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CHAMBRAY, Louis de(1713-1783) : L'Art de cultiver les pommiers, les poiriers et de fairedes cidres selon l'usage de la Normandie.- A Paris : chez Ganeau,1765.- [4]-66-[1] p. ; 18 cm.
Saisie du texte : O. Bogros pour la collection électroniquede la Médiathèque André Malraux de Lisieux (27.VI.2014)
[Ce texte n'ayantpas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement desfautes non corrigées].
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Orthographe etgraphie conservées à l'exception des s longs.
Texteétabli sur l'exemplaire de la Médiathèque (Bm Lx: Norm....), on trouvera en ligne sur le site Gallica une édition de1890 de ce texte publiée à Rouen avec introduction de A. Héron.



L'ART

DE CULTIVER
LES POMMIERS,
LES POIRIERS,
ET DE FAIRE DES CIDRES
Selon l'usage de la Normandie

Par M. le Marquis de Chambray

L'Art de cultiver les pommiers, les poiriers et de faire des cidres selon l'usage de la Normandie


PRÉFACE

ON ne doit pas s'attendre à trouver dans cet Ouvrage, l'élégance &les graces d'un beau stile. La matiere que j'ai choisie n'en est gueressusceptible. Le coloris des fleurs que le pommier nous offre, se répanddifficilement sur un discours qui en traite, et les échos de lacampagne ne peuvent répéter que des sons champêtres. C'est pour lesAgricoles que j'écris, j'espere qu'ils voudront bien se contenter d'undétail exact, d'une expression claire, de la vérité de mes préceptes,& de la certitude de mes expériences. J'ai tâché de réunir cesqualités si nécessaires à un ouvrage purement didactique. Je neprésente ici que le résultat des réflexions, et des épreuvesjournalieres que j'ai faites ; jaloux d'être utile aux Cultivateurs,j'ai souvent épié la Nature, je l'ai surprise quelquefois dans sesopérations ; heureux si mon travail peut contribuer au bonheur de messemblables, l'humanité connoit-elle un plaisir plus doux & plustouchant ?

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L'ART
DE CULTIVER
LES POMMIERS,
LES POIRIERS,
ET DE FAIRE DES CIDRES
Selon l'usage de la Normandie
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INTRODUCTION

LE Cidre est une, boisson assez nouvelle pour la France. Son usage apassé d'Afrique en Espagne, et d'Espagne en Normandie. Les habitans decette province, qui ne trouvoient pas le climat & le sol de leurpays propres à la culture des vignes, n'en avoient que pour se procurerune boisson nécessaire, mais peu agréable ; beaucoup de cantons enétoient privés totalement, par la froideur & et l'humidité desterres ; les peuples qui les habitaient, étoient réduits à l'usage dela biere ou à celui de l'eau. La fréquentation des Normands avec lesBiscayens par le commerce maritime, leur fit connoître l'utilité ducidre ; ils planterent des pommiers, apporterent de Biscaye, desgreffes de ces fruits à cidre, & les premieres pommes qu'ilsrecueillirent, furent appellées pommes de Biscait ; nom que lespommes conservent encore. Bientôt les pommiers se multiplierent, &l'usage du cidre devint général. Alors on abandonna les vignesNormandes : il n'est resté aux différents terreins sur lesquels ellesétoient plantées, que le nom que le plant leur avoit donné, le clos dela vigne. Il y a à-peu-près trois siecles que les vignes ont étédétruites en Normandie, & que les pommiers ont pris leur place. LesBretons, les Anglois ont suivi l'exemple des Normands, & par laculture des pommiers se sont procuré une boisson aussi agréablequ'utile : on commence même dans différentes Provinces de la France,& surtout en Picardie, à cultiver cet arbre avec succès, & àpréparer des cidres qui ne sont pas sans mérite ; mais souvent aussices cidres manquent de qualité, & c'est moins à celle du sol qu'ilfaut s'en prendre qu'au défaut de choix dans les especes pommes, &au peu d’intelligence de ceux qui préparent cette boisson. C'est pourremédier à ce double inconvénient qu'on se détermine à rendre public cepetit ouvrage.


CHAPITRE I
De la Pepiniere.

Il y a des cantons dans la Normandie, comme le pays de Bray, celui deCaux, et plusieurs autres, où les habitans se font un revenuconsidérable des pepins qu'ils sement & qu'ils vendent au bout dedeux ans. Ils ont alors deux pieds de haut. Si on peut se procurer dece plant, c'est le moyen le plus prompt & le plus facile pourétablir une pepiniere. Si on ne le peut pas, il faut, dans le tems queles pommes sont pilées, faire ramasser dans leur marc des pepins depommes à cidre, ceux des pommes à couteau ne produiroient pas le mêmeeffet. On préparera dans son jardin un terrein bien meuble, on  ysemera dans le mois de Février ; on aura soin de le bien sarclerpendant les deux années qu’il restera dans la terre, de crainte que lesmauvaises herbes ne nuisent à son accroissement. Au bout de deux, on lelevera pour en former la pepiniere.

Il faut choisir pour la pepiniere un terrein neuf, s'il est possible,ou tout autre terrein qui soit en bon état de culture, dont le fond nesoit point argilleux. On le défoncera de dix-huit pouces de profondeur; & s'il y a du gazon sur la superficie, on le précipitera dans lefond de la tranchée : quand le terrein sera suffisamment labouré &dressé à la bêche, et non à la charrue, ou si la terre etoit trop durepour se servir de la bêche, au pic & à la pelle, on placera leplant au cordeau, chaque sujet à neuf  pouces de distance. Lesrangs seront éloignés les uns des autres de deux pieds & demi.Quand on plante plus serré la pepiniere n'en vient pas mieux. Cetteplantation se fera dans le cours de l'hiver ; après quoi on couvriratoute la pepiniere de vieux chaume, ou de feuilles qu'on ramassera dansles bois ; cette couverture tiendra les racines fraîches, la terremeuble, & empêchera les mauvaises herbes de pousser. Si on couvresuffisamment la pepiniere, elle n'aura besoin d'aucune culture ; sielle n'est pas assez couverte, les mauvaises herbes paroîtront au boutde quelque tems. Alors avec la houe plate, il faudra gratter lasuperficie de la pepiniere pour détruire les herbes ; ces herbesdétruites & séchées par le soleil, augmenteront l'anciennecouverture de chaume ou des feuilles qui auront été mises d'abord surla pepiniere. Au bout de deux ans ou coupera toute la pepiniere par lepied, les nouveaux jets qu'elle donnera surpasseront bientôt lesanciens. S'il en pousse plusieurs à chaque pied, on les arrachera, pourne laisser que celui qui sera de la plus belle espérance. On ne couperarien à ces nouveaux jets pendant deux ans il suffixa d'arracher lesrejettons qui paroîtront à leurs pieds, & d'entretenir la pepinierebien nette sans y souffrir d'herbes. Au bout de deux ans, la pepiniereen ayant quatre de plantation, on commencera à couper les branches gourmandes de chaquesujet, observant de ne pas dégarnir le pied & le corps de l'arbredes petites branches, parce qu'elles empêchent la seve de se porteravec trop de vivacité vers le haut de l'arbre, ce qui le fait grossirdu pied & croître en forme de cierge : c’est la perfection d'unarbre de pepiniere.

