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BOURGINE, Édouard(1884-1929) : Profilsnormands : Robert Campion  (ca1929).
Saisie du texte : O. Bogros pour la collectionélectronique de la Médiathèqueintercommunale AndréMalraux de Lisieux (30.V.2015)
[Ce texte n'ayant pas faitl'objet d'une seconde lecture contient immanquablement des fautes noncorrigées].
Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque@lintercom.fr, [Olivier Bogros]obogros@lintercom.fr
http://www.bmlisieux.com/

Orthographe etgraphieconservées.
Texteétabli sur un exemplaire non  daté de La Revue normande.


~*~

PROFILSNORMANDS
ROBERT CAMPION
par
Édouard Bourgine.

~*~

« Robert Campion, c'est le vrai type du pays : solide, l'œilclair gardant quelque chose des grands espaces et du grand ciel du Paysd'Auge, de ces horizons doucement nuancés qui s'en vont vers la mer ;la voix chaude et vibrante, le geste large, la main grande ouverte,comme le cœur, la poitrine puissante faite pour aspirer l'air qui vientdu large, chargé à la fois d'odeurs de varechs et d'odeurs de foins ;il est de ceux dont les hommes disent : c'est un gâs ! et les femmes :c'est un beau gâs ! Normand, vous dis-je, Normand de Normandie ! »
 
Tel est le profil, si parfaitement tracé jadis par Jean Bertot, decelui dont nous avons le dessein de rappeler ici la carrièremouvementée.
 
Les écrivains régionaux qui eurent la bonne fortune, il y a vingt-troisans, de figurer dans la luxueuse Anthologie Poinsotet Féret, ne se rendent peut-être pas suffisamment compte à quel pointelle contribua à leur renommée. Parmi les poètes, ainsi révélés auxjeunes que nous étions alors, il y avait précisément l'excellent RobertCampion.
 
Ce pur Normand du Pays d'Auge a passé son enfance dans le décor même deson dernier livre Closde Jadis (1) et son adolescence au Collège de Lisieux. Ilse souvient de n'y avoir obtenu qu'un prix de gymnastique, mais ilpossédait pour ce sport de telles aptitudes qu'à seize ans ilfranchissait les murs de l'honorable maison d'enseignement. C'est àParis que se déroula sa jeunesse, parmi les peintres, les sculpteurs etles hommes de lettres. Il fréquenta les ateliers de Forain, deFalguière et de Clausade, lequel, un beau jour fit son buste.
 
Chez Forain, qu'il eut la chance d'accompagner au Louvre à une époqueoù les impressions sont fraîches, Campion connut Octave Mirbeau, dePorto-Riche, Paul Hervieu et Charles-Théophile Féret qui préfaça sispirituellement son premier volume : Rimes Paysannes (2).
 
Robert Campion, à la suite de déboires amoureux, revint en province enpassant par Londres où il suivit le peintre Payne au Musée deKensington. Il séjourna aux Flandres belges, retenu par les mains desPrimitifs. Il eut alors le loisir de méditer les tableaux de Memling, àBruges-la-Morte, devant les Frères Eyck, à Gand, devant Dyck, àBruxelles et à Anvers.
 
Puis l'Espagne l'attira. Il fuma des cigarettes sur le port deSantander où il vit des abbés au cabaret et des jeunes filles àmantille. Et d'un bond il alla boire à la chope de la gretchenallemande, erra dans le Limbourg et en Hollande et tint la chandelledes Rois dans le Grand-Duché de Marie-Adelaïde de Nassau.

Partout, il fut un déraciné.

A l'âge où l'on se range, Robert Campion devint le secrétaire de M.Maurice Métayer, professeur de métallurgie à l'Ecole Centrale. Etpendant dix-sept ans, il collabora au mouvement industriel de laBasse-Normandie, à l'époque de la mise en activité du bassin minier deLarchamp et des Hauts-Fourneaux de Caen.

