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[Colportage] : Histoired’Athénaïs ou d’Eudoxe, Impératrice d’Orient.- Caen :Chalopin, [s.d.].- 24 p. ; 17 cm.
Saisie du texte : S. Pestel pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (19.VII.2008)
Texte relu par : A. Guézou.
Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex
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Orthographe etgraphieconservées (y compris, fautes et coquilles de l'édition).
Texte établi sur l'exemplaire de laMédiathèque (bm Lx  : Norm br 1105).

Histoired’Athénaïs,
 ou
d’Eudoxe,
Impératrice d’Orient

~*~

page de titre du livret de colportage

Sous l’Empire de Théodose le Jeune, l’Idolâtrie, qui s’affoiblissoit dejour en jour dans toutes les Provinces de l’Orient, regnoit encore dansla Grece, & se soutenoit avec opiniâtreté dans la villed’Athenes.

Il y avoit dans cette ville un Philosophe célebre, nommé Léontin. Sonsavoir, la beauté de son esprit, l’éloquence qui ornoit ses discours,l’avoient élevé au-dessus de tous les Philosophes de son tems :& sa douceur, sa modestie & sa sagesse le leur faisoitproposer à tous pour modele.

Il eut trois enfans ; deux garçons & une fille, qui futappellée Athénaïs.

A peine eut-elle passé les premieres années de l’enfance, que Léontinlui voulut faire part de ses lumieres : il cultiva lui-même cette jeuneplante qu’il aimoit, & qui déjà commençoit à croître &à s’enrichir sous ses mains : il communiqua à sa fille toutes lesconnoissances qu’une longue application à l’étude lui avoit acquises ;il lui fit lire les plus habiles Orateurs, les plus excellens Poëtes,& les plus savans Philosophes. La jeune Athénaïs se formal’esprit par ces lectures, mais elle se forma le coeur par l’exercicedes vertus dont son pere lui faisoit des leçons & lui donnoitdes exemples.

Il lui apprit que la beauté, dont la nature l’avoit avantagée, n’étoitpour elle qu’un présent dangereux, si elle n’étoit accompagnée de lasagesse & de la pudeur. Il lui fit entendre que tout le savoirqu’elle acquerroit, ne serviroit qu’à la précipiter dans les erreursles plus grossieres, si la présomption & la vaine gloires’emparoient de son coeur : enfin que toutes ses connoissances luideviendroient funestes, sans la simplicité & la modestie.

Avec ces enseignemens, l’amour de la retraite, l’étude des bons livres,& les heureuses dispositions d’Athénaïs, elle devint bien-tôtparfaite pour le coeur & pour l’esprit, & elle n’avoitpas encore atteint l’âge de quatorze ans, que tout Athenes la regardoitcomme un prodige de savoir & de vertu.

Ce fut environ vers ce tems de son âge que son pere mourut. Il est aiséde concevoir quelle douleur ressentit une si vertueuse fille, de lamort d’un si bon pere. Il laissoit avec elle deux garçons, les aînésd’Athénaïs, qui ne songerent qu’à partager la succession de Léontin. Ontrouva ses dernieres volontés exprimées dans un écrit : il portoit queses deux fils, étant dépourvus des talens nécessaires pour la fortune,il se croyoit obligé de partager entr’eux le peu de bien qu’il avoit ;qu’à l’égard d’Athénaïs, il vouloit que ses freres lui donnassent centpiéces d’or, qu’ils la gardassent jusqu’au jour qu’elle auroit trouvéun parti convenable, & que son mérite & ses vertussuffiroient pour la dédommager de l’injustice qu’il sembloit lui faireen mourant.

Ces paroles furent une espéce de prophétie de ce qui arriva dans lasuite à Athénaïs. Cependant, soit que sa réputation lui eût attirél’envie de ses freres, soit qu’un intérêt sordide leur fit oublierl’ordre de leur pere, ils refuserent de garder leur soeur, &n’exécuterent des volontés de Léontin, que celle qui leur ordonnoit departager tous ses biens entr’eux.

