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[Cidre] Petites coupures de presse de Ouest -Eclair et du Journal de Normandie, octobre - décembre 1940.
Saisie du texte : O.Bogros pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (16.I.2015)
[Ce texte n'ayantpas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement desfautes non corrigées].
Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex
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Orthographe et graphieconservées, illustrations non reproduites.
Texteétabli sur l'exemplaire de lamédiathèque (Bm Lx : nc) .

Un tour au pays d'Auge
Fabriquonsdu bon cidre

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(Ouest-Eclair, 6 novembre 1940)

~*~

Un ami du Pays d'Auge nous afait parvenir l'étude que l'on va lire. Praticienlui-même, il a demandé au meilleur de sonexpérience de le guider dans la rédaction de cet article,empruntant au surplus à la brochure qu'il nous vante, plusieursdes principes dont il se fait l'apôtredésintéressé.

En ce mois de  novembre, alors que le paysan de cette mêmeterre Augeronne ou du Bessin, du Bocage ou du Lieuvin, vérifieson pressoir et soufre ses tonnes, nous avons attaché àcette enquête l'intérêt que lui créaient,d'une part, sa valeur, en second lieu, son opportunité.

Comme l'écrit l'auteur des lignes qui vont suivre, si noslecteurs des campagnes connaissent plusieurs des règlesexposées, d'autres ont pu leur échapper. Aux uns,l'article rafraîchira la mémoire, aux autres, ilinculquera peut-être du neuf. dans le premier comme dans ledeuxième cas, la lecture s'avère utile, et c'estprécisément afin d'aider nos ruraux àl'accomplissement toujours plus parfait de leur noble tâche quenotre voix veut se faire, jusqu'aux bourgades reculées, perduesdans le terroir, l'écho des bons conseils que l'on nouscommunique.

La campagnedu cidre va s'ouvrir. Cette année, plus encore queles précédentes, il nous faut crier : « Vivre lebon cidre de Normandie ! ».

Fabriquonsdu bon cidre....

J'entends tout de suite votre réaction, ami lecteur, vous quiavez l'habitude de brassez tous les ans :  « Ils ne vonttout de même pas nous apprendre à faire du cidre ! »Non, telle n'est pas notre présentation, nous désironsseulement rappeler sous ce titre les meilleurs moyens d'en obtenir dubon, expliquant le plus scientifiquement possible, les principes de safabrication.

Si nos lecteurs en connaissent quelques-uns, d'autres ont pu leuréchapper et s'ils les connaissent tous, c'est qu'ils se sontintéressés à la question et se réjouirontde constater que nous aussi l'avons approfondie.

Redde Caesari... Nousrendrons d'abors à César ce qui appartient àCésar, en précisant que dans notre travail, une petitebrochure nous a beaucoup servi. Editée par « L'AssociationNationale pour la propagande du Bon Cidre » et intitulée« Pour fabriquer du Bon Cidre », elle est signée deM. Warcollier, ingénieur agronome, le distingué directeurhonoraire de la Station Pomologique de Caen ; mais nous en étantservi dans le but si cher à son auteur : « Faireconnaître le bon cidre », nous pensons ainsi que M.Warcollier nous pardonnera d'avoir puisé abondamment dans sonouvrage.

Nous nous promettons qu'en suivant ses conseils vous n'obtiendrez plusde cidre « dur », de cidre « piqué »à goût de vinaigre, qui se « tue » vite, maisun cidre de bon goût et de belle couleur.

Lesbons et les mauvais agents de fermentation

Le jus de pomme, très sucré à sa sortie dupressoir, est aussitôt envahi, lors de sa mise en tonneau, par unorganisme vivant, appelé Levure ou Ferment alcoolique, qui s'ytrouve à l'état de spores à la surface de toutesles pommes au moment où on les cueille : Voilà notre bonouvrier.

Il va se nourrir du sucre contenu dans le jus de pomme et letransformer en alcool et en acide carbonique se dégageant enpartie dans l'air. Avec 100 grammes de sucre la levure fabrique environ50 grammes d'alcool et 50 grammes d'acide carbonique.

Nous voyons donc l'utilité de bien soigner notre « ouvrier», indispensable à la fabrication du cidre et comme il esttout petit (2/10e de millimètre), il faut le protéger deses mauvais voisins très nombreux. Ne citons que le fermentacétique qui, lui, voudrait transformer le sucre en vinaigre ;les moisissures apportées par les fruits pourris ; les microbesfournis par un matériel malpropre, des eaux sales, ou desfûts ayant mauvais goût.

Nous devons donc réaliser les trois points suivants :

1° donner au cidre une bonne constitution lui permettant derésister à l'action des agents nuisibles.
2° fabriquer du cidre aussi pauvre que possible en ferments desmaladies.
3° placer ce cidre durant sa conservation dans des conditions luipermettant de résister à l'action des germes qu'il peutrenfermer.

Choixdes fruits

Ils doivent être riches en sucre, suffisamment acides et assezpourvus de tanin. Le sucre se transforme en alcool qui donne sa forceau cidre ; l'acide malique lui donne sa fraîcheur et stabilise sacouleur, et le tanin tout en gênant le développement desagents contraires, lui donne aussi l'amertume qui constitue une de sesqualités.

Il faut donc des pommes douces, des pommes aigres et des pommesamères.

Propreté

Comme nous l'avons vu, il faut obtenir un cidre à peuprès vierge de tout ferment nuisible.

Un seul moyen, alors, tout doit être très propre : lesfruits, le matériel de brassage, le jus de pomme, les fûtset la cave.

Les pommes seront saines, sans coups ni déchirures,triées par maturité et, au moment de leur utilisation,lavées et séchées sur des claies. Grandepropreté du local de brassage. Tout le matériel :pressoir, claies, baquets, brocs, pelles, etc... sera brossépuis lavé à l'eau très chaude additionnéede cristaux de soude (1 kilo pour dix litres d'eau) et rincéà l'eau potable.

Les fûts, eux, doivent être nettoyés etbrossés avec une solution chaude de cristaux (5 kilos pour 100litres d'eau), puis méchés au soufre.

Enfin, et surtout pour vous, lecteurs de la campagne, l'eau derémiage et de nettoyage des pompes, du matériel ou desfûts sera de l'eau potable ; à exclure complètementl'eau des mares.

Préparationdu jus

Deux méthodes peuvent être pratiquées pour extrairele jus sucré contenu dans les pommes.

Première méthodedite, à l'alambic. - Cette méthode très envogue dans l'Eure permet de fabriquer du cidre sans utiliser lepressoir.

Suivant la qualité de cidre que l'on veut obtenir, on peutprendre le minimum de fruits, c'est-à-dire, un hectolitre depommes pour 400 litres de boisson ou, ce qui donne alors un excellentproduit 200 litres de pommes pour 400 litres de cidre.

Voici comment procéder : écraser grossièrement lespommes, tremper toute la pulpe quatre fois de suite en divisant enquatre le volume total d'eau qui doit être égal àla quantité de cidre à obtenir.

Les cuves sont montées sur tréteaux afin d'effectuerfacilement le soutirage par le fond qui est garni de paille trèspropre, ceci pour empêcher la pulpe de sortir desrécipients pendant le soutirage.

A chaque trempage, on laissera macérer la pulpe vingt-quatreheure environ par temps froid, ou, si la température est plusélevée, jusqu'au moment où le marc « monte» à la surface du jus dans les cuves.

Avec cette méthode, tout le jus sucré des pommes setrouve remplacé se trouve remplacé par l'eau de trempage.

Deuxième méthode,dite au pressoir. -  Les pommes sont broyées plusfortement et la pulpe ainsi obtenue mise à macérer dansdes cuves pendant quelques heures. Au bout d'environ six heures demacération, sans avoir remué la pulpe de façonà ne pas insolubiliser le tanin, on montera le marc. ce cuvagepréalable donnera un cidre plus coloré et aussi plusabondant.

