SCÈNE PREMIÈRE. LA SOUBRETTE, puis LE SCAPIN. Au lever du rideau, la scène est occupée par des machinistes qui placent des fleurs et des panneaux décoratifs. LA SOUBRETTE, entrant. Qu'on se remue ! Allons, mettez En l'air toute la friperie ! Çà, que la maison soit fleurie De la cave au grenier. Otez Les housses des fauteuils ! Qu'on ouvre A deux battants ! Que l'on découvre Les lustres ivres de clartés : Gaiement. Ce soir, messieurs, c'est fête au Louvre ! Çà, du zèle ! qu'à son miroir Sourie encore Célimène. Et vous, là-haut, qu'on se démène ! Qu'Alceste au fond de son tiroir Rentre ses chagrins ! Que l'on aime ! Nous chantons ce soir un poëme Qui devra sentir son terroir De vieille Gaule et de Bohême ! LE SCAPIN, entrant. Des fleurs partout ! Malgré l'hiver Nous saurons bien en faire éclore. Il nous en faut, encore ! encore ! Avec des musiques dans l'air, Avec des chansons amoureuses ! Et toi, Danse, il faut que tu creuses De ton pied prompt comme l'éclair Le sol des Tempés bienheureuses ! Dépêchons-nous ! Que notre main Enroule de folles guirlandes ; Près des ifs, que le pin des Landes Jette son ombre au vert chemin Cher à la Muse vagabonde ; Surtout que la lumière abonde ! Croissez, rose, laurier, jasmin, En frais bouquets pour tout le monde ! SCÈNE II. LE MONSIEUR, LA SOUBRETTE, LE SCAPIN. LE MONSIEUR. Quelle animation inusitée ! Holà ! Jusqu'au souffleur qui souffle en habit de gala. Que veut dire... ? UN MACHINISTE passe et le heurte. Pardon ! LE MONSIEUR. Ne vous gênez pas. Faites. LA SOUBRETTE. C'est la fête bénie entre toutes les fêtes Où la Muse sacrée aime à nous convier. Consultez l'almanach : c'est le Quinze-Janvier ! LE MONSIEUR. Le Quinze-Janvier ? LA SOUBRETTE. Oui. C'est le jour où Molière (La Comédie alors n'était qu'une écolière En quête de son maître et battant les buissons) Descendit des cieux clairs pour dicter ses leçons Au monde émerveillé qui les récite encore, Et les récitera tant qu'on verra l'aurore Enflammer les coteaux et rire à l'univers ! C'est notre fête à nous, humbles diseurs de vers Que sa parole enivre et, vibrante, transporte Dans l'Idéal, ouvrant à deux battants sa porte ! LE MONSIEUR. C'est fort bien, mais pourquoi ce bruit ? Ne pourrait-on Accomplir ce devoir avec plus de bon ton, Sans machiniste vous envoyant dans les jambes Des vases de carton ? Pourquoi ces dithyrambes ? Ne vous pourriez-vous pas réunir gravement Et bien peser les mots de votre compliment ?... LE SCAPIN. Comme à l'Académie ? Oui, cher Monsieur, peut-être : S'il s'agissait d'un autre, alors on pourrait mettre Une cravate blanche à sa joie et des gants. A son enthousiasme, en termes élégants Arrondir une belle et noble périphrase ; Ma foi, non ! Aujourd'hui le feu qui nous embrase Veut flamber librement et sort bien de nos coeurs ! Certes il est des fronts hautains, sacrés, vainqueurs Qu'un lustre universel et superbe environne, A qui nous présentons en tremblant leur couronne, Mais ceux-là ne sont pas Molière ! Voyez-vous, Molière, ce n'est pas un grand homme pour nous, C'est bien mieux que cela, vraiment ! c'est notre père ! C'est celui dont la voix forte nous crie : Espère ! C'est notre conseiller et notre gardien ! Le Poëte, tous l'ont, mais le Comédien, Celui qui partagea notre vie, et, tout jeune, Au bel âge où l'on chante, où l'on aime, où l'on jeûne, Courut par les chemins en s'enivrant du luth Éolien, ce coeur généreux qui voulut Consacrer par sa mort héroïque les planches Où la Muse ferma ses yeux de ses mains blanches ; Celui-là, ce Molière est à nous, à nous seuls ! O morts dont tous les ans nous levons les linceuls. Racine et toi, Corneille, oh ! certes ! avec joie Notre troupe devant vos marbres se déploie, Et votre souvenir plus qu'à tous nous est cher ; Mais