Athénaïs fut donc réduite à quitter la maison paternelle, & àsouffrir toutes les peines que traîne après soi la pauvreté. Elle lasupporta avec courage & avec noblesse. Une Dame Athénienne laprit auprès d’elle ; mais il fallut payer cette générosité par uneservitude pour laquelle Athénaïs n’étoit pas née ; cependant elle s’ysoumit, elle oublia ses talens & son savoir, & letravail des mains devint presque son unique occupation

Rien n’abbaisse tant que le vain orgueil, & rien n’élevedavantage que l’humilité : la sienne trouva bien-tôt des admirateurs ;son esprit & sa beauté acheverent de gagner ceux que sa sagesseavoit attirés ; on voulut tenter son innocence par des offresavantageuses, mais elle préféra la vertu aux richesses, &demeura inébranlable dans un tems où elle se trouvoit attaquée,non-seulement par l’opulence & les délices, mais encore par laservitude & la pauvreté.

Deux ans s’étoient écoulés de la sorte, quand Paulin, l’un des Favorisde Théodose le jeune, vint de Constantinople à Athenes pour desaffaires qui regardoient l’Empereur.

Paulin avoit été lié d’amitié avec Léontin, ils s’étoient adonnés auxmêmes sciences, ils avoient presque acquis les mêmes lumieres ; aveccette différence, que Léontin étoit mort dans le Paganisme, &que Paulin, éclairé de la vérité, avoit embrassé la Religion Chrétienne.

Il apprit, en arrivant à Athenes, la mort de son ami. Il sçut le lâcheprocédé des freres d’Athénaïs, il leur en fit des reproches, il tâchade les rappeller à leur devoir ; mais ce fut inutilement : enfin il lesmenaça d’employer tout le credit qu’il avoit auprès de l’Empereur, pourles forcer d’être équitables envers leur soeur : & dans ledernier entretien qu’il eut avec Athénaïs, il l’assura que, malgrél’indulgence qu’elle avoit pour ses freres, malgré la crainte qu’elleavoit de les perdre, elle auroit de l’Empereur la justice qu’ellen’avoit pu obtenir d’eux.

Athénaïs avoit fait tous ses efforts pour s’opposer aux bonnes volontésde Paulin ; mais enfin, apprenant qu’il étoit retourné àConstantinople, & se trouvant pressée par tous ses amis d’allersolliciter elle-même l’Empereur, elle partit, moins pour réussir dansle projet qu’on lui vouloit suggérer, que pour parer le coup qu’elleprévoyoit devoir tomber sur deux freres, qu’elle aimoit encore malgréleur dureté & leur injustice. On pourvut charitablement auxfraix de son voyage ; elle partit d’Athenes, & arriva àConstantinople.

Sa premiere inquiétude fut de savoir si Paulin ne l’avoit point serviemalgré elle ; elle le vit, & apprit de lui qu’il avoit déjàparlé à Pulcherie, soeur de l’Empereur, qui aidoit à Théodose à soutenirle poids de l’Empire.

Cette Princesse, sur les louanges que Paulin donnoit à Athénaïs, avoitconçu un extrême desir de la connoître ; ainsi elle lui fut présentéele jour même qu’elle arriva. Athénaïs, loin de lui demander justice deses freres, ne se jetta aux pieds de la Princesse que pour lui demandergrace pour eux. La générosité est tôt ou tard récompensée ; celled’Athénaïs la fut bien-tôt. Pulcherie, touchée de ses sentimens, lareçut dans son Palais ; & comme cette Princesse honoroit lesavoir & chérissoit la vertu, Athénaïs ne fut pas long temssans avoir toute son affection & toute son estime. Elle lavoyoit souvent, elle lui faisoit part des difficultés qu’elle trouvoitdans le Gouvernement. Athénaïs répondoit avec respect, aveccirconspection & avec sagesse. Enfin Pulcherie lui trouva tantde capacité & de vertu, qu’elle l’honora de sa confiance,& que dans toutes les affaires, dont l’Empereur lui remettoitle soin, elle ne se servit plus que de ses lumieres.