Pressurage

Il doit être effectué avec beaucoup de soin, et si l'onutilise de lapaille, il faut que celle-ci soit de bonne qualité et bien sèche. Seservir de préférence des toiles et des claies que l'on nettoiera,après chaque usage, avec la solution suivante : un quarte de solutionsuivante : un quart de très d'eau [sic],suivi d'un rinçage à l'eau froide. Avoir soin de vider aussi,complètement et chaque jour, la cuve recevant le jus du pressoir.

Remiage

Le marc, après un premier pressurage, peut être soumis à un émiettagesuivi d'un trempage avec la moitié du poids de marc en eau potable,suivi d'un nouveau pressurage. Ce trempage ne doit pas durer plus dedouze heures afin d'éviter une fermentation acétique qui se produiraitsi l'opération durait plus longtemps.

Fermentation

Elle doit s'effectuer en trois phases :

La défécation ou débourbage du jus.— Le jus sucré est mis entonneau bien lavé et méché, que l'on rempli dans la journée jusqu'à dixcentimètres de la bonde laissée ouverte. Il se formera un « chapeau »de couleur brune en surface, un liquidequi se clarifie petit à petit au milieu et une lie au fond du tonneau.

Le soutirage. — Le «chapeau » bien formé, le jus clarifié doitêtre soutiré dans un tonneau méché, puis laissé de nouveau à fermenterCes opérations auront lieu par temps froid (moins de 10° environ), lafermentation sera lente et le jus clarifié soutiré par temps clair,froid aussi, le baromètre indiquant le beau temps.

Deuxième fermentation. —Lors de la deuxième fermentation que l'onpeut appeler fermentation principale, on en suivra les progrès àl'aide d'un densimetre. A la sortie du pressoir, la densité du jus estde 1.050 à 1.060 environ. Après fermentation compète, un cidre « sec», « paré », donne 1.000 au densimètre. A 1.030, on peut effectuer unsecond soutirage qui permettra deconserver votre cidre plus longtemps doux. Afin de bien conserver labonne boisson que vous venez d'obtenir, après de nombreux soins ilfaut la protéger de ses ennemis, en particulier de la bactérieacétique qui la transformerait, dans un temps plus ou moins long,suivant la qualité des pommes, en vinaigre.

La solution la meilleure est de mettre votre cidre en bouteilles.Sivous ne pouvez le faire, ns lcls-sez Jamais un fût en vidange, aucontact de l'air, plus d'une hui-taine de jours. Au cas ou votretonneau doit rester entamé plus longtemps afin d'éviterla piqûre et le durcissement du cidre, traitez-le de la façon suivante: 1° Ajoutez 10 grammes de métabisulfite de potassium par hectolitre.L'acide sulfureux dégagé empêche les ferments nuisibles de sedévelopper. 2° Versez ensuite a la surface du cidre, de l'huile devaseline ou huile de paraffine (une couche de deux millimètresd'épaisseursuffit) qui complétera l'action précédente. En suivant ces conseils,vous obtiendrez du bon cidre qui ne se tuera pas et restera doux trèslongtemps.

Conservationdu cidre en bouteille

Maintenant, voici pour les amateurs de cidre bouché quelquesrecommandations leur permettant d'excellente résultats. Ne mettez enbouteilles que du cidre soutiré une ou plusieurs fois,bien limpide, conservé en cave fraîche. Faire la mise en bouteille àl'abri de l'air, c'est-à-dire amener le liquide au fond de la bouteilleau moyen d'un caoutchouc fixé à la cannelle. Supprimer la chambre à airdans la bouteille en remplissant de façon que le cidre touche lebouchon. Pour obtenir un breuvage très mousseux et sucré, mettre enbouteilledu cidre donnant au densimètre 1020 à 1018 ; pour un cidre mousseux, de1018 à 1015 ; vous aurez un cidre légèrement mousseux de 1013 à 1010 etun cidre simplement pétillant à 1004. N'employer que de bons bouchons,assujettis avec un fil de fer, ce quipermet de coucher aussitôt les bouteilles, qui seront conservées encaves fraîches.

P. C.

~*~

Quand le cidre ne coulait pas en Normandie
ou
 les origines de notre« bère »

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(Ouest-Eclair, 21 novembre 1940)

~*~

On surprendrait beaucoup de noscompatriotes en leur apprenant que lecidre n'humecta pas toujours les gosiers normands et qu'il futprécédé en cette mission d'importance par d'autresbreuvages totalement étrangers au jus de pomme, tels l'hydromel,la cervoise ou la bière.

La vérité n'est pourtant pas différente. Aussiinconcevable que cet état puisse sembler, il y eut une Normandiesans cidre, si ce n'est sans pommier. Triste provincedéploreront aussitôt ceux pour qui le premier fruit dansl'histoire du monde, le fruit de perdition, mais également debien douces voluptés gustatives, la pomme désignons-lanommément, s'intègre dans le cadre du terroir aumême titre que le beurre, le camembert ou l'alambic, pèredu « Calva ».

Pas de cidre au pays normand ! C'est à douter de ses yeux ! Vousne vous trompez pas !

Que non ! si vous eussiez vu le jour au IVe plutôt qu'au XXesiècle, même sur les bords de la Dives, après lelait maternel, on vous eut gorgé d'hydromel ou de cervoise, labière des Gaulois, mais certes pas de ce breuvage sapide,parfumé, teinté comme de l'ambre, qui apaise aujourd'huisi délectablement votre soif.

Unpetit vin aigrelet

La consommation de cidre ne se généralisa que vers leXVe. Jusqu'à cette époque, nos pères segargarisaient de bière, comme il vient d'êtreindiqué, et aussi de vin, car la treille murît enNormandie.

Mais quel vin, grand Dieu ! C'était plutôt un verjus, etun verjus de basse qualité si l'on recueille les échosqu'en livrent les parchemins du temps.

C'est ainsi que le trésorier de l'Hôtel-Dieu d'Argentanachetait dans sa bonne ville, en 1470 et au prix de quatre livres,« une busse de vin de payslequel n'était pas de grande valeur, mais en fallait àl'Hôtel-Dieu pour chanter et plusieurs choses nécessaires» (sic).

On ne s'ennuyait pas dans ce respectable établissement !

Trente-trois ans plus tard Louis XIII daignait exprimer soncontentement de voir qu'en Normandie « il y avait plus grande foison et abondancede vins qu'auparavant à cause que plusieurs gens dudict pays s'yétoient appliqués ».

Leroi boit !

Dans notre département, celui d'Airan avait quelqueréputation. Argences également fournissait un petit vinassez apprécié de palais que le chambertin et le pommardne durent jamais chatouiller, Avranches de même.

A propos du cru d'Argences, on conte que lors de la venue d'Henri IVà Caen, en 1603, les bourgeois de notre citéestimèrent adroit de faire déguster à leurhôte le produit du terroir. Une coupe fut servie auBéarnais, mais le breuvage dut affliger le royal gosier,vraisemblablement peu accoutumé au verjus, car les amphitryonsatterrés enregistrèrent une grimace qui ne laissait aucunespoir quant à l'appréciation du souverain.

Déjà la haute société normande avaitprécédé le Vert-Galant sur ce chemin. Et le jusqui rutilait sur la table du prévôt ou de l'échevinne provenait aucunement des ceps d'Argences. L'amélioration descommunications accrut encore en Normandie la faveur dont jouissaientles vin du Midi. Et le déclin des crus locaux futhâté par une disette survenue sous le règne deCharles IX. Le monarque ordonna d'arracher une partie des vignes et deconvertir ces terrains en herbages. C'était l'arrêt demort de nos vignobles. Les têtes couronnées qui suivirentsur le trône de France ne se montrèrent pas plusfavorables aux treilles normandes et les quelques plants ayantsurvécu à l'abri des monastères ne produisaientplus que du vin de messe.

