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CORDIER, Henry (1849-1925): Un précurseur : Hyacinthe Hecquard.- Paris : Imprimerie nationale, 1901.- 8 p. ; 24 cm Saisie du texte : O. Bogros pour la collection électroniquede la Médiathèque André Malraux de Lisieux (12.I.2019) [Ce texte n'ayant pas fait l'objet d'uneseconde lecture contient immanquablement des fautes non corrigées]. Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00. Courriel : mediatheque-lisieux@agglo-lisieux.fr, [Olivier Bogros]obogros@agglo-lisieux.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusionlibre et gratuite (freeware) Orthographe etgraphie conservées. Texte établi surl'exemplaire de la médiathèque (Bm Lx : R-83-br). Tiré à part extrait du Bulletin de géographie historique etdescriptive, N O 1-2. -pp. 278-283 - 1900. UN PRÉCURSEUR HYACINTHE HECQUARD PAR M. HENRI CORDIER _____ Le hasard, qui souvent favorise les collectionneurs, m'a fait découvrirchez un libraire l'original des Instructions données en 1849 par lecommandant Bouët-Willaumez au lieutenant Hecquard pour explorer laroute de Grand-Bassam à Ségou et à Tombouctou et pour rentrer de cettedernière ville soit par l'Algérie, le Maroc ou enfin le Sénégal. Cettepetite trouvaille a servi de prétexte à quelques recherchesbiographiques ; j'ai réuni quelques notes sur Hecquard, qui a appartenusuccessivement aux départements de la Guerre, de la Marine et desAffaires étrangères, et je les apporte ici. Louis-Hyacinthe HECQUARD est né le mai 1814 à Lisieux; il servit tour àtour au régiment de cuirassiers, aux pionniers, au régiment dechasseurs d'Afrique, au régiment de spahis escadron du Sénégal)du 22 novembre 1837 au 31 mai 1867, jour de sa libération, en qualitésuccessivement de cavalier, de brigadier et de maréchal des logis. Ilfut enfin nommé sous-lieutenant indigène à l'escadron des spahis le 5juillet 1818. Hecquard était arrivé au Sénégal en 1843, avec l'escadron de spahisaffecté au service de cette colonie ; il fût appelé ensuite, en 1846,au commandement du fort de Bakel, où il résida seize mois (1). Il futchoisi par le gouverneur du Sénégal, Baudin, « pour aller vérifierl'hypothèse de M. Auguste Bouët sur la rivière d'Akba, que cet officierconsidérait comme un des bras du Delta par lequel le Niger porte seseaux à la mer (2) ». Le Guetn'dar,petit bateau à vapeur destiné à explorer de nouveau le Grand-Bassam,venait d'arriver à Saint-Louis : Hecquard s'embarqua à son bord le 8novembre 18119. Il fut bien accueilli à Grand-Bassam par le commandant Bouët-Willaumez,prévenu d'ailleurs par une lettre du gouverneur du Sénégal que celui-ciavait fait choix d'Hecquard pour une nouvelle exploration de l'Afriqueoccidentale. Louis-Edouard Bouët-Willaumez (3) était alors capitaine devaisseau commandant la frégate Pénélope(station du Sénégal). Cet officier distingué, qui devait atteindre legrade de vice-amiral et commander en chef la flotte française dans laBaltique pendant la guerre de 1870, avait, une connaissance approfondiedes côtes occidentales d'Afrique et il avait donné le fruit de sonexpérience dans une description nautique publiée en 1846 (4) Il étaitdonc préparé mieux que personne à donner des conseils à Hecquard ; etce sont ses conseils, plus que des instructions, qui sont renfermésdans la pièce suivante. Hecquard l'a publiée dans son Voyageparu en 1853 (5) mais elle est peu connue et elle offre quelquesvariantes (6) de peu d'importance, avec l'original que je possède,aussi ai-je cru bien faire en la reproduisant ici (7). DIVISION NAVALE DES CÔTES OCCIDENTALES D'AFRIQUE. Grand-Bassam, 1er décembre 1849. MONSIEUR LE LIEUTENANT, Familiarisé avec le climat, africain, que vous avez bravé avec tant desuccès à Bakel pendant un séjour de dix-huit mois vous m'avez