votre chair n'est pas mêlée à notre chair, Mais quelque chose en vous toujours nous intimide, Et Molière, le rire aux lèvres, l'oeil humide, Doux, écartant la pourpre aux reflets triomphants, Nous ouvre ses deux bras et nous dit : Mes enfants ! LE MONSIEUR. Eh bien, tout justement, pour cet anniversaire Que, certe ! il est utile et même nécessaire De célébrer, j'avais préparé ce discours... Prenez-en connaissance... Il tire de sa poche un manuscrit monstrueux. LA SOUBRETTE. Il n'est pas des plus courts.Voyons : Lisant « Réflexions sur la philosophie De Molière, son temps, ses moeurs... » LE MONSIEUR. Je clarifie Les systèmes divers établis, et j'extrais Une leçon nouvelle... LA SOUBRETTE, riant. O peintre aux vastes traits, Toi qui riais d'un rire et si franc et si large, Prévoyais-tu qu'un jour on écrirait en marge De ton oeuvre tous ces commentaires savants, Où phases de la lune, éclipses, cours des vents Et révolutions d'empires sont prédites, Où l'on voit qu'en songeant à Purgon tu médites Sur la pluralité des Mondes ! LE MONSIEUR, vexé et digne. Mais pourtant Faut-il comprendre encor les choses qu'on entend ! LE SCAPIN. Mais on les comprend ! D'eux-mêmes Ces prodigieux poëmes Se commentent sans effort. Pourquoi vouloir à nos masques Charmants, vivants et fantasques Attacher un texte mort ? Chercheurs de petite bête, Ne vous creusez pas la tête Pour expliquer la clarté ! La science est inutile Pour découvrir un reptile Auprès d'Elmire abrité. O Toinette provoquante, Quelle raison éloquente Dans tes propos au gros sel ! Ah ! le meilleur commentaire De cette oeuvre salutaire, C'est le rire universel. Lorsque nous voyons Alceste Chercher un endroit agreste Bien isolé, dans lequel S'apaisent les brigandages, Que nous font les bavardages Des ânes et de Schlegel ! LE MONSIEUR. Cependant la critique... LA SOUBRETTE. Il avait du génie Et son coeur était bon, et la sainte ironie Sur sa lèvre jouait, mais vierge de tout fiel, Voilà tout ce qu'on peut dire d'essentiel ! Quant au reste, pathos pur et simple ! Mais l'heure Nous presse, et nous avons fait dans notre demeure Venir, pour célébrer Molière acteur errant, Un des nôtres, Destin, l'amoureux transparent Dont Scarron a chanté les folles aventures. LE SCAPIN. Allons, apparaissez, vivantes créatures, Célie, Agnès, Damis, tous des bouquets aux mains, Devant ce pâle buste aux regards surhumains, Et redemandons-lui le secret du beau rire, De l'amour, des vingt ans et du joyeux délire ! SCÈNE III. TOUS LES COMÉDIENS. Changement : Le jardin avec le buste de Molière. LE MONSIEUR. J'applaudis, bien que j'eusse, il est vrai, souhaité Voir un peu plus de pompe et de solennité. Le Scapin et la Soubrette remontent en tournant le dos à cet académicien, et Destin s'avance une couronne à la main. DESTIN. O notre père aimé ! nous voici tous. Accueille Avec ton bon sourire épanoui ces fils De ton coeur, frissonnant pour l'ombre de la feuille Du vert laurier, derniers descendants de Thespis ! Molière, c'est ton nom divin qui nous rallie ! Quand nous avons rêvé d'assurer les vieux jours De ceux-là qui s'en vont, pour l'amour de Thalie, Colporter ses chansons par villes et par bourgs ; Quand nous avons voulu réunir en famille Tous les comédiens épars, nous avons pris Ton nom, comme celui qui par-dessus tous brille, O Maître vénéré, des plus humbles compris ! Toi qui mourus pour nous, près de nous, ô Molière ! Nous ne te ferons pas de banal compliment : Nous voulons, d'une voix émue et familière, Te dire : Prends nos coeurs offerts spontanément. Et nous serons heureux, pauvre groupe éphémère Dont rien ne restera quand nous nous en irons, Si nous sentons, changeant en miel l'absinthe amère, Ta bénédiction descendre sur nos fronts. Couronnement du buste. |