Uncidre qui n'en était pas

Depuis longtemps, la pomme était connue et les Africains, selonPline, buvaient son jus. on peut même avancer que le cidren'était pas ignoré de nos ancêtres si nous nousréférons à la recommandation de Charlemagne,prescrivant qu'il y eut, dans ses métairies, un personnelinitié à la fabrication d'un vin de pomme ou, encore, sinous notons l'anéantissement d'un plant de pommiers appartenantà l'abbaye de Saint-Wandrille au Xe siècle, par lesNorthmen.

Le cidre figurait sur les tarifs de la prévôté deCaen et de Pont-Audemer et il est à présumer que l'usagede cette boisson naquit en Basse-Normandie pour s'étendreensuite à la haute province, à l'Angleterre, à laPicardie et à la Bretagne.

Mais était-ce bien du cidre ?

Nous ne le pensons pas. Raoul Tortaire, non plus qui, de passageà Bayeux, au XIIe siècle, se crut empoisonné pouren avoir vidé un verre.

Le fait de préciser que l'on absorbait ce liquide par esprit demortification, suffira d'ailleurs pour édifier sur la tenue ducidre d'antan qui était à notre pur jus à peuprès ce que les cuvées de vinaigre d'Argences pouvaientêtre aux vins liquoreux de Gascogne.

Et si Charlemagne enjoignit que le cidre fût fabriqué danschacune de ses métairies par des gens idoines, il est bon depréciser que l'empereur d'Occident définissait ainsicette boisson : « Toute liqueur fermentée, autre que levin ».

A ce compte une décoction de fruits sauvages tenaiet souventlieu de jus de pomme. Et d'ailleurs, comme le déclaraitpertinemment Denis Dumont, pourquoi nos aïeux auraient-ilsconsommé si longtemps leur abominable verjus qui nousdégoûterait tous aujourd'hui, mais dont ils seléchaient les babines, si le bon cidre avait existé ?

Aqui le brevet ?

D'aucun prétendent que notre bèrefut imaginé par un Normand. Une telle assertion estévidemment flatteuse pour notre amour-proprerégionaliste. En tout cas, un président del'élection de Mortain, au XVIIe siècle, écrit dansun docte ouvrage de jurisprudence « qu'unNormand ayant battu une pomme contreson coude et trouvant qu'elle s'amollissait et donnait du jus se prinstà la sucer et de là il commence à formuler sonidée pour faire et extraire le sidre ».

Les Parisiens, eux, laissaient tout bonnement les fruits macérerdans l'eau. Mais les plus malins étaient encore les fermiers dela plaine d'Urou. La palme leur revient. Ces drôles-là secontentaient d'enfoncer un robinet dans chacun de leurs pommiers ! Latradition le rapporte. Admettons que ce soit la légende.

En fait, le cidre ne devint tel qu'à l'apparition du premierpressoir, ce qui eut lieu en 1480, à Sigy.

Unprototype

Etrange machine, au reste.

Elle se composait d'une auge circulaire de granit dans laquelle onentassait les pommes qu'une ou deux meules verticales,entraînées par un cheval, écrasaient.

C'était plutôt le broyeur.

Le pressoir proprement dit comportait un tablier, fort plancher surlequel le marc alternait par couches avec des lits de paille de seigle.Des jumelles, solides madriers, maintenaient au-dessus du tout uneénorme pièce de chêne, appelée mouton, danslaquelle s'engageait une vis de bois de frêne, large comme untronc d'arbre, que le fermier manoeuvrait au moyen de leviers. Desbillots, introduits dans les jumelles, réglaient la pression etle jus, canalisé par une rigole courant autour du tablier,tombait dans une cuve de pierre, dite bélon.

Il est supposable que fabriqué à l'aide d'un tel engin,le cidre pouvait acquérir une sapidité, une forceignorées du breuvage que l'on obtenait péniblement enécrasant les fruits au moyen d'une mailloche. Et le gosier, quine se montre jamais oublieux des bonnes choses, devait promptementchanter les louanges de la boisson nouvelle.

Laconquête des Normands

Primitivement, c'est-à-dire au XVe et XVIe siècles, lecidre fut un boire de luxe. On n'en goûtait que le dimanche etencore à petites doses. Il se payait fort cher.

L'imagination des Diaforius de l'époque y vit même unbreuvage médicinal, une panacée qui agissaitsupérieurement dans une foule de cas.

Les poètes, à leur tour, s'en mêlèrent. Surdes rimes aussi fleuries que les pommeraies au printemps, ilscélèbrèrent les vertus du cidre, non curatives,cette fois, mais telles que nous les apprécions encoreaujourd'hui : limpidité, couleur, parfum, piquant.

La boisson à la mode supplanta les dernières pipes deverjus et vint le moment où le pichet de cidre trôna surtoutes les tables familiales. Les plantations de pommiers, dontl'étendue allait crescendo, avoisinèrent même lesnécropoles. C'était l'usage en Basse-Normandie.L'explication en est fournie par ces vers du Vaux-de-Vire :

On plante des pommiers es bords
Des cimetières près des morts
C'est pour nous mettre en mémoire
Que ceux dont là gisent les corps
Comme nous ont aimé à boire.

Mais le pichet de cidre ne s'en tint pas au logis dumanant. Il se hissa jusque sur la table royale. François Ierusait de cette liqueur pétillante et la chronique dit que LouisXV en faisait venir de Montigny près Canteleu, spécifiantque le cidre, pris naturellement au bon tonneau devait lui êtreamené « par unvoiturier de toute seureté, après l'avoir mispréalablement en double futaille ».

Le cidre normand avait conquis ses lettres de noblesse !

~*~

Commenton fait le bon Cidre dans le Pays d'Auge
(Journal de Normandie, décembre [?] 1940)

La qualité et le goût du cidre — cette excellente boisson dont laconsommation s'étend chaque année davantage — diffèrent sensiblementavec les terrains où mûrissent les pommes. Dans chaque région, danschaque commune même, il y a divers crus résultant de la nature du solet aussi de l'exposition des pommiers par rapport au soleil et au vent.C'est ainsi qu'en Normandie, le cidre de la Manche est trèsdissemblable de celui de la Seine-Inférieure ou de celui de l'Orne. Etsi l'on compare tous ces jus de pommes avec ceux extraits des fruitsrécoltés dans le Pays d'Auge, on trouve les mêmes différences quecelles qui existent dans les vins entre le Beaujolais et les grandscrus tels le Corton, le Pommard, le Chambertin, etc...
Aussi est-ce dans le triangle de terre appelé le Pays d'Auge, quicommence aux bords de la Manche, entre la Rivière-St-Sauveur etDives-Cabourg, et remonte jusqu'à Gacé, que les fins gourmets viennents'approvisionner.

Avant l'achèvement de la saison actuelle, le Journal de Normandie,après avoir montré comment était fait le cidre dans diverses régions,est venu demander ses secrets de fabrication aux importantsEtablissements Saffrey Frères à Lisieux.

Sous l'experte conduite de M. Paul Saffrey, l'aimableadministrateur-délégué de la société, et de celle de son neveu, M.Henri Saffrey, le diligent chef des services généraux, nous apprenonsque ces établissements possèdent deux importantes usines : 1° LaCidrerie Modèle de la Vallée d'Auge, située boulevard Sainte-Anne, àLisieux, 2° La Cidrerie-Distillerie du Domaine d'Orbiquet, àOrbec-en-Auge Calvados).

La cidrerie de Lisieux a été créée :n 1882 par M. René Guéret, etexploitée depuis 1916 par MM. Saffrey Frères et ensuite par la SociétéAnonyme des Etablissements Saffrey Frères. Malgré son ancienneté, sonmatériel est des plus modernes. Les propriétaires actuels, de même queleurs prédécesseurs, ont toujours tenu à se maintenir à l'avant-gardedu progrès. La plupart de ceux réalisés en cidrerie depuis unetrentaine d'années, ont vu le jour dans leurs usines, tant en suivantles conseils du père de la cidrerie, M. le professeur Warcollier, quepar leurs propres recherches et la mise au point de celles-ci.