D’autres auroient été aveuglées par une faveur si éclatante, mais loind’en être éblouie, sa modestie & sa sagesse en brilloientencore d’avantage. Paulin fut le premier qu’elle convainquit que safortune ne l’avoit point rendu ingrate : il étoit déjà estimé dePulcherie, mais Athénaïs acheva de la confirmer dans cette estime,& ce fut par elle qu’il se vit élevé aux charges les plusimportantes de l’Etat.

Avec un semblable crédit, on conçoit aisément combien de personnesbriguerent l’estime d’Athénaïs.

Accessible à tout le monde, la foule qui l’environnoit sans cesse nesembloit jamais la fatiguer ; elle écoutoit avec douceur tous ceux quiimploroient son assistance ; mais dans les hommages que chacun luirendoit, elle savoit discerner la flatterie des louanges désintéressées; elle démêloit ses vrais amis d’avec la multitude de Courtisans qui nerespectoient en elle que la fortune : jamais les adulateurs n’eurent decrédit auprès d’elle, jamais on ne la vit s’enyvrer d’un fol orgueil,sur-tout les pauvres & les opprimés trouverent en elle unassuré refuge ; & dans tous les services qu’elle leur rendit,dans tous les secours qu’elle leur procura, on ne remarqua point cetteostentation, & ce faste qui accompagnent si souvent ladispensation des graces, & qui en dérobent tout le prix.

Ces heureuses qualités lui acquirent l’amour de la plupart de ceux dontelle avoit d’abord excité la jalousie. L’Empereur, qui la voyoitsouvent avec Pulcherie, touché de son esprit & de sa beauté, sefit sans y penser une habitude de la voir & de l’entendre ;ainsi elle trouva grace auprès de lui, comme elle l’avoit trouvéeauprès de sa soeur, & eut également la confiance de tous deux.

Il manquoit à tant de sagesse, cette grace du Ciel, sans laquelletoutes les vertus sont inutiles pour l’éternité. Athénaïs étoit encoredans le Paganisme ; le Patriarche Atticus lui avoit annoncé déjà plusd’une fois les Mysteres de notre foi, Paulin s’étoit appliqué àl’instruire ; mais Dieu qui tire les hommes de l’erreur par samisericorde, les y peut laisser sans injustice ; & soit qu’illes éclaire, soit qu’il les abandonne aux ténebres, soit qu’il differepour un tems de les en arracher, ses décrets sont toujours équitables,& doivent toujours être adorés, sans qu’il soit permis de lesapprofondir.

Cependant le Ciel n’abandonna pas long-tems Athénaïs : l’instantheureux arriva, où convaincue de la vérité & déterminée par lagrace, elle ouvrit les yeux à la lumiere céleste. Le jour de sonbaptême fut solennel dans Constantinople. Pulcherie la nomma Eudoxe ;depuis ce tems la tendresse de la Princesse augmenta pour elle, cellede l’Empereur s’alluma de plus en plus, & Athénaïs, que nousappellerons désormais Eudoxe, parvint au rang le plus haut où la vertupuisse faire monter.

L’Empereur qui confioit tout à Pulcherie, lui découvrit la passionqu’il ressentoit pour Eudoxe. L’Empire d’Orient demandoit dessuccesseurs : on cherchoit une épouse à Théodose ; ses alliés lui enoffroient, mais elles étoient payennes ; ces considérations, le mérited’Eudoxe, l’estime que Pulcherie avoit pour elle, l’amour del’Empereur, tout concourut à la mettre sur le Trône. Théodose l’épousa; leurs nôces se célébrerent avec une pompe digne de la Majesté d’unEmpereur ; tout l’Empire fit éclater sa joie, & l’allégressedes Sujets de Théodose, fut un présage du bonheur dont ils alloientjouir.

En effet, les premieres années de ce mariage auguste firent regner,dans tout l’Orient, le repos & la félicité dont jouissoientThéodose & l’Impératrice.