manifestédepuis longtemps déjà l'intention de parcourir la route aussi inconnueque longue et pénible joint nos comptoirs de Grand-Bassam et Assinie àSégou : de Ségou vous désirez ensuite rabattre sur le Sénégal par leKarta (8) ou le Bambouck pour aboutir à Bakel ou mieux encore, si votresanté le permet, faire tête à Tombouctou en suivant le cours du Niger,qui sépare Ségou de Tombouctou ; de Tombouctou enfin, qui a faitl'illustration du voyageur français Caillé, vous songeriez ensuite soità vous rendre dans l'Algérie, soit à aboutir au Maroc, soit à rabattresur le Sénégal suivant le cas et l'état de votre santé. L’entreprise est hasardeuse et suffira, si elle réussit, pour vousillustrer vous-même ; elle vous illustrera d'autant plus que vous vousy serez préparé dans un modeste silence et que plein de confiance envotre énergie vous l'aurez accomplie, comme Caillé avec une besace etun bâton et après des fatigues et des périls de toute sorte. Jem'empresse donc de seconder votre ardeur et votre dévouement et de vousouvrir toutes les voies en mon pouvoir pour vous lancer dansl'intérieur de l'Afrique par l'affluent du N.-E. de la rivièreGrand-Bassam. La semaine dernière j'ai fait appeler devant vous les chefs de lacaravane de Bambaras qui réside près de notre comptoir de Grand-Bassam,où ses membres se relèvent alternativement par des allées et des venuespériodiques ; ces gens sont, vous le savez, à mes ordres et m'ontdemandé à bâtir un village sous la volée de nos canons : je le leur aipromis ; nos intérêts sont donc communs ils nous considèrent commeleurs protecteurs dans le pays de Grand-Bassam, surtout depuis que lecombat d'Yahou a établi à un si haut degré dans tout le pays leprestige de nos armes. Quand j'ai parlé à ces chefs Bambaras devant vous de la possibilité devous conduire à Ségou en remontant d'abord l'affluent d'Ackba ( 9 )vous avez vu qu'ils n'ont pas hésité à me répondre, comme ils l'ontfait toujours, qu'ils garantissaient la sécurité de votre personne sivous vous décidiez à voyager comme un des leurs, soit en pirogue, soità pied, en partageant leurs modestes vivres ; vous avez vu enfincombien grande a été leur reconnaissance quand je leur ai promis, qu'encas de succès de ce voyage, ceux des cheik restés en otage àGrand-Bassam y toucheraient 5,000 francs de marchandises à votrearrivée à Bakel et que ceux qui vous accompagneraient recevraient uncadeau de 9,500 francs à la même époque, outre les 2,500 francs que jeleur donne encore pour couvrir les frais du voyage. Il ne vous resteplus maintenant qu'à vous oindre le corps d'huile, à vous habituer àmarcher dans le sable, pieds nus ou peu près, à porter leur costume, àfaire votre salam, à vivre de leurs mets, et grâce à cettetransformation qui deviendra chaque jour plus complète, vous netarderez pas à pouvoir vous lancer avec eux dans l'affluent d'Ackba. D'après ce qu'ils racontent, voici ce que sera l'Itinéraire que vous allez suivre : Le Guet-n'dar(10 ) vous mène aux cataractes d'Ackba ; ces dernières une foisatteintes, vous vous embarquez dans des pirogues l'aide desquelles vousremontez le haut de l'affluent d'Aka (11) pendant dix jours, à cetteépoque vous serez arrivé à Debondou (12), pays d'un grand nombred'entre eux ; vous y séjournerez quinze jours, vous en partirez ensuitepour voyager par terre pendant vingt autres (13) jours environ, ce quivous conduira, assurent-ils, à un des affluents du Niger ; vousdescendrez cet affluent à l'aide de pirogues pendant onze jours encore,et vous serez alors arrivé à Ségou, assurent-ils (14) Votre arrivée à Ségou sera déjà un gros succès ; mais votre intention,si votre santé vous le permet, serait de pousser plus loin encore etd'atteindre Tombouctou en continuant à suivre le cours du Niger ; si lachose vous paraît possible, tentez-la ; mais pas de parti-pris d'avance: si les obstacles vous paraissent pour le moment insurmontables,remettez le reste du voyage à une autre fois, bien que je doive vousfaire remarquer en passant que ce serait un succès plus qu'Européen, sile voile de cette cité mystérieuse était déchiré pour la seconde foispar un enfant de la France. Si vous parveniez à gagner Tombouctou, trois routes s'offriraient àvous : celle du Nord ou de Caillé, conduisant au Maroc, celle du N.N.