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[Livret decolportage] Cendrillon ou la petitePantoufle de Verre, conte.- A Caen : Del'Imprimerie de A. Hardel, rue Froide, n°2, [18..].- 12 p. ; 14,5 cm.
Saisie du texte : O. Bogros pour la collection électroniquede la Médiathèque André Malraux de Lisieux (29.IX.2014)
[Ce texte n'ayantpas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement desfautes non corrigées].
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Texte établi sur l'exemplaire de la Médiathèque (Bm Lx: Norm br 1188).  Version .Pdf


CENDRILLON,
OU LA PETITE
PANTOUFLE DE VERRE ;

CONTE.
_____

Cendrillon 1

IL était une fois un Gentilhomme, qui épousa, ensecondes noces, une femme la plus hautaine et la plus fière qu'on aitjamais vue. Elle avait deux filles de son humeur, et qui luiressemblaient en toutes choses. Le mari avait de son côté une jeunefille, mais d'une douceur et d'une bonté sans exemple ; elle tenaitcela de sa mère, qui était la meilleure personne du monde. Les noces nefurent pas plutôt faites, que la belle-mère fit éclater sa mauvaisehumeur : elle ne put souffrir les bonnes qualités de cette enfant, quirendait encore ses filles plus haïssables ; elle la chargea des plusviles occupations de la maison ; c'était elle qui nettoyait luvaisselle et les montées, qui frottait la chambre de Madame et, deMesdemoiselles ses filles, couchait tout au haut de la maison, dans ungrenier, sur une méchante paillasse, pendant que ses sœurs étaient dansdes chambres parquetées, où elles avaient des lits les plus à la mode,des miroirs où elles se voyaient depuis les pieds jusqu'à la tête. Lapauvre fille souffrait tout avec patience, et n'osait se plaindre à sonpère, qui l'aurait grondée, parce que sa femme le gouvernaitentièrement. Lorsqu'elle avait fait son ouvrage, elle allait se mettreau coin de la cheminée, et s'asseyait dans les cendres, ce qui faisaitqu'on appelait dans le logis Cucendron. La cadette qui n'était pas simalhonnête que son aînée, l'appelait Cendrillon ; et Cendrillon, avecson méchant habit ne laissait pas d'être cent fois plus belle que sessœurs, quoique vêtues très-magnifiquement.
 
Il arriva que le fils du Roi donna un bal, et qu'il y pria toutes lespersonnes de qualité ; nos deux Demoiselles furent aussi priées, carelles faisaient grande figure dans le pays. Les voi[l]à bien aises etbien occupées à choisir les habits et les coiffures qui conviendraientle mieux : nouvelles peines pour Cendrillon ; car c'était elle quirepassait le linge de ses sœurs, et qui godronnaît leurs manchettes. Onne parla que de la manière dont on s'habillerait : moi, dit l'aînée,je  mettrai mon habit de velours rouge et ma garnitured'Angleterre ; moi, dit la cadette, je n'aurai que ma jupe ordinaire ;mais en récompense je mettrai  mon manteau à fleurs d'or et mabrassière de diamant, qui n'est pas des plus différentes. On envoyachercher la bonne coiffeuse pour dresser les cornettes à deux rangs, eton fit acheter des mouches de la bonne faiseuse. Elles appelèrentCendrillon pour lui demander son avis, Car elle avait le goût bon.Cendrillon les conseilla le mieux du monde, s'offrit même à lescoiffer, ce qu'elles voulurent bien. En les coiffant, elles luidisaient : Cendrillon, serais-tu bien aise d'aller au  bal ?Hélas, Mesdemoiselles, vous vous moquez de moi, et ce n'est pas là cequ'il me faut. Tu as raison ; on rirait bien si l'on voyait unCendrillon aller au bal. Une autre que Cendrillon les aurait coifféesde travers : mais elle était bonne, et elle les coiffa parfaitementbien. Elles furent près de deux jours sans manger, tant elles étaienttransportées de joie. On rompit plus de douze lacets, à force de lesserrer, pour leur rendre la taille plus fine ; elles étaient toujoursdevant un miroir. Enfin l'heureux jour arriva, on partit, et Cendrillonles suivit des yeux le plus long-temps qu'elle put. Lorsqu'elle ne lesvit plus, elle se mit à pleurer. Sa Marraine qui la vit tout en pleurs,lui demanda ce qu'elle avait. Je voudrais bien... je voudrais bien…Elle pleurait si fort, qu'elle ne put achever. Sa Marraine, qui étaitFée, lui dit : Tu voudrais bien aller au bal, n'est-ce pas ? Hélas !oui, dit Cendrillon en soupirant. Hé bien, seras-tu bonne fille etm'aimeras-tu, dit sa Marraine ? je t'y ferai aller.
 