Mais qui peut compter sur les grandeurs humaines ? & hors celuiqui s’attache à Dieu seul, quel homme peut se flatter de posséder unefélicité solide ?

Eudoxe, arrivée au plus haut dégré de gloire, sembloit être devenueplus simple & plus modeste : elle étoit aussi soumise àPulcherie, que lorsque, sous le nom d’Athénaïs, elle se trouvoitheureuse de lui appartenir ; elle consultoit souvent Paulin, à qui elledevoit les commencemens de sa fortune ; & cette soumission à lasoeur de l’Empereur, cette défiance d’elle-même, cette reconnoissance,vertus qui sembloient devoir affermir son bonheur, contribuerent à luiattirer tous les maux dans lesquels elle fut bien-tôt précipitée.

L’envie regne dans tout le monde ; mais il semble que ce soit dans lesCours des Rois qu’elle regne avec plus de cruauté & de violence; c’est-là qu’elle paroît plus attachée à détruire le mérite &à obscurcir la vertu.

Il y avoit long-tems que l’on tâchoit de diminuer le crédit d’Eudoxe,de Pulcherie & de Paulin. De lâches flatteurs, des Ministresirrités de ce que l’on éclairoit leur conduite, assiégeoient Théodose àtoute heure ; ils lui insinuoient qu’il étoit honteux à un Empereur dene se conduire que par les conseils de deux femmes, & d’unhomme qui n’avoit rien de recommandable que quelques connoissancesvaines, que la Philosophie lui avoit acquises ; qu’il devoit sortird’une tutelle indigne de la Majesté de son rang. Ils alloient mêmejusqu’à vouloir lui faire entendre que les conversations del’Impératrice & de Paulin, pouvoient avoir d’autres motifsqu’une simple estime ; ainsi ils s’efforçoient d’empoisonner l’espritde Théodose : mais ils n’y auroient jamais réussi, si Eudoxe, par uneimprudence légere, n’avoit donné quelque ombre de vraisemblance à leurcalomnie. Les hommes les plus sages sont hommes, & parconséquent sujets à l’erreur : Eudoxe va nous en donner un exemple.

L’Empereur allant un jour à l’Eglise, quelqu’un lui présenta une pomme,dont la grosseur & la beauté le surprirent. Il la prit& l’envoya porter à Eudoxe ; elle étoit alors allée voirPaulin, que la goutte retenoit dans l’appartement qu’il avoit au Palais; & trouvant à son retour le présent de l’Empereur, elle neprévit point de quelle conséquence pouvoit être la marque debienveillance qu’elle alloit donner à Paulin : elle lui envoya cefruit, & pour le distraire de son mal, en lui donnant unelégere inquiétude, elle défendit que l’on lui fit savoir de quelle partce présent lui venoit. Ses ordres ne furent que trop bien exécutés :Paulin ne pouvant apprendre par qui ce fruit lui avoit été envoyé, ledestina à l’Empereur : il se fit porter à l’entrée de l’appartement deThéodose, & le lui présenta à son retour. Quelle fut lasurprise de l’Empereur ? Il douta quelque tems que ce fut le même qu’ilavoit envoyé à Eudoxe ; mais après l’avoir examiné, sans rien répondreà Paulin, & suivi de la Cour qui l’avoit accompagné, il entradans son appartement ; tandis que le malheureux Paulin, qui ne croyoitpas toucher de si près à sa derniere heure, se fit reporter dans lesien.

Il arrive souvent que les femmes, qui se sentent au-dessus des vices,sont assez téméraires pour négliger les apparences, & se croireau-dessus des soupçons. Eudoxe venoit de tomber dans cette erreur.Théodose, agité de différens mouvemens, ne savoit quel jugement porterde cette avanture ; il confia son embarras à ceux qui se trouverentalors les plus proches de lui ; on saisit avec joie cette occasion deperdre Eudoxe & Paulin ; on envenima l’esprit de l’Empereur ;on jetta dans son coeur de nouveaux soupçons de la vertu del’Impératrice ; enfin Théodose, ne pouvant résister au trouble quil’agitoit, prit le malheureux fruit qui étoit la source de tantd’inquiétude, & s’achemina vers l’appartement d’Eudoxe.