Lavisite de l'Etablissement de Lisieux

L'approvisionnement en pommes se fait directement de la campagneavoisinante. Cependant, pour les années de faible production, assezrares il est vrai, un matériel de camionnage approprié va chercher, àpetite distance, les quantités de pommes nécessaires pour combler ledéficit, mais ces pommes sont toujours achetées dans le Pays d'Auge.Les quantités de fruits amenées dans l'établissement atteignent chaqueannée 10 à 12 mille tonnes.

Pendant la saison, de nombreuses voitures de cultivateurs arriventjournellement et sont pesées aussitôt sur deux ponts-bascules quipeuvent supporter les plus lourdes charges. Quelques mètres plus loin,deux grandes chaînes à godets prennent les pommes dans des trémiesautour desquelles plusieurs cultivateurs vident leurs sacs en mêmetemps, ce qui permet le déchargemement très rapide de leurs voitures.

Nous retrouvons les pommes au deuxième étage. D'un énorme silo, sortede grande cuve conique dans le fond de laquelle est aménagé un caniveaud'eau recouvert de planches, les fruits vidés de la voiture ducultivateur et amenés successivement par ces chaînes à godets et untapis transporteur, sont déversés et forment un tas imposant. Ils sontrepris à l'autre bout du tas et déversés dans le caniveau. La densitéde la pomme étant inférieure à celle de l'eau, elles sont ainsitransportées et subissent un premier lavage, pour accéder à un laveurproprement dit, puis conduites aux râpes par une vis sans fin et untapis sur lequel est installé un puissant jet d'eau qui sépare lespommes de toutes les im puretés qu'elles pourraient encore conserver.

Les Etablissements Saffrey Frères estiment, en effet, que la propretéde celles-ci est absolument indispensable pour la bonne fabrication descidres et leur conservation.

Les pommes vont disparaitre définitivement. Deux grosses râpes lesabsorbent et les réduisent en une pulpe très fine pour en extraire, aupremier pressage, le maximum de jus.

Lespommes font place au cidre

La pulpe, au sortir des râpes, est déversée dans une vis sans fin encuivre rouge, qui la conduit dans des bassins verrés où elle prendrason oxydation. Ce sera désormais ce que l'on dénomme le maître-marc.

Après sept ou huit heures de séjour dans ces cuves, le maître-marc estalors monté par couches successives à l'aide de toiles, et séparées pardes claies en bois, sur le chariot qui est conduit sous de puissantespresses hydrauliques qui permettent d'obtenir à la première pression 65à 70 % du jus de la pomme, sans aucune addition d'eau.

La pression terminée (environ 20 minutes) les chariots contenant lapulpe débarrassée de son jus, sont alors conduits à l'émietteur pourêtre désagrégés à l'aide de puissants malaxeurs ayant 60 mètres delong, ce qui permet après un cuvage de quelques heures à l'eau pure,d'obtenir le sucre restant dans la pomme ; à cet effet, une deuxièmemontée sur chariot et un passage sous de nouvelles presses, estnécessaire ; le liquide ainsi obtenu s'appelle le petit cidre et père [sic] environ 3°.

Il existe dix presses hydrauliques aux Etablissements Saffrey.

A l'aide d'un deuxième émietteur et d'un ruban transporteur, le marcainsi épuisé et à nouveau désagrégé, est passé au séchoir. Aveccelui-ci, on obtient un marc absolument sec, qualité nécessaire pour sabonne conservation, et qui trouve sa place tant, à la pectinerie quepour l'alimentation du bétail de la contrée.

Ceque devient le jus

Reprenons maintenant les jus sortant des presses (pur jus et petitcidre). Ils sont, par de puissantes pompes, montés à l'étage supérieuret déversés séparément dans des cuves en ciment armé et verrées.

Une première fermentation se produit dans ces cuves, fermentationtumultueuse provoquant la formation des matières pectiques concourant àla clarification des jus. Soutirés entre deux lies, ils sont envoyésdans de grands filtres, qui les débarrassent de toutes les impuretésque le cidre peut encore conserver, et logés enfin, soit dans desciternes en ciment bien isolé (verre ou Gallodana) pour y terminer leurfermentation, soit dans des cuves, sous le froid, pour les maintenirpendant toute l'année à l'état de moû c'est-à-dire avec leur densitéd'origine.

Ces derniers, avec l'aide des mutés, concourent toute l'année àl'édulcoration des cidres devenus secs après leur dernièrefermentation, la douceur des cidres étant exigée par toute la clientèle.

Les Etablissements Saffrey Frères ont été les premier à appliquer lemutage pour les cidres. C'est une de leurs propres innovations, aveccelle de la conservation du cidre sous le froid dans un groupe du cuvesspécialement construites à cet effet.

Presque la totalité des petits cidres ainsi que les purs jus, que laDirection estime ne pas devoir donner entière satisfaction à laclientèle, sont dirigés vers une distillerie pouvant traiter 1.000hectos par 24 heures, et produisant une eau-de-vie de toute premièrequalité, très appréciée.

Tous les cidres destinés à la consommation sont expédiés sousdifférentes formes. En gros, d'importants camions automobiles viennentprendre le cidre sur place, soit en pur jus, soit en cidres ordinairesdont le degré minimum est de 5°. Il est aussi expédié du cidre par fûtsde 600 litres, les demi-muids, et aussi par wagons-réservoirs.

Une organisation commerciale, en rapport avec l'importance et laréputation de la maison, a développé une vente considérable de cidrepar petits volumes : pièces, demi-pièces, quartauts, permettant ainside livrer directement de la fabrique aux particuliers. Un service decamionnage, très bien organisé à Paris, livre à domicile, descend encaves et reprend la fûtaille vide chez les cafetiers ou particuliers dela région parisienne et de la banlieue.

Lecidre en pression

Une autre forme d'expédition et de consommation du cidre a créé undébouché Important : c'est le cidre en pression. Un outillage et unmatériel spéciaux, permettent de remplir des fûts de très forteépaisseur, sous une pression élevée. Dans ces fûts, le cidre nefermente plus, il est extrêmement clair, très mousseux et voyage sansinconvénients. Il est débité dans les cafés sous pression d'acidecarbonique, c'est le bock de cidre.

De grandes villes comme Dijon, Lyon, Marseille, Nice, Toulouse, Alger,Casablanca, en font une grosse consommation. Le cidre, sous cetteprésentation, s'est fait connaître et apprécier dans le monde entier,et il est fort agréable à un Normand voyageant dans le Midi de laFrance, en Algérie ou au Maroc, de rencontrer la publicité et la vented'un produit régional dont il est fier et qui lui rappelle sa petitepatrie.

Pour le cidre, il est encore une autre présentation, c'est le cidre enbouteilles « Ma Normandie », De grands locaux sont indispensables pourla mise en bouteilles et pour leur réserve. La présentation de ce cidreest agréable, elle rappelle celle du champagne et, dans toute laFrance, ainsi qu'aux colonies et à l'étranger : Madagascar,l'Indochine, jusqu'au Brésil ou en République Argentine inclue, lamarque « Ma Normandie » est de plus en plus connue et appréciée.

Ainsi que nous l'avons vu, une partie des petits cidres est destinée àla distillation. A Lisieux, de grosses quantités d'eau-de-vie sontfabriquées annuellement. Des achats considérables de vieilleseaux-de-vie sont faits dans les meilleures caves du Pays d'Auge, carles Etablissements Saffrey Frères vendent au détail et emmagasinent ceseaux-de-vie de crus qui peuvent rivaliser par leur qualité avec lesplus fines et les plus réputées eaux-de-vie de vin.