A la cinquieme et sixieme année, on arrêtera tous les arbres qui serontbons à lever l'année suivante ; cette opération consiste à leur couperla tête environ à six ou sept pieds de hauteur, selon la dispositionnaturelle de l'arbre. Il se formera ensuite une tête à l'arbre, dontles branches auront cinq à six pouces de longueur ; & l'annéed'après on commencera à lever les sujets qui auront le plus de force,les autres en viendront mieux. Il y a beaucoup de cantons dans laNormandie, où l'usage est de greffer les arbres dans la pepiniere ;cela ne seroit pas convenable pour ces sujets vigoureux qu'on leve dèsla sixieme année, & qui sont l'élite de la pepiniere ; mais lorsqueces plantes hâtives sont enlevées, & placées dans les champs, onpeut avec succès greffer les sujets qui sont par leur grosseur en étatde supporter la greffe. L'avantage  qu'on en retire est, que si lagreffe manque, l'arbre fait une nouvelle tête dans la pepiniere avecplus de facilité que dans les champs ; & que lorsqu'on ne plantedans les champs que des arbres dont la greffe est bien reprise &bien recouverte, on jouit plus promptement du fruit de sa plantation onn'est pas exposé à tous les accidens qui arrivent aux greffes qu'on metdans les champs, sur des arbres qui y ont été plantés sans greffer ; le vent, les oiseaux les cassent,elles meurent parce que la sève de l'année n'est pas toujours bonne ;elles essuyent mille autres accidents, qui mettent le propriétaire dansle cas d'arracher de jeunes arbres pour y en substituer d'autres, defaçon que dans une plantation de pommiers, il s'en trouve souvent untiers qui a été changé d'année en année, d'où il arrive qu'il y en aqui prennent de l'âge & de l'accroissement, tandis que les autressont à leur premiere ou à leur seconde année de plantation. Cela nefait jamais un bon effet ; car les premiers plantés qui, n'ayant pointeu d'accident, ont poussé avec vivacité, étendu leurs branches &leurs racines, se sont, pour ainsi dire, emparés du terrein, & lesderniers arrivés ont bien de la peine a se frayer une place. On éviteces inconvenients, en formant un plant de sujets dont la greffe estbien assurée dans la pepiniere.

Les arbres qui sont dans la pepiniere, ou qu'on a transportés dans leschamps sans greffer, portent souvent du fruit avant que d'être greffés.Si ce fruit est gros, doux, ou amer-doux, qu'il ait du jus, une chairblanche ou jaune, qu'il ne soit point aigre, on conservera l'arbre sansle greffer, ce sera une nouvelle espece de pommes à cidre : elles ne sesont multipliées à l'infini que de cette maniere ; comme les œuilletsde graine donnent des fleurs nouvelles qui sont les plus estimées descurieux. C'est pourquoi on a dit qu'il ne falloit semer que des pepinsde bonnes pommes à cidre ; ceux des pommes de rainette ou d'autrespommes à couteau, ne produiroient que des fruits aigres peu proprespour le cidre, au lieu que les arbres qui proviennent d'un pepin depomme à cidre, donnent souvent un fruit d'excellente qualité.

On finira ce chapitre par avertir qu'il faut que la pepiniere soit bienclause, pour la garantir des bestiaux, et par exhorter le cultivateur àla tenir couverte de feuilles le plus qu'il lui sera possible ; rienn'est si analogue à un arbre que les feuilles d'un arbre quelconque. Cepetit soin n'est pas dispendieux ; des femmes ramassent au rateau, sousdes futayes ou des taillis, des feuilles lorsqu'elles sont tombées,& les portent sur la pepiniere quand elle est finie.


CHAPITRE II
Manière de former les plants, lorsque les arbres sont bon à lever dans la pepiniere.

Les terreins qui n'ont qu'une légere superficie de terre friable, dontle fond n'est qu'une argille dure, ne conviennent point aux plants depommiers. Les racines des arbres ne peuvent s'insinuer dans cette terretrop dense ; on a beau faire des trous larges & profonds, lesremplir de terre meuble, de gazons, l'arbre croit & paroît beaupendant quelques années ; mais lorsque les racines ont atteint la terreargilleuse, il ne croît plus ; il se couvre de mousse et il meurtpeu-à-peu sans donner de fruit. Il en est de même des terres qui n'ontsous la superficie friable, que de la craie, du tuf blanc : mais danstoutes les terres fortes & grasses qui ont du fond, dans tous lesgraviers qu'on nomme creux, parce qu'ils sont faciles à remuer à deux& trois pieds de profondeur ; dans toutes les terres mêlées depetits grès plats & cassants, les pommiers viennent à merveille. Laterre rouge & humide convient mieux aux poiriers qu'aux pommiers ;il faut toujours en avoir un tiers sur sa terre, pour fournir auxDomesttiques & aux Journaliers, de la boisson lorsque les pommesmanquent. Rarement les pommiers rapportent du fruit trois ans de suite; quand les pommes manquent, les poires sont ordinairement abondantes.