Pendant que ces choses se passoient, l’Impératrice commençoit à serepentir de son imprudence. Elle pensoit au pouvoir & à lamalice de ses ennemis ; elle se rappelloit tout ce qu’ils avoient déjàtenté pour la rendre suspecte à l’Empereur : son innocence la rassuroit; elle étoit quelquefois prête à s’aller accuser elle-même à Théodose,quelquefois elle pensoit que son indiscrétion pouvant demeurer dans lesilence, elle seroit mieux de ne la point révéler ; elle étoit dans cesagitations, lorsque Théodose entra.

Le trouble d’Eudoxe empêcha qu’elle ne vît la peine que l’Empereuravoit à cacher le sien. Il lui demanda si elle avoit reçu le présentqu’il lui avoit envoyé ; elle répondit par des remercimens : mais étantpressée de dire ce qu’elle en avoit fait, elle tombe dans la faute laplus dangereuse qu’une femme, que l’on peut soupçonner puissecommettre, qui est de vouloir cacher une indiscrétion par un mensonge :elle dit qu’elle n’avoit pû résister à l’envie de savoir si ce fruitétoit aussi bon qu’il étoit beau. Théodose se leva à ces paroles ;& dissimulant encore, il lui répondit qu’elle lui permetteroitde ne la point croire, qu’elle vouloit le surprendre, & qu’ilvoyoit bien que ce fruit lui seroit servi le même soir : Eudoxerepartit qu’elle auroit dû en user de la sorte ; mais qu’elle avouoitqu’elle avoit succombé à tentation, que la beauté de ce fruit lui avoitcausée ; qu’elle lui en faisoit des excuses, mais qu’il ne falloitpoint qu’il s’attendit à le revoir.

Ce fut alors que la colere de l’Empereur ne se put plus contenir : illa traita de perfide : il l’accusa d’une intelligence criminelle avecPaulin : il la chargea de tous les crimes que ses calomniateurs luiavoient imputés : & pour confirmer la prétendue vérité deshorreurs dont il l’accusoit, il lui montra cette pomme fatale, qu’ilavoit fait apporter avec lui. L’innocence accablée est plus timide,& trouve moins d’excuses, que le crime lorsqu’il est confondu.

Eudoxe interdite, n’envisagea rien qui pût la défendre. L’Empereur laquitta en fureur, & se livra, depuis ce moment, aux conseilspernicieux de ceux qui vouloient la perte de l’Impératrice & dePaulin.

Cependant Eudoxe sembloit avoir perdu l’usage de sa raison & deses sens : elle resta quelque tems en cet état ; mais enfin rappellantson esprit, elle vit bien qu’il falloit moins songer à ses malheurs,qu’aux remédes qu’elle y pouvoit apporter.

Il s’agissoit de guérir l’esprit de Théodose : & Eudoxe crutqu’un simple aveu de la vérité détruiroit des préventions, qui nepouvoient être que légérement fondées. Quelqu’un lui apprit dans cemoment la maniere dont Paulin, sans y penser, l’avoit perdue, &s’étoit perdu lui même : elle reprit quelque espérance. Elle sepersuada que, malgré l’artifice de ses ennemis, elle pourroit faireentendre à l’Empereur, qu’une femme aussi criminelle qu’il la croyoit,n’auroit point été capable d’une imprudence semblable à la sienne ;& qu’un homme aussi coupable qu’il soupçonnoit Paulin del’être, ne se seroit point trahi d’une façon si grossiere, enfin que leprocédé de l’un & de l’autre étoit une preuve de leurinnocence. Elle se rassura sur ces raisons qu’elle pouvoit alléguer àThéodose, & fit un sacrifice à Dieu de la honte secréte, d’êtreréduite à produire à ses vraisemblances pour servir de preuves à savertu.