Lavisite de l'Établissement d'Orbiquet

Un mot maintenant sur l'usine d'Orbiquet. Celle-ci est égalementéquipée d'une façon très moderne. Située en pleine campagne, la placene manque pas, aussi l'entreposage des pommes se fait dans des silos enciment armé construits dans les cours même et sur le sol, ce qui permetde décharger 20 ou 30 voitures à la fois.

Sa consommation annuelle est de 8 à 10 mille tonnes.

Le montant des pommes jusqu'aux râpes ne se fait qu'au moment de leurutilisation.

Il y a ici cinq presses hydrauliques pour la fabrication des purs jusde consommation, qui seront égelement filtrés.

Les maitres-marcs sortant des presses hydrauliques et émiettées auloup, tombent dans un malaxeur puis dans deux presses continues ;automatiquement ils repassent ensuite dans un deuxième malaxeur et deuxautres presses continues, enfin dans un troisième malaxeur et deuxdernières presses continues. Le troisième malaxeur reçoit de l'eauchaude, le deuxième prend les jus sortant du deuxième malaxeur et despresses continues qui le suivent, tandis que le premier malaxeur traiteles jus du deuxième malaxeur et de ses presses. Les jus sortant de cespremières presses continues, sont tamisés, puis envoyés dans de grandescuves en vue d'une fermentation rapide. Celle-ci est terminée en 48heures. Il est tenu tout spécialement à ce que l'épuisement des marcssoit complet. Celui-ci se fait de la façon la plus économique, sansmain-d'oeuvre, un surveillant seulement suffit pour tout le circuit.

La destination principale de ces cidres est la production de l'alcoolneutre à 96°. Une colonne à distiller pouvant absorber plus de 1.500hectolitres de cidre par 24 heures, fonctionne en saison, jour et nuit,sans aucun arrêt. Cet alcool, réservé au service des alcools, étaitutilisé avant la guerre à la fabrication des apéritifs, liqueurs,etc... Sa destination actuelle est la carburation.

Cette usine produit environ 20 à 25.000 hectolitres de cidre pur jusqui viennent à l'aide des besoins de la cidrerie de Lisieux, et environ5.000 hectolitres d'alcool, suivant l'importance des récoltes.

* *
*

Au XVIe siècle, lorsque lecidre, venu de la Biscaye, apparut en Normandie par le Cotentin, c'estcette province qui garda longtemps une supériorité de fabrication trèsmarquée.

Mais, grâce à une sélection età un mélange judicieux des fruits, et à des méthodes de plus en plusperfectionnées, c'est maintenant le Pays d'Auge et ses immenses vergersqui ont la réputation de fournir le cidre le plus délectable et le plushygiénique

Fernand LECOUVREUR

~*~

Vivele cidre de Normandie
(Journal de Normandie, [8?]octobre 1940)

Vive le cidre de Normandie (octobre 1940)

Octobren'a jamais passé
Sans qu'il y ait cidre brassé

Ce vieux dicton normand qui me revient en mémoire me rappelle mondevoir de journaliste. Comment laisser passer octobre sans « brasser »aussi quelques idées à propos du cidre ? Vais-je parler de la récoltede 1940 ? Il est un peu tôt encore. De la fabrication du cidre, de sescrus, de se qualités ? Je ne ferai pas l'injure à des normands de lescroire ignorants en ces matières ?

Des voix autorisées traiteraient mieux que je ne pourrai le faire lesproblèmes techniques capables de retenir l'attention des producteurs.

Mais puisque j'ai choisi pour titre le célébre refrain des « Cloches deCorneville », pourquoi ne pas parler aujourd'hui du cidre dans lalittérature ?

Le délicieux breuvage de notre province a souvent inspiré les conteurs,les poètes, les chansonniers ; autant que le vin il a donné naissance àdes oeuvres colorées, truculentes, frappées au coin du bon sens etfinement aiguisées.

Alors qu'il était à peine né au pays normand, puisqu'avant le XVIesiècle on buvait surtout de la bière, il trouvait son premier poète,Olivier Basselin :

Osoulas des gosiers,
O très bon jus de pomme !
Prions pour le bon homme
Qui planta les pommiers.

En 1566, une disette ayant sévi sur la France, Charles IX ordonnad'arracher un, partie des vignes. Celles de Normandie, de Vernon, dePacy, d'Argences, d'Avranches furent peu à peu sacrifiées et nous nedevons pas le regretter si l'on en croit ce vers d'un vieux couplet :

Levin tranche-boyau d'Avranches

Les labours, les herbages, ceux-ci surtout, remplacèrent les plants àvert jus et nos ancêtres plantèrent des pommiers. Très vite, le cidreprit place sur toutes les tables de la province et fit chanter lespoètes :

Quandje te voy, le cueur me rit,
Beau cidre, et ma gorge séchée
T'attend...

déclarait Jean Le Houx. Et Pierre de Marbeuf écrivait tout un poèmepour remercier un ami d'une bouteille d'excellent cidre :

Onectar des Normands, quand ma langue te touche
Je croy qu'avec raison icy nouste nommons
La volupté du goust qui versepar la bouche
Et le miel à la gorge et lesucre aux poumons.

Ce cidre devait être particulièrement doux. Il semble qu'à cette époqueon ne connaissait pas encore les procédés qui font du cidre, à volonté,sec ou sucré. Qu'importe s'il plaît et mieux vaut qu'il puisse plaire àtous. De célèbres buveurs de vin lui ont dédié les strophes les plusenthousiastes.

Saint-Amant lui-même renie Bacchus pour lui plaire :

Comte,jusqu'en la Normandie
Pomone fait honte à Bacchus...
Chantons, à la table où noussommes
Que le jus délicat des pommes
Surpasse le jus des raisins.

Dans les temps modernes le cidre a conservé tout son pouvoirinspirateur. Ch. Fremine, G. Levavasseur, François Brezelles lui ont dûleurs vers les plus savoureux. N'aimez-vous pas cette strophe deCh.-Th. Feret ? :

Vois-tupas le ciel Neustrien
Dans mes yeux mirer saturquoise ?
Et dans ma barbe qui pavoise
S'aviver de roux norvégien
Le blé de la terre cauchoise ?
Nuits d'améthystes receleur,
Corton grenat, vin gris du Rhône
Fi donc ! je bois dans macouleur :
A barbe blonde, cidre jaune

A moins que vous ne préférez le sonnet de Paul Harel :

Tombedans nos pichets en filets écumants,
Jus rouge de la pomme,automnale purée,
Pour la robe en hiver, de rubiséclairée,
Ecarquille les yeux des grandsgousiers normands.
Paysans, citadins, finsgourmets, gros gourmands
Ont tous un chant pour toi surleur lèvre altérée,
Quel auteur ne te doit uneoeuvre colorée
Du poète tragique au faiseur deromans
Le Houx et Basselin, accoudéssur la table
Se sont extasiés devant ton orpotable
Saint-Amant le buvait comme dupetit lait.
Tu détrônes le vin aux soupersde Corneille,
Et, pâtre élyséen, Flaubert crià Bouillet :
Verse le cidre blond ! ô topaze! ô merveille !

Qui pourrait nier, en effet, la part de personnalité puisée auxmeilleurs sucs du terroir, que nos écrivains normands doivent au cidre? Ce n'est pas vous qui me contredirez, mon cher Varenne, qui m'avez sisouvent confié votre amour pour le cidre.

Justificatif,gouleyant
Et dret en goût, cidre vaillant
Dont quelque ancêtre prévoyant
Dota le monde.

René GIRARDEAU.