Il y a beaucoup de personnes qui plantent des ceintures de pommiers& de poiriers autour de leurs terres labourables ; cet usage a ungrand inconvénient. Lorsque les charretiers labourent, ils nerencontrent, pour l'ordinaire, que trois arbres à chaque bout du champdans leur journée ; le propriétaire ne peut leur donner du monde pouraider à passer ces arbres, & renverser la charrue, à leur approche,les hommes destinés à cette emploi n'auroient pas une occupationsuffisante ; les arbres au bout des champs sont donc écorchés à tousles labours, & finissent par périr. C'est pourquoi il est bien plusconvenable de choisir les terres graveleuses qu'on possède, pour yformer des plants, dans toute leur étendus ; parce que les jours qu'ony laboure, on fait accompagner le charretier par une ou deux personnes,qui renversent la charrue à l'approche de l'arbre & qui laremettent à sa place quand l'arbre est passé. Le charretier laboure desuite toutes les rangées d'arbres, après quoi il renvoie les hommes quil'ont aidé, & travaille seul dans l'intérieu des rangées.

Dans bien des pays il se trouve plus de terres légères que de terresfortes ; il n'est pas à propos de couvrir celles-ci d'arbres fruitiers,qui, en ombrageant le bled l'empêchent d'être aussi ferme dans sapaille, aussi nourri dans son grain. On convient que l'avoine vientpour le moins aussi belle sous les pommiers qu'en plein champ. Mais lebled n'a pas le même avantage ; & c'est ce qui doit fixerl'attention du cultivateur. Il faut donc, dans les cantons ou la bonneterre est rare, ne planter que les terres légeres ; les arbres en lesombrageant un peu, défendront le grain des ardeurs du soleil, il n'ensera que meilleur ; au lieu que dans les terres fortes, le grain neveut pas être ombragé ; souvent il verse sous les pommiers.

On ne peut dire précisement quelle espece de terrein donnera lemeilleur cidre ; l'expérience seule peut instruire à cet égard : lesfonds les plus gras de la Normandie, le Cotentin où est Isigny, le paysd'Auge, donnent des cidres excellents. Les enclos de la Commanderie deSaint-Vaubours près de Rouen, où le terrein est fort mauvais,produisent un cidre admirable qui a un bouquet unique. Pressigny dansle Vexin Normand, Chambray sur la riviere d'Iton si renommés pourl'agrément de leurs cidres, n'ont qu'un terrein léger & pierreux.Ainsi ce n'est que par l'expérience qu'on connoîtra la valeur du sol.Mais il.faut toujours s'attacher aux especes de pommes les plusrenommées, car elles contribuent beaucoup à la bonté du cidre.

Lorsqu'on aura destiné un terrein pour y mettre des pommiers, aucommencement de l'automne, on fera des trous carrés de quatre piedsd'ouverture en tous sens, et de deux pieds de profondeur. L'ouvrierfera trois lots de la terre qu'il en tirera le premier, de lasuperficie qui est ameublie par la culture, ou par les engraisnaturels, comme feuilles et gazon, si ce n'est pas en champ labourèqu'on travaille : le second, de la terre qui se trouve au-dessous decelle qui a été cultivée : le troisieme, des pierres qui sortiront dechaque trou. Les trous seront placés au champ labouré à trente-sixpieds de distance sur tous sens ; par ce moyen les plants ne couvrirontpas trop la terre, les racines trouveront à s'étendre sans serencontrer, auront une substance suffisante, l'arbre viendrapromptement, aura une écorce vive & claire, & rapporterabeaucoup de fruit. Il y a encore d'autres avantages à éloigner ainsiles plants, les terres sont moins ombragées, les grains y viennentmieux, les charretiers qui trouvent une distance de trente-six piedsd'un arbre à l'autre, peuvent faire rentrer leurs chevaux dans ladirection de la ligne qu'ils tenoient pour tracer leur sillon, &qu'ils n'ont quittée que pour éviter le pied de l'arbre et ne pastoucher à son tronc, de façon que presque tout le terrein. se trouvantlabouré par la charrue, il ne reste à cultiver à la houe que la terredu pied de l'arbre, que la charrue a laissée sans culture en forme denavette, dont chaque pointe est tournée vers l'arbre précédent & lesuivant. Si la charrue ne pouvoit reprendre ainsi la direction de sonsillon, après avoir tourné sur chaque côté des arbres, on seroit obligéde laisser, à chaque rangée d'arbres une planche de terre sans lalabourer; ce qui donneroit un ouvrage immense pour mettre une si vasteétendue de terrein en labour avec la houe fourchue ; on ne peut donctrop recommander de mettre une distance suffisante d'un arbre à unautre ; quoique bien, des propriétaires n'ayent pas cette attention. Ilest vrai que les plants que l'on met dans les cours ou autres terreinsqui ne se cultivent pas à la charrue, ne doivent pas être si éloignés ;quinze pieds de distance d'un arbre à l'autre suffiront. Lorsque lestrous sont faits & disposés, ainsi qu'on vient de le marquer, onarrache dans la pepiniere, les arbres qui sont en bon état, & dontles tailles des années précédentes sont bien recouvertes, en observantde leur laisser le plus de racines & de chevelu qu'il est possible; on les taille en bec de flûte, l'entaille par-dessous ; on rafraîchitles branches de la tête de l'arbre, si elles ont trop poussé dans lapepiniere depuis que l'arbre a été arrêté ; ensuite on jette dans letrou la premiere terre qui en a été ôtée ; on fait encore tomberdedans, la terre la plus meuble qui se trouve aux environ s; on larange horisontalement avec la fourche ou la bêche ; on pose l'arbredessus, un homme le tient droit, un autre couvre les racines de lameilleure terre qu'il peut trouver à sa proximité ; quand elles sontcouvertes, on secoue un peu l'arbre en ligne perpendiculaire, pour quela terre mouvante qu'on vient de jetter sur les racines, s'insinuepar-tout. Après quoi on recouvre en totalité le pied de l'arbre de laterre qui l'environne ; on la butte en forme de navette, si c'est dansles champs labourés ; & si c'est ailleurs, en forme de bassin quidoit avoir comme premiere ouverture quatre pieds de diametre ce bassinsera rond, l'arbre doit être dans le centre du cercle ; les bordsauront un pied d'élevation sur le niveau du terrein, le bassin iratoujours en baissant vers le pied de l'arbre, afin qu'il puissereceyoir les eaux du ciel qui doivent humecter les racines. S'il resteaprès cela des pierres sur les bords des trous, on les fait porter dansles chemins les plus proches pour les réparer. C'est un très bon usagede jetter au fond des trous, avant que d'y mettre aucune terre, desjoncs marins, des genêts, bruyeres, gazons chevelus, ou autresbrossailles quand on peut en avoir, cela tient la terre creuse &meuble, les racines s'en trouvent trés-bien mais généralement il fautplanter sur la superficie de la terre, c'est-à-dire, le moinsprofondément qu'il est possible ; les arbres qui sont encaissés tropavant, languissent presque toujours & ont beaucoup de mousse ;leurs racines ne pouvant percer le fond, & les parties latéralesdes trous, sont contraintes de remonter pour s'étendre sur lasuperficie de la terre, cela arrête totalement le progrès de l'arbre.Il est vrai que les arbres plantés trop à fleur de terre, sont plusfacilement renversés par les vents ; mais il vaut mieux perdre quelquespommiers par cet accident, que de voir languir toutes les plantations.