-E. conduisant en Algérie par l'oasis de Tuat, enfin celle du retourà Ségou même par le Niger. La deuxième route offre bien plus d'intérêtque la première par suite de nos possessions d'Algérie, mais sur leslieux seulement vous saurez jusqu'à quel point elle est praticable. Sivous ne jugez pas à propos d'entreprendre l'une ou l'autre et que vousreveniez à Ségou, ou si encore vous vous bornez à pousser votreexcursion jusqu'à ce dernier point, vous pourrez, avec la protection duroi de Ségou, opérer, j'espère, votre retour à Bakel avec assez defacilité, soit en traversant le Korto (15) par Climani (16), soit entraversant le Bambouck par Yamina, Farabana et Boulbané (17) ; une foisà Bakel vous êtes en France, et votre nom prend place dans les fastesde la géographie. Je vous ai dit plus haut que vous deviez partir demi-nu, avec unebesace et un bâton, de Grand-Bassam (18) ; comme cependant il faut quela science et le commerce possèdent au moins les jalons de votrevoyage, voici le parti que vous tirerez de votre modeste attirail. Dans votre besace, à laquelle vous donnerez toutes les apparences d'unsac de gris-gris, vous aurez une excellente montre à seconde (19), queje vous donne, et un petit thermomètre enveloppés de bancana ou maïspilé et en pâte (20) ; vous aurez, (21) au cou un étui enfer-blanc que le chef des marabouts Bambaras transformera en gris-griset où seront vos plumes et votre papier ; une feuille volante et uncrayon seront sous votre main, dans votre coussave, pour marquer leshaltes, directions, etc. Reste maintenant à observer la latitude pourcontrôler le tracé de votre route, tracé habituellement inexact ; poury parvenir vous vous servirez de votre bâton de voyageurs ainsi que jevous l'ai expliqué hier de la manière suivante : ce bâton devra avoirune mesure constante de deux mètres et quelques centimètres ; auxenvirons de midi, heure du salam,vous le ficherez perpendiculairement en terre, à l'aide d'un fil àplomb, d'une quantité égale à l'excédent de deux mètres ; vous suivrezensuite les (22) progrès de l'extrémité supérieure de l'ombre du bâtonsur le sol afin de l'y marquer avec des graviers ou des petits piquets.Quand cette ombre n'augmentera ni ne diminuera, c'est qu'il sera midi.Vous prendrez de suite alors la mesure de l'ombre en mètre et décimètre(23) et portant ce chiffre à côté de la date du jour, vous merapporterez ainsi les éléments de calcul nécessaires pour que je puissedéterminer plus tard la latitude du lieu de chacune de vos stations ;la longueur du bâton et celle de l'ombre me permettront en effet derésoudre le triangle-rectangle formé avec ces deux côtés; je pourraidonc déduire de cette solution la hauteur méridienne du soleil ; oravec cette hauteur et la date du jour, laquelle m'indiquera de son côtéla déclinaison de l'astre, les latitudes de vos points de stationdeviennent faciles à déterminer. Vous pouvez en conclure combien ilimporte que vous mettiez de l'ordre dans votre journal el vosannotations. En route donc et bon courage. Tous ceux qui vous voient partir d'iciconsidèrent que votre voyage est ce que l'on appelle vulgairement uneaffaire bien emmanchée. Que cette conviction vous accompagne ; elledoublera votre confiance, et la confiance c'est la moitié du succèsdans les entreprises