~*~

«J'aibu du cidre de Saint-Julien...»
la grande et vieille cidrerie deCaen

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(Journal de Normandie, 2 décembre 1940)

Un passage à niveau. Une voie de chemin de fer. L'avenue de Creully.D'autres routes. C'est dans un coin de l'embranchement de tout cela quese situe la cidrerie de Saint-Julien, avenue de Creully... J'avaisdéjà, il y a quelque temps, visité une célèbre cidrerie de la SuisseNormande, celle de Mutrécy, dont le crû est renommé. Me voici, ma foi,revenu à Caen, qui possède aussi « sa » cidrerie. Les Caennais laconnaissent...

— Depuis quand existe-t-elle ? ai-je demandé à M. Leborgne, ledirecteur-propriétaire.

— Depuis « vers » 1910. Je ne sais plus exactement. En tout cas, elledate d'avant la Grande guerre.

— Et vous-même, vous en avez pris la direction ?...

— Mais il n'y a pas longtemps ! Vous ne saviez probablement pas qu'elleavait été en partie détruite mr un incendie en 1937 ? Ma premièreoccupation a été de reconstruire les locaux détruits par l'incendie.Tout le matériel a été remis à neuf... C'est ainsi que le séchoir àmarc, remis en état, fonctionnera pour la première fois cette année.Les caves à eau-de-vie, détruites également par le sinistre, ont étél'objet d'une réfection complète.

Unevisite à « Saint-Julien »

Le premier spectacle qui frappe l'arrivant est celui des installationsqui permettent de « rentrer » de grandes quantités de pommes dans lacidrerie. Celles-ci arrivent par wagons ? Alors, au-dessus de la voieplonge un élévateur qui les prend sur un tapis roulant, qui les montedans les wagonnets. Ceux-ci conduisent les fruits dans un immensegrenier-cave, qui peut contenir trois cents tonnes au moins. La mêmeopération se répète avec le même système pour les pommes amenées parcamions, mais la « rentrée » se fait par une autre porte située dans lacour.

Dela pomme à la pulpe...

Les pommes, du grenier, que j'appelle grenier-cave, parce que lesparois y sont de ciment et qu'il y fait la fraîcheur d'une cave, sontalors dirigées, au fur et à mesure le la possibilité du travail, dansune trémie qui les passe dans un bac de lavage. Une chaîne à godetssans fin qui trempe dans ce bac les reprend pour les déverser dans unerape à grand rendement, d'où sort la pomme broyée, c'est-à-dire lapulpe. Un autre tapis roulant prend cette pulpe, et, par un jeu detrappes, l'amène dans de grands bacs, d'où elle est reprise pour lemontage des marcs. Ceux-ci, une fois montés sur des charriots vont seplacer sous une des presses de la batterie importante de ces engins.

Le jus, sous l'opération des machines, s'écoule alors par unecanalisation qui le conduit dans des cuves où une ouverture permet à unhomme de passer facilement : leur immensité et surtout la réverbérationde la lumière électrique sur les milliers de plaques de verre qui enforment les parois en feraient une sorte de salle féerique, si leurnudité et leur fraîcheur ne rappelaient que ce sont là des cuves. Lecidre sera là-dedans bien à l'abri, dans une propreté d'uneextraordinaire méticulosité.

A l'aide de pompes, le jus est repris pour être dirigé vers les cuves àdéfécation. Celles-ci sont encore en verre.

— « C'est une maison de verre, ici », nous dira M. Leborgne.

Ces cuves communiquent avec une formidable allée d'autres du mêmegenre, où le cidre est conservé.

— Il ne reste là qu'un certain temps ?

— Oui. Là, il « repose ». Après une période qui varie suivant latempérature extérieure et la qualité du cidre, nous procédons ausoutirage, puis à la filtration, afin d'obtenir des cidres d'unelimpidité parfaite et d'une conservation certaine. Enfin, c'est la miseen fûts de toutes dimensions, du plus petit au plus grand, pourl'expédition.

28.000litres de cidre par jour pendant 3 mois

— Avec les moyens formidables dont vous disposez, quelles sont lesquantités de cidre que vous pouvez produire ?

— Nous travaillons « à plein » pendant 3 mois, soit 12 bonnes semaines.

En ce moment, voici quelques c:hiffres qui vous indiqueront la noyennede ce que l'on fait cette année. Semaine du 4 au 10 novembre : 3.575hectolitres de pommes broyées, soit en poids, 185 tonnes 900. Lamoyenne journalière de pommes broyées est de 30 tonnes 183. Laproduction : 1.120 hectolitres de jus, 530 hectolitres de « rémiage »,c'est-à-dire de petit cidre. D'où une production de la semaine de 1.650hectolitres de liquide. La moyenne journalière donne donc 186hectolitres de jus, 88 hectolitres de remiage,soit 274 hectolitres decidre par jour.

— Quand il faut multiplier par 100 pour avoir le nombre de litres, celadonne des chiffres impressionnants !

J'ai quitté les grandes cidreries caennaises, en songeant malgré moi àces chiffres. Et j'ai bu, en partant, un verre de cidre de Saint-Julien: il est, ma foi, savoureux à souhait... Je suis persuadé que denombreux Normands doivent penser ainsi.

E. RELANDEAU

~*~

Unevisite à la célèbre cidrerie de Mutrécy

cidre006.jpg

(Journal de Normandie, [4 ?] novembre 1940)

« ...Et partout l'on entendra
Répéter ce refrain là :
Qu'est-ce qu'il y a d'meilleur ici ?
C'est le cidre
Le bon cidre
Qu'est-ce qu'il y a d'meilleur ici ?
C'est le crû de Mutrécy... »

On connait la chanson. On n'a pas oublié qu'elle est de notre excellentconfrère M. Arthur Marye. Sa muse alerte et spirituelle ne pouvaitomettre de célébrer l'un des plus grands crûs normands... Et cet air etces paroles qui me chantaient dans la tête m'ont fait irrésistiblementpasser l'autre jour par Mutrécy, alors que je parcourais les vauxcharmants de la délicieuse « Suisse Normande ».

« La cidrerie de Mutrécy ? Par là, Monsieur, le grand portail, àgauche, en haut de la rue... »

Pas moyen de s'y tromper ! Du portail mentionné émane une odeur chaude,pénétrante, enivrante l'odeur capiteuse de la pomme de Normandie. Et leregard embrasse, dans une vaste cour, d'énormes silos des fruits dorésqui font la richesse et la gloire de la Province. Du milieu de camionsprêts à partir autour desquels s'affairent des chauffeurs se dégage unhomme. C'est M. Laisné, maire et directeur de la cidrerie de Mutrécy.

Très aimablement, M. Laisné consent à nous faire visiter sonétablissément... de la cave au grenier, si l'on peut parler ainsi : descaves, plutôt, nombreuses et vastes, où des foudres géants renfermentle cidre, et des étages où ils nous faut monter par de roides échelles,pour voir en détail les machines qui pétrissent la pomme afin d'enextraire son nectar.

Depomme en cidre...

Au cours de notre visite, M. Laisné nous explique la fabrication ducidre.

— D'où viennent, d'abord, toutes ces pommes ?

— De la région, dans un rayon de vingt kilomètres environ.

— C'est donc bien un crû de Mutrécy, autant par la production que parla fabrication ?

— Certainement. Quoique à Mutrécy même, il n'y ait pas abondance depommiers...

— Comment faites-vous venir les pommes ?

— Elles arrivent par wagons et surtout par camions. A leur arrivée,elles sont immédiatement déversées en ces silos que vous voyez.

A ce moment, les silos s'écroulent sous l'impulsion d'une pelle maniéesolidement, pour tomber dans une sorte de fosse où coule une eauclaire. Cette fosse est creusée sous le mur même de la « chambre » desmachines. Là un appareil spécial les agite, et c'est toutes propresqu'un monte-charge les prend, à la façon, en plus petit, des godetsd'une drague qui monte le sable... C'est alors que « pour suivre lemouvement », il faut grimper, entre des courroies, des volants, ettoutes sortes de cuves, de machines aux aspects les plus variés,juqu'au haut du monte-charge, pour les voir déverser dans une râpe àgrand débit, qui les broie très finement. Le résultat de l'opérationdonne la pulpe, qui tombedirectement dans des coulottes,grands récipients en forme de cône, qui conduisent cette pulpe dans les maies de presse.