Dès la première année, la tête des pommiers nouveaux plantés pousse depetites branches & des feuilles ; au bout de trois ans elle estassez considérable, pour qu'on puisse commencer à greffer les sujetsqui marquent assez de vigueur pour recevoir la greffe. Cette vigueurdépend de la façon dont les racines ont travaillé. Il y a toujours desarbres qui sont plus lents à pousser en racines ; alors la tête étantmoins garnie, on diffère à les greffer. Si greffoit avant que l'arbreeût bien poussé en racines, la greffe seroit languissante, ou mourrait; mais lorsque l'arbre affectione le terrein, qu'on voit qu'il pousseune tête bien garnie de branches, que l'écorce en est vive ettransparente, il est tems de poser la greffe. Il faut greffer quand lechamp est ensemencé en bled, parce que dans cette année et la suivante,qu'il produit des avoines, les moutons approchent plus rarement desarbres ; car il faut observer que leur odeur nuit à la seve. Quand lesarbres sont greffés ils ne reçoivent de culture que par les labours. Lecultivateur fait remuer la terre de leur pied avec la houe fourchue àtoutes les saisons de bled, mars, & gueret, & jeter de lasemence au pied, quand les champs sont ensemencés. Les pommiers seplaisent beaucoup plus dans les terres labourables que dans les enclos: 1° Parce qu'en ouvrant la terre qui couvre leurs racines, ellesreçoivent le bénéfice des influences de l'air. 2° Parce qu'en répendantdes fumiers dans les champs, on augmente leur vigueur. Cependant dansles cours des maitairies, où il y a un grand concours de bestiaux quirependent des engrais, les arbres viennent très-bien & rapportentbeaucoup, parce qu'ils sont ordinairement à l'abri des vents parquelques murs ou bâtiments, ce qui conserve les fleurs. Mais dans lespâtures éloignées des maisons, si elles n'ont pas un bon fonds, si lesarbres ne sont pas cultivés tous les ans, en les bêchant au pied, engrattant la mousse, en dégarnissant les branches de leur superflu, ilslanguissent et rapportent peu. En général on connoit que l'arbre seplaît dans un terrain, lorsque l'écorce en est vive & claire, qu'ily a peu de mousse autour des branches ; & dans tous les pays quiproduisent des pommiers de cette nature, on peut y établir des plants àcidres avec une sorte de confiance ; au reste, n'y a que l'expériencequi apprenne si ]e cidre aura de la qualité. J'ai vu de très-beauxpommiers dans 1es montagnes de Savoie ; j'ai envoyé au Marquis d'Oncieud'excellentes greffes de Normandie qui ont bien réussi ; il y a lieu decroire que le cidre qui en proviendra sera bon, & je suis persuadé,que beaucoup de pays pourroient se procurer l'usage du cidre, si lescultivateurs vouloient en tenter l'établissement.


CHAPITRE III
De la Greffe.

Lorsque les pommiers sont en état de recevoir la greffe, on en prenddans les sommités des branches des pousses de l'année ; si on n'a paschez soi de bonnes especes, on en fait venir de Normandie, ens'adressant à quelqu'un capable de faire un bon assortiment, bien varié; les greffes peuvent être cueillies deux mois avant que de lesemployer ; on les envoie dans de la mousse fraîche ; on les met enterre dans un coin du jardin quand on les a reçûes, & on en faitusage quand le tems y est propre ; celui qui les envoie à soin demettre une étiquette à chaque espece différente. A la fin d'Avril, etmême un peu plutôt pour les espaces précoces, on commence à greffer parun tems doux et sans pluie. On taille les greffes de la longueur de sixà sept pouces ; il importe peu que l'oeuilleton de la greffe soitcoupé, puisque d'une seule pousse de l'année, on en fait souvent deuxgreffes. On forme au bout de chaque greffe, un espece de coin d'unpouce de long en applatissant les deux côtés sans toucher à la moëllede la greffe, excepté dans l'extrémité de la taille où elle se trouvedécouverte ; on coupe la tête de l'arbre avec la scie, à cinq pieds& demi ou six pieds de terre ; on pare avec la serpette la partiequi a été sciée, on fend l'arbre en deux autant qu'il est nécessairepour y introduire la greffe ; on le tient entr'ouvert avec un coin debois ; on pose deux greffes sur chaque côté de la fente de cet arbre ;on fait rencontrer exactement de chaque côté, l'écorce de la greffe etcelle de l'arbre. On retire le coin, l'arbre serre aussitôt lesgreffes. Alors on environne cette tête d'arbre ainsi greffée, avec unebande de papier ; on fait une poupée avec de la filasse tirée en long,et garnie de terre franche réduite en mortier ; on passe cette filasseentre les deux greffes, pour que tout y soit plein & garnie decette espece de
mortier. On la fait tourner plusieurs fois autour de la tête greffée,cela forme une poupée grosse comme le poing, au travers de laquellesortent les deux greffes, qui paroissent de la longueur de cinq poucesau travers de la poupée ; ensuite on lie au corps de l'arbre, unepetite branche sache, qui passe un peu au-dessus des deux greffes, pourempêcher les oiseaux de se reposer dessus & de les casser. On metdeux greffes, parce que si 1'une manque l'autre peut ne pas manquer. Iln'est pas avantageux qu'il en reste deux sur un arbre ; ces deuxgreffes qui ne s'unissent jamais parfaitement, laissent toujours unvuide entr'elles ; lorsqu'elles sont chargées de fruits & qu'ilsurvient des vents, l'une des deux greffes se casse & entraîne avecelle la moitié de l'arbre qui s'éclate en deux ; pour parer à cetinconvénient, lorsque les deux greffes ont bien poussé, on choisit laplus belle, & d'un coup de maillet, on fait sauter l'autre avec unciseau de menuisier ; on met sur cette coupure, de la terre franchedélayée ; & la greffe qui reste, ne tarde pas à s'emparer de latotalité de l'arbre, le tout se recouvre & s'unit en peu de tems.Bien des gens ne prennent pas tous ces soins, aussi ont ils des arbresde mauvaise mine, tortus, trainants jusqu'à terre, plantés sans aucunesimétrie ; il n'en coûte pas davantage de donner de la grâce aux chosesutiles. Lorsque les branches de la greffe en croissant tombent trop basvers la terre, il faut avoir soin de les couper & de les diriger defaçon qu'elles puissent laisser un libre passage aux chevaux deharnois, pour la culture des terres labourables sur lesquelles lesarbres sont plantés ; il est même très-convenable de ne greffer dansles terres labourables, que des especes dont le bois s'éleve, & ala forme de l'oranger, car les branches trainantes sont incommodes auCultivateur ; l'arbre à hautes branches est plus agréable à la vue. Ily a de si bonnes especes de fruits dans ce genre, qu'il est faciled'avoir des cidres excellents en ne se servant pas des arbres dont lesbranches s'inclinent trop vers la terre, & qui sont toujoursexposés à l'attaque des bestiaux.