Elle la mena dans sa chambre, et lui dit : Va dans le jardin,apporte-moi une citrouille. Cendrillon alla aussitôt cueillir la plusbelle qu'elle put trouver, et la porta à sa Marraine, ne pouvantdeviner comment cette citrouille la pourrait faire aller au bal. SaMarraine la creusa, et n'ayant laissé que l’écorce, elle la frappa desa baguette, et la citrouille fut aussitôt chargée en beau carrossetout doré. Ensuite elle alla regarder dans la souricière, où elletrouva six souris tout en vie. Elle dit à Cendrillon de lever un peu latrap[p]e de la souricière, et chaque souris qui en sortait elle luidonnait un coup de sa baguette, la souris était aussitôt changée en unbeau cheval, ce qui fit un bel attelage de six cheveaux d'un beau grisde souris pommelé. Comme elle-était en peine de qui elle ferait uncocher, Cendrillon lui dit : Je vais voir s'il n'y a point quelque ratdans la ratière, nous en ferons un cocher. Tu as raison, dit saMarraine, va voir. Cendrillon lui apporta la ratière où il y avaittrois gros rats. La Fée en prit un entre les trois, à cause de salongue barbe, et l'ayant touché, il fut changé en un gros cocher quiavait les plus belles moustaches qu'on ait jamais vues. Ensuite elledit : Va dans le jardin, tu y trouveras six lézards derrièrel'arrosoir, apporte-les moi. Elle ne les eut pas plutôt apportés, quesa Marraine les changea en six laquets, qui montèrent aussitôt derrièrele carrosse, avec leurs habits chamarrés, et qui s'y tenaient attachéscomme s'ils n'eussent fait autre chose toute leur vie. La Fée dit alorsà Cendrillon : Hé bien : voilà de quoi aller au bal, n'est-tu pas bienaise ? Oui, mais est-ce que j'irai comme cela avec mes vilains habits ?Sa Marraine ne fit que la toucher avec sa baguette, et en même tempsses habits furent changés en de beaux habits d'étoffes d'or etd’argent, toutes garnies de pierreries ; ensuite elle lui donna unepaire de pantoufles de verre, les plus jolies du monde. Quand elle futainsi parée, elle monta en carrosse : mais sa Marraine lui recommandasur toutes choses de ne pas passer minuit ; l'avertissant que, si elledemeurait au bal un moment davantage, son carrosse deviendraitcitrouille, ses cheveux des souris, ses laquais des lézards, et que sesvieux habits reprendraient leur première forme. Elle promit à saMarraine qu'elle ne manquerait pas de sortir du bal avant minuit. Ellepart ne se sentant pas de joie.

Le fils du Roi, qu'on alla avertir qu'il venait d'arriver une grandePrincesse qu'on ne connaissait point, courut pour la recevoir ; il luidonna la main à la descente du carrosse, et la mena dans la Salle oùétait la compagnie. Il se fit alors un grand silence ; on cessa dedanser, et les violons ne jouèrent plus tant on était attentif àcontempler les beautés de cette inconnue. On n'entendit qu'un bruitconfus : Ah ! qu'elle est belle ? Le Roi même, tout vieux qu'il étaitne cessait que de la regarder, et de dire tout bas à la Reine, qu'il yavait long-temps qu'il n'avait vu une si belle et aimable personne.Toutes les Dames étaient attentives à considérer sa coiffure et seshabits, pour en avoir dès le lendemain de semblables, pourvu qu'il setrouvât des étoffes assez belles et des ouvriers assez habiles. Le filsdu Roi la mit à la place la plus honorable, et ensuite la prit pour lamener danser : elle dansa avec tant de grâce, qu'on l'admira encoredavantage. On apporta une fort belle collation dont le Prince ne mangeapoint, tant il était occupé à considérer. Elle alla s'asseoir auprès deses sœurs, et leur fit mille honnêtetés ; elle leur fit part de sesoranges et des citrons que le Prince lui avait donnés, ce qui lesétonna fort, car elles ne la connaissent pas. Lorsqu'elles causèrentainsi, Cendrillon entendit sonner onze heures trois quarts : elle fitaussitôt une grande révérence à la compagn[i]e, et s'en alla le plusvite, qu'elle put. Dès qu'elle fut arrivée, elle alla trouver saMarraine, après l'avoir remerciée, elle lui dit qu'elle souhaitait biend'y aller le lendemain, parce que le fils du Roi l'en avait priée.Comme elle était occupée à raconter à sa Marraine tout ce qui s'étaitpassé au bal, ses deux sœurs heurtèrent à la porte. Cendrillon leuralla ouvrir. Que vous êtes long-temps à revenir, leur dit-elle, enbaillant, et en se frottant les yeux, et en s'étendant comme si ellen'eut fait que de se réveiller ; elle n'avait cependant pas eu envie dedormir depuis qu'elles s'étaient quittées. Si tu étais venue au bal,lui dit une de ses sœurs, tu ne t'y serais pas ennuyée ; il est venu laplus belle Princesse, la plus belle qu'on puisse jamais voir ; ellenous a fait mille civilités ; elle nous a donné des oranges et descitrons. Cendrillon ne se sentant pas de joie, elle leur demanda le nomde cette Princesse, mais elles lui répondirent qu'on ne la connaissaitpas ; que le fils du Roi était fort en peine, et qu'il donnerait touteschoses au monde pour savoir, qui elle est. Cendrillon sourit, et leurdit : elle était donc bien belle ! Mon Dieu, que vous êtes heureuses !ne pourrais-je point la voir ? hélas ! Mademoiselle Javotte, prêtez-moivotre habit jaune que vous mettez tous les jours. Vraiment, ditMademoiselle Javotte, je suis de cet avis : prêter mon habit à unvilain Cucendron comme cela ! il faudrait que je fusse bien folle.Cendrillon s'attendait bien à ce refus, et elle en fut bien aise ; carelle aurait été grandement embarrassée si sa sœur eût bien voulu luiprêter son habit.
 