Dans cette période laborieuse de plus de vingt, années, Robert Campionrencontra des hommes supérieurs : des financiers, des industriels, deslittérateurs... et des mufles ! Résultat : enrichissement de sasensibilité et de son vocabulaire.
 
Quarante ans de Paris lui firent connaître le dessus et le dessous deson plancher trépidant. Il rompit le pain  avec des ministres.Il tacha les revers de son habit chez Maxim, au Moulin-Rouge et chez lePère. Lunette... Au Chat Noir, il joua au domino - trois dés - avecAlphonse. Allais, dit des vers au Quat'Z' arts et, faute d'argent,regagna Montrouge à pied, du plus haut de Montmartre.

Son bagage littéraire ? Trois livres, qui sont : Rimes PaysannesLe Jardin défleuri(3) et Clos deJadis.
 
Il fit représenter en outre au Journal : Une Scène d'ombre ettermine un roman : Dansles pas du Faune.

Ses projets ? Il n'en a pas.

Léon Hiélard, qui s'y connait, a écrit « qu'il ne s'est attaché qu'auxchoses démodées. »

On ne saurait mieux dire, en parlant d'un poète comme Campion que lecharme du passé console des horreurs du temps présent. Et ce charmen'est-il pas tout entier dans Clos de Jadis ?
 
Par le chemin, raviné, que suivirent si souvent ses grands etarrière-grands-parents, l'auteur nous mène au clos que domine la valléelumineuse et verte. Puis il nous décrit par le menu la vieille maisond'habitation où règne la digne Mme Neuville, avec ses fidèlesserviteurs, Harel, rieur et buveur, et Hélie, sobre, respectueux desriches et des traditions. Robert Campion a retrouvé ses yeux d'enfantpour ressusciter le décor rustique d'autrefois, et dans ses impressionsd'une incomparable fraîcheur, nous reconnaissons avec émotion lesnôtres. Nous aurions mauvaise grâce à lui demander une forte intrigue,alors que ses fonds de tableau suffisent à nous enchanter. Que de pagesdescriptives il faudrait citer, si la place ne nous était mesurée :Dimanches villageois, Foire du Jeudi-Saint, Ecole buissonnière. Voicicependant un passage du DînerNormand :

« Il est une heure de relevée quand Catherine apporte la large soupièrede pot-au-feu. Les invités déploient leur serviette, aucuns pardiscrétion, les gardent sur leur genou, sans la déplier et laremplacent par leur mouchoir de couleur. Ma mère, en toilette, s'estgarantie par un tablier blanc, et souriante, effile une longue lame quiservira à découper. Tout le monde a son couteau. Celui de mon onclecontient une scie, une serpette, une spatule d'ivoire pour écussonner.Il en passe avec onction la lame entre ses doigts, ainsi qu'on fait decelle du rasoir. On va et vient de la salle à la cuisine, en seheurtant un peu à Hélie et à Harel, qui renouvellent sur la table lecidre flamboyant. Ma tante parle haut. Le soleil fait des tachesmouvantes aux replis des rideaux. Sur le mur, en retour de la fenêtre,un marronnier plaque l'ombre de ses feuilles épanouies. Les coqschantent. Et les pigeons se sont abattus du toit sur les marches de lamaison. »

Combien Jean Revel eut aimé ce livre qui est un hymne à la terre, à lavie normande et résume si magnifiquement l'œuvre poétique de l'auteurdes RimesPaysannes.

. . . Après une existence bien remplie, ce que Robert Campion aime lemieux maintenant, c'est la paix, et avec elle, trois éléments d'âme :les poésies de Fernand Fleuret, la bonne cuisine et le petit vin decoteau.

ÉDOUARDBOURGINE.

1. EditionMontaigne, 2, Impasse Conté, Paris. Un vol., 1926.
2. RimesPaysannes, Morière, Edit., Lisieux.
3. Le Jardindéfleuri (poésies), Quoist, Edit., Le Havre.