...levoilà, le joli cidre !...

Plusieurs presses hydrauliques, d'une force de cent tonnes chacune, quiremplacent, bien plus rapides, bien plus pratiques et propres, lesénormes pressoirs « à mains » d'autrefois, se chargent d'extraire lejus de l'amoncellement de pommes broyées... Le moût s'échappe de la maiepour être canalisé dans de grandes citernes souterraines, où il attendd'être pompé dans d'immenses cuves à défécation : là, il reste de deuxà quatre jours, pour y subir la première épuration, à air libre.

A ce moment, après avoir « bouilli » en une épaisse écume brunâtre quisurnage dans les énormes vases de bois cerclés de fer, le cidre a subiet terminé le premier stade du travail de fermentation.

...depresse en fût...

Il est clair, limpide, et on le dirige dans de grands foudres, de boiségalement. Il reste dans ces premiers foudres une quinzaine de jours,période après laquelle il sera à nouveau soutiré, c'est-à-dire débarrassé deses levures fermentescibles.

— Là s'arrêtent les opérations ?

— Non, pas du tout, nous répond M. Laisné. Le cidre est à nouveau ressoutiré, un mois après environ.Ce n'est qu'à ce moment qu'il devient bon pour la consommation.

Opérationssecondaires

— Entre temps, continue M. Laisné, la pulpe est émiettée et retrempéepour faire le « petit » cidre, qui sert lui-même à faire les coupages, suivant la demande duclient.

— Que faites-vous du marc de pommes ?

— Quant au marc de pommes, qui ne convient pas aux cidreries, il sert àl'alimentation des bestiaux, après déssication.

...Defûts en verre...

Ma prétention n'est point de présenter une étude technique,scientifique, sur la fabrication du cidre, chose pour laquelled'ailleurs il faut, des volumes et des volumes, qu'ont écrits desspécialistes en la matière.

Aussi, ma visite rapide, bien qu'ayant duré plusieurs heures, ne mefit-elle toucher que très superficiellement la question. Mais je nem'en irai pas sans avoir encore parcouru, après les salles de machinesde fabrication, les immenses caves de la cidrerie, où l'on est sipetit. si petit entre les fûts gigantesques. qui contiennent de 8.000 à13.000 litres et plus. Cette vision me fait évoquer la cave dePantagruel, Gargantua et Grandgousier recevant leurs amis, ceux-ci deleur modèle et de leur taille, imaginés par Rabelais.

C'est de ces antres frais que le bon cidre de Mutrécy sortira pouraller pétiller sur les tables, au plus grand plaisir de bonsNormands... M. Laisné me montre en outre toutes ses installations, sesateliers de mécanique, de tonnellerie, de fabrication de fûts : parceque « tout » est fait à la maison même, même l'abatage des arbres dansla forêt, qui est assuré l'hiver par les employés de la cidrerie, pourêtre transformés en foudres. Je m'arrêterai dans le laboratoire de M.Laisné, où les flacons, les alambics, les éprouvettes me transportentchez un chimiste...

Quelques...notes variées

— Combien, M. Laisné, fabriquez-vous de cidre ici-même, dans l'année ?

— Nous en sommes « rendus » à 18.000 hectos.

— Et cela représente combien de pommes ?

— Environ 120.000 barattées...Une barattée correspond à un demi hectolitre... La région admet la «sortie » de 30 litres de cidre par barattée...

— Vous allez toujours en progressant, d'année en année ?

— Oui, depuis 1935, date à laquelle j'ai pris l'affaire, le nombred'hectos de cidre fabriqués à Mutrécy a toujours été de plus en plusgrand.

Mais j'aperçois par hasard sur le bureau de M. Laisné, un rapport de M.Warcollier, l'éminent directeur de la station pomologique de Caen quidit : « dans un rapport médical surle cidres, des docteurs Perrin et Hamon, je lis que 1 litre de cidre à5° correspond comme valeur alimentaire à : soit 450 grammes de lait,soit 325 grammes de pain, soit 125 grammes de bonne viande, soit unelivre de pommes de terre, soit trois œufs. »

— Mais voilà la crise alimentaire résolue, et le système des cartes derationnement aboli ?

— ...D'autant plus, répond du tac au tac M. Laisné, que le cidre deMutrécy, qui « pèse » environ 7°, correspond donc, pour 1 litre à 630grammes de lait, ou 455 grammes de pain, ou 175 grammes de viande, ou700 grammes de pommes de terre, ou 4 oeufs !...

* *
*

En quittant Mutrécy, je m'associais encore par la pensée à l'idée deArthur Marye, dans le dernier couplet de sa chanson :

«Les grands Normands ont conquis l'Angleterre,
Ils ont planté partout leursétendards.
Dans l'univers, Il n'est pasune terre,
Où n'aient flotté leursfougueux Léopards.
Nous préférons, conquérantspacifiques,
En parcourant le monde entiercomme eux,
Faire goûter ta saveurmagnifique,
Cidre puissant, Breuvagegénéreux ».

Emile RELANDEAU

~*~

Larécolte des Pommes
dans le Pays d'Auge
(Ouest-Eclair, [décembre1940 ?])

Avant d'examiner la récolte des pommes de deux départements, il estindispensable de nous arréter sur un veste secteur de terrainchevauchant sur le Calvados et l'Orne, mais qui s'en est en quelquesorte isolé, par le tracé, bien précis, d'une ligne de démarcationofficiellement consacrée. C'est le Pays d'Auge.

Le Pays d'Auge, qui totalise 303 communes (dont 249 dans le Calvados,46 dans l'Orne et 8 dans l'Eure), est compris dans une région d'unefertilité rare et d'une richesse proverbiale. Sa réputation pomologiqueest universelle. C'est, par excellence, le royaume de la pomme et deses industries.

On y fabrique un cidre savoureux, épais, coloré, très riche en alcoolqui, après distillation, donne des eaux-de-vie délicieuses.L'exceptionnelle qualité de ces produits a valu au Pays d'Auge uneprestigieuse renommée. Sans doute, le secours d'un terroir aussi fécondentre-t-il en ligne de compte dans l'excellence des cidres eteaux-de-vie du Pays d'Auge !

Mais il y a autre chose... Dans cette vaste industrie de la pomme,nombre d'agriculteurs du cru sont devenus de véritables spécialistes !Suivant les conseils éclairés d'éminents pomologues, ils ont patiemmentsélectionné les arbres acclimatés sur leur sol. Puis, ils ont apprissurtout cet art de fabriquer le cidreselon les meilleures méthodes. Et il faut avouer qu'ils le fabriquentavec une sorte de raffinement...

Dans le Pays d'Auge, le choix des fruits destinés à la pilaison est unequestion d'intérêt capital. On attache une grande importance à la parfaite maturitédes pommes. Et si le spécialiste mélange pour le brassage plusieursvariétés de fruits sélectionnés (ce qui est d'ailleurs recommandé), iln'écrasera ensemble que des variétés parvenues — vis-à-vis l'une del'autre — à un degré de maturité absolumentidentique.C'est ce principe, duquel il ne s'écarte jamais, qui, avec un trijudicieux des variétés, constitue tout le secret de sa réussite !

On a obtenu dans ces conditions des cidres d'une saveur remarquable,titrant jusqu'à 9 degrés 5...