Lorsque les greffes meurent, il faut donner le tems à l'arbre de faireune nouvelle tête, on la coupe ensuite comme on avoit fait la prernierefois, observant de couper jusqu'à ce qu'on trouve le bois parfaitementvif, et sans aucune impression de l'ancienne cicatrice ; si cessecondes greffes manquent encore, il faut arracher l'arbre et enplanter un autre. Tout le monde sçait que le pommier en fleur &même lorsqu'il est chargé de fruits, est un très-bel arbre.


CHAPITRE IV.
Des différentes especes de pommes à cidre.

On doit diviser les pommes en trois classes ; les précoces qui sontmûres au commencement du mois Août ; ces fruits sont d'une grandeutilité, ils procurent des cidres à ceux dont la récolte précédente amanqué ; souvent on les attend avec impatience, le cidre en est léger& agréable ; on en boit ordinairement à la foire de Guibray quicommence le 9 Août. Ces pommes sont :

L'Ambrette.
Le Renouvellet.
La Bellefille.
Le Jaunet,
Le Blanc.

Il est convenable de les greffer dans un même canton, pour avoir plusde facilité à les cueillir, sans être obligé de parcourir tous lesplants.

La deuxieme classe, que l'on cueille à la fin de Septembre & au commencement d'Octobre est :

Le Fresquin.
La Girouette.
La Haute-branche.
Le Long-bois.
L'Avoine.
Le Gros-adam blanc.
Le Doux-évêque.
Le Rouget.
L'Ecarlatte.
Le Blanc-mollet.
Le Bedan.
Le Petit-manoir.
Le Saint-George.
Le Gros amer-doux.
Le Petit amer-doux
Marie-la-douce.

La troisieme classe est mûre à la fin d'Octobre ; les meilleures sont :

La Peau-de-vache.
L'Alouette-rousse.
L'Alouette-blanche.
La Coste.
Le Blagny.
Le Blanc-duré.
L'Adam.
Le Doux-reté.
Le Mattois.
Le Pepin.
Le Doux-veret.
Le Closente
La Rousse.
La Reinette-douce.
Marie-honfroy.
Le Rambouillet,
Le Pied-de-Cheval,
Le Gros-coq.
L'Equieulé.
L'Epicé.
L'Ante-au-gros.
Le Bon-vallet.
Le Saint-Bazile.
Le Muscadet.
L'Amer-mousse.
Le Petit-moulin-à-vent.
La Petite-chappe.
Le Rebois.
Le Grout.
La Germaine.
La Sauge.

Il y a une infinité d'autres especes de pommes en Normandie. La mêmepomme a aussi très-souvent divers noms selon les divers cantons, maisil s'en forme tous les jours de nouvelles par especes doubles quiviennent dans les pepinieres, & qui sont d'une excellente qualité ;elles multiplieroient bien plus si on laissait rapporter tous lesjeunes arbres avant que de leur couper la tête ; on fait souvent degrandes injustices dans cette exécution ; on détruit des fruitsadmirables ; il en est des pommes comme des fleurs qu'on seme, lagraine produit beaucoup de simples et peu de double. Les pommes simplessont petites, aigres, ont peu de suc, la chair verte. Les doubles sontgrosses, blanches ou colorées, ont la chair jaune ou blanche, sontdouces ou amer-douces, & certainement ces especes nouvelles envalent bien d'autres. Il est vrai qu'on prétend que les pommiers quin'ont pas été greffés, rapportent plus rarement que les autres, maisj'ai l'expérience du contraire ; il y a même de ces arbres quiproduisent plus souvent & plus abondamment que les autres, commeaussi il peut s'en trouver qui ne soient pas chanceux, alors on lesgrefferoit sur les branches : mais lorsqu'un arbre non greffé produitde bon & beau fruit et en produit souvent, il faut le conserver,puisqu'il est plus vigoureux qu'un autre, dure plus long-tems &n'est pas si sujet il être cassé par les vents.

Ceux qui ne vodrons pas faire usage de cette remarque, trouveront dansles listes qu'on a données, des especes plus que suffisantes pourétablir d'excellentes plantations d'arbres à cidre. Il y a un grandavantage, à greffer des trois classes de pommes ci-dessus indiquées,car il vient souvent des gelées dans le printems qui font périr lesfleurs; si ce moment arrive dans le tems que les especes précoces sonten fleur, on a lieu d'espérer que la fleuraison des deux classessuivantes sera plus heureuse ; si au contraire les gelées ou lesvents-roux arrivent tard, les especes hâtives ont dejà leur fruitformé, & il n'y a que les pommes tardives qui en souffrent. Enfinon sentira de reste, qu'on doit plus compter sur des arbres qui nefleurissent pas dans le même-tems, que sur ceux qui fleurissent tousensemble ; avec ceux-ci on a tout, ou rien ; avec les autres on atoujours quelque chose, & presque jamais une abondance générale,souvent à charge au propriètaire qui n'a pas assez de futailles, pourmettre tous les cidres que les arbres ont produit. Les vents-rouxchassent avec eux un brouillard qui a plus l'air d'une légere fumée qued'un brouillard ordinaire ; toutes les fleurs des arbres qui en sontfrappées, sont ratios dans l'instant, & se pulvérisent ensuitecomme des feuilles de tabac. Les fleurs qui n'en sont pas totalementdétruites, produisent une petite pomme dans laquelle il s'établit unver, & qui tombe avant qu'elle ait pris un accroissementconsidérable.