Le lendemain les deux sœurs furent au bal, et Cendriilon aussi : maisencore beaucoup mieux que la première fois. Le fils du Roi fut toujoursauprès d'elle, et ne cessa de lui compter des douceurs. La jeuneDemoiselle ne s'ennuyait point, et oublia ce que sa marraine lui avaitdit, de sorte qu'elle entendit sonner le premier coup de minuit,lorsqu'elle ne croyait pas qu'il fût encore onze heures ; elle se leva,s'enfuit si légèrement qu'aurait fait une biche. Le Prince la suivit |mais ne put l'attraper. Elle laissa tomber une de ses pantoufles deverre, que le Prince ramassa soigneusement. Cendrillon arriva chez ellebien essoufflée, sans carrosse, sans laquais, et avec ses méchanshabits ; rien ne lui était resté de toute sa magnificence, qu'une deses petites pantoufles de verre la pareille de celle qu'elle avaitlaissée tomber. On demanda aux Gardes de la porte du Palais, s'ilsn'avaient vu sortir personne, qu’une femme fort mal vêtue et qui avaitplutôt l'air d'une paysanne que d'une demoiselle.

Quand les deux sœurs revinrent du bal, Cendrillon leur demanda si elless'étaient bien diverties, et si la Dame y avait été ? Elles lui direntque oui, mais qu'elle s'était enfuie lorsque minuit avait sonné, et sipromptement qu'elle avait laissé tomber une de ses petites pantouflesde verre, la plus jolie du monde ; que le fils du Roi l'avait ramassée; qu'il n'avait fait que la regarder tout le reste du bal, etqu'assurément il était fort amoureux de la belle personne à quiappartenait la petite pantoufle. Elles dirent vrai, car peu de joursaprès le fils du Roi fit publier à son de trompe qu'il épouserait celledont le pied serait bien juste à la pantoufle.

On commença à l'essayer aux princesses, ensuite aux Duchesses et toutela Cour ; mais inutilement ; on la porta chez les deux sœurs, quifirent tout leur possible pour faire entrer leur pied dans lapantoufle, mais elles n'en purent venir à bout. Cendrillon, qui lesregardait et qui reconnut sa pantoufle, dit en riant: il faut que jevoie si elle ne me serait pas bonne. Les sœurs se mirent a rire et semoquèrent d'elle. Le Gentilhomme qui faisait l'essai delà pantoufle,ayant regardé attentivement Cendrillon, la trouva fort belle, dit quec'était juste,
et qu'il avait ordre de l'essayer à toutes les filles. Il fit asseoirCendrillon, et rapprochant la pantoufle de son pied, il vit qu'elle yentrait sans peine, et qu'elle y était juste comme de la cire.L'étonnement des deux sœurs fut grand, mais plus grand encore quandCendrillon tira de sa poche l'autre petite pantoufle1 qu'elle mit à sonpied. Là-dessus arriva sa Marraine ; qui ayant donné un coup sur leshabits de Cendrillon, les fit venir encore plus magnifiques que tousles autres.
 
Alors ses deux sœurs la reconnurent pour la belle personne qu'ellesavaient vue au bal. Elles se jetèrent à ses pieds pour lui demanderpardon de tous les mauvais traitemens qu'elles lui avaient faitsouffrir. Cendrillon les releva et leur dit, en les embrassant, qu'elleles priait de l'aimer bien toujours. On la mena chez le jeune Prince,parée comme elle était, qui la trouva encore plus belle que jamais ; etpeu de jours après il l'épousa. Cendrillon qui était aussi bonne quebelle, fit loger ses deux sœurs au palais, et les maria dès le mêmejour à deux grands Seigneurs de la Cour.

MORALITÉ.

C'Est sans doute un grand avantage
D’avoir de l'esprit, du courage,
De la naissance, du bon sens,
Et d'autres semblables talens,
Qu'on reçoit du Ciel en partage ;

Mais vous aurez beau les avoir,
Pour votre avancement ce serait choses vaine,
Si vous n'avez, pour les faire valoir,
Ou des Parrains ou des Marraines.

FIN