Elle attendit dans cet esprit le moment qu’elle crut le plus proprepour aller trouver l’Empereur : mais à peine cet instant fut-il arrivé,que, comme elle sortoit, une de ses femmes effrayée lui vint apprendreque Théodose avoit ordonné la mort de Paulin, & que par sonordre il venoit d’être égorgé.

Quelle nouvelle pour la malheureuse Eudoxe ! elle demeura immobile,& elle n’auroit pû dévorer ses larmes, si un des Ministres del’Empereur arrivant, ne lui eût remis un écrit de la part de ce Prince.

Elle se hâta en tremblant de le lire : elle y trouva une défense de semontrer jamais à ses yeux, & un ordre de sortir de la Cour& de Constantinople dès le lendemain, avec cette seule grace,qu’elle-même pouvoit choisir le lieu de son exil.

Ce dernier coup de foudre acheva d’accabler Eudoxe. Elle vit bien quetout espoir lui étoit ôté, que ses ennemis l’emportoient, &qu’il falloit qu’elle cédât aux malheurs dont elle étoit opprimée. Ellerentra dans son appartement, & ayant congédié tout son monde,elle passa la nuit dans des réflexions d’autant plus tristes, qu’elleen sentoit elle-même l’inutilité ; elle ne pouvoit cependant s’empêcherde penser aux routes par où le Ciel avoit semblé la vouloir conduiredans l’abyme des maux où elle se trouvoit.

Fille d’un Philosophe, autant estimé par sa sagesse que par son savoir,elle s’étoit montrée digne de lui ; l’injustice de ses freres l’avoitfait tomber dans la pauvreté, Pulcherie l’en avoit tirée, elle étoitmontée sur le Trône, & dans le tems qu’elle pouvoit compter, enapparence, sur sa fortune, elle la voyoit renversée pour toujours :l’imposture triomphoit de son innocence, elle étoit la cause de la mortd’un homme juste, à qui l’estime & la reconnoissance devoientl’attacher : il falloit se séparer pour jamais d’un époux qu’elleaimoit ; & pour comble de douleur, elle se voyoit deshonoréedans tout l’Univers, & chargée d’un opprobre, non-seulementsensible à une Princesse aussi vertueuse qu’elle l’étoit, mais qui mêmeauroit suffit pour accabler une femme qui s’en seroit rendue digne parsa conduite.

Toutes les leçons de sagesse que donne la Philosophie, tous lessentiments qu’Eudoxe y avoit puisés, n’étoient pas capables de calmerune ame en proie à tant de sujets de trouble. La seule moralechrétienne, qui nous apprend à rompre les liens les plus forts, pour nenous attacher qu’à Dieu, à aimer nos ennemis, souffrir avec patienceles injures & les calomnies, à être non-seulement humble, maisà chérir les humiliations ; cette morale divine, enseignée &pratiquée par Jesus-Christ, pouvoit seule donner des forces àl’Impératrice. Ce fut aussi aux pieds de ce Dieu crucifié qu’elletrouva du soulagement ; ce fut en unissant ses douleurs aux siennes,qu’elle se sentit au-dessus d’elle-même : ses larmes se sécherent ; saconstance revint ; elle se soumit avec joie aux ordres de la Providence; & détachée des créatures & de la fortune, elle seconsacra à Dieu seul.

Ces sentimens la déterminerent à choisir la Palestine pour le lieu deson exil. A peine le jour fut-il venu, qu’elle déclara sa résolution àceux que l’Empereur avoit chargés de la savoir ; elle ne leur demandapour toute grace, que de l’assurer qu’elle partoit innocence du crimedont il l’avoit soupçonnée : elle ajouta qu’elle devoit ce témoignage àla gloire de son époux, à la sienne propre, & à la mémoire dePaulin ; qu’elle les prioit de dire à Théodose qu’il apprendroitqu’elle ne s’étoit perdue que par une légere indiscrétion : qu’elle luiremettoit le diadême dont il l’avoit honorée, qu’elle s’étoit toujoursreconnue indigne de le porter, qu’elle rentroit, sans murmurer, dansl’état d’où il l’avoit tirée, & que malgré la haine qu’ilsembloit avoir pour elle, elle conserveroit pour lui, jusqu’à la mort,tout le respect & tout l’amour qu’elle lui devoit.