*
* *

Les variétés les plus, anciennes sont : le Blanc Mollet, le Petit Améret, le Bisetier ou Bisquet, la Petite Bouteille, les Fréquins (surtout le Fréquin rouge), le Bedan, la Marin-Onfroy, la Petite Sorte, la Grosse Petite Sorte du Parc-Dufour,la Jeannetonne, le Groin d'Ane, la Rousse de l'Orne, la Rousse-Lautour-du-Calvados, le Moulin à Vent, le Noël des Champs, le Solage-à-Gouet, le Doux Veret de Carrouges, les Domaines du Calvados, le Cimetière de Blangy, le Gros Matois rouge et la Bramtôt.

En variétés plus récentes, on trouve : la Saint-Martin, le Joly Rouge, la Grosse Bouteille de Lisieux, etc...

La Pomone des vergers du Pays d'Auge comprend encore — comme partout —de trop nombreuses variétés, mais l'étude approfondie de ces variétés,des observations juddicieuses et des expériences pratiques, ont permisd'en déterminer la valeur. C'est pourquoi la sélection qui se poursuitd'année en année, arrivera à former la base des vergers du Pays d'Auge.

On a groupé les pommes en quatre stades de maturité :

La première maturité comprend les fruits brassés avant le 15 octobre (Blanc Mollet). La deuxièmematurité, les fruits brassés du 15 octobre à fin novembre (Bisquet, Jeannetonne, Domaine Fresquins, Doux Véret de Carrouges). Latroisième maturité concerne les pommes à écraser en décembre (Groin d'Ane, Bouteille). Et enfin la quatrièmematurité, composée des fruits brassée en Janvier et plus tard (Moulin à Vent, Bedan, Noël des Champs, Solage à Gouet, Petite Sorte dit Parc Dufour).

Les fruits de première maturité sont peu nombreux. Ils sé réduisent àquelques variétés servant fabriquer des cidres pour consommer desuite. La deuxième maturité se partage la moitié de la productionavec les troisième et quatrième maturités. Ces dernières se conservanttrès facilement, leur vente s'échelonne jusqu'en février. C'est unprivilège pour le Pays d'Auge de pouvoir conserver sarécolte, pour la livrer sur le marché, à une époque où les autresrégions ont déjà écoulé leur production !

Du développement constant des vergers, découle une augmentatianprogressive de la production fruitière.

Cette année, malheureusement, la récolte dans le Pays d'Auge seramauvaise, Les gelées tardives, ainsi qu'une invasion anthonomiquefavorisée dans son évolution par une période appropriée, laissaientprévoir une récolté nulle. Les première et deuxième floraisons ont étéanéanties. Fortheureusement, un retard d'une quinzaine de jours dans la végétation apermis aux dernières floraisons de « tenir » et une bellearrière-saison a favorisé la maturité des fruits.

C'est ainsi que la Médaille d'Or, Groin d'Ane, Bedan, Bouteilles, TardFleuri, Moulin à Vent,etc..., donneront à peu près normalement. La récolte générale seraaméliorée de ce fait et pourra atteindre,pour le Paye d'Auge, du quart au tiers environ d'une récolte courante.

DANS LE CALVADOS

On estime que pour l'ensemble du département la récolte nedépassera pas le quart du volume d'une année normale. Il est inutile derevenir sur les causes de cette pénurie de fruits quisont les mêmes dans tout l'Ouest. Danslta région de Caen, Vire, Bayeuxet Falaise, la récolte sera presque nulle. Seul le Pays d'Auge. commenous l'avons vu, fournira quelques ressources. Les principales variétésde pommes en faveur dans le Calvados sont,dans le Bessin : Gros Bois, Monnier dur, Cartigny, Feuillard, Gagnevinet Fréquin. Dans le Bocage : Chesnée (gros et petit), Amer doux blanc, Amer doux rouge, Monnier dur et Doux Lozon.

Le Calvados, malgré la constitution de vergers assez importants,n'est pas un gros producteur de pommes à couteau (2.000 quintauxseulement en 1940). Les régions spécialisées dans la pomme de table sesituent autour de Honfleur et de La Rivière-Saint-Sauveur. Ledépartement récolte également quelques poires à poiré, mais dans uneproportion insignifiante. Dans le département, comme partout ailleurs,la récolté trèsdéficitaire des pommes aura pour conséquence une inquiétante pénuriedé cidre.

Pendant l'année qui précéda la guerre, la Direction des ServicesAgricoles entreprit, ici également, une propagande active pour lesur-greffage des pommiers, avec des variétés recommandées comme fruitsde table ou pommes à deux fins. Les événements ont empêche depoursuivre les opérations.

Jusqu'ici des traitements d'hiver (huile et colorants) étaientseuls pratiqués dans le Calvados pour la destruction des ennemis descultures. Ils ne s'étaient pas généralisés, au surplus, Car onrencontre partout la même objection : Insuffisance notoire du prix devente despommes  ne compensant pas le prix de revient des traitementsd'hiver (pulvérisations et insecticides). C'est d'autant plusregrettable que l'utilité de ces opérations n'est pas contestable. Dansla région d'Honfleur (production des pommes de table) destraitements de printemps et d'été — à l'arséniate — completaientcependant les traitements d'hiver.

JEAN-FRANÇOIS

~*~

Nousavons des pommes
(Ouest-Eclair, [3 décembre 1940 (?)])

Notre ville ne connait plus, en ce moment, les installations depressoirs le long de ses rues, telles qu'on les voyait il y a quelquesannées. Il faut reconnaître que cela était bien un peu gênant pour lacirculation. Mais cela n'empêche pas que l'année a été excellente aupoint de vue pomologique et que les pressoirs cachés dans lesarrière-cours ont eu beaucoup de travail. Dans un opuscule, aujourd'huiintrouvable, imprimé en 1887 sur les presses du « Progrès Bayeusain »,notre regretté compatriote, M. Hector Lesueur, avait, dans une synthèseremarquable, dit tout ce que les curieux de notre existence quotidiennepeuvent connaître sur la pomme et le pommier. Il est regrettable quecette oeuvre n'ait pas été plus largement répandue. Avant lui, le sirede Gouberville, seigneur de Russy, dans son célèbre journal, qui date,à son début, de l'an 1553, et le docteur Julien de Paulmier, dans sontraité du vin et du cidre, imprimé à Caen en 1589, chez Pierre LeChandellier, avaient parlé de notre boisson normande en termes trèschaleureux.

Que diraient nos ancêtres, si fiers de leurs pommiers, s'ils voyaientles ravages faits dans nos vergers par la dernière tempête. Certainesfermes de notre Bessin comptent jusqu'à 130 pommiers tombés et àremplacer.

Cependant, dans une période qui s'écoula de 1846 à 1850, il y eut tropde pommes et un écoulement insuffisant. Il devint de mode d'abattrebeaucoup de pommiers, puis cela passa, et l'on recommença à planter dejeunes arbres.

En 1894, le Palais Bourbon entendit parler de la pomme et des pommiers,mais ce n'était pas dans un débat sur l'agriculture. Un député, qui eutà l'époque une certaine célébrité, Jules Roche combattait l'impôt surle revenu et pour amuser l'assemblée et l'intéresser au débat, il donnalecture de vers d'un brave curé normand, qui suppose les agents dufisc, en tournée pour appliquer la loi. Nous en reproduisonsl'essentiel :

Quandils iront en Normandie
Pour imposer le revenu,
Il leur en faudra du génie
Pour dégager cet inconnu.

— Voulez-vous me dire,bonhomme,
Combien vous faites par an ?
— Par an ?... ça dépend de lapomme,
Ce n'est pas riche un paysan.

— A la fin des fins tum'assommes !
J'écris : tu te fais milleécus...
— Mille écus ! En faudrait despommes
Peur donner de tels revenus !

Après cela, tout à votre aise,
Écrivez ce qu'il vous plaira.
Mais de Bayeux jusqu'à Falaise,
S'il faut plaider, on plaidera.

Nous vous montrerons qui noussommes :
Et, quoiqu'on n'en ait pas destas,
Il faudrait n'avoir pas depommes
Pour ne pas prendre d'avocats !