignes qui vont suivre, que c’est un marchand quicherche à attirer l’attention sur unepièce dont il escompte un bon prix ? Ne va-t-on pas croireque mon Catalogue n’est qu’une rédactionanticipée en vue d’une vente future ? Rien de toutcela pourtant n’anime ma pensée ;l’appât du lucre me laisse indifférent ;la sotte gloriole de l’homme qui croit seprévaloir en étalant ses pseudo richesses, melaisse sceptique ; si je cède ainsi au désir defaire connaître les morceaux intéressants de macollection, c’est pour rendre témoignage de monadmiration pour tout ce qui le mérite, à quelquetitre que ce soit. Ce Catalogue, qui n’est en quelque sorteque le reflet de ma pensée sur un sujet quim’intéresse, un exerciced’étude sur une partie qui m’estfamilière, ne sera pour moi qu’un monumentpieusement élevé au culte d’unedivinité abstraite dont peu de gens se font idée. Le livre n’est pour beaucoup qu’un passe temps, onne lui demande rien de plus que ce qu’il contient entre sesfeuillets ; ce qu’on y cherche, c’est moins lapensée d’un auteur que sa satisfaction propre, ets’il ne la remplit pas, on le dédaigne, onl’oublie, on le méprise ! Le livre, àmes yeux, a un autre objet : il reste pour moi une œuvred’art dont j’apprécie lesqualités, en dehors de celles qui en furent la causeprimordiale. Il suffit d’une particularité pourque le livre prenne à mes yeux une valeur inattendue : saprovenance, son état, son contenu sont autantd’éléments qui permettent diversesappréciations. Pour se faire une idée de ce quecontient ma collection j’ai cru bon d’attirer toutspécialement l’attention sur quelques uns desmorceaux qui m’ont paru de nature à piquer lacuriosité. Les incunables proprement dits ne sont pasreprésentés dans ce catalogue, mais bon nombred’éditions du XVIe siècle y figurent,j’en ai dressé la table chronologique àla page 223. – J’ai pourtant quelqueséditions gothiques que je dois citer : Un curieux petitopuscule intitulé « Les quattres voyesspirituelles pour aller a Dieu » publié lepropriétaire de l’enseigne àl’homme sauvage, Regnault Chaudière, dans lespremières années du XVIe siècle(n° 4) – l’édition originale duCommentaire de Nicolas Boyer sur la Coutume de Berry,édition de 1531 (n° 43) –l’édition originale du Commentaire de Mingon surla Coutume d’Angers, publié en 1530 par Jean Petitdont la curieuse marque se trouve à la fin, exemplaireportant la signature de l’avocat Corbillon (n° 42)– Le célèbre ouvrage «Libertates per illustrissimos principes delphinos viennenses» publié à Grenoble, vers 1508(n° 41). Si j’envisage maintenant d’autreséditions curieuses par leur lieu d’origine, jeciterai : diverses œuvres d’Erasmepubliées à Poitiers, en 1512, (n° 68)– Le journal de navigation de Nicolas Le Cordier, ouvrage quipasse pour être le premier livre imprimé au Havre(n° 100) – Les deux curieuses impressions lexoviennesde 1674 et 1751, règles de la bienséance(n° 35) et la confrérie de la rédemptiondes Captifs (n° 29). Comment ne pas citer les deux superbes éditions aldines,dans un état de fraîcheur admirables !Œuvres d’Apulée, 1521 (n° 69) etl’Argonautique de Flaccus, 1523 (n° 70) –Le rarissime traité d’Erasme : « Liberde praeparatione ad mortem » édition originalepubliée à Paris en 1534 (n° 72)– La première édition des Formules deMarculphe, donnée par Jérôme Bignon en1613 (n° 51). Je possède, relié aux armesde ce savant, le petit traité des Bibliothèquesde Jean Lomeier (n° 166). Parmi les éditions originales des auteursfrançais, il ne faut pas oublier celle du «Barbier de Séville » de Beaumarchais (n°84) – celles du « Glorieux » et du« Dissipateur » de Destouches (n° 79 et 81)– enfin celle de « La Gageure imprévue» de Sedaine (n° 82). Si maintenant je prends au hasard parmi les exemplaires ayant appartenuà des personnages de qualité je ne puis omettre :l’Histoire de l’imprimerie de La Caille, exemplaireaux armes du comte d’Hoym, le célèbrebibliophile, avec notes autographes du baron Pichon (n° 167)– l’Histoire de l’état desrépubliques des druides, par Noël Taillepied,édition de 1585, portant l’ex-libris autographed’Honoré d’Urfé, lecélèbre auteur de l’Astrée(n° 110) – le Traitégénéral