Elle distribua ensuite à ceux qui lui appartenoient, les choses dont onlui avoit laissé la liberté de disposer. Toutes les femmes qui avoientcoutume de l’approcher, vouloient la suive ; la Cour étoit en pleurs,l’Empereur même alloit révoquer son arrêt, si les ennemis d’Eudoxe nel’eussent obsédé ; enfin après avoir choisi un petit nombre dedomestiques, & consolé tous ceux qui venoient recevoir sesadieux, elle partit, & prit la route de Jérusalem.

Elle y étabit son séjour ; elle passa plusieurs années à visiter endifférens tems les lieux Saints ; elle fonda des Monastères, fit bâtirdes Eglises, & partagea son tems entre l’étude de l’écriture& la pratique des oeuvres de piété.

Elle composa plusieurs ouvrages qui ne sont point venus jusqu’à nous :elle fit la vie de J. C. en vers, qu’elle tira toute entiere des Poëmesd’Homere, & que plusieurs Auteurs citent comme un chef-d’oeuvred’esprit & d’application. Cependant son amour pour la lecture,& le desir, peut-être immodéré, de pénétrer les matieres lesplus difficiles de notre religion, la jetterent quelque tems dansl’erreur : elle se remplit l’esprit des sentimens d’Eutichés, quel’Eglise condamna comme hérétiques. Mais si elle avoit de l’avidité desavoir, elle avoit de la docilité, & les conférences qu’elleeut avec l’Abbé Euthymius, & les lettres de St. Siméon,surnommé le Stilite, la retirerent du précipice & laconfirmerent dans la vraie Foi.

Cette chûte lui servit à avancer encore plus dans le chemin de laperfection : elle se défia de ses lumieres & résolut de ne plusétudier que Jesus-Christ : elle l’imita dans sa vie active, ellevisitoit les malades, servoit les pauvres, les secouroit, &trouvoit dans ce genre de vie, la paix & la félicité, que nelui avoit pû procurer le premier Trône de l’Univers.

Tandis qu’elle jouissoit du vrai repos, que Dieu seul peut donner,Théodose recevoit le prix de son injustice.

En proie à ses passions, les Ministres l’entretenoient dans l’oisiveté& dans la mollesse. Pulcherie avoit été releguée aussi-bienqu’Eudoxe : cependant l’Empire, qui n’étoit plus gouverné que par desames basses & intéressées, se vit bin-tôt livré à toutes sortesde maux. Les finances de l’Empereur furent épuisées, la guerre désolases meilleures Provinces, il perdit plusieurs batailles, l’hérésied’Eutichés déchira l’Eglise, Théodose soutint le parti de cethérésiarque ; enfin l’Orient auroit succombé à tant de malheurs, sil’Empereur n’avoit rappellé Pulcherie, qui remit l’ordre & lecalme dans l’Empire, & fit chasser ou punir tous les flatteursqui avoient empoisonné l’esprit de Théodose, ou qui s’étoient enrichispar la désolation de l’État.

Dès que cette Princesse eut pourvû  aux besoins les pluspressés, elle songea à faire revenir Eudoxe. Théodose reconnut sonerreur, & fit partir un exprès pour la rappeler ; mais quelquesjours après, son cheval s’étant abattu sous lui à la chasse, il mourutde sa blessure. Eudoxe reçut presque en même tems l’ordre de retournerà la Cour, & la nouvelle de la mort de l’Empereur. Elles’enferma dans un Monastere qu’elle avoit fondé ; & quoiquePulcherie la redemandât, elle persista à y vouloir finir sa vie. Eneffet après avoir passé plusieurs années dans des exercices continuelsde Religion, elle y mourut en odeur de sainteté, l’an de notre Seigneur468 & le 67 de son âge.

FIN.