Il y a des personnes, qui, pour garantir les fleurs de leurs arbres dece vent destructeur, assemblent au couchant de leurs plants de distanceen distance, de petits tas d'herbes seches, de feuilles, de bruyeres,etc., & quand ce vent qui vient toujours du couchant commence àsouffler, elles mettent le feu à ces petits monceaux de matierescombustibles, la fumée qui en sort est portée par le vent vers leplant, corrompt le mauvais air, & garantit les fleurs d'unedestruction çertaine ; cela n'est pas bien difficile à pratiquer ; caren supposant qu'on ait pas eu la précaution d'assembler des matierescombustibles au couchant des plants, il. est encore tems d'y en porterlorsque le vent-roux paroit ; il faut peu de matiere pour produirebeaucoup de fumée, on a bien-tôt rassemblé chez-soi de vieux foinspourris, de petites bourrées de bois, sur lesquelles on jette un peu depaille mouillée, les vents-roux disparaissent promptement, & nedurent jamais trois jours ; d'ailleurs ils sont sans effet pendant lanuit, il résulte aussi de ces vents des chenilles en quantité.Lorsqu'elles se sont emparées des arbres, il n'y a d'autre secret pours'en défaire, que d'écheniller ; on se sert pour cette opération d'uneespece de ciseaux qu'on enmanche à un bâton ; ils restent ouverts parle moyen d'un ressort, comme les ciseaux dont on se sert pour couperles ongles des pieds. On fait mouvoir la partie supérieure de cesciseaux, par le moyen d'une ficelle qui y est attachée, et on coupe labranche au-dessous de l'endroit ou les chenilles sont établies : c'esttoujours sur les petites branches. Si on n'a pas ces ciseaux, on peutse servir du croissant du jardinier, & brûler ensuite les branchesqui seront tombées à terre avec la coque des chenilles. On peut fairesous les arbres plusieurs fumigations pour faire périr les chenilles,mais elles ne sont pas sans inconvenient. Il est plus courtd'écheniller, cela n'est pas si long ; sans cette précaution, il nereste pas une feuille aux arbres, les chenilles les dévorent etaltèrent considérablement la sève.


CHAPITRE V
De la maniere de cueillir les Pommes.

Si les plants sont enclos de haies ou de fossés, de façon qu'on puisseles défendre de l'approche des bestiaux, la meilleure façon est delaisser meurir les pommes à l'arbre, au point que la plus grande partietombe d'elle-même, après quoi en secouant les branches des arbres, lereste tombe sans effort. Par ce moyen l'arbre n'est point battu avecdes gaules, le bourgeon qui doit produire l'année suivante n'est pointdétruit, les arbres rapportent plus souvent & davantage. On laisseces pommes sous les arbres, elles y meurissent et lorsque le tout esttombé, soit naturellement, soit par les secousses qu'on a données auxbranches ; on pose les pommes à terre dans des bâtiments, pour lespiler lorsqu'elles sont à leur vrai point de maturité. Ce qui estessentiel pour avoir de bons cidres. Il ne faut jamais transporter lespommes dans les bâtiments, lorsqu'elles sont mouillées par la pluie oupar la rosée, cela les fait noircir, pourrir, & ôte la qualité descidres. Pour les pommes qui ont meuri sur les arbres, si elles sont àleur point juste, on peut les porter tout de suite sous la roue dupressoir. Il faut avoir soin de ne pas mêler dans les bâtiments lespommes avancées, avec les tardives, les unes seroient trop mûres &même pourries, que les autres seroient encore vertes ; il n'enrésulterait qu'un jus imparfait. On a donc soin de ne porter danschaque grenier, que les pommes qui sont de la même classe, & quidoivent être pilées dans le même-tems ; quant à celles qui se trouventdans les terres labourables, & qui sont exposées aux bestiaux, onenvoie tous les matins pendant les mois de Septembre & d'Octobre,ramasser ce qui est tombé pendant le nuit. On les pile de bonne-heurepour en faire de petit cidre, car la plûpart sont verreuses ; quand lefruit de ces arbres est suffisamment mur, on en fait la cueillettegénérale, en secouant et gaulant les branches pour faire tomber lefruit. C'est alors qu'il y a bien du bois de brisé et que l'arbresouffre ; mais il est impossible de parer cet inconvenient. Les pommesainsi cueillies, on les porte dans les bâtiments qui leur sont destinéson peut même les mettre sur l'herbe dans un lieu fermé proche lepressoir, elles y meuriront bien, l'air ne les endomagera pas ni lespluies : il n'y auroit à craindre qu'une gelée trop forte, une pommegelée ne donne jamais de bon cidre. On s'en garantira si on les couvrede feuilles ; la pomme se conserve parfaitement sous les feuilles. Onne doit piler les pommes que quand elles sont bien mûres, on le connoîtà leur couleur jaune, à la bonne odeur qu'elles rependent quandquelques-unes commencent â pourrir. C'est-là ce qui indique leur vraidegré de maturité.


CHAPITRE VI
De la façon des Cidres.

Monsieur des Pommiers dans son livre intitulé : L'art de s'enrichir promptement par l'agriculture,nous dit, « que les pommes d'un doux-amer, quelques-unes un peu aigressont les seules propres à donner de bons cidres ». Cet assortissementn'est point encore venu à la connoissance des Normands, qui n'estimentque le doux et amer-doux, & qui regardent les pommes un peu aigres,comme contraires à la bonne qualité du cidre. Monsieur des Pommiersécrit bien, a du zele. Ses essais sur les Cidres sont encore nouveaux,il les perfectionnera tous les jours. Si je craignais pas de m'écarterde mon sujet, je lui proposerois mes objections sur la culture dusainfoin ; je prends seulement la liberté de lui représenter, que lessuccès qu'il a eus dans son pays pour l'établissement des sainfoins, neseroient pas les mêmes dans la Haute-Normandie, dans le Perche, partoutoù les terres s'affaissent & se condensent beaucoup. Ce n'est pointà la graine qu'il tient ; les Fermiers qui cultivent une de mes terresprès de Falaise, qui ont des sainfoins en abondance, m'ont apporté dela graine la plus parfaite, & sont venus semer dans la terre deChambray que j'habite, située entre Verneuil au Perche & Nonancourt; les labours, les fumiers, rien n'a été épargné ; le sainfoin atrès-bien levé ; mais la terre s'est affaissée pendant l'été, la plantes'est trouvée enfermée comme dans une brique cuite au soleil, & estmorte peu-à-peu. Bien d'autres que moi ont manqué leurs expériencesdans ce canton, qui est plein de pierres à fusil et de gros gravierrouge ou gris. 11 faut donc dire avec l'excellent auteur du Mémoire sur la culture du sainfoin, dans la haute Champagne,que le plus grand secret pour avoir des sainfoins, est d'empêcherl'affaissement des terres, c'est à quoi je travaille actuellement ; jerendrai compte au public de mon procédé si je réussis. On me pardonneracette digression eu faveur de mon zele pour le bien public.