des droits d’aides, aux armesde Loménie (n° 56) – lesEphémérides troyennes pour 1759, exemplaire enmaroquin rouge aux armes de Louis XV (n° 103) – LesAnecdotes de la cour de Philippe Auguste, 2 vol. aux armes de lamarquise de Pompadour (n° 80) – les Œuvresde l’académicien Pavillon, aux armes du financierlyonnais Pronda de Guérimonte (n° 78) –l’Orbis politicus de George Horn, au chiffre de Gastond’Orléans (n° 116) – leTraité de l’origine de l’âme,de Christophe Sand, aux armes du duc de Montausier et de sa femmeLucile d’Argennes (n° 34) – le Dictionnairenéologique de l’abbé Desfontaines, auxarmes de Claude de Bullion (n° 66) – un des tomes dela manière d’enseigner les Belles-lettres, parRollin, maroquin rouge aux armes de Riquetti de Caraman, marquis deMirabeau, payé 17 francs à la vente Lormier (pource prix on trouverait, sur les quais, plusieurs exemplaires complets decet ouvrage !) (n° 36) – la premièrepartie du grand roi amoureux, aux armes de Louis Le Fèvre deCaumartin (n° 122) –l’abrégé de la vie de MauriceEugène de Savoie, aux armes du maréchal deBoufflers et de sa femme Madeleine Angélique de Neufville deVilleroy (n° 111) – l’Art du blason, deMénestrier, édition de 1661, aux armes de PaulGodet des Marais, évêque de Chartres (n°90) – le Discernement de l’âme et ducorps, aux armes de Daniel Huet, évêqued’Avranches, avec notes autographes de ce savantprélat (n° 33) – le De Consideratione adEugenium III, de S. Bernard, exemplaire de Baluze, avec son ex-librisautographe (n° 13) – le Traité du corps etdu sang du Seigneur, exemplaire de l’abbéMorellet, qui y inscrivit une note autographe, et qui passa ensuitedans la célèbre bibliothèque dumarquis de Morante (n°17) – les Ridiculeslittéraires de Klotz, aux armes du marquis de Morante(n° 61) – le Fabula illuminandis, duthéologien Louis François Blosius,édition de 1562, qui appartint successivement àClaude Hardal du Lis, grand doyen de Toul, qui le cédaensuite à son neveu, en 1569 (n° 7) – lesŒuvres de Sidoine Apollinaire, dont je possèdedeux éditions, l’une de Lyon 1598, qui appartintà Charles de Hainaut, conseiller au Grand Conseil en 1710(n° 11) ; l’autre, une éditionPlantinienne de 1609, qui provient du couvent des frèresmineurs de Calais qui l’avaient reçue en don deCharles Ponthon (n° 14) – les Traitésdoctrinaux de S. Bernard, traduits par un feuillant, le P. Antoine deS. Gabriel, exemplaire offert par le traducteur à Louise LePelletier, abbesse de N.D. de Troyes pour la bibliothèque deson couvent et qu’un libraire ignare prétendaitprovenir de l’abbaye de Maubuisson (n° 16)– les Homélies sur la Cène, duthéologien Beauxamis, édition parisienne de 1573,provenant de l’abbaye de Sainte Geneviève, en 1584, puis de la bibliothèque du prêtreHédouin Héron, en 1616 (n° 10)– la Somme dorée, du cardinal Henrid’Ostie, dans sa reliure en peau gaufrée du XVIesiècle, ayant successivement appartenu à EdouardLaboulaye et à J. Flach , professeur au Collègede France (n° 6) – lecérémonial des religieuses de N.D. du Calvaire,provenant de la collection Destailleur (n° 24) – unmartyrologue de 1737, portant l’ex-libris du comte de Poli(n° 21) – Enfin l’éditionoriginale du fameux Franco-Gallia, d’Hotoman, dans sa reliureprimitive en vélin doré, et un autre exemplaire,également du XVIe siècle, contenant laréponse de Matharel (n° 119 et 120). D’autres rares éditions ne sauraientêtre omises : par exemple l’ordonnance de CharlesIX donnée à Moulins, édition du XVIesiècle, ayant successivement appartenu au picard Pierre deLa Porte, à un certain Dupuy et, en 1850, à JeanAntoine Fatio (n° 46) – une autre éditionde l’ordonnance de Moulins, XVIe siècle, quidemeura longtemps dans les mains d’une famille Guigue, deLyon, exemplaire qui porte, sur un feuillet de garde, diverses devises,écrites par des membres de cette famille (n° 44)– la première édition del’histoire de la robe sans couture d’Argenteuil, dedom Gerberon (n° 155) – l’histoire del’antiquité du vicariat de Pontoise, 1637, ouvrageattribué à l’abbé Ferret(n° 154) et l’Eclaircissement sur Pontoise, de DesLions, 1694 (n°156). Parmi les pièces rares et curieuses dont le peud’étendue