hasardeuses ; votre courage fera le reste, sinonce courage militaire dont vous avez déjà fait preuve lorsque vous avezété blessé en combattant sous mes ordres dans le haut du Sénégal, dumoins un autre courage bien plus méritoire encore, car c'est unassemblage de persévérance, de sang-froid, de patience et d'énergie quidistingue les hommes bien trempés. Sic itur ad astra ! Je vous serre affectueusement la main. Le Capitaine de vaisseau, Commandant la division navale des Côtes Occidentales d'Afrique (24) E. BOUËT-WILLAUMEZ (25) [Renvoyée à M. Hecquart après en avoir pris connaissance, Le gouverneur. — L. DROUET.] Après avoir présenté Hecquard comme un Arabe d'Alger aux chefsBambaras. Bouët-Willaumez quitta Grand-Bassam le 5 décembre 1849. A sontour Hecquard se mettait en route le 15 janvier 1850, mais son voyagefut peu heureux. Après avoir dépassé Akba, abandonné par ses guides, ilrevint en pirogue à Grand-Bassam puis à Saint-Louis où il reçut deBaudin l'ordre de reprendre son voyage en partant de Sedhiou-Cazamanceet en passant par le Fouta-Djalon. Je n'ai pas à parler de ce nouveauvoyage dont on trouvera le récit dans le volume cité plus haut. La carrière militaire d'Hecquard se termina par sa démission donnée le17 février 1853, après qu'il eût été nommé chancelier du consulat àBahia (31 décembre 1852). L'année suivante, le nouvel agent desAffaires étrangères passa en Orient où il fit désormais toute sacarrière consulaire en qualité d'agent vice-consul à Scutari (23juillet 1853), de consul honoraire de 2e classe (5 juillet 1858),consul de 2e classe à Scutari (19 janvier 1859), à Damas (8 janvier1862), consul de 1re classe (16 août 1863). Il publia un certain nombre d'ouvrages relatifs à la géographie et à lalinguistique des pays d'Orient qui ont conservé leur intérêt (26). Hecquard est mort le 19 novembre 1866. NOTES : (1) Voyage, p. 3 (2) L. cit., p. 11. (3) Voyage, p. 7. (4) Description nautique des côtes de l'Afrique occidentale comprises entre le Sénégal et l'Equateur,par M. le comte E. Bouët-Willaumez, capitaine de vaisseau, commencée en1838 et terminée en 1845 par les ordres de M. le contre-amiralMontagniès de la Roque, commandant la station navale sur ces côtes,publiée sous le ministère de M. le vice-amiral baron de Mackau, pair deFrance. Paris, Imprimerie royale, MDCCCXLVI, in-8, p. VII-216. ( Extrait des Annales maritimes et coloniales publiées par MM. Bajot et Poirré, 1846.) (5) Voyage sur la côte et dans l'intérieur de l'Afrique occidentale,par Hyacinthe Hecquard, ancien officier au régiment de spahis,chancelier du consulat de France à Bahia. Ouvrage publié avecl'autorisation du Ministre de la Marine et des Colonies. Paris, Bénard,1853, gr. in-8, p. 409, carte. (6) Nous donnons variantes an bas despages. (7) Seize mois. (8) Kaarla. (9) Akba. (10) Guetn'dar (11) Ackba. (12) Debendou. (13) Autres, supprimé. (14) Assurent-ils, supprimé. (15) Kaarta. (16) Flimané. (17) Boulébané. (18) De Grand-Bassam, supprimé. (19) Secondes. (20) Enveloppés. . . [jusqu'à] en pâte, supprimé. (21) Vous aurez, supprimé. (22) Le (23) Au lieu de en mètre et décimètre, seulement en décimètres. (24) De l'Afrique. (25) Signé le comte Ed. Bouel-Willaumez. (26) Mémoire sur le Monténégro, par M. HECQUARD,consul de France à Scutari. Communication du Ministère des Affairesétrangères (Direction des Consulats et Affaires commerciales), in-8, p.43. (Extrait du Bulletin de la Société de Géographie (avril 1865). Histoire et description de la Haute-Albanie ou Guégarie, par Hyacinthe HECQUARD, consul de France à Scutari. Paris, Arthus Bertrand, s.d. in-8, p. XVII-516, carte. Eléments de grammaire franco-serbe, par Charles HECQUARD, drogman-chancelier. Paris, Ernest Leroux. Imprimé à Belgrade, 1875, petit in-8 carré, p. 82. |