Quand on -veut faire du cidre parfait, lorsque les pommes sont à leurpoint de maturité, à mesure qu'on les prend sur la pelle de bois pourles mettre dans la corbeille & les porter dans les auges dupressoir, une ou deux femmes, ôtent toutes les pommes noires &pourries, on les garde pour les mettre dans le repilage ; mais commetout le monde ne veut pas faire cette petite dépense, voici l'usageordinaire pour bien piler les fruits. Je dis bien pilerparce que les trois quarts des Normands ont des cidres troubles &de mauvais goût, par le peu de soin qu'ils donnent à les façonner. Jene donnerai point les dimensions d'un pressoir ; elles sont assezconnues.

Le cheval qui sert au pilage, ayant suffisamment fait tourner la meulede bois ou de pierre qui sert à écraser les pommes, on les porte ainsiécrasées sur le tablier du pressoir ; elles y sont dressées en formecarrée ; on met un rang de paille entre chaque couche de pommes pilées; les bouts de la paille excédent de quatre doits, le carré cube depommes écrasées, qui est dressé par le conducteur des cidres, sur letablier du pressoir. Plus on exhausse cet édifice, plus le jus coule enabondance sur le tablier, & tombe dans la cuve appelée beslon.Lorsque ce cube, qu'on appelle la motte, est à la hauteur d'environquatre pieds, que le cidre n'en découle plus, on met dessus un carré deplanches fortes, jointes ensemble, qui excède les bords de cette mottede trois pouces de toutes parts ; ensuite on met de petits soliveaux demême grandeur sur ce carré de planches, et on descend par le moyend'une vis, l'arbre à pressoir sur tout l'édifice. Son poids fait sortirle jus des pommes écrasées, il tombe dans le beslon, alors si on n'apas de cuves, on transporte le cidre du beslon dans des futailles biennettes et bien reliées : mais si on a la commodité d'avoir dans sonpressoir des cuves contenant 2, 4, 6, queues plus ou moins, on jettedans ces cuves tout le cidre qui sort du beslon ; il y reste trois àquatre jours sans monter, au bout desquels il fermente très-fort. Toutela lie monte comme l'aîne du vin ; quand on voit que cette croûtecommence à s'abaisser, il est toms de tirer le cidre & de le porterdans les futailles. On a une grosse canelle de bois ou de cuivre au basde la cuve, on emplit les sceaux par cette canelle, on porte le cidredans les tonneaux qui sont préparés sur les chantiers dans lacave. Parce moyen il ne se trouve point dans la futaille, cette affreusequantité de lie dont les cidres des paysans sont toujours surchargés,le cidre ne s'aigrit pas si promptement, est plus clair, & a plusbelle couleur. Si les cidres par la nature du terrein ne sont passuffisamment colorés, ce qui arrive souvent, il faut laisser mâquer lespommes pilées pendant quelques heures, c'est-à-dire, différer d'enfaire sortir le jus après qu'elles sont pilées ; par cette méthode ondonne au cidre autant de couleur qu'on le juge à propos. Quand lestonneaux sont pleins, il faut les laisser sans les bonder pendant troissemaines, pour leur donner le tems de bouillir et de jetter par le troude la bonde, une quantité d'impuretés ; le cidre ayant cessé debouillir, on remplit, les tonneaux avec d'autre cidre, et on bonde ;mais il faut regarder souvent aux futailles pour leur donner de l'airs'il est besoin, car souvent le cidre fait sauter les cercles, surtoutsi on a bondé trop tôt. Les Parisiens ne trouvent jamais le cidre assezdoux ; Si on veut en avoir qui conserve sa douceur très long-tems, quimousse bien, & qui ait une très-belle couleur, il faut mettre pleinun grand chaudron de fer ou de cuivre, contenant à peu-près troissceaux de cidre sortant du beslon, le faire bouillir sans interruptiondepuis le matin jusqu'au soir, ensorte qu'il se reduise en syrop épais; lorsque ce syrop est à-peu-près à son degré de cuisson, on y jetteune demie-livre de beau miel, on le fait encore bouillir un peu, &l'on jette le syrop par le trou de la bonde d'une pipe qui contientcinq cent pintes. On la roule sur tous sens, on entonne dedans le cidresortant de la cuve, au bout de très-peu de tems on a du cidretrès-clarifié, très-doux, piquant & agréable. Cette recette estencore meilleure pour des cidres qui n'ont pas beaucoup de qualité pareux-mêmes : elle seroit très-inutile à Isigny & en bien d'autresendroits de la Normandie. Ce syrop se garde, si on veut, dans des potstrès long-tems, il y reste en consistence de miel, & quand on veuten faire usage dans les rhumes, il faut le battre avec de l'eau chaude; il est très-bon pour la poitrine.

Si le cidre n'éclaircissoit pas dans les tonneaux, ce qui arrivequelquefois, surtout à ceux qui ont des pommes dont le jus est gras& limoneux ; il faudroit pour une demi queue de deux cent cinquantepintes, broyer un pain de blanc d''Espagne, autrement craie deBriançon, y joindre le poids de deux liards de souphre en poudre,jetter le tout dans la futaille par la bonde, remuer le cidre avec unbâton fendu en quatre ; il sera bientôt clair fin, c'est la maniere dele coler. Au mois de Mars on met en bouteille le cidre qu'on destinepour la table des Maîtres, en observant de ne le boucher à demeurequ'au bout de quelques jours, autrement il casseroit bien desbouteilles : ce cidre mousse, pique le palais, porte au nés, monte à latête, plaît beaucoup ; mais ce ne seroit pas une boisson convenablepour l'ordinaire, elle a trop de violence ; les Normands boiventrarement du cidre sans eau ; il faut donc voir l'usage journalier qu'onpeut faire du cidre.