est une des causes de leur destruction,il convient de noter une série de Mazarinades (n°128-134) – une suite de ces petites piècesfugitives, aux titres bizarres, dont quelques unes ontété réimprimées parClaudin, dans une série justementcélèbre, et qui se trouvent ici enéditions originales, notamment les n° 135, 138, 145,146 – enfin quelques piècesrévolutionnaires relatives aux procès de LouisXVI (n° 147-150). La Bibliographie offre également quelques morceaux dignes deremarques : le Catalogue des livres examinés etcensurés par la faculté de théologiede Paris, 1551, opuscule d’une insigne rareté,relié en maroquin rouge, par Duru, ayant appartenuà Costa de Beauregard (n° 161) – laBibliothèque des auteurs qui ont écritl’histoire et la topographie de la France, ouvrage anonyme,mais que l’on sait être l’œuvredu savant André Duchesne, 1618, (n° 162) –l’ouvrage de Claude Clément sur lesMusées et bibliothèques, provenant du couventd’Afflighem (n° 163) – le Catalogue desmanuscrits trouvés au château d’Anetaprès le décès de la princesse AnnePalatine de Bavière, 1724, avec des notes autographes del’abbé Pascal, bibliothécaire du duc dePenthièvre (n° 168) – le Catalogue de lacélèbre bibliothèque Bigot, de Rouen(n° 227) – et la lettre d’unacadémicien (l’abbé Saas) sur lecatalogue de la Bibliothèque du roi, opusculetrès rare, l’auteur en ayant fait supprimerpresque tous les exemplaires (n° 229). Les ouvrages normands devaient occuper une large place dans lacollection de celui qui s’honore d’appartenirà cette illustre province qui a suscité tantd’ouvrages historiques et archéologiques ! Parmiles vieux livres que tout normand qui se respecte doitposséder dans sa bibliothèque, je citerai : unexemplaire de la Neustria pia , provenant de l’abbayed’Aulnay, près Caen (n° 173) –le Dénombrement du royaume pargénéralités, aux armes du duc deRichelieu (n° 174) – l’Histoire des pays etcomté du Perche, par Brys, sieur de La Clergerie, exemplairede Baluze, avec son ex-libris autographe sur le titre (n° 194)– le rarissime ouvrage du P. Esprit du Bosroger sur lacélèbre affaire despossédées de Louviers (n° 188)– Deux exemplaires de l’Histoire duHâvre, de l’abbé Pleuvri ; le premier enédition originale appartint à Chermont du Poncet,qui a pris soin de consigner qu’il avait acheté celivre le 13 juin 1770, pour la somme de 1# 12 sols (n° 197) ;le second, édition de 1796 avec de curieuses notesmanuscrites (n° 198) – une série depièces révolutionnaires concernant la ville deRouen (n° 204-216) – divers factums relatifs auprivilège de Saint Romain (n° 222-224) –quelques pièces de l’académierouennaise des Palinods, 1772-1781 (n° 225) – Enfinun curieux exemplaire de l’Art de connaître leshommes, édition in-4, la première en ce format,aux armes de la chartreuse de Bourbon, dite de Gaillon, provenant de lacollection Lormier (n° 32) pour ne pas tout citer ! Une telle énumération justifiel’orgueil du possesseur, et je ne crois pasm’abuser en écrivant que beaucoup envieraient cedébut de collection qui représente de longues etpatientes recherches, limitées hélas au contenud’une bourse rarement pleine ! Quoiqu’il en soit, ce second volume offre unediversité de curiosités que je n’ai puenregistrer dans mon premier volume et qui figurent ici en attendant unsort nouveau. J’espère qu’ils resteront encore delongues années sur les paisibles rayons où je lesai placés, à moins quel’imprévu les en fasse sortir pour affronter denouveau les enchères ! C’est ce que je ne croispas, mais a-t-on jamais pu savoir quels revers de fortune vousattendent ! La vie est remplie d’imprévus, il fautêtre philosophe et ne se faire aucune illusion ! je suispayé pour le savoir et, si parfois je caresse unrêve, cher à ma pensée, celui de voirces livres à l’abri de toute avanie,c’est moins pour essayer d’oublierl’incertitude du lendemain, que pour m’entretenirdans une illusion qui se trouvera réaliséequelque jour, j’en garde du moins l’espoir. Et maintenant je m’arrête pour reprendre ma courseà la découverte de nouveaux ouvrages qui ferontpeut-être, d’ici quelques années,l’objet d’un troisième volume ! Etienne Deville 5 Mai 1909. |