Pour avoir une boisson agréable et saine, il faut mettre quelques seauxd'eau dans les auges du pressoir en pilant les pommes ; on regle celaselon le degré de force qu'on veut donner au cidre, lorsqu'il est ainsitempéré, il est très-sain, on le digere facilement ; on l'appelle latisane des Normands. Mais ce cidre mêlé d'eau ne passe gueres l'année,il s'aigrit à la fin, au lieu que du cidre d'un bon crû, se conservemieux & est souvent très-potable au bout de sux & sept ans.


CHAPITRE VII
Des petits Cidres.

Si on buvait le cidre pur à son ordinaire, ce seroit comme si on nemettoit jamais d'eau dans son vin. Il n'est point de boisson pluslegere & plus rafraîchissante que le petit cidre, il n'a aucun desinconvenients des gros cidres, qui souvent gonflent & nourrissenttrop ; mais il faut que le petit cidre soit bien fait. Pour y parvenir,voici comment on doit procéder.

Le gros cidre étant tiré du marc des pommes pilées, on exhausse l'arbreà pressoir. On ôte de dessus la motte, les pieces de bois, & lecouvercle de planches qui y étoient. On releve le marc des pommes parcouches, qui sont marquées par les lits de paille qui separent chaquecouche de marc. On met le marc dans une futaille défoncée par un bout,dans un coin du tablier du pressoir, & dans les auges à piler. Sion a besoin de pepin pour semer, c'est dans ce moment qu'on les met àpart. On jette de l'eau sur le marc qui est dans les auges & quandil est imbibé, on attele le cheval à la meule pour le repiler.Lorsqu'il est suffisamment repilé, on le porte à pelletées sur letablier du pressoir ; & de ce repilage, on forme une nouvellemotte, comme on a fait pour le gros cidre. C'est exactement le mêmeprocédé, pour dresser la motte, mettre l'arbre à pressoir, porter dubeslon dans la cuve, ou dans la futaille, si on ne veut pas faire cuverle petit cidre, ce qui cependant le rendroit meilleur, & ledébarrasseroit de la plus grande partie de sa lie. Pour sçavoir laquantité d'eau qu'il faut mettre sur le marc, la regle est d'y enmettre autant qu'on a tiré de gros cidre. C'est-là la boisson desDomestiques : si on veut qu'elle serve aux Maîtres ou qu'elle soitd'une qualité plus forte, on jette dans le repilage quelques pelletéesde pommes. Mais il y a une autre façon de faire du cidre mitoyen pourles Maitres, & c'est la plus convenable ; elle consiste à jetter 2,3 ou 4 seaux d'eau dans chaque pilée de pommes,lorsqu'elles sont bienécrasées, et à faire ensuite tourner la meule pour que le touts'incorpore. Plus le tour du pressoir est grand, plus il contient deboisseaux de pommes, ainsi on ne peut déterminer combien on mettra deseaux d'eau à la pilée ; le Propriétaire en jugera facilement ; il y amême des crûs qui ont moins de qualité, le jus des pommes est moinsspiritueux, dans ce cas-là faudroit moins d'eau. Chacun doit cornnoîtrela valeur des choses dont il fait usage ; le cidre mitoyen se façonnecomme le gros cidre ; il ne diffère que par l'eau qu'on y met, pourrendre cette boisson plus convenable à la santé ; les enfans qui enboivent sont frais commue des roses ; elle nourrit et raffraîchit.


CHAPITRE VIII
Des Poiriers, des Poires, & du Poiré.

Le poirier se cultive de la même maniere que le pommier ; les cidres depoires se font de même que ceux des pommes, mais le poirier veut uneterre plus forte et plus humide que le pommier. Il faut essayer sonterrain pour connoître celui qui lui convient le mieux, si on planteailleurs qu'en Normandie, où ces choses sont connues de tout le monde.Le poirier se plaît dans les terres cultivées, mais il ne craint pastant que le pommier, celles qui ne le sont pas ; il dure un plus grandnombre d'années : son jus supplée à celui de la pomme en y mettant del'eau, il sert de boisson au peuple, comme on l'a expliqué ci-dessus àl'article des petits cidres. Le poiré sans eau est doux & agréable,il se garde deux ans : on prétend qu'il est mal sain, il ne causecependant aucuns mauvais effets en Normandie, au contraire lesnourrices en boivent pour se procurer une abondance de lait. Si on asuffisamment de cidres de pommes, pour son usage et la consommation desa maison ; on ne fait que du poiré sans eau, on en repile le marc avecde l'eau pour ne rien perdre ; c'est la boisson des Domestiques &Journaliers. Les poirés sans eaux se vendent bien dans les paysvignobles, lorsqu'on n'en est pas éloigné, parce que cette liqueurressemble au vin ; des vinaigriers les achetent pour en faire desvinaigres qu'ils colorent avec la graine de sureau, & les fontpasser pour du vinaigre de vin ; c'est un des gros commerces de laville de Dreux. Quand on n'a pas ces débouchers pour le poiré, on lefait brûler comme les cidres de pommes, pour en tirer des eaux-de-vie,qui sont d'un très-grand usage en Normandie. L'eau-de-vie de poiré estplus limpide et plus vive que celle de pomme.

Il y a beaucoup de choix dans les greffes des poiriers ; car il y a desespeces de poires à cidre bien superieures en qualité ; les meilleuressont :

L'Ecuyer.
Le Jacob.
Le Rouillard,
Le Gros-mesnil.
Le Rouge-vigny.
Le Blin.
Le Bois-prieur.
Le Huchet-gris.
Le Huchet-blanc.
Le Verd.

Et plusieurs autres qu'il seroit inutile d'indiquer.

Ceux qui voudront se procurer des greffes de pommes & de poires,pourront s'adresser, en affranchissant leurs lettres, à Monsieur lemarquis de Chambray, en son château de Chambray, près Tillieres, routede Bretagne : il a des meilleures especes en tout genre, et se fait unplaisir d'être utile au progrès de l'Agriculture.


FIN
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APPROBATION

J'ai lû par ordre de Monseigneur le Vice-Chancelier, l'Art de cultiver les Pommiers & Poiriers, & de faire des cidres ; & je n'y ai rien trouvé qui doive en empêcher l'impression. A Paris ce 12 juin 